Lapins de Paska
Ce matin-là, Paska se sentait prêt à passer une bonne journée. Après tout, c'était Pâques, comment ne pas passer une bonne journée le jour de Pâques ? Chez les Pasquier, on ne pouvait qu'être content durant Pâques, c'était leur fête, à proprement parler. L'essence même de cette famille trouvait ses origines en cette fête d'avril. Son grand-père s'appelait Pascalin Pasquier et s'était marié à une adorable bretonne qui donna naissance à son père, Pascal Pasquier. Son père breton eut la bonne idée de nommer son fils Paska Pasquier. Des prénoms et un nom de famille en rapport avec Pâques, que demander de plus ?
Paska attaqua ses tartines de beurre, en croquant avidement sur les bords croustillants. Délicieux, pensa-t-il. La journée commençait bien.
- Paska, mon fils, tu as dix-huit ans et aujourd'hui, je crois bien qu'il est temps de te raconter la tradition des Pasquier crée par ton grand-père Pascalin, débuta son père sérieusement en frappant des mains au milieu du repas.
L'aîné de la famille se tut, intrigué par l'enthousiasme sérieux de son père. Il faisait toujours preuve de vigueur en mentionnant papi, parti au ciel il y a des années.
- Dans la vie, il y a ceux qui croient aux cloches de Pâques et ceux comme nous qui croient de tout cœur au lapin de Pâques. Ton grand-père, Pascalin Pasquier dessinait sur les allées des maisons du village des pas de lapin afin de valoriser ses convictions. Il commença sa besogne à ton âge et ta mère et moi, aimerions que tu reprennes ses habitudes d'antan aujourd'hui, raconta son père sans cligner des yeux.
Paska reposa son verre de lait, éberlué. Il ne comprenait pas. Pourquoi l'annoncer aujourd'hui ? Et puis qu'est-ce que c'était que cette histoire ? C'était Pâques, on s'en fichait de dessiner sur des allées, tout ce que tout le monde voulait c'était juste des œufs en chocolat.
- On compte sur toi mon chéri, il n'y a pas beaucoup de monde dans ce village mais c'est un bon début pour cette tradition. Tu ne dois pas le faire seul, rassemble tes amis et ravive la foi du lapin de Pâques ! insista sa mère les yeux luisants.
Ses parents avaient sûrement un peu trop fumé ou bu. Paska laissa sa main gauche traîner dans ses cheveux châtains en mangeant, avec son autre main, le reste de la bonne tartine.
- Ton père et moi, nous croyons énormément en cette tradition. Si tu ne le réalises pas, nous serions très déçus de toi et tu ne rendrais pas hommage à ton vaillant grand-père. Finis ta tartine et je pense que tu pourras te mettre au boulot. Tout est dans le garage, le matériel pour dessiner et le plan du village et le circuit pris par ton grand-père pour ses dessins. Pour le pot de peinture à acheter, l'argent est posé sur ton bureau. Tiens, prends les clefs de la voiture, si on t'a fait passé le permis c'est bien pour ce grand jour ! termina sa mère en débutant le débarrassage de table.
C'était trop à digérer pour Paska. Lui qui voulait passer une journée tranquille sur les réseaux sociaux, croupir dans son lit en se gavant de chocolats bon marchés, il devait désormais prétendre être le super-héros du lapin de Pâques. Ça craignait un max.
Il quitta la table, anéanti et déverrouilla son portable nonchalamment. Il fallait appeler Léo. Son meilleur ami savait toujours comment lui donner la motivation de se donner les moyens pour entreprendre quelque chose, même quand c'était aussi stupide que dessiner sur des allées.
« Allô Paska ? Quoi de neuf ?
- Léo, alerte rouge. Mes parents me forcent à convertir les gens au lapin de Pâques.
- Mais je croyais que tu faisais déjà ça au lycée, quand y a eu le débat cloches/lapin t'es toujours le seul à être fier de défendre les lapins en premier.
- Ouais mais ça c'est parce que j'ai grandi avec ça dans le sang. Là, on me demande de dessiner des pas de lapin sur du béton alors que je sais à peine tenir un crayon.
- J'avoue, t'es trop nul en dessin.
- Merci ça me rassure Léo, maintenant j'ai tellement envie de dessiner sur des allées youpi !
- Abuse pas du sarcasme Paska. Tu sais quoi, réunis un squad lapin de pâques et défoule-toi sur les rues.
- Mais tu crois qu'on a le droit de dessiner sur les rues des maisons d'abord, c'est complètement tordu !
- On s'en fout, y a bien des gens qui pissent dans mes buissons. Là je suis en Normandie donc je suis un peu trop loin de chez toi, je ne pourrai pas t'aider. Magne-toi c'est la parfaite occaz', tu fais ton taf, tes vieux sont super contents et là tu te grattes une console, elle n'est pas géniale la vie ? Je t'envoie par message la liste des personnes qui avaient pris position pour le lapin pendant le débat. Je te passerai à côté les lieux où ils trainent souvent, essaye de les convaincre de t'aider en les retrouvant là-bas.
- T'as raison et super, t'es un vrai pote. J'attends ta liste. Je te laisse Léo, ne te goinfre pas trop.
- On ne fête pas Pâques chez les musulmans.
- Tant pis, ça fera plus de chocolat à distribuer par le lapin ! Ciao. »
Paska raccrocha, soulagé. Voilà, il avait trouvé un objectif à tout ça, une sacrée PS4. Il sortit de chez lui, la liste reçue en SMS, attrapa les affaires du garage et les fourra dans le coffre. Le volant en main, Paska était déterminé à trouver des jeunes de son âge dans différents lieux qui pourraient croire autant que lui au lapin de Pâques.
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Première destination : le square pour trouver un certain dealer nommé Gidéon. Drôle de prénom. (Paska ravisa sa langue cette fois-ci, il s'appelait bien Paska, lui)
Le square miteux du village était si petit que personne ne pouvait se perdre à l'intérieur. Il y avait bien une partie réservée aux enfants et aux parents ayant du temps à accorder à leurs gosses. Cependant, Paska s'aventura davantage dans le coin isolé où les jeunes du quartier se réunissaient pour acheter de la drogue. Il interrogea des gars qui lui répondirent uniquement par des regards noirs.
Hé calmos les loulous ! pensa Paska, ces dealers n'étaient que des gars en capuche de pacotilles si on commençait à les comparer aux gros dealers des films des grosses capitales.
- Yé du bon shit sa mère ! S'écria un des gars.
Paska s'approcha du mec en question. Il était plus petit que lui, portait sa capuche même s'il faisait chaud dehors et était habillé tout en noir. S'il voulait se la jouer impressionnant, Paska dut avouer que le dealer ressemblait plutôt à un mec de 12 piges qui se prétendait être un gardien de foot stylé.
- T'es Gidéon ? demanda-t-il de but en blanc.
L'individu fronça les sourcils et sortit du square en demandant à Paska de le suivre. Dehors, il lui fit un croche-patte et lui donna un coup dans le bide.
- Commanne tou sais qui ji'suis, sale touriste ?
Paska n'en revenait pas, la douleur lui tordait le ventre. Il cherchait juste un acolyte, pas une bagarre. Gidéon l'attrapa par le t-shirt et souleva le 1m85 de bonhomme en l'air.
- On est dans le même lycée, lâcha Paska avec évidence.
Gidéon le reposa brutalement en mâchant un :
- Ah.
Ce gars venait de le frapper pour rien. Paska n'était plus d'humeur à se la jouer gentil avec lui.
- Tu me dois un service maintenant Gidéon, tu m'as agressé et je pourrais très bien porter plainte contre toi.
Le gringalet enleva sa capuche pour révéler une coiffure rousse flamboyante. Paska n'en revenait pas, c'était tout con mais il n'avait encore jamais croisé de dealer roux de sa vie.
- Dou n'as pas pitié en voyant mes chevoux roux ?
Silence.
- Sale couille-moïe. C'est qué ton service ?
Le roux avait un accent particulier que Paska trouvait sympa. Il ne savait pas de quelle région ça pouvait venir mais c'était vachement drôle à entendre.
- Dessiner des pas de lapin de Pâques sur les allées des maisons.
Le dealer remit sa capuche et éclata de rire.
- Tou me fiches de ma goule ? Cé service c'est trop noul !
Paska avait pris un air dur et Gidéon abdiqua.
- Moué c'est Gidéon. Prononcé bienne Djidéon pas Jidéon ou Guidéon, faut qué ça fassé amérrrrrricano, yé un accent souper stylé, mélange allemande, anglaise, chinoisé, latino et ch'ti, expliqua le dealer en suivant Paska jusqu'à voiture.
Paska avait encore le ventre douloureux et ne put s'empêcher de rire aux mots de son nouveau partenaire de dessinateur de pas de lapin.
- On va où ? Jé pas boucoup de temps avant ma préchaine commanned'. Interrogea le roux en enlevant sa veste.
Paska démarra, en se demandant comment il avait bien pu passer à côté de ce gars sans connaître toutes ses particularités au lycée. Il passa un coup d'œil sur la liste : prochaine destination, le café du coin.
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Deuxième destination : le café pour trouver une fille nommée Rebecca.
Paska se gara le long du trottoir et chargea Gidéon d'aller chercher la fille le temps que que Paska reprenne un peu de souffle. Il était déjà fatigué et ce n'était que le début.
Quelques minutes plus tard, bien plus rapidement que ce qu'avait pris Paska pour trouver Gidéon, celui-ci revint non pas avec une seule fille mais bien deux. Les deux montèrent dans la voiture sans discuter. Paska, franchement étonné par le talent de recrutement de Gidéon, demanda :
- Qui de vous deux est Rebecca ?
Aucune des deux se manifesta à l'entente de la question. Paska fronça les sourcils, inquiet.
- Moi c'est Madeleine, j'étais dans ta classe de littso en seconde. L'intello si tu te souviens. Enchantée, Gidéon nous a dit à Cassie et moi que y avait un beau gosse qui voulait peindre des pas de lapin de pâques sur les chemins des maisons, on était partante alors on a remplacé ta Rebecca, expliqua la plus jolie des deux.
La blonde remit un peu de son gloss. L'autre fille, brune avec de petites lunettes carrées essayait d'éviter tout contact avec Gidéon qui lui souriait d'un air charmeur. Madeleine, la blonde, posa sa main entre les cuisses du roux qui, subitement fut à la recherche d'air.
- OK. Je suis Paska en tout cas. Vous croyez au lapin de Pâques au moins ? questionna le brun légèrement perplexe.
Il posait la question à la brune qui fuyait son regard.
- Cassie est timide, sauf sur scène quand elle se la joue rockeuse, le reste du temps évite de la regarder ou lui parler, prévint la blonde. Au fait, si ça peut te rassurer, on dessine très bien.
Sans réponse, Paska décida de démarrer vers la prochaine destination de la liste. Tant pis pour Rebecca.
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Troisième et dernière destination : les alentours de fast food, là où trainait souvent sur le parking un certain Timothé.
Le trajet jusqu'au Mcdo fut long mais arrivé là-bas, le petit gang passa par le drive pour finir directement dans le parking. Ils avaient entre-temps acheté des boissons.
- On cherche qui Parka ? demanda Madeleine en voyant le conducteur regarder dans les tous les sens.
Paska répliqua :
- C'est Paska pas parka. Sinon, je cherche un certain Timothé. Il n'y a pas grand monde aujourd'hui, normalement si on a de la chance, on le trouvera.
La blonde rit.
- Ah mais fallait me le dire plus tôt, j'ai le numéro de Timmy. Il est sûrement sur sa moto à faire son bad boy du village. Oh mais il n'y a même pas besoin de l'appeler, je le vois, il est là bas : il entame son Big Mac.
Madeleine sortit de la voiture, décidée à le rejoindre pour le convaincre de venir avec le reste de la bande. Un blanc s'installa dans la voiture. Paska se retourna pour regarder Gidéon, tout en sueur.
- Ça va Gidéon ? Demanda soudainement Paska inquiet.
Celui-ci sorti un gadget de sa poche. Il joua en silence avec les petits bips de la machine. Il fallut quelques minutes à Paska pour déterminer ce qu'était le bidule : un tamagotchi. Il n'en revenait pas.
- Yé bande à couze dou la blondasse. Donc je m'occoupe. Expliqua simplement le garçon aux cheveux roux.
Paska se tourna vers Cassie qui peinait à garder son fou rire intérieur pour elle. Il croisa son regard un court instant. Cela suffisait. Les deux explosèrent de rire à l'unisson. Gidéon, trop concentré sur son jeu favori, ne fit pas attention à eux. Le moment fut vite interrompu par l'arrivée du gars et de la blonde. Madeleine s'assit à la place de Cassie, lui demandant de se décaler légèrement. Timothé s'assit sur le siège avant, clope à la bouche. Il avait une tête de surfeur mais habillé tout en noir avec des chaînes, on aurait dit un punk.
- Je laisse ma moto garer là une heure. Tu devras me raccompagner. Madeleine m'a expliqué que tu défendais le lapin de Pâques. Ça m'a touché et je vais t'aider.
Paska remercia brièvement le gars. Lui, il savait qui c'était. C'était THE bad guy du lycée, toutes les filles s'entichaient de sa gueule d'ange et attendait impatiemment le jour où il ferait la soirée de l'année. Le voir dans le gang le surprit, Léo lui avait donc inscrit LE fameux Timothé du lycée sur la liste. Pour une fois, il avait l'air gentil.
- On doit faire un tour au magasin de bricolage et on pourra commencer, informa Paska avec motivation.
Le magasin était à l'autre bout du village en voiture, presque vers la banlieue d'une ville proche. Le début du trajet se passait lentement, puis Timothé alluma la radio.
La chanson d'Adèle emplit les oreilles des acolytes de Pâques et Timothé fut le premier à papillonner des yeux puis réagir :
- OH MY GOD C'EST MA ADÈLE !
Il se mit à chanter à tue-tête sous les yeux ébahis de tous les passagers à bord. Même Gidéon, concentré dans son jeu, prit la peine de relever la tête pour voir le concert du bad boy du lycée, un de ses plus grands clients. Aux yeux de Paska, le grand méchant gars était surtout une imposture pleine de sensibilité qui pleurait en écoutant « Someone like you ».
Madeleine ouvrit la fenêtre et laissa le vent entrer dans le véhicule. Cassie regardait Gidéon jouer. Il manquait Léo, Paska le sentait, il ne manquait plus que lui pour qu'il se sente à l'aise au milieu de cette troupe.
L'excitation de Timothé remonta avec « Rolling in the Deep » et Paska chanta avec lui, connaissant les paroles. C'était un trajet bizarre accompagné de gens bizarres.
Une timide rockeuse, une intello fuckgirl, un bad boy sensible et un dealer fou de tamagotchi : les jeunes de son village étaient carrément remplis de surprises.
🐇
Ils sortirent de la voiture un par un en faisant bien attention à bien claquer les portières. Il faisait super beau et Paska enleva son énorme blouson pour se retrouver en t-shirt. La bande marcha calmement jusqu'au magasin de bricolage. Ils prirent un caddie où s'assit Gidéon, le plus petit en taille de la bande. Paska les trouvait intimidant à se mettre en scène ainsi, devant ces caissiers, caissières qui n'avaient pas l'habitude de voir des cas pareils. Des « youhoo » s'entendirent des allées et ils partirent vers le rayon des pots de peinture.
Quelle surprise pour eux de voir qu'il n'en restait plus qu'un. Ils étaient en rupture de stock après l'achat de tout le stock de pots par un grand entrepreneur qui voulait peindre tous ses locaux.
Paska marcha jusqu'au pot, déterminé pour le chopper. Les autres partirent vers les pinceaux. Au même moment, une fille rentra dans Paska et attrapa le pot sous ses yeux ébahis. Hors de question de la laisser filer jusqu'à la caisse. S'en suit une course poursuite en marchant où ils atterrissent tous les deux dans un rayon de vis.
- Hé, écoute, j'en ai vraiment besoin de ce pot. C'est super urgent... tenta Paska en frottant sa nuque, désolé.
La fille était ravissante et si Paska l'avait rencontrée dans un autre contexte, il lui aurait demandé son numéro. Les cheveux d'un blond vénitien, les yeux verts clairs, Paska ne put s'empêcher de la mater ouvertement.
- Je suis Clo' et on m'a mis au courant grâce à des tweets d'une certaine Madeleine qu'une bande de jeunes croyait au lapin de Pâques et avait un plan foireux pour divulguer leurs croyances. Désolée pour toi mais je vais briser tes rêves en prenant le dernier pot. Les cloches gagnent toujours !
Paska profita de cette longue tirade pour attraper le pot et partir en courant dans l'allée jardinage où il retrouva Cassie, en train de regarder les arrosoirs.
- Cours Cassie, faut qu'on aille à la caisse, vite !
La brune paniqua et courut avec lui jusqu'au caddie rempli de pinceaux. Devant l'air affolé de Paska et la fille derrière qui courrait avec une pelle, ils atterrirent à la caisse en vitesse. La caisse vide, ils payèrent le tout le plus rapidement possible. Sortis, ils embarquèrent dans la voiture, direction le village pour dessiner ces maudits pas.
La jolie fille nommée Clo' les regarda partir. Paska afficha un sourire narquois fier de son vol de dernière minute. Gidéon lâcha devant toute la bande en sueur :
- Boucoup troup cool !
Que de rebondissements pour une simple tradition signée Pascalin Pasquier.
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