Cloches de Clochette
Cette fois, la vérité de Pâques allait enfin éclater au grand jour.
Les années précédentes, Clochette avait été véritablement désemparée. Ici, dans cette campagne profonde particulièrement marquée par l'absence de réseau et de débit internet décent, les enfants croyaient aux lapins de Pâques.
Oui, aux lapins. Vivaient-ils totalement en dehors de la civilisation pour ignorer que c'était les cloches qui étaient à l'origine de la distribution des oeufs en chocolat ? Quelle éducation ces ploucs comptaient-ils donner à leurs enfants avec leurs satanés lapins ?
Non pas que Clochette détestait les lapins. Au contraire, elle en avait un élevage complet et refusait de manger de la viande depuis que ces adorables petites bêtes partageaient son quotidien. Il n'était pas non plus juste de dire qu'elle se réjouissait de la mort de Pascalin Pasquier; le vieil homme avait toujours été un véritable amour avec elle et avait de nombreuses fois porté secours à sa mère avec ses bancs de crocus. Mais même les grands hommes faisaient des erreurs, et la sienne avait été de faire croire à tout le voisinage que les lapins passaient toutes les années déposer les chocolats.
Clochette s'était donc donné pour mission de prêcher la bonne parole dans ce petit village plongé dans le déni. C'était les cloches qui, parties à Rome le samedi précédent, revenaient d'Italie chargées de chocolats, et pas de petits lapins mignons qui pondaient des oeufs dans les jardins, un point c'est tout.
Le lendemain matin, en ce beau lundi de Pâques, les gens apprendraient donc que les lapins n'étaient qu'une supercherie. Forte de cette idée, elle se leva d'excellente humeur et descendit saluer sa mère et sa belle-mère. Oui, aussi incongru que cela puisse paraître, sa génitrice avait quitté son père pour une femme.
Habituée aux fantaisies de Pauline, elle avait pensé que sa période gay lui passerait vite; il s'était cependant révélé qu'elle était bien plus heureuse avec sa nouvelle compagne, Aïsha, qu'avec son ex-mari. Ses mères, après quatre ans de vie commune, avaient même le projet d'adopter un deuxième enfant malgré les procédures interminables. Clochette pouvait donc se complaire dans son statut de fille unique pour encore quelques temps.
Affublée de sa robe de nuit à l'effigie de Mickey Mouse, la jeune fille plaqua deux bisous sur les joues de chacune des deux femmes et se servit une tasse de café. Elle l'aimait amer et sans sucre, ce qui provoquait souvent des grimaces de dégoût dans son groupe d'amis. Quel monstre pouvait boire cette substance au goût âcre d'une traite ? Eh bien, Clochette.
En attendant que le grille-pain daigne lui rendre ses tartines, elle s'affaira à démêler ses boucles cuivrées devant le miroir de l'entrée. L'arrivée du soleil printanier avait accentué les tâches de rousseur qui couvraient intégralement son visage et cette constatation lui arracha une grimace. Nom d'un cheval à bascule, elle allait vraiment finir par ressembler à une coccinelle.
Le "dring" retentissant de l'appareil lui arracha un cri de joie. Sur le chemin, elle manqua de trébucher sur la cinquantaine de paniers-cadeaux plein d'oeufs chocolatés que l'entreprise de Pauline avait encore produit en trop cette année. Les provisions de Pâques duraient minimum jusqu'à Noël, chez les Dormond - du moins chez les Ferviat-Yousfi, maintenant que ses parents étaient séparés.
Une fois ses toasts tartinés de confiture de pissenlit faite maison d'Aïsha et engloutis en moins de deux, Clochette se décida à appeler son amie Mélusine pour lui exposer son projet.
Sans même lui laisser le temps de dire "allô", elle s'empressa d'expliquer en détails l'opération "Cloches de Pâques".
- On va passer devant toutes les maisons et faire des marques de cloches. Les enfants seront bien obligés d'abandonner cette stupide histoire de lapin en voyant ça !
- Clo', il y a une couille dans ton potage, lui fit remarquer Mélusine à l'autre bout du fil.
- Pardon ?
- Les cloches, ça a pas de jolies petites pattes comme un lapin, lui fit-elle judicieusement remarquer. Tu veux qu'elles ressemblent à quoi tes empreintes ?
- A des... Oh. Effectivement.
- Ouais.
- Bah c'est rond une cloche, ça devrait peut être faire... Des cercles ? tenta Clochette.
- Bon, mon ange, tu m'as vraiment l'air en pleine crise existentielle, alors je vais éclairer ta lanterne de petite fée colérique. Tu sais que les gens s'en fichent, que ce soit des cloches ou des lapins ? Eux, ils veulent manger le chocolat plein d'huile de palme et de graisse porcine.
- Est-ce que tu es en train de me lâcher ? s'indigna-t-elle. Je ne tolérerais pas un abandon, soldat. Rendez-vous chez moi dans dix minutes.
Sur ces bons mots, elle raccrocha. On ne contrariait pas Clochette Dormond le jour de Pâques, alors que sa gloire serait bientôt à son apogée. Déterminée à convertir les païens-lapins à un avis raisonnable, elle donna rendez-vous à son équipe de choc. Elle allait avoir besoin de leur ingéniosité sur ce coup.
A peine quelques minutes plus tard, Mélusine entrait dans sa chambre. La jeune fille passait tellement de temps chez Clochette qu'elle n'avait même plus besoin de toquer pour entrer: Pauline et Aïsha la considéraient presque comme leur colocataire.
Satisfaite qu'elle ai répondu à son appel, la bouclée détailla son amie. Aujourd'hui, Mélusine avait revêtu une jolie robe à imprimé vichy vert, un petit noeud assorti trônant sur sa chevelure platine parfaitement lissée. Avec application, elle enleva ses gants de satin blanc et s'assit avec grâce sur le lit défait de son hôte.
- Je sacrifierais ton âme à mon maître tout-puissant pour le dérangement, lui indiqua calmement Mélusine.
Une grimace échappa à Clochette. Quoique totalement inoffensive, son amie cachait sous son apparence de poupée de porcelaine des penchants satanistes et n'hésitait pas à effrayer son entourage grâce à quelques répliques bien senties. Elle s'appuyait sur la crainte dogmatique du Diable et de son culte pour faire taire les gêneurs.
- C'est important, Mélu. J'ai besoin de ton esprit machiavélique.
- J'ai entendu dire qu'une réunion d'urgence s'imposait ? demanda la voix chantante du nouvel arrivant.
Peter se tenait dans l'encadrement de la porte, plus beau que jamais. Si ça n'avait tenu qu'à elle, Clochette aurait sauté dans ses bras et l'aurait embrassé comme jamais. Elle aurait profité de leur étreinte pour passer ses mains dans ses cheveux roux, avant de l'attirer vers le lit où...
Retour à la réalité. Mélusine était toujours assise sur ce satané lit, son regard froid jugeant sans remords sa meilleure amie. Peter n'avait pas bougé du seuil de sa chambre, et son idiote de petite amie non plus. Blottie contre son torse, elle le considérait avec un regard plein d'amour et de niaiserie.
C'était tout de même un comble pour une fille nommée Clochette de tomber amoureuse du seul Peter de la région, alors même qu'il était en couple depuis trois longues années. Mais le comble du comble ?
L'abrutie qui avait ravi son coeur s'appelait Wendy, et elle n'avait pas du tout été invitée.
Malgré l'envie brûlante qui lui venait de planter un tisonnier dans les yeux globuleux de la pimbêche qui lui volait l'amour de sa vie, Clochette respira un coup et retrouva son sourire le plus faux.
- Tout à fait. Grâce à vous, on va forger une nouvelle réputation aux cloches de Pâques.
A nouveau, elle leur exposa son plan, et à nouveau, elle dut faire face au doute de ses coéquipiers.
- Je trouve quand même plus logique que ce soit les lapins qui amènent les chocolats, souffla Wendy.
Mélusine jeta un regard d'avertissement à Clochette. "Ne la pend pas avec ses tripes", semblait-elle dire silencieusement. Suivant les conseils tacites de son amie, elle prit une nouvelle inspiration salvatrice et offrit un sourire hypocrite à la traîtresse.
- Ce sont les cloches, point. Si tu n'es pas d'accord, tu sors.
- Clo', la gronda Peter.
- Si vous vous liguez contre moi, vous pouvez tous sortir, s'agaça Clochette en lui lançant une paire de chaussettes en plein visage.
- Du calme ! On va t'aider, finit par trancher le roux. J'appellerais mon frère pour qu'il nous file un coup de main.
- Tu sais très bien que je n'aime pas Gidéon... gémit Wendy. Il me fait peur.
- On ne t'aime pas toi et pourtant on t'accepte, siffla Clochette.
Le grand silence qui suivit plana près d'une minute durant laquelle la bouclée aurait vendu son âme à Mélusine pour disparaître. Heureusement pour Clochette, son amie simula un rire qui fit passer sa réplique acerbe pour une blague. Le sourire niais de Wendy apparut à nouveau, mais le regard de Peter ne trompait pas: il devrait avoir une sérieuse discussion avec sa meilleure amie.
- Mauvaise nouvelle mes chéris, soupira Mélusine. On a des concurrents.
- Comment ça ? commença à s'inquiéter Clochette.
L'air fataliste, la sataniste en robe vichy lui montra l'écran du portable sur lequel elle tapotait depuis cinq minutes. Les yeux plissés, la bouclée dut enfiler ses lunettes de repos pour déchiffrer les tweets qui s'affichaient. L'auteur en était une certaine Madeleine.
"un beau gosse vient de m'enlever pour une histoire de lapins #DrôleDePâques"
"update: il veut faire croire aux lapins de Pâques, tradition familiale apparemment #DrôleDePâques"
"il a vraiment un cul de fou #ChaudLapin"
- Les gars, nous sommes dans une situation d'urgence planétaire, déclara gravement Clochette.
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- Laisse tourner le moteur, j'en ai pour deux minutes. Juste le temps de trouver de la peinture.
Peter lâcha un "ok" plus froid qu'un hiver canadien et coupa tout de même le moteur. Sous le regard insistant de Clochette, il soupira.
- Aux dernières nouvelles, c'est moi qui paie l'essence.
- Y'a du Doliprane dans mon sac pour tes règles si tu veux, lâcha Clochette face au ton désagréable de Peter, claquant ensuite la portière sans aucune délicatesse.
Son porte-monnaie à la main, la bouclée se dirigea vers le magasin de bricolage. A peine entrée, elle entendit des cris retentir dans le rayon voisin avant de voir passer un caddie à toute berzingue un caddie chargé d'adolescents. "Encore une bande de consanguins alpins qui veulent prendre des photos so tumblr", soupira-t-elle en son for intérieur.
Se doutant du danger potentiel que représentaient le "beau gosse aux lapins" et la mystérieuse Madeleine, Clochette se hâta en direction des étagères de peintures, bousculant au passage un abruti qui ne semblait pas fichu de regarder où il mettait les pieds. A sa grande surprise, il ne restait qu'un pot.
Elle se saisit de l'anse métallique du seau et héla l'un des vendeurs qu'elle connaissait bien. Sa mère était en effet une habituée des lieux de par ses nombreuses fantaisies de décoration - elle avait repeint le salon au moins trois fois cette année, et c'était loin d'être son record.
- Gui, pourquoi tout le rayon est vide ?
- Oh, un entrepreneur a fait un achat de masse pour repeindre ses locaux. Son fournisseur habituel avait augmenté ses prix, expliqua le fameux Gui en grattant distraitement sa barbe poivre et sel.
Satisfaite de la réponse qui n'impliquait aucun beau gosse aux lapins, Clochette salua le vendeur et commença à se diriger vers la caisse. Le garçon qu'elle avait bousculé n'avait cependant pas bougé et la fixait avec insistance. Il sembla sortir de sa transe lorsqu'elle le dévisagea d'un air inquiet, se demandant s'il était un stalker ou un échappé d'asile. En le voyant avancer vers elle, Clochette paniqua et marcha le plus rapidement possible en direction d'une autre aile pour tenter de le semer. En voyant qu'il suivait malgré tout, elle fit volte face.
- Hé, écoute, j'en ai vraiment besoin de ce pot. C'est super urgent... l'interpella le stalker.
Clochette l'étudia quelques instants. Ses cheveux châtains et ses cils un peu trop longs lui donnait un certain charme, sans parler de ses épaules juste assez larges pour lui donner un semblant de carrure. Il était plutôt beau. Assez beau pour être le beau gosse des lapins.
Méfiante, Clochette décida de le mettre en garde.
- Je suis Clo' et on m'a mis au courant grâce à des tweets d'une certaine Madeleine qu'une bande de jeunes croyait au lapin de Pâques et avait un plan foireux pour divulguer leurs croyances. Désolée pour toi mais je vais briser tes rêves en prenant le dernier pot. Les cloches gagnent toujours !
Alors qu'elle allait lui balancer qu'il pouvait se carrer ses histoires de lapin là où elle le pensait, le stalker se saisit du pot de peinture et partit à toutes jambes. Outrée d'une telle insolence, Clochette se saisit d'une pelle et partit à la poursuite du voleur qui n'allait pas s'en tirer comme ça.
Rapidement, elle le perdit de vue. L'enfoiré avait de bien trop grandes jambes et cette pelle devait peser au moins cinquantes kilos. Sacrément remontée contre le gang des lapins, Clochette se précipita vers la sortie, juste à temps pour croiser la voiture du voleur et son regard victorieux. Sans se laisser démonter, elle se précipita jusqu'au véhicule de Peter.
- Suit cette voiture !
- On est pas dans Fast and Furious, protesta Wendy.
- Elle a raison, soupira Peter. On rentre, ça sert à rien.
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- Qu'est-ce qu'on va faire ? geignit la bouclée, jouant nerveusement avec sa gourmette. Vous êtes vraiment une bande de lâcheurs.
- Ecoute, ce n'est pas si grave... tenta de la calmer Wendy.
La petite brune s'interrompit devant le regard venimeux de Clochette, préférant aller se réfugier dans les bras de son petit ami.
- Distribue les paniers de ta mère en laissant un post-it du genre "de la part des cloches", soupira Mélusine.
- Mélu, tu es un génie ! s'écria-t-elle en se jetant dans les bras de son amie. L'espoir des cloches vivra grâce à toi.
- Mais comment on fait pour les empreintes qu'ils vont peindre ? demanda judicieusement Wendy.
La petite brune n'avait toujours pas compris qu'elle n'était pas bienvenue à cette réunion des CCO - Combattants des Cloches Opprimées, acronyme créé à l'instant par Mélusine pour illustrer la guerre des tweets qui faisait rage entre les deux teams.
- On leur fiche la trouille de leur vie, façon American Nightmare, proposa Clochette avec un sourire effrayant.
- J'ai des grenouillères de lapin chez moi, proposa la petite amie de Peter.
- De mieux en mieux, approuva la bouclée, s'apercevant avec étonnement que la pimbêche remontait dans son estime. La Purge des Lapins commence ce soir.
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Ils étaient tous magnifiquement apprêtés de leurs costumes de lapins. C'était les masques couverts de faux sang et les armes en plastique qu'ils portaient tous qui étaient sensés être effrayants.
Clochette avait expliqué à ses mères qu'une soirée déguisée avait lieu chez une amie. Pauline et Aïsha avaient accepté de la laisser y aller avec enthousiasme et proposé d'elles-mêmes de lui confier les paniers de chocolats. Tout avait été plus facile que prévu, finalement.
La team cloches avait abandonné la voiture de Peter une rue plus loin et tournaient maintenant dans le quartier depuis une demi-heure. La nuit était déjà noire et l'écran du portable de Mélusine indiquait minuit moins sept.
- Ils ont tweeté quelque chose ? demanda assez brusquement Clochette, lassée de tourner en rond pour rien.
- Je le saurais peut-être si le réseau de ce bled de mes deux couilles existait, râla la blonde en tapotant furieusement sur son smartphone.
- Tu dis beaucoup trop le mot "couille" pour une jeune fille distinguée, fit remarquer Peter en s'amusant avec la gâchette de sa fausse mitraillette.
- C'est parce que j'ai pris les tiennes, au cas où tu t'interrogerais sur la raison de leur absence, le rembarra-t-elle.
- Il fait bien trop chaud là dedans, se plaignit Wendy en agitant le tissu de sa grenouillère pour tenter d'y ménager un courant d'air.
- Peut-être que si tu éteignais le feu que tu as au cul... souffla Clochette.
- Ils sont rue des Glycines ! s'écria Mélusine pour couvrir le murmure de son amie. On voit le panneau sur la photo.
- Qu'est-ce qu'on attend ? s'impatienta Clochette en repositionnant son masque sur son visage, sa hache en plastique posée nonchalamment en travers de l'épaule. Vous trois, vous faites en sorte qu'ils chient dans leur froc. Moi, je prends leur peinture.
Une fois arrivés dans la rue indiquée par Mélusine, le petit groupe se sépara comme l'avait indiqué leur meneuse. Devant l'un des premiers porches de la rue, le stalker et Madeleine - que Clochette avait pu reconnaître grâce à sa photo de profil Twitter - semblaient embarqués dans une discussion animée. En contrebas, l'air ennuyé, un garçon à la dégaine de bad boy de supermarché jouait à pierre-feuille-ciseau avec un roux qui était familier à clochette. Une petite brune à lunettes semblait compter les points.
Les trois se mirent à hurler en apercevant les lapins cauchemardesques, et le premier réflexe du roux fut de lancer sa canette de bière sur le premier de leurs assaillants. Les injures que le faux Ed Sheeran lança à ses amis éclaira Clochette sur sa personne; avec cet accent, ça ne pouvait être que Gidéon. Par les guitares de Jimmy Hendrix, voilà pourquoi il n'avait pas répondu aux appels de Peter !
La pro-cloche finit par se désintéresser de la scène et profita de la confusion générale pour sortir de la haie de cyprès qui l'avait jusque là dissimulée. Sans hésiter, elle piqua un sprint digne d'une médaille d'or olympique jusqu'au porche et s'empara du seau de peinture sous le regard ébahi du beau gosse aux lapins.
- Happy easter, motherfuckers ! leur hurla-t-elle en s'enfuyant par le jardin.
C'était sans compter les grandes jambes de cet imbécile. À peine avait elle franchi le portail arrière qu'il la talonnait, semblant bien décidé à récupérer sa peinture et accomplir sa mission.
Alors que Clochette parcourait les dernières dizaines de mètres qui la séparaient de la voiture de Peter, des gyrophares rouges et bleus apparurent au bout de la rue.
La peur stoppa net Clochette. Que diraient les flics si on la voyait déguisée en lapin tueur, à minuit passé, alors qu'elle était sensée être à une soirée déguisée ? Elle ne dut sa liberté qu'aux réflexes du stalker qui les propulsa derrière une rangée de buis. Le pot de peinture lui échappa pour rouler un peu plus loin. Alors que la bouclée s'attendait à voir son voleur se précipiter pour le rattraper, il préféra se saisir de son bras pour la traîner derrière la petite cabane à outils du jardin, juste avant que le faisceau lumineux des phares n'ait pu les découvrir aux yeux des policiers.
Alors que Clochette pensait que la patrouille se contenterait de passer dans les petites rues du lotissement, les portes de la voiture claquèrent. Devinant donc que les officiers ne tarderaient pas à visiter les différentes propriétés, elle chercha à tâtons le loquet du cabanon. Elle tira à sa suite cet imbécile de pro-lapin et ferma le battant de bois derrière lui, les jugeant désormais quittes. Elle ne voulait rien devoir à cet imbécile.
L'adrénaline boostant son organisme, Clochette retira son masque et la grenouillère, jetant les deux dans un coffre à outils qui prenait la moitié du petit espace. Si les policiers venaient par là, ils ne seraient sûrement pas assez bêtes pour passer à côté du cabanon sans vérifier l'intérieur et encore une fois, le déguisement de lapin tueur risquait de lui attirer des ennuis. Mécaniquement, elle envoya un SMS à Mélusine pour l'informer de la situation et s'autorisa à laisser retomber la pression, faisant face à l'attente.
Grelottante en débardeur et short de sport, Clochette frotta la chair de poule qui couvrait ses bras et osa enfin affronter le regard de son antagoniste. Dans la faible lumière dégagée par son téléphone, elle pouvait voir son regard insistant posé sur elle.
- Je crois qu'on est partis sur de mauvaises bases, murmura-t-il. Moi c'est Paska.
- Parka ? s'étonna-t-elle malgré l'absurde de la situation.
- Non, Paska ! Avec un "s", comme "soufflette" ! C'est quoi votre problème à tous ?
- Baisse d'un ton ! chuchota-t-elle furieusement.
Après un instant de réflexion, elle reprit d'un air plus accusateur:
- Le fait que le premier mot en "s" qui te soit venu à l'esprit soit "soufflette" en dit long sur ta personnalité. Tu es un camé en manque de sexe.
- Et toi une hystérique en manque d'attention, s'offusqua Paska. J'ai rien demandé de tout ça, je voulais me faire un binge watch d'Iron Fist en mangeant mes Kinder et je me retrouve dans une guerre de Pâques !
Clochette se fit la réflexion que d'un point de vue extérieur, leur dispute aurait pu être comique. Tous deux tentaient de chuchoter plus fort que l'autre tout en évitant de trop élever le niveau sonore. De plus, elle risquait l'hypothermie car se balader en petite tenue par une nuit d'avril qui n'affichait pas plus de cinq degrés celcius au thermomètre n'était pas le meilleur des moyens de rester en pleine santé. Quant à Paska, il semblait essoufflé par sa tirade et la fixait à nouveau avec des yeux aussi expressifs que ceux des homards en aquarium dans les restaurant huppés où aimaient la trainer ses mères.
- Passe-moi ta veste, finit-elle par soupirer.
- Pardon ?
- Ta putain de veste, je me pèle le cul !
- Mais pourquoi tu as enlevé ton...
La lumière de la lampe torche qui filtra entre les planches les fit immédiatement taire. Lorsque le loquet grinça à nouveau, Clochette se débarrassa d'un mouvement souple de son débardeur et se jeta au cou de Paska, atteignant ses lèvres de justesse. Ce n'était pas le plus agréable des baisers; leurs dents s'étaient entrechoquées, elle avait froid et un policier les pointait de sa lampe torche avec un air de vierge effarouchée plaqué sur le visage. Mais, par les pattes d'éléphant d'Elvis, c'était un baiser dont elle se souviendrait.
L'officier, qui semblait encore jeune, se confondit en excuse et referma aussitôt la porte. Une fois assurée qu'ils étaient seuls, Clochette recula et enfila par tâtonnements son haut, couvrant avec honte le soutien-gorge rose bonbon qu'elle portait aujourd'hui.
- Tu es une exhibitionniste, bégaya Paska, encore sous le choc.
- Je nous ai sauvé la vie, s'insurgea-t-elle. Et tu embrasses comme un pied.
- Mais c'est toi qui...
- Nom d'une flûte à bec, est-ce que tu bandes ?
Ayant atteint le maximum de la honte, Paska lui lança sa veste à la figure pour esquiver la question. Après quelques minutes de silence pesant, Clochette lâcha de but en blanc:
- Pourquoi tu fais ça ? Je veux dire, les lapins, tout ça...
- Mon grand-père faisait ça avant. Mes parents ont pensé que c'était important que je fasse pareil, ils m'ont pas laissé le choix, expliqua-t-il avec un haussement d'épaules désabusé.
- T'es le petit fils du père Pascalin ? s'étonna Clochette.
- Ouais.
- Donc tu t'appelles... Paska Pasquier ?
- Ouais.
- Nom d'une vache à lait. On dirait le titre d'une chanson des années quatre-vingt.
Il rit doucement. Elle ajouta ce son à la liste des choses qui rendaient Paska Pasquier beau. Puis elle se rendit compte de la niaiserie du concept et piétina mentalement la liste.
- Et toi, ton amour des cloches, d'où il vient ? finit-il par interroger.
- J'en sais rien, soupira Clochette. Ma vie était juste ennuyante à mourir ces derniers temps, et, sérieusement, les lapins de Pâques... tout le monde sait que ce sont les cloches qui les déposent, les chocolats.
- Comment tu veux que des cloches transportent des chocolats ? C'est totalement illogique !
- Et un lapin, alors ? Tu vas me dire qu'il a une hotte magique ?
- On est ridicules, finit par soupirer Paska. Je vais rentrer. Tant pis pour les empreintes de lapin.
- Dire que j'allais te proposer une trêve...
Dans la lumière artificielle produite par le téléphone de la bouclée, le regard curieux du jeune Pasquier se releva vers Clochette à l'entente de sa proposition. Affichant un air énigmatique, elle consulta ses messages et sourit en voyant le dernier texto que lui avait envoyé Mélusine.
- Les flics sont partis, apparemment. Nos potes se sont alliés pour les lancer sur une fausse piste. Donc...
La jeune fille émit un petit souffle amusé qui fit voler l'une de ses mèches folles.
- Tu peux faire tes empreintes, et moi déposer mes paniers de chocolats. Deal ? conclut-elle en lui tendant la main.
Sans hésitation, Paska se saisit de sa main tendue et la serra.
- Deal.
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