1 Dylan
Dylan n'est pas rentré cette nuit.
Je l'ai attendu, toute la nuit, blotti sous mon Plaid, sur le canapé. La tête d'Iceberg, mon berger blanc suisse, sur les genoux, mais il n'est pas rentrée. Et j'ai peur.
J'ai peur de le retrouver avec une seringue plantée dans le bras.
Depuis quelques temps, il est passé aux drogues dures.
Il croit que je l'ignore, il ne se drogue pas chez moi. mais je sais qu'il le fait.
J'en ai marre d'attendre.
Je me lève, m'habille, enfile mon manteau, il fait froid à ne pas metre un chat dehors. Ça tombe bien, j'ai pas de chat.
Iceberg me regarde, s'impatiente.
- Oui, oui, mon gros, on y va. On va chercher Dylan.
J'ai peur. Quand je sors, c'est toujours dans les environs immédiats de la Fac. Je n'aime pas m'éloigner, je suis une trouillarde. J'ai peur de tout.
De ces regards qu'on pose sur moi, de la foule, je voudrais pouvoir disparaître dans un trou de souris, mais je prends sur moi. Pour lui.
Parce que si j'ai sauvé Dylan de la rue, dans laquelle il vivait, lui, il m'a sauvé de moi même.
Je lui dois tellement.
Alors malgré ma peur ma main serrée sur la laisse d'Iceberg, je prends le bus, pour les Grésilles.
Cette citée ressemble à toutes les citées de France. On y trouve des gens très bien, qui luttent contre la misère, les trafics, en tout genre, et la peur.
J'ai grandi dans une citée comme celle ci, dans une autre ville, entre une mère alcoolique, et un beau père violent et incestueux.
Les fins de mois difficiles, pendant lesquels on fait un repas sur deux, voir trois, les factures impayées, les plans de surendettement, qui s'accumulent, accompagnés d'interdiction bancaires, je connais.
C'est la première fois que j'entre aux Grésilles, cette citée de Dijon, en Bourgogne.
Elle ressemble à toutes les autres, avec ses grandes tours, ces parkings, dans lesquels, parfois, des voitures brûlent, des bagarres éclatent.
Moi, je cherche Dylan, je fais tous les endroits où il pourrait s'être endormi, après avoir pris sa dose.
Il a pris cent euro, dans mon porte monnaie.
Il m'a laissé un mot, je te les rends très vite, pardon, bisous.
Il ne me les rendra pas, Je m'en fou, de l'argent, je veux qu'il revienne indemne.
On m'accoste, mais les grognements sourds d'Iceberg les dissuadent d'insister.
J'ai peur de croiser des pitbull. Mon chien ne feraient pas le poids fasse à eux.
Je leur demande s'ils ont vu Dylan, mais personne ne répond.
C'est la sirène d'un camion de pompier qui m'alerte.
Je me précipite juste à temps pour voir mon ami, enveloppé dans une couverture de survie dur un brancard.
J'ai reconnu ses cheveux blonds. Je me rue sur un pompier.
- Comment va t'il ? C'est mon frère, dites moi.
- Il a fait une overdose, on l'emmene aux urgences.
- Je peux monter ?
- Avec le chien ? Non, c'est impossible.
Je repars, le temps de rentrer Iceberg dans mon appartement, situé à la Fac, je me rue au CHU.
Il est juste côté de la FAC, pratique pour les futurs médecins et infirmières.
Service des urgences,et l'attente interminable.
J'ai sèché mes cours, tant pis, il y a plus important en ce moment, que mes cours de psychologie.
Deux heures que j'attends. Je suis morte de peur. Non, Dylan n'est pas mon frère, je suis fille unique, mais c'est tout comme.
Pendant que j'attends, impuissante, je repense à notre première rencontre.
Comment moi, qui ne parle jamais à personne, qui le dépêche de rentrer dans mon appartement, tête baissée, sans regarder qui que ce soit, en priant pour que personne ne m'interpelle,
ai je pu faire entrer dans ma vie un SDF ?
Mon oncle et ma tante, qui m'ont recueilli lorsqu'à seize ans, j'ai décidé de partir de chez moi, et qui financent mes études, n'ont pas compris non plus.
C'était le printemps, la fin du mois de mars. Il faisait déjà très chaud.
Je suis sortie de l'amphithéâtre, et il était là, assis sur le trottoir, il jouait de la guitare, du goldman.
Il chantait juste, et il jouait tellement bien, que je suis restée pour l'écouter, ce jour là et les suivants. On ne s'est pas parlé, je restais là, à quelques mètres, et je l'écoutais.
Et puis un jour, alors que je revenais du resto Universitaire, je me suis assise comme d'habitude, pour l'écouter.
J'ai vu qu'il lorgnait ma pizza quatre fromages.
Alors je lui ai donné.
-Bein et toi ?
- Je vais m'en chercher une autre.
- Merci.
Il me sourit, je rougis. Je sais c'est idiot.
Il est plutôt BG, enfin, Il le serait sûrement, sans l'énorme barbe qui lui mange le visage, et ses cheveux blonds, filasses et sales.
Il est grand, au moins un mètre quatre vingt dix.
Deux étudiants passent derrière lui.
- Il est encore là, lui ? Hey, le clodo, tu peux pas te trouver du boulot !
- Le boulot c'est pour les esclaves trop cons pour aprécier la liberté, et qui manquent cruellement d'imagination. Répond il.
Je ris.
Les étudiants se contentent de faire des doigts d'honneur, et s'éloignent. Un instant, j'ai craint une bagarre.
L'un deux se retourne.
- Sale pédé !
- Et fier de l'être, répond il de nouveau.
Je ris encore.
- Tu sais rire ? S'exclame t'il. J'aurais juré que tu avais un problème de mâchoire.
- Bein non.
- Tant mieux, mais ça fait des semaines que tu viens tous les jours, et tu es aussi fermée qu'une huître.
Je hausse les épaules.
- J'ai pas l'habitude de rire pour rien.
- Je vois, Bein tant que tu ris à mes répliques, ça me va.
Il me sourit, moi aussi.
Il est sympa, drôle, intelligent. Et il joue super bien de la guitare.
- Bon, j'y vais, Le resto U va fermer.
- Ok, merci pour la pizza.
- De rien.
Je me sauve, troublée.
Le lendemain, il est encore là, et j'apporte deux repas du resto U.
- Wouah s'exclame t'il.
Je vais finir par m'y habituer.
- C'est pas grand chose, je paie un euro le repas.
- Un euro ? Une entrée un plat un dessert ?
- Oui enfin, ça c'est parce que je suis boursière. Sinon, c'est trois euro.
- Trois euro ? Et je peux aller y manger moi aussi ?
- Il faut être étudiant.
- Ah dans ce cas il y a peu de chance que je passe pour l'un d'eux.
Je souris.
- Au fait, je m'appelle Dylan.
Il attend que je me présente, je mesure le danger qu'il y a à me présenter à un inconnu, mais ce n'est qu'un prénom, après tout.
- Manon. Je m'appelle Manon.
- C'est joli, c'est doux comme toi.
Je rougis.
- Hey, je te drague pas, je t'assure. En fait, Je suis gay.
- Vraiment ?
- Vraiment.
Je me sens rassurée, mais je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi une telle confidence ?
On discute, de tout de rien, de mes études.
La psychologie l'amuse.
- Comment peut on fouiller dans la tête des gens ? C'est...De la curiosité malsaine.
- C'est plus facile d'aider les gens à régler leurs problèmes, plutôt que de se pencher sur les siens.
J'en ai trop dit. Il me regarde mais ne dit rien.
Chaque fois que je sors de la Fac, j'espère le retrouver. Des fois, il n'est pas là, et j'ai peur de ne jamais le revoir.
Je sais, c'est idiot. Je le connais pas, il ne me doit rien, il est libre.
Mais déjà, il me manque, je ressens plus que jamais ma solitude, quand il n'est pas là.
Ce jour là, il pleut, je suis sûre qu'il ne viendra pas, mais il est là, sous la pluie.
Il est trempé. Je l'abrite sous mon parapluie.
- Tu peux pas jouer, par un temps pareil.
- Non, mais je t'attendais
Je fronce les sourcils, méfiante.
- Pourquoi ?
Il hausse les épaules.
- Bein pour un repas gratuit bien sûr. Pour quoi d'autre ?
Un instant je cherche à savoir s'il est sérieux. Après tout, ce serait logique, qu'un SDF affamé cherche après un repas gratuit.
- Mais non, je voulais juste te revoir.
- Pourquoi ?
- Bein, parce que t'es sympa et... Je t'aime bien.
Je rougis.
- On peut pas manger sous la pluie, dis je. Viens, on va au macdo.
- Au macdo, tu es sûre ?
- Oui.
Tandis qu'on marche rapidement jusqu'à l'arrêt de bus, je me dis que je suis devenue folle.
Qu'est ce qui m'a pris d'inviter un parfait inconnu ?
Bein justement, c'en est plus vraiment un, n'est ce pas ?
Le macdo est plein à craquer, on s'installe à une table. Je sens peser sur lui les regards curieux et offensés.
Un clodo ?
Mais lui, il s'en fou. Il mange, tranquille. Moi j'ai envie de hurler après ces regards outrés et méprisants.
Mais la décontraction de Dylan me surprend.
Il observe les gens et les juge de façon humoristique.
Il dévisage les hommes, admire leur physique. Fait des paris sur leur sexualité.
- Celui là, j'en ferais bien mon quatre heure. Dit il.
Mais il est hétéro.
- Qu'est ce que tu en sais ?
- Justement je ne sais pas. Je devrais peut être lui demander.
Il se lève, je ris, tiré sur son blouson et l'oblige à se rasseoir.
Lorsqu'on sort, la pluie s'est arrêtée. Je n'ai pas vu le temps passé, il y a bien longtemps que je n'avais pas passé un aussi bon moment.
On se sépare.
- Vous êtes là soeur du jeune homme qui a fait une overdose ?
Je sursaute, perdu dans mes souvenirs je n'ai pas vu arriver le médecin.
- Oui. Comment va t'il ?
- Il est hors de danger, mais il a eu beaucoup de chance.
Je sens un grand un poids se retirer. J'ai eu tellement peur de le perdre, il m'est devenu aussi indispensable que l'air que je respire.
- Merci.
- Il n'y a pas de quoi. On le garde encore cette nuit, la police va vouloir l'interroger.
La police ? J'avais pas penser à ça. Mais c'est logique. Ils vont vouloir savoir où il s'est procuré la drogue.
- Vous devez passer au bureau des entrées, pour les formalités. Vous avez sa carte vitale ?
J'ai presque envie de rire. Une carte vitale, Dylan ? Non il n'en a pas. On ne donne pas une carte vitale à un SDF.
Parce que même s'il vit avec moi, Dylan reste un sans domicile fixe. Pas moyen de le faire rentrer dans le moule. Tout ce qu'il a, c'est da carte d'identité.
- Je oui, bien sûr. Je peux le voir ?
- Pas maintenant, il dort. Revenez demain après midi.
Je quitte l'hôpital épuisée et sonnée. J'ai peur de ce qui va se passer, maintenant. Peur que la police ne l'arrête, je ne sais même pas s'il a un casier. Peur qu'il recommence aussi.
Je me sens désemparée, je sais pas quoi faire.
Et comme toujours c'est auprès de mon oncle et ma tante, que je cherche conseil.
La solution est simple, me dit mon oncle, il faut qu'il aille en désintoxication.
Facile à dire, mais il refusera.
- Il faut que tu sois ferme avec lui, Manon. Pour son bien et le tien. Et puis tu n'es pas toute seule.
Pense à Ethan.
Ethan, c'est mon fils, mon merveilleux petit garçon de trois ans. Un ange tombé du ciel.
Je ne le vois que les week-ends parce lz semaine, je suis à la Fac, et le soir, je travaille dans un bar, pour payer mon loyer et mes repas.
Je n'ai pas de temps pour lui, et je ne peux pas payer une nourrice à plein temps. Quelques fois, Dylan le garde, c'est dire si j'ai confiance en lui.
Et la, vous vous dites que je suis une mauvaise mère irresponsable de faire garder mon enfant par un SDF alcoolique et drogué, mais vous connaissez pas Dylan.
Il est extraordinaire avec Ethan et tous deux s'adorent. Jamais il ne boit, ni ne se drogue en sa présence, il le fait rire, joue avec lui, il est le père, le frère qui manque tellement à mon enfant.
Et si j'en suis si sûre c'est parce que j'ai une caméra doudou dans la peluche préférée de mon petit garçon, cadeau de ma tante, qui se méfie de Dylan.
Je rentre chez moi et m'effondre sur le canapé, en larmes. Trop de tensions, de peur, d'interrogations.
Oh, Dylan comment je peux faire pour te sortir de là ?
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