Lapin cochon
Bonjour tout le monde ! 🤗
J'espère que vous allez bien ✨
On se retrouve pour un OS que j'ai écrit dans le cadre de la troisième édition du jeu du hasard de shirokeur
J'ai tiré comme mots :
apocalypse
polyamour
handicap
rouge à lèvres
le ship :
Jeongin
Seungmin
Changbin
J'avais aussi comme citation obligatoire :
— J'ai attendu ce moment toute ma vie.
Les thèmes pour cette édition étaient l'hiver et la mélancolie.
J'espère avoir réussi à relever le défi. En tout cas, j'ai pris beaucoup de plaisir en écrivant cet OS.
Petit disclaimer, je tiens à préciser que j'ai fait beaucoup de recherches sur le syndrome Ehler Danlos, et que ma maman ait atteinte de cette maladie qui l'impacte au quotidien. Peut-être que vous ne reconnaîtrez pas le SED, mais je montre la maladie comme je la connais à travers le témoignage de ma maman. Je vous prierais de respecter cet aspect de l'OS.
Pas de TW particulier si ce n'est le handicap.
Bonne lecture 🤍
Bisous 😘
Camille 💙
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La brûlure.
C'était la seule chose qui prouvait à Changbin qu'il était en vie.
Elle était si acérée, si dévorante qu'elle remontait petit à petit, de ses doigts jusqu'à son cœur, grignotant chaque part de son être.
— Tiens bon, lui chuchota une voix.
Il n'arrivait plus à discerner qui cela pouvait être. Tout ce que Changbin savait, c'est qu'il allait mourir de froid, ici, dans la ville qu'il l'avait vu naître à Séoul.
Elle avait bien changé en vingt ans. Elle qui à l'époque était si bondée, si lumineuse, si joyeuse, aujourd'hui, la ville n'était plus que l'ombre d'elle-même.
Il n'avait fallu que quelques isotopes fissiles, de l'énergie et BOOM. La capitale coréenne du côté sud avait presque été rasée en quelques secondes seulement. La radioactivité avait pris place entre les murs de béton, plongeant dans le sol, le rendant stérile, comme toutes les personnes aux environs.
Changbin savait que s'il ne mourait pas de froid, ici, il finirait par être dévoré par le cancer, ou le manque de vivre, ou par une attaque surprise, ou tout simplement par le mal qui le rongeait depuis des années déjà.
Heureusement qu'il les avait.
Mais qui déjà ?
Tout était vague.
Soulever le moindre raisonnement, la moindre réflexion lui demandait un effort surhumain.
Depuis combien de temps déjà était-il dans cet état second ? Dans cet entre-deux interminable ? Il ne savait plus vraiment.
— Comment il va ? Il se réchauffe ?
— Il respire encore.
— C'est déjà ça.
Petit à petit, il reprenait conscience des choses l'entourant. Le zip d'une fermeture, le froissement de tissus, le craquement d'une allumette, ou bien le clap d'un briquet, il n'était pas trop sûr. Il grogna quand il sentit la brûlure s'amplifier. Un cri sortit même de sa gorge asséchée, sentant un contact contre lui.
— Il l'a sentit !
Un sifflement strident retentit. Sa tête allait exploser. Que cela cesse. Changbin n'en pouvait plus.
— Chut, là, là, Binnie. On est là, avec toi.
Est-ce qu'on le berçait ?
— Tiens.
Froid ou chaud ? Mais quelque chose rongea ses lèvres s'il en avait toujours du moins... Quand un liquide roula le long de sa gorge aride, Changbin se sentit renaître.
Il ne sait pas combien de temps il est resté là, entre le sommeil, la mort, la conscience, ou cet entre-deux tordu, mais au bout d'un moment, quelques bribes lui étaient revenues.
Leur expédition. La tempête de neige les avait surpris. Ils. Eux. Oui. Maintenant il se rappelait. Kim Seungmin. Yang Jeongin.
Ils les avaient rencontrés quelques mois auparavant. D'abord Jeongin, puis Seungmin.
Seungmin faisait partie de cette minorité complotiste, survivaliste. Il avait tout prévu dans son bunker. De la nourriture pour vingt, peut-être même trente ans. Jeongin, lui, avait été pris par surprise comme presque tout le monde. Bien sûr, certaines tensions ne mentaient pas. Le service militaire obligatoire pour les jeunes hommes était là pour le leur rappeler. Ils ne savaient plus lequel de tous ces pays totalitaires avait tiré en premier, mais ils se rappelaient du bombardement, des éboulements, des cris, du sang.
Du sang. Partout. Sur les pavés. Sur les murs. Sur les fleurs.
C'était un jour comme tous les autres. Il faisait beau. Pour une fois, Changbin s'était levé, la tête légère, presque aucune douleur dans le corps, reposé, prêt à soulever des montagnes, et non pas un pan de mur qui s'était écroulé sur le corps de sa mère.
Non, Changbin ce jour-là aurait préféré que sa pathologie ne l'emporte que de voir s'éteindre la seule qui l'ait défendu envers et contre tous quand on ne le croyait pas. Il aurait préféré ne plus jamais pouvoir utiliser ses jambes que de voir mourir celle qui l'avait mise au monde, celle qui l'a aimé comme il était : imparfait.
À ses yeux, il a toujours été parfait, même quand les autres criaient aux mensonges face à ses plaintes, ses gémissements. On lui a toujours répété : Changbin, un homme doit être fort, il ne doit pas pleurer, tes douleurs sont dans ta tête, arrête de simuler.
Alors il s'était endurci, il s'était bâti un corps puissant.
Mais cela n'avait pas suffi.
Il était malade.
Il était handicapé.
Il le savait au fond de lui, depuis toujours.
Mais le reconnaître paraissait insurmontable.
Pourtant, quand les premières questions de Jeongin et Seungmin arrivèrent, il fut bien obligé de se confier.
— Il est toujours inconscient ?
Il crut reconnaître un hochement de tête, mais il n'était pas sûr.
Seules les deux respirations, en plus de la sienne, lui semblaient réelles. Elles le bercèrent, l'emportant petit à petit dans une obscurité rassurante.
*
— Je suis surpris que tu te sois blotti contre lui.
Jeongin écarquilla les yeux avant de les lever au ciel.
— Sa vie était en jeu. Et je te ferai remarquer que toi aussi.
C'est vrai qu'ils étaient tous deux, nus, contre le corps de Changbin. Les hôpitaux ou centres médicalisés n'étaient pas présents avant des centaines et des centaines de kilomètres. Changbin n'aurait pas survécu au voyage. Et ce n'était pas dit qu'on les aurait accueillis comme il se doit. Les survivants de la catastrophe séoulienne étaient craints, méprisés. Tout chez eux ramenait à ce dysfonctionnement mondial. Par la radioactivité, contagieuse, ils seraient à jamais associés aux bombes.
— Hyung ? Je crois qu'il est réveillé !
— Vous faites trop de bruit... gémit difficilement Changbin.
Jeongin et Seungmin ne purent s'empêcher de crier, entraînant le recroquevillement de Changbin. S'il avait pu disparaître sous le plaid troué et rêche que Jeongin et Seungmin avaient déposé au-dessus de leurs trois corps, il l'aurait fait.
Dehors, il neigeait toujours à plein temps. L'air s'infiltrait dans le hangar délabré dans lequel ils s'étaient abrités. Changbin frissonna, mais les couleurs sur ses joues et la chaleur de son corps rassuraient les deux hommes.
Les paupières de Changbin papillonnèrent. Ce dernier, se réveillant petit à petit, prenait conscience des événements de la veille. Il s'était réveillé, avec l'impression qu'un camion lui avait roulé dessus. Ses membres inférieurs ne réagissaient quasiment plus. Sa tête tournait. Un bruit strident l'empêchait d'entendre totalement Seungmin et Jeongin. À chaque fois que ses paupières s'abaissaient, il grimaçait de douleur. La sécheresse de ses yeux était insupportable.
— Ça ne va toujours pas aujourd'hui ?
C'était une question stupide vu l'état de Changbin, mais parfois cela ne se voyait pas, ni sur son visage ni sur son corps. Le handicap invisible portait bien son nom.
Seungmin partit fouiller dans l'un des sacs qu'ils avaient ramenés. Il en sortit un flacon en plastique jauni, un gilet et des mitaines compressives.
— Tiens, c'est de la crème lidocaïne. Elle est périmée depuis plus d'un an, mais c'est mieux que rien.
Changbin eut du mal à saisir le pot, encore moins l'ouvrir. Ses mains le trahissaient, comme si son corps ne voulait plus lui répondre.
Seungmin et Jeongin attendirent, calmement, sans jugement.
— Je veux bien de l'aide...
Jeongin vint se saisir du flacon et l'ouvrit.
— Tu veux que je te l'applique, ou tu préfères le faire ?
Ils préféraient toujours demander l'avis de Changbin. Ce n'était pas parce qu'il était handicapé que ce dernier n'était plus capable de quoi que ce soit. Au contraire, sa maladie : le syndrome d'Ehler Danlos, lui donnait des jours avec et des jours sans. Il n'avait aucun contrôle sur son état physique. Ses périodes de hauts et de bas étaient trop changeantes. C'était à Changbin d'expliquer sur un baromètre s'il se sentait capable de faire les choses ou non. Il n'y avait que lui qui se connaissait aussi bien.
— 3, murmura-t-il. Il y a des parties douloureuses que je n'arriverai pas à atteindre...
Jeongin sourit et lui demanda de lui montrer les zones. Changbin désigna une partie de son dos vers ses omoplates ; ses jambes, surtout au niveau de ses genoux ; et son aine.
Le plus jeune s'exécuta, prenant une noisette du produit, voulant l'économiser au maximum. Il ne chauffa pas la crème pour la même raison. Changbin frissonna au contact des mains de Jeongin sur sa peau.
Tout en étalant le liquide, il massa délicatement les muscles douloureux du plus âgé. Ce dernier lâcha de petits soupirs. C'était bon. Il avait toujours mal, mais la chaleur provoquée par la crème et les attentions de Jeongin le soulageait tout de même.
Ce dernier s'agenouilla pour mieux atteindre ses jambes galbées. Il les massa de la même manière, s'attardant sur ses articulations. Remontant, petit à petit vers l'intérieur de ses cuisses, puis son aine, Changbin gémit de soulagement. La scène n'avait rien d'érotique. Pourtant d'un certain angle, on aurait pu y penser. Bien qu'il y ait de l'attirance entre ces deux-là, c'était juste un jeune homme en aidant un autre.
Peu à peu, Changbin se sentit engourdi dans ces zones. Il ne percevait plus la pulpe des doigts de Jeongin.
Seungmin se rapprocha de Changbin, lui qui avait été en retrait depuis le début, les regardant au loin, avec amour. Il vint lui passer autour des doigts, poignets et paumes des mitaines compressives. Puis Seungmin se pencha, plongeant dans le regard de Changbin, alors que celui-ci se faisait toujours masser. Il posa son front contre ce dernier, Changbin pouvait sentir son souffle contre ses lèvres. Après un hochement de la tête, Seungmin, sûr du consentement du plus vieux, attrapa le menton de Changbin pour venir l'embrasser à pleine bouche. Puis ce fut au tour de Jeongin, se relevant, ce dernier vint embrasser tour à tour embrasser Changbin et Seungmin.
Leur rencontre avait tout d'abord pris la forme d'un accord tacite, puis était devenue amicale, pour évoluer vers quelque chose de plus intime, de plus fort.
Être seuls au monde, dans un contexte apocalyptique rapprochait. Mais aucun des trois n'aurait pu le prédire. Ils étaient tous si différents. Pourtant, quand on y regardait de plus près, ils se complétaient parfaitement.
*
— Ce serait si bien si on trouvait cette foutue machine ! On pourrait la brancher à l'alimentation du bunker ! s'exclama Jeongin.
La colère de Jeongin, peut-être justifiée et compréhensible, tendait Changbin et Seungmin. Le premier ne voulait pas que son état pèse sur les deux personnes qu'il aimait le plus au monde. Il n'avait jamais voulu être un poids pour personne, c'était déjà si dur pour lui, de se faire trahir par son propre corps. Le médecin l'avait bien dit à ses 18 ans, ce n'était pas curatif. Lui aussi, ainsi que sa mère qui l'accompagnait à l'époque, aurait voulu qu'il prononce d'autres mots, pourtant c'était ceux-là qu'on leur avait donnés. Il fallait s'y faire. Ehler Danlos était incurable.
Le second était frustré autant que Jeongin. Mais il savait pertinemment que s'énerver de la sorte ne les aiderait pas à trouver cettedite machine. Déjà, il avait un concentrateur à oxygène, ici, au bunker. C'est dans ce genre de moment que Seungmin était reconnaissant envers sa propre personne, d'avoir pensé à tout, ou du moins presque. Sans ça, Changbin n'aurait pas aussi bien supporté ses périodes de down. Peut-être même qu'il aurait péri... Même s'il ne voulait pas y penser, ne pas l'imaginer, ça aurait pu être une réalité.
— On finira par en trouver une, un jour Innie... soupira Seungmin.
— Mais quand ?! C'est maintenant que Binnie en a besoin !
Changbin, bien trop épuisé par les cris de Jeongin, le poids de ses pensées, sa culpabilité envers sa faiblesse, quitta la pièce sans un mot.
Il se réfugia dans la petite salle de sport du bunker. C'était son temple, sa bulle, sa cabane, rien qu'à lui. Il y passait le plus clair de son temps qu'il soit en état ou non. Un sourire se dessina sur son visage alors qu'il regardait avec mélancolie le banc de musculation de Seungmin. Il vint l'effleurer de sa main droite, doucement, saisissant le moindre défaut : la texture du cuir ; la mousse mal rembourrée à certains endroits ; les déchirures dues à l'usure , le métal glacé, autant que le temps dehors. Il espérait préserver son cœur de ses ressentiments. Il ne voulait pas devenir hermétique. Jeongin et Seungmin l'aidaient à le maintenir hors de l'eau lors de ces instants si compliqués, mais aujourd'hui, ils n'avaient pas réussi. Alors, il était là, à fixer ce banc, à y reconnaître l'ancien qui trônait au milieu de sa chambre, qui faisait toujours râler sa mère...
Après avoir récupéré deux haltères, Il s'allongea dessus. Bien installé, les deux bras de chaque côté de ses pectoraux, Changbin fit quelques séries de développés couchés.
Chaque mouvement prenait la forme d'un éclair dans son corps. Une brûlure rongeant ses bras de toute part, remontant jusque dans sa nuque. Pourtant, Changbin ne broncha pas. Il devait être plus fort, toujours plus fort.
Pourquoi son corps le trahissait en permanence ?
Pourquoi lui ?
Qu'avait-il fait ?
Cela n'avait pas toujours été comme ça.
Mais il ne dit rien. Seule sa respiration résonnait.
Au bout de quelques séries, lui arrachant une ou deux larmes, la porte grinça.
La silhouette de Jeongin apparut dans l'encadrement. Il baissait la tête, observant ses pieds intensément. Puis, il avança. D'un pas. Un autre. Et encore un autre.
— Je suis désolé de m'être énervé de la sorte.
Derrière ses mots se cachaient plein d'autres, comme : je déteste te voir dans cet état-là ; j'aimerais tant pouvoir faire plus ; si seulement la vie était plus facile ; mais peut-être que sans ça, on ne se serait jamais rencontré ; je t'aime.
Changbin les lisait tous, à travers le regard sombre et profond de Jeongin.
— Je te pardonne Innie.
*
Jeongin arriva, un jour, tout fier, après avoir disparu toute une nuit.
— Tu es fou ! Partir comme ça tout seul !
Il s'installa dans le canapé du salon du bunker, un sourire aux lèvres.
— Tu peux marcher ? Comment tu te sens ce matin ?
Le plus jeune avait repris cet air plus sérieux, qui ne lui allait pas. Changbin détestait quand il le prenait. Cela le ramenait automatiquement à sa condition.
— Je vais bien Jeongin, répondit-il sèchement.
Seungmin vint poser délicatement son bras contre l'épaule de Changbin.
— Il s'inquiète juste.
— Je sais. Désolé, bredouilla-t-il.
Jeongin retrouva son sourire et vint faire un câlin à son petit ami.
— C'est moi qui suis désolé si j'ai pu te mettre mal à l'aise ou blesser dans ma manière de me comporter.
S'écartant du plus jeune, Changbin lui aussi avait retrouvé son sourire chaleureux si caractéristique.
— Alors ?
— Alors quoi ?
— Je vois bien que tu avais quelque chose à nous annoncer.
— Oui ! Punaise les gars ! J'ai trouvé un centre commercial, un peu plus loin à l'ouest. J'ai vu pas mal de parapharmacie, dont une qui aurait possiblement des bouteilles d'oxygène !
Jeongin était une véritable petite puce. Il sautait partout dans le salon du bunker, bien trop heureux par sa découverte.
— En plus, on pourra se ravitailler en vivres et tout !
— Tu t'en sens capable Dwaejinnie ?
Il n'y avait aucune pitié dans le regard de Seungmin, non, il cherchait juste à ce que l'expédition se déroule sans encombre.
Changbin s'était reposé ces derniers jours, il avait peu à peu retrouvé un état de santé stable. Le matelas et les coussins à mémoire de forme de Seungmin y étaient pour quelque chose. Certes, demain, il pourrait ne pas être opérationnel, mais il avait envie de tenter. Et puis... il n'aimait pas les voir partir les deux au loin, sans moyen de communiquer. S'ils leur arrivaient quelque chose ? Il ne serait pas sûr de s'en remettre, il avait déjà tout perdu, sa mère, ses amis, sa validité. Tout cela le ramenait à sa condition.
Bien sûr, il était fort, autant mentalement que physiquement, même s'il se faisait sans cesse trahir par son corps. Toutefois, cela ne suffisait pas. Seungmin et Jeongin avaient pris une place incommensurable, que rien ni personne ne pourrait remplacer.
— Oui.
Ils marquèrent une pause. Ils prenaient le temps de tous s'observer. Était-ce une bonne idée de sortir encore avec ce froid polaire ? Au risque de se reprendre une tempête de neige dans la figure ? Au risque de tomber avec le verglas et de mourir bêtement ? Au risque de tout simplement mourir d'hypothermie, comme Changbin avait failli le faire quelques jours plus tôt ?
— Allons-y.
Ils acquiescèrent avant de préparer toutes les affaires dont ils auraient besoin pour leur expédition.
*
Enfin, ils se trouvaient au Starfield COEX Mall de Séoul, du moins, c'est ce qu'il semblait être. Seuls sa hauteur majestueuse et son plafond imposant, abritant une immense librairie s'élevant jusqu'au toit, témoignaient de son passé de centre commercial prospère. Pourtant, les ravages des bombes avaient laissé leur empreinte, bien que l'endroit semblait relativement préservé par rapport à d'autres parties de Séoul, entièrement dévastées. Au milieu de la galerie marchande, la neige s'était entassée. Changbin leva la tête et put observer les nombreuses ouvertures qui parsemaient le toit. L'espace était désert, dépourvu de toute présence humaine en apparence, mais la prudence restait de mise.
Ce silence ; celui qui avait envahi la capitale de la Corée du Sud après les bombes atomiques rasant tout sur plusieurs kilomètres ; ce même silence qui s'était installé après les cris, les gémissements, les sanglots ; celui-là même était omniprésent dans le centre.
— Vous venez ?
Jeongin avait toujours ce petit sourire malicieux de renard dessiné sur son visage. Cette joie de vivre aidait beaucoup Seungmin et Changbin à garder la tête hors de l'eau.
Il slaloma à travers les divers magasins désaffectés, il monta plusieurs escalators à l'arrêt. Changbin et Seungmin le suivaient, la main sur leur ceinture. Accrochées à celle-ci, se balançaient des couteaux de cuisine, un spray au poivre, un taser et un Dan Bong : bâton de défense. Malgré l'anticipation de Seungmin et sa grande préparation, ce dernier n'avait pas pu se procurer d'armes à feu, strictement réservées aux forces de l'ordre.
Ils déambulèrent dans les différentes parties du centre, se rapprochant petit à petit de la pharmacie. Le claquement de la canne de Changbin accompagnait les bruits de leurs pas, tantôt feutrés sur la neige, tantôt lourds sur le terrazo du centre. Le temps pressait. Un groupe de survivants pourrait arriver d'un moment à l'autre. Et même si leurs intentions étaient pacifistes, pour la survie, on oubliait nos valeurs au détriment de l'individualisme.
*
Le petit groupe avançait difficilement, la fameuse machine à la main. La découverte avait été sensationnelle. Ils n'auraient jamais pu espérer la trouver ici. Jeongin avait parlé de bouteille d'oxygène, de médicaments, de vivres, mais jamais d'une machine permettant la transduction magnétique extracorporelle. La Machine, avec un grand M. Ils la portaient à deux, se relayant chacun leur tour. Malgré son poids conséquent, Changbin soulevait bien plus lourd lors de ses meilleurs jours.
Un petit cri faillit leur faire lâcher l'appareil. Quand ils comprirent d'où venait l'exclamation, Changbin et Seungmin regardèrent Jeongin avec de gros yeux.
— Es-tu devenu fou ? Si on se faisait repérer ?
— Non, mais regardez !
Jeongin avait perdu dix ans, ses traits se firent plus doux, ses yeux plus grands, ils pétillaient d'excitation, de joie. Il était retombé en enfance face à cette vitrine étincelante.
Une boutique de mode et de maquillage.
Un soupir franchit leurs lèvres presque simultanément.
Quand était-ce la dernière fois que Changbin avait fait du shopping ? Il ne se souvenait plus. Tout ce qu'il se rappelait était de se cacher dans les jupes de sa mère malgré son grand âge. Il y avait trop de bruit, partout. Et la lumière, aveuglante. La chaleur aussi. Il avait mal partout. Les gens le regardaient gémir, avec pitié, dans son fauteuil roulant.
« Il était handicapé, le pauvre, oh la la, tu vois Sang-Tae, tu as de la chance toi, d'être un petit garçon normal. »
Son cœur se serra.
Il avait mal.
Tellement mal.
Contrairement à Changbin, Jeongin se rappelait de la magie de ces lieux, de lui qui courrait, courrait si vite, sous les bras de sa mère, échappant à sa surveillance pour partir essayer des vêtements en tout genre. Il avait toujours aimé la mode. Il volait les magazines dans la salle d'attente, coupant les photos des mannequins les collant dans son précieux carnet. Il aimait aller en cachette dans la salle de bain de sa mère, lui prendre son maquillage, s'en tartiner le visage, car on ne pouvait pas appeler ça se maquiller. La plupart du temps, il ressemblait plus à un clown qu'à un mannequin.
Seungmin lui était indifférent. Il avait suivi son père dans ce genre de centre commercial, ni apeuré, ni excité. Il voulait juste qu'on le laisse tranquille à la maison, lire ses livres, jouer aux jeux vidéos, regarder le match de baseball ou aller au scout avec ses copaines. Néanmoins, cela lui rappela son insouciance d'enfant, avant qu'il ne pense aux nations, aux lobbys, à leur complot. Du moins, c'est ce qu'il croyait en bon survivaliste. Dès qu'il avait eu l'argent, le temps et les ressources, il s'était préparé : à l'apocalypse.
Les deux, se rendant compte de la crise silencieuse de Changbin, arrêtèrent leur contemplation pour venir prendre le plus petit dans leurs bras.
— Hey bébé... Chut... Là... Là, là, là...
— Tout va bien... On est ensemble... chuchotèrent-ils à tour de rôle.
À force d'être bercé et rassuré, les muscles saillants de Changbin se détendirent, son souffle se calma.
— On va rentrer à la maison.
— Non !
Le cri de Changbin avait résonné dans toute la galerie, se répercutant sur chaque mur. Un peu de neige tomba à leur pied.
Ils regardèrent la masse blanche, la bouche entrouverte.
— Non. Cela te tient tant à cœur. Je le vois Innie. On va aller faire un tour avant de rentrer.
Quelques minutes plus tard, les sacs plus chargés que prévu, cédant à d'anciennes pulsions, aujourd'hui révolues, ils s'égarèrent au rayon maquillage.
— Oh mon dieu ! Ça t'irait si bien !
Jeongin s'était muni d'un rouge à lèvres fuchsia et l'approcha dangereusement de la tête de Changbin se reculant.
— Allez Binnie ! Tu serais sublime avec !
Il finit par céder devant la bouille d'enfant de Jeongin, et s'il voulait être totalement honnête avec lui-même, il était curieux, oui, curieux de voir ce que cela donnerait sur lui. Il a toujours voulu lui aussi essayer de se maquiller, de porter des vêtements dits féminins, juste pour voir. Maintenant que plus rien n'avait d'importance à part survivre, il pouvait bien faire ce qu'il voulait.
Alors Changbin se laissa maquiller par le plus jeune, s'endormant presque au toucher, aux caresses des nombreux pinceaux, crèmes, poudres en tout genre.
— A ton tour Minnie !
Seungmin soupira avant de s'installer sur le tabouret du bar à sourcil.
— Ce rose thé t'irait à merveille, il fait ressortir ton teint.
Un bout de la langue de Jeongin sortait. Ses sourcils étaient froncés. Le moindre mouvement était crucial. Le résultat devait être parfait.
Il s'arrêta au milieu de son œuvre, une petite moue sur le visage.
— Dites... Vous aussi ? Vous pourrez me maquiller ?
Les deux jeunes se regardèrent, avant de rire, puis se tournèrent attendris.
— Bien sûr amour.
Les paillettes, ces petites étincelles qu'ils avaient vues tous les deux naître il y a quelques mois. Celles-là mêmes, Changbin et Seungmin ne se lasseraient jamais de les contempler. Elles rendaient Jeongin si beau. Oui, il était magnifique, et ils l'aimaient plus que tout au monde.
*
Sur le toit du Stanfield COEX Mall, les bouteilles d'oxygène, les pots de crème lidocaïne, la machine de neurostimulation électrique transcutanée, des tubes de rouge à lèvres en veux-tu en voilà posés à côté d'eux, Changbin, Seungmin et Jeongin savouraient le soleil sortit des nuages. Le printemps commençait à montrer le bout de nez. Même le paysage séoulien portrait encore des couleurs froides, le chant du peu d'oiseaux restants ne trompait pas. Les nuages portaient les mêmes couleurs depuis l'attaque, ce camaïeu de rouge orangé, mais aussi des teintes comme le noir ou le gris. Ils prenaient de drôle de formes irrégulièrement, tantôt tourbillantes, tantôt fragmentées. Quelques-uns avaient une densité épaisse, quand d'autres étaient flous, quasiment transparents.
— Un lapin ! Mais si regarder ! s'exclama Jeongin.
Il insista devant leurs airs sceptiques.
— Je trouve plus qu'il ressemble à un cochon.
Changbin s'était redressé pour avoir de meilleurs appuis.
Seungmin dessina dans la cendre qui couvrait l'entièreté du toit. Elle avait teinté les quelques tas de neige voisins de gris.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Un cochon-lapin.
Il avait un léger sourire aux lèvres. Ses sourcils redressés, les yeux pétillants, Seungmin arborait un air de chiot.
— J'avoue !
— J'aime bien.
Ils s'étaient enfin mis d'accord sur quelque chose.
Changbin prit chacun leur bras pour les attirer contre son torse. Englobant leurs têtes entre ses biceps, il entreprit de caresser lentement leurs crânes. Jeongin et Seungmin soupirèrent de bien être. Le plus jeune se nicha encore plus contre le pectoral de son petit-ami, alors que Seungmin venait attraper chacune de leurs mains avec les siennes pour entrelacer leurs doigts ensemble.
— J'ai attendu ce moment toute ma vie, chuchota Changbin.
Ils restèrent longtemps à contempler les nuages, comme avant, dans leurs anciennes vies. Ils se chamaillèrent de longues minutes dans le froid. Ils se firent aussi des câlins. Et même s'ils savaient qu'ils finiraient par mourir dû aux radiations, de faim, ou d'une attaque par un groupe ennemi, c'était ici qu'ils voulaient être, malgré tout ce qu'ils avaient vécu, car ils étaient heureux, ensemble.
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