17 : DYLAN + EXAMENS = GAMIN
Nouvelle année.
En général, c'était le moment des bonnes résolutions et des changements de vie. D'habitude, je n'étais pas du genre à me faire des promesses à moi-même ou à dire « nouvelle moi ! » Loin de me considérer déjà parfaite – peut-être un peu – à mon sens, il ne fallait pas attendre janvier pour devenir une meilleure version de soi-même. Mais la fin de l'année précédente avait été si mouvementée et riche en émotions que j'avais besoin de me raccrocher à l'idée que celle à venir serait meilleure.
J'avais déchiré les feuilles des mois terminés sur mon calendrier et décroché les coins des pages de mon agenda en retard depuis septembre. C'était le moment de mettre ma vie à jour, et ça passait par tous les moyens possibles et inimaginables.
La nouvelle année, ça signifiait aussi le réveillon du Nouvel An, les vœux à papy et mamie et les étrennes des grandes-tantes dont j'avais oublié le prénom. C'était la fin des vacances, les ultimes révisions pour le bac blanc, et le rangement des décorations de Noël. C'était maman, Teresa et moi qui mangions un bloc de fois gras, une dinde farcie et une galette des rois à nous trois, parce que le supermarché les avait mis en promotion pour écouler les stocks. Les fêtes de fin d'année étaient ponctuées de rites et de rituels. C'était cette répétition au fil des ans qui procurait le sentiment rassurant d'ordre du monde.
Je n'avais pas revu Dylan des vacances. Bien sûr, on s'était parlé, envoyé des Snaps, appelé pendant une heure, ci-et-là, mais on avait eu aucune occasion de se voir en face à face. Sa famille leur avait fait la surprise d'un Noël au ski. Dylan était rentré avant le réveillon du Nouvel An. Je ne sais pas s'il a fait la fête dans mon dos. Il n'a rien posté sur les réseaux sociaux. Mais, comme je l'ai asséné des centaines de fois, il aurait pu faire ce qu'il voulait. Je ne lui en aurais pas tenu rigueur. Avant le dernier week-end des vacances, il a simplement arrêté de donner des nouvelles, et... je ne sais pas... ses « bjr 😜 » m'ont un peu manqué.
Je sais ce que vous pensez. Vous vous dîtes : « Gina, espèce de faible, ne me dis que t'es en train de tomber amoureuse de Dylan Mercier ! » De l'extérieur, on dirait que c'est tout comme. Mais... je vous le promets, même s'il existait dans mon corps un iota d'hétérosexualité, il ne se serait pas emmerder à tomber amoureux de Dylan Mercier. Je ne pouvais pas expliquer mon attachement pour lui. Pour rien au monde, je n'aurais voulu fourrer ma langue dans sa bouche, mais j'aurais fait n'importe quoi pour m'assurer de son bonheur. Vous voyez le genre ?
Le lundi matin de la rentrée, les terminales avaient les chocottes. Pendant que le reste des lycéens reprenaient cahin-caha le chemin de leur salle de classe, les dernières années s'agglutinaient devant la Vie Scolaire, leur carte d'identité en main, car on leur avait bien précisé que c'était « tout comme la vraie épreuve ». Pour une fois, je suis arrivée en avance. Maman avait mis un point d'honneur à m'emmener.
À l'écart de la foule, j'observais le groupe comme un zoologue tapi dans un buisson. La poitrine bombée, j'adoptais une certaine nonchalance, mon air de redoublante sur le visage. Allez-y, stressez mes cocos, moi, je sais ce que c'est. En vérité, je n'en menais pas large. J'avais beau avoir révisé toutes les vacances, j'avais l'impression qu'une fois devant ma feuille, mon cerveau subirait une erreur système, et j'oublierais tout.
Je cherchais Dylan, en vain. Je n'ai pas osé lui envoyer de messages, car le dernier DM Instagram entre nous venait de moi. Selon la règle tacite de la discussion virtuelle, c'était son tour. Les professeurs ont appelé les différentes classes pour les faire entrer. Quand ce fut mon tour, j'étais dans la salle d'étude où Étienne surveillait.
─ Et bonne année, Gina ! a-t-il lancé avec enthousiasme.
J'ai souri, il avait un gilet flambant neuf, en laine beige avec des boutons dorés étincelants. Je me suis vue obligée de le complimenter :
─ Bah dis donc, Étienne, le Père Noël vous a gâtés.
Il n'a rien dit, il a juste levé les yeux au ciel dans un rictus faussement agacé.
─ Et toi, il t'a enfin apporté une montre. Allez, bouge, à ta place.
J'ai pouffé. Il était cool Étienne.
Je me suis installée à un bureau, à un mètre de ma voisine, en plein milieu de la salle. Je ne détestais rien de plus, j'avais la sensation d'être à nue. Une fois que toute ma classe a été appelée pour vérifier les absences, une seconde classe de terminale nous a rejoint. J'ai vite reconnu quelques têtes, il ne m'a pas fallu plus longtemps pour comprendre que c'était la classe de Dylan. Les noms ont défilé, les élèves ont pris place. Dylan a été appelé une fois, deux fois, pas de réponse. Son bureau est resté vide. L'inquiétude a grimpé. Bon sang, il était où, ce tocard ?
L'épreuve a commencé, on nous a distribué le sujet de philo. Je n'ai pas hésité une seconde, j'ai foncé sur l'intitulé qui me paraissait le plus simple : « Le désir est-il infini ? » De temps à autre, je jetais des coups d'œil à l'entrée et au bureau des surveillants. Ils chuchotaient, regardaient les listes, sortaient pour passer des coups de fils. À tous les coups, ils cherchaient Dylan. Cette valse m'a déconcentrée. Après une heure, mon plan faisait peine à voir.
Le désir est-il infini ? Comment voulaient-ils que je brode cinq pages sur cette question ? Oui sûrement, les gens rêvaient inlassablement à plus que ce qu'ils avaient. Non, peut-être pas, des tas de personnes se contentaient de peu. En fait, je m'en fichais pas mal, du désir et de ses ramifications. Dylan loupait le bac blanc, ça faisait six jours qu'il ne donnait pas de nouvelles. Quelque chose avait dû lui arriver...
À une heure et demie du début de l'épreuve, quelqu'un a frappé à la porte de la salle, et on a vu arriver un Dylan Mercier ratatiné. Les épaules renfermées sur elles-mêmes, les mains fourrées dans les poches de sa veste et la capuche sur le crâne, il s'est entretenu une minute ou deux avec la prof de philo. Pas moyen pour moi de réfléchir, mes oreilles lançaient des ultra-sons à travers la pièce dans l'espoir de capter des bribes de conversations. Finalement, Dylan a été accepté et il s'est traîné jusqu'au bureau vide, quelque part derrière moi. Sur son chemin, nos yeux se sont croisés, il n'a même pas l'esquisse d'un sourire vers moi. J'ai frissonné, un mauvais pressentiment dans le creux de l'estomac.
L'horloge a tourné, j'ai gratté deux misérables pages, mais avec de solides arguments. Si j'avais la moyenne, j'étais la plus heureuse du monde. Dylan est sorti avant moi. Quand j'ai rendu ma copie, je crevais la dalle. Les gens de ma classe et moi nous sommes précipités dans la file de la cantine, et une fois à l'intérieur, j'ai remarqué que Dylan avait encore disparu.
Les jours suivants, les épreuves se sont enchaînées avec des résultats mitigés. Anglais, j'ai tout déchiré. Économie, bof ; allemand, on n'en parle même pas. Maths, mieux que je l'aurais cru, j'ai répondu à toutes les questions, mais histoire-géo, oh la la, la cata. Les médias depuis l'affaire Dreyfus. Franchement, il avait l'air d'être un bon gars, ce Dreyfus, mais il me fait bien chier.
Dylan s'est pointé pile à l'heure chaque fois. Il repartait aussitôt, il ne m'a pas donné de nouvelles. Je soupçonnais de plus en plus qu'un truc clochait chez lui. Je ne l'avais jamais vu de la sorte.
Le mercredi midi, on en avait terminé avec le bac blanc. La délivrance s'est faite ressentir parmi les rangs comme un frisson général. Beaucoup ont quitté le lycée pour s'aventurer dans les rues du centre-ville et dégommer un grec en bonne et due forme – le sandwich, pas un vrai citoyen de la Grèce. Plusieurs personnes m'ont proposé de les accompagner, j'ai décliné poliment. J'avais zéro tune.
Je suis rentrée chez moi, j'ai mangé un cordon bleu et des pâtes seule avec mon portable. Niveau moral, c'était pas la joie. Dylan m'ignorait, et ça me touchait plus que je ne l'aurais voulu. J'ai hésité à lui envoyer un message, ne sachant pas s'il avait besoin d'espace ou de réconfort. En rentrant dans ma chambre, mon regard a attrapé la planche de skateboard contre ma table de nuit. En voilà une bonne idée ! On était mercredi après-midi, c'était le jour du skatepark. J'ai rempli mon sac, j'ai glissé la planche entre les deux bretelles et j'ai monté le tout sur mon dos. La minute d'après, je marchais jusqu'à l'abribus en bas de mon lotissement. Officiellement, j'étais encore privée de sortie, mais ni maman, ni moi n'avions remis ça sur la table depuis plusieurs semaines. Dans ma tête, c'était comme si la punition avait été levée.
En arrivant au skatepark, une sérénité m'a saisie. Dans un sens, je rentrais à la maison. Je n'avais pas touché à la planche de toutes les vacances, mes jambes me démangeaient. Il faisait un froid sec et mordant, le genre qui vous ankylosait le bout du nez et les dernières phalanges des doigts. Les jeunes grouillaient sur les rampes. J'ai aperçu des terminales de mon lycée dans la foule, qui, comme moi, avaient besoin de décompresser de ce début de semaine intense.
Le royaume de Dylan Mercier était occupé, mais le roi brillait par son absence. En m'approchant, et en reconnaissant la seule personne présente dans les quelques mètres carrés du territoire, mon cœur s'est emballé. Je n'avais pas de nouvelles de Dylan depuis une semaine, c'était une chose, mais avec Jennyfer, c'était trois fois pire. Silence radio depuis la soirée. Le rouge m'est monté aux joues d'un coup. Les mains crispées sur les bretelles de mon sac à dos, je piétinais sur place. Jennyfer s'entraînait sur un 360, elle n'avait même pas conscience de se trouver dans la même dimension que moi.
Obnubilée par le mouvement de ses jambes et paralysée par l'appréhension de lui parler, je suis restée plantée au milieu du skatepark. Erreur fatale. J'ai été frappée de plein fouet par l'arrière. La planche dans mon dos m'a fait perdre l'équilibre, je suis tombée en avant, me rattrapant de justesse sur les mains avant de goûter à l'enrobé. Le mec s'en tirait mieux, il était toujours debout. Pourtant, il n'a pas manqué de vociférer :
─ Eh mais qu'est-ce tu fais là ? Dégage ! Pas possible ça...
J'étais hargneuse, j'avais du répondant, en général, mais là, j'étais mortifiée. J'allais laisser couler, le type allait partir et m'oublier. C'était sans compter l'attention soudaine qu'on me portait, et avec celle-ci, Jennyfer qui me voyait. Elle est aussitôt venue à ma défense. Je m'étais redressée en position assise.
─ Tu pourrais t'excuser au moins, a-t-elle lancé au gars. Tu viens de lui rentrer dedans.
─ Et alors ? Elle n'a pas à se mettre comme ça en plein milieu comme une plante verte !
Jennyfer haussait le ton, son poing se refermait sur le nose de son skate.
─ Mais pourquoi tu parles, toi ? Si t'étais un bon skater, tu rentrerais pas dans les gens comme ça ! Excuse-toi.
─ D'où tu me donnes des ordres ? Puis, t'es qui au juste ? Qu'est-ce que tu fous là ? Qui a autorisé les vieilles meufs comme toi aussi ?
─ Moi, je suis une vieille meuf ? Moi, je suis une vieille meuf ?
─ Bah ouais ! Bah ouais ! Tu vas faire quoi ?
Peu à peu, la foule se resserrait autour d'eux, assoiffée de conflits et de dramas. Ils tiraient presque la langue à la recherche de la moindre goutte d'engueulade qu'ils pourraient avaler. Jennyfer montait dans les tours, de plus en plus nerveuse. La dispute prenait des aspects de télé-réalité. Je me suis vite relevée avant que ça dégénère. Jennyfer criait :
─ Mais barre-toi, espèce d'abruti, là ! Retourne chez ta mère, t'es même pas capable de diriger un skate et tu parles.
Le type renchérissait, mais il avait moins de verve qu'elle. Il bégayait et babillait. On ne l'entendait même pas. Finalement, il a fini par fuir l'altercation, marmonnant dans sa barbe. Jennyfer lui a crié :
─ C'est ça, casse-toi et ferme la, ça nous fera des vacances.
Elle s'est tournée vers les gens, réunis en cercle autour d'elle.
─ Puis barrez-vous vous aussi, c'est pas Pinder ici !
Les mecs, tous plus jeunes qu'elle, se sont carapatés en vitesse. Je les soupçonnais d'avoir tous un peu peur d'elle. C'était une – voire la – des seules filles habituées aux lieux. Elle les menait à la baguette si elle le souhaitait.
Jennyfer s'est tournée vers moi, et son regard revanchard s'est mué d'une douceur magnanime – nouveau mot. Mon esprit est tombé dans mon estomac, comme quand un ascenseur montait trop rapidement. Pourquoi ses yeux avaient-ils besoin d'être si perçants ? On ne s'était pas vu depuis trois semaines, elle ne pouvait pas n'en avoir rien à foutre de ma gueule ?
─ Ça va ? s'est-elle enquise.
J'ai hoché la tête avec frénésie. J'avais eu la trouille, mais j'étais en un seul morceau. Jennyfer a tendu une main dans ma direction pour m'aider à me relever, je l'ai saisie. Le contact chaud m'a enivré.
─ T'inquiète pas pour lui, on va s'occuper de son cas. Ça fait plusieurs semaines qu'il fait des dingueries et qu'il emmerde tout le monde.
─ Vous pouvez virer quelqu'un du skatepark ?
─ Pas officiellement, mais si les grands t'aiment pas, tu risques de pas faire longtemps. Les gens qui sont relous, on leur mène la vie dure.
Les règles de société du skatepark m'étaient de plus en plus fascinantes. Les lieux étaient auto-gérés avec rigueur, au bord de la tyrannie. Outre l'espace géographique délimité et les intrusions de propriété privée prohibées, il existait une hiérarchie sociale stricte. Les grands avaient plus de 18 ans, ils étaient papas trentenaires avec plein de tatouages, étudiants ou jeunes travailleurs, ou semi-pros qui tentaient de percer. Ils avaient l'autorité maximale sur les petits, à savoir tous les autres. Mais parmi les petits, il y avait les drôles, les gamins et les microbes. Les drôles avaient quinze, seize, dix-sept ans et skataient bien. C'était des potentiels grands, qui respectaient les codes dans l'espoir de les administrer par la suite. Les gamins, c'était cette tranche d'âge ingrate, entre douze et quinze ans, avec des ados qui se prenaient pour les rois du monde et qu'il fallait remettre à sa place. Les microbes rassemblaient les néophytes et les enfants. Après ton arrivée, tu restais microbe un moment avant d'être redistribué dans la bonne catégorie.
Jennyfer était une grande, Dylan un drôle et moi un microbe. Le type qui m'avait bousculé était sans hésitation un gamin. Merde, c'était bien pensé, ce truc.
J'étais debout, à présent. Jennyfer avait lâché ma main et d'un signe de la tête, m'avait encouragé à la rejoindre. J'ai demandé :
─ T'es toute seule ?
Il était passé 14 heures, un mercredi après-midi, du jamais vu.
─ Les gars étaient pas chauds. Pourquoi, t'as peur de rester qu'avec moi ?
C'était du flirt ? Si oui, elle en avait du culot. Elle me ghostait pendant trois semaines et me draguait effrontément. J'ai eu quand même un doute. Si ça se trouve, Jennyfer ne se rappelait même pas de l'épisode dans la salle de bain... Je ne me suis pas débinée.
─ J'ai peur de rien, moi.
─ Sauf des gamins qui te rentrent dedans, visiblement, a plaisanté Jennyfer.
J'ai levé les yeux au ciel avec insolence, commentant :
─ C'était petit et facile.
Elle a souri. Sa joie m'avait manqué. Le crush n'avait pas fané, la revoir venait de raviver mes émois.
─ T'as passé un bon Noël ? m'a-t-elle questionnée.
─ Super, et toi ?
─ Pas ouf.
Mon instinct me disait que le comportement de Dylan n'était pas sans lien avec son sentiment. J'ai creusé :
─ Ah ouais ? Pourquoi ?
Elle a balayé ma phrase d'un revers de la main.
─ De la merde.
Là où Dylan s'ouvrait dès qu'on le cuisinait un peu, Jennyfer n'était pas expansive pour un sou. Je n'en saurais pas plus pour l'instant.
J'ai profité du reste de l'après-midi pour réviser mes classiques du skateboard. L'humidité de l'hiver avait rouillé mes articulations, je n'étais plus aussi à l'aise sur le skate. Il m'a fallu une ou deux heures avant d'oser redescendre une rampe que j'appréhendais sans problème début décembre. Jennyfer a fait, à son tour, une tentative de m'apprendre à exécuter un ollie. Moins patiente que Dylan, elle me remontrait mille fois le trick, dès que je le loupais et disait en riant : « Attends, mais comment tu te débrouilles ! » Ce n'était pas moqueur, elle était tout bonnement désespérée de son élève.
La fin d'après-midi a fait gargouiller nos estomacs. On a décidé de se poser dans un salon de thé du centre-ville. Dans le bus, sur le chemin de l'aller, on s'est assises côte à côte, sur la grande banquette du fond, nos skates à nos pieds. Jennyfer m'a proposé un bonbon du paquet qui traînait dans son sac. Ils étaient acidulés, j'ai grimacé en le mettant sur ma langue.
─ Le bac blanc, au fait ? m'a-t-elle demandé.
Je ne lui en avais pas parlé, ça signifiait qu'elle suivait ma vie de loin. Bonne chose.
J'ai haussé les épaules.
─ Bof, j'ai pas trop confiance. Si j'ai la moyenne, ça me va.
─ Tu veux faire quoi après la terminale ?
J'ai ri.
─ Alors là, c'est la question à mille euros.
Je n'avais même pas de perspective d'avenir sur les prochains mois, alors les prochaines années... Jennyfer a attendu une vraie réponse, j'ai recouvré un air sérieux :
─ J'en sais vraiment rien. Ils vont bientôt ouvrir Parcours Sup et j'ai zéro idée. J'en avais déjà pas l'année dernière, j'en ai toujours pas. Quand j'étais petite, je voulais être dans la marine, mais j'ai abandonné le projet. J'ai pas envie de faire d'étude, j'aimerais bosser direct.
─ Ah ouais ? s'est étonnée Jennyfer. Genre quoi ?
─ Eh bah... Tu vas trouver ça fou, mais de savoir que Kärcher était boulanger, ça m'a parlé. Il a l'air heureux, il se prend pas la tête, il peut parler de pain pendant des heures. C'est le genre de personne que j'aimerais bien être.
─ Tu vas faire du pain ? a plaisanté Jennyfer.
─ Non, peut-être pas du pain ! Mais j'aimerais bien un métier manuel.
Avec le recul, j'avais un regret : l'école m'avait poussé dans une voie générale sous prétexte que mes notes le permettaient, mais on ne m'avait jamais demandé ce qui m'intéressaient vraiment. J'aurais peut-être choisi autre chose. Jennyfer a acquiescé avec empathie.
─ Je vois.
─ Et toi ? ai-je lancé. Niveau études, t'en est où ?
Elle avait arrêté ses études de droit au début du semestre. Un nouveau commençait bientôt, allait-elle rester chez ses parents ? Jennyfer a commencé a joué avec les perles en bois de son bracelet.
─ Justement, j'avais candidaté pour une école de commerce en rentrée décalée. J'ai été prise.
Elle m'annonçait ça la mort dans l'âme.
─ Bah ? Trop cool, non ?
─ C'est à Lille.
─ Ah...
Deux cents kilomètres de notre ville. Ça m'a mis un coup au cœur. Jennyfer a expliqué :
─ J'ai trouvé un appart pendant les vacances, et j'emménage à la fin de la période de partiels, dans genre... deux semaines. C'est pour ça que je te disais que j'ai passé un Noël de merde. Dylan l'a trop, trop mal pris. Il fait la gueule depuis.
Son comportement faisait soudain plus sens. Dylan m'avait confié que la présence de Jennyfer était parfois l'unique chose qui tenait le foyer debout. Ça, plus le fait que sans elle, il resterait seul dans cette immense maison. Je comprenais qu'il boude.
Mis à part, Dylan, il y avait moi. Je n'étais pas ravie non plus de savoir que Jenny allait partir. J'étais dégoûtée. À quoi bon ? Mes pensées égoïstes m'ont cloué le bec le reste du trajet. J'ai regardé les rues défiler par la fenêtre, le bus a annoncé l'arrêt Ambroise Paré, devant le lycée. On est descendu.
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