Merry Christmas - Partie Deux
Les établissements médicaux avaient toujours donné le cafard à Merry; grognon, elle suivit pourtant sagement le bouclé. Cent dollars, se répétait-elle en boucle. Tu le fais pour cent dollars.
Arrivé à l'accueil de l'hôpital, l'étrange duo fut accueilli par une secrétaire à l'air bienveillant. Familièrement, elle vint serrer Eliséo dans ses bras, en le complimentant sur son costume. Un peu plus réservée envers Merry, elle se contenta d'un signe de tête et d'un sourire poli.
- Allez, viens Me-me, s'impatienta Eliséo après les embrassades de l'infirmière.
- Arrête tout de suite avec tes horrible surnoms, grimaça-t-elle.
Entraînée par le père Noël le long des couloirs aseptisés, elle se sentait dévisagée par de nombreuses personnes. Certains souriaient à leur passage; tous semblaient fatigués. Merry s'imaginait mal venir régulièrement ici. La sensation était bien trop oppressante.
Empruntant l'ascenseur vide, Eliséo jeta un regard malicieux en direction de sa partenaire.
- On dirait le début d'une scène de Cinquante Nuances de Grey.
- Tu es dégoûtant, s'offusqua l'étudiante en s'écartant autant que la cabine le lui permettait.
- Je plaisantais, soupira-t-il. Tu réagis vraiment au quart de tour.
- Même. Je déteste ce film, en plus.
- Toi, tu regardes des films ? Tu as une vie en dehors des études ? fit semblant de s'étonner le brun.
- La ferme, grogna Merry. Je ne suis pas non plus une nonne.
- Permet moi d'en douter.
- Crois moi sur parole, gamin.
- Sphallolalia, glissa malicieusement Eliséo sans relever le surnom péjoratif qui devenait récurrent dans la bouche de Merry.
Blasée, elle tourna un regard las vers lui. Il se balançait d'un pied sur l'autre, les mains derrière le dos et l'air ravi. Elle finit par capituler:
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- C'est une conversation où les deux partis flirtent sans que cela ne mène nulle part.
- Je ne flirte pas avec toi ! clama Merry.
- Tout le monde flirte, c'est naturel, tenta-t-il de la rassurer dans un rire.
- Puisque je te dis que...
L'ascenseur s'ouvrit dans un "dring" retentissant sur l'étage des enfants. Les jeunes malades, sûrement prévenus de l'arrivée du père Noël, se précipitèrent directement sur les deux jeunes gens. Leurs assistantes de soin leur recommandèrent immédiatement de ne pas trop s'exciter. Les plus petits s'amusaient déjà à sauter sur les genoux d'Eliséo en babillant leur liste de Noël. Interdite, Merry se plaça en retrait. Elle n'avait jamais été à l'aise avec les enfants et craignait de faire une gaffe à tout instant. Malgré ses prières silencieuses pour que personne ne la remarque, une vague de petits monstres se précipita vers elle quand Eliséo la désigna comme sa "Mère Noël".
- Maman Noël, pourquoi t'es pas déguisée ?
- Vous êtes mariés avec Père Noël, dis ?
- Pourquoi t'as des crayons dans les cheveux ?
Dépassée par les évènements, Merry se contenta de se baisser pour les écouter. Quitte à rester ici, autant y mettre un peu du sien. Si Eliséo pouvait accomplir une bonne action, elle le pouvait aussi après tout !
- Hem, c'est juste que je n'ai pas eu le temps de me changer, on est vite venus du Pôle Nord, juste pour vous... Quoi ? Non, on n'est pas... (Eliséo lui fit les gros yeux.) Oui, oui, on est mariés. Et j'ai des crayons dans les cheveux parce que... C'est à la mode chez les lutins.
Une petite fille au crâne chauve s'approcha d'elle, des étoiles dans les yeux. Un immense sourire sur le visage, elle entortilla autour de ses doigts les quelques mèches frisées qui s'échappaient du chignon de la toute nouvelle Mère Noël.
- Tu ressembles à la princesse Rebelle ! elle s'émerveilla.
Prise au dépourvu, Merry resta silencieuse. La vision d'un être aussi petit attaqué par une maladie aussi vicieuse lui broya le coeur. Désemparée, elle chercha le regard d'Eliséo, qui sembla soudain inquiet. Sans un bruit, il s'accroupit à côté d'elle et pinça doucement les joues de l'enfant.
- Toi, tu ressembles à la princesse Elsa. Qu'est-ce que tu en penses, Mère Noël ?
- C'est... c'est vrai, bégaya-t-elle. Tu as les mêmes grands yeux bleus.
La petite gloussa de plaisir, et rien n'avait jamais autant ému Merry.
☀☀☀
De retour au volant de son "traîneau", Eliséo entreprit de siffloter une des nombreuses chansons de Noël revisitées qui passaient en boucle à la radio. Les dessins que les enfants leur avaient offert s'étaient amoncelés sur la banquette arrière. Les yeux gris de Merry croisèrent ceux d'Eliséo dans le rétroviseur. Il avait l'air aux anges.
- Tu t'es super bien débrouillée avec les enfants.
- Tu rigoles ? J'étais mortifiée ! s'écria-t-elle.
- Raison de plus, s'esclaffa le garçon. Tu étais parfaite.
Merry cacha le feu de ses joues dans le volume de son écharpe. On la complimentait rarement, encore moins pour lui dire qu'elle était parfaite. Elle grommela que ce n'était vraiment rien et tourna son regard vers l'extérieur.
Dehors, la nuit était tombée. L'église venait de sonner les coups de six heures et les illuminations défilaient de l'autre côté de la vitre. Dans les cafés et sur les boulevards, la foule se pressait. Le véhicule passa devant l'immense sapin qui trônait au centre du marché de Noël sur la place de la mairie.
- Le marché n'est pas une étape de ta liste ? s'enquérit-elle.
- Si, mais je tiens à faire chaque chose en son temps, indiqua Eliséo d'un air mystérieux.
Au feu rouge, Merry observa un groupe de passants massés autour d'un guitariste coiffé d'un bonnet de lutin. Ils chantaient en cœur, riant parfois, insouciants. Dans les cafés et sur les boulevards, les gens se pressaient dans une ambiance légère.
Un mince sourire apparut sur le visage de Merry. Elle commençait à comprendre ce qu'Eliséo aimait dans les fêtes de Noël. Peut-être était-ce l'odeur de chocolat et de vin chaud qui flottait dans l'air, ou bien l'effervescence générale qui animait les rues.
Seulement, Merry n'arrivait pas à trouver sa place dans ce tableau aux couleurs joyeuses. Sur sa rétine restaient imprimées des images douloureuses. Le sans-abri blotti contre sa poubelle sur sa couverture trouée; la petite fille sans cheveux et la fatigue qui se lisait dans ses yeux; sa famille, dans l'Ohio, et ses amis inexistants.
Emplie d'une nostalgie étrange, presque suffocante, la jeune femme se mura dans le silence jusqu'à ce que la Clio se gare devant le centre social, prochaine étape du périple d'Eliséo.
A peine eurent-ils franchis la porte que leur arrivée - en tout cas, celle de son compagnon - fut saluée par des applaudissements et des sifflets.
- Désolé de vous avoir fait attendre les gars, s'amusa le père Noël. J'ai trouvé quelqu'un en route. Elle s'appelle Merry.
Une main familièrement passée dans le creux du dos de la jeune femme, il la fit avancer devant l'assemblée. Timidement, elle salua le groupe hétéroclite d'un vif hochement de tête. En un rapide balayage visuel, elle avait repéré quelques personnes se détachant du lot: un punk blond à la lèvre percée, une petite brune en robe à fleurs, un homme aux lunettes remontées et une jolie fille à la peau sombre. Il y avait en tout une dizaine de personnes. Merry tentait vainement de retenir sinon les noms, du moins les visages. Déjà peu à l'aise en public, cela se révéla mission impossible.
Activant son mode "terrain hostile", elle se rapprocha du mur et le longea jusqu'à un coin moins peuplé. Eliséo s'était éclipsé, trop occupé à distribuer des accolades et à donner un coup de main aux autres bénévoles. Dans un coin, quelques personnes emballaient des cadeaux qui, selon ce que Merry avait compris, étaient destinés aux bénéficiaires du centre. La jeune fille avait toujours trouvé ce culte du papier cadeau complètement désuet. Pourquoi enrubanner le paquet alors que la personne allait au final le déchirer ?
Merry soupira. La joie éphémère qu'elle avait ressentie dans la voiture s'était bel et bien évaporée. Tentant de se rassurer, elle se dit que ce n'était plus qu'une question d'heure avant qu'elle n'empoche ses cent dollars. Elle demanderait même un supplément pour avoir été baladée à travers toute la ville ! Plongée dans ses pensées, elle n'entendit même pas la jeune fille à la robe fleurie la rejoindre, les bras chargés de guirlandes.
- Merry, c'est ça ?
Surprise, l'interpellée eut un léger sursaut. Son interlocutrice souriait d'un air gêné, se balançant d'un pied sur l'autre. Craignant que sa voix ne trahisse sa panique naissante, l'étudiante se contenta d'hocher la tête.
- Tu veux venir décorer le sapin avec nous ? proposa la petite brune d'une voix douce. Eliséo a tendance à se disperser, et j'ai vu que tu étais seule...
- J'arrive, croassa la jeune femme avant de se racler la gorge.
Semblant heureuse de la réponse de Merry, la brune se dirigea en direction de l'arbre de Noël. Elle poussa du bout du pied un carton en direction de la blonde, entreprenant ensuite d'accrocher quelques boules rouges et dorées.
- Je m'appelle Jemma, je ne sais pas si Elis' t'as fait les présentations, précisa-t-elle en attachant soigneusement la ficelle d'une des décorations.
- Il m'a donné quelques prénoms, mais je n'ai pas tout retenu, avoua Merry.
- Elis' est une vraie flèche, excuse le, s'amusa Jemma. D'où est-ce que vous vous connaissez ?
L'étudiante hésita. Après une courte hésitation, elle finit par livrer l'histoire de cette folle après-midi à Jemma: le garde du corps poursuivant Eliséo, la fuite à travers la ville, l'arrangement auquel ils étaient parvenus pour qu'elle reste avec lui, l'épisode du sans-abri, la liste inversée du jeune père Noël et l'arrivée au centre social. Jemma se contentait d'hocher la tête de temps en temps, pour montrer son attention; Merry parlait bien, malgré son malaise. Elle posait calmement les faits, les énonçant sans romancer ni dévier de son fil conducteur. C'était reposant de l'écouter.
Depuis longtemps habituée aux âneries d'Eliséo, Jemma se contenta d'un petit rire à la fin de l'histoire.
- Tu t'y habitueras. Il est toujours un peu dans son monde.
- Je ne compte pas rester en contact avec lui, précisa Merry. Il m'a assez épuisée pour toute une vie.
Un rire clair - quoiqu'un peu amer - franchit les lèvres de Jemma, suivi d'un "Je vois" un peu trop sec pour être innocent. Son regard semblait fuir celui de Merry. Cette dernière regretta d'avoir été si franche. Avec un peu plus de tact, elle aurait pu extorquer à Jemma quelques informations sur Eliséo.
- Oh, merci Ife !
La jeune fille à la peau sombre que Merry avait remarqué quelques minutes plus tôt venait d'apporter un gobelet de chocolat fumant à Jemma. Jetant un regard peu amène à l'invitée d'Eliséo, Ife repartit sans même leur adresser la parole. La jeune fille aux tâches de rousseur jeta un regard désolé à Merry, lui proposant son gobelet La blonde refusa poliment; Ife n'avait clairement pas amené la boisson pour elle.
- Excuse-la, couina Jemma, elle...
- Ce n'est rien, la coupa Merry. Je vais prendre l'air.
Elle allait ajouter "si quelqu'un me cherche", mais qui pourrait bien la chercher ? Dans le froid de la nuit tombée - il était presque sept heures désormais -, elle consulta son portable. 0 messages, 0 appels. Ni amis, ni famille, en cette formidable soirée de réveillon, susurra méchamment sa conscience. Maintenant plus que jamais, Merry avait conscience de sa solitude.
Un bref regard par la fenêtre vitrée de la porte renforça encore cette impression. Jemma, porté par le punk, accrochait l'étoile. Ife, un mince sourire aux lèvres, regardait la scène avec une étincelle bienveillante dans le regard. Eliséo, riant aux éclats, se bagarrait gentiment avec un homme d'âge mûr.
Reniflant discrètement, Merry ferma son manteau et se saisit une nouvelle fois de son portable. Les doigts rendus raides par le froid, elle tapa le numéro de l'agence de taxi en grelottant et demanda à ce que l'on vienne la chercher devant le centre social. Elle n'avait pas besoin de l'argent d'Eliséo, elle se débrouillerait. L'idée d'être restée avec lui pour quelques billets était déjà bien assez malsaine. Noël n'était pas pour elle, point. C'est comme lorsqu'on ne rentre plus dans un jean devenu trop petit: le seul résultat que l'on obtiendrait en forçant, c'était une forte sensation d'inconfort.
Soufflant dans ses mains dans l'espoir de les réchauffer, Merry reporta son attention sur une nouvelle arrivante. Adossée au mur du centre social, une femme la dévisageait avec un air malicieux, le visage faiblement éclairé par la lumière de sa cigarette. La fumée s'en élevait paresseusement dans la semi-obscurité du porche du centre.
- Elis' va être déçu si tu pars maintenant.
- Je n'ai aucun compte à lui rendre, rétorqua Merry.
Un autre sourire amusé étira les lèvres de la femme. Elle semblait ne rien prendre au sérieux; en tout cas, c'est ce que l'étincelle moqueuse de ses yeux semblait dire. Une seconde fois, elle tira sur sa cigarette, puis haussa les épaules.
- Essaye de pas en vouloir au monde entier, dit calmement l'inconnue. Généralement, c'est comme ça qu'on se retrouve seul.
- Je ne suis pas seule, nia Merry, piquée au vif.
La femme haussa un sourcil, visiblement peu convaincue.
- J'ai toujours tout fait comme il faut, je ne dois rien à personne et je n'ai pas besoin de pseudo-amitiés éphémères pour me sentir bien, continua de se justifier la plus jeune.
- Tu es dure.
- Vous ne me connaissez pas.
- Tu réponds à des questions que je ne pose pas, s'amusa-t-elle. Mais pour te répondre à toi, je tiens à dire que je n'ai pas tant envie de te connaître.
- Pourquoi vous êtes venue, alors ? se rebiffa Merry.
- Pour Elis'. Il aurait bien besoin d'une amie comme toi.
- Il est déjà bien entouré.
- Tu ne le connais pas, lui fit remarquer l'inconnue en retournant ses propres arguments contre elle.
Horripilée par cette conversation sans queue ni tête, Merry tourna les talons et alla attendre son taxi un peu plus loin. Ces personnes semblaient définitivement folles.
☀☀☀
Blottie dans ses couvertures, Merry mastiquait sans conviction ses lasagnes décongelées. Devant ses yeux, les mots de ses fiches se mélangeaient. Exténuée, elle jeta un oeil à sa pendule.
22h56. Son portable n'avait pas vibré. Tout était silencieux. Elle était seule.
Prise d'un sentiment de dégoût, Merry posa son assiette de lasagnes tièdes au sol. Abandonnant l'idée de réviser ce soir, elle se laissa tomber en position allongée. Les yeux fixés sur son plafond nu, la jeune fille laissa une larme lui échapper. Puis une seconde. Une troisième. Elle arrêta de compter après la dizaine.
Les joues humides et les dents serrées sur des sanglots douloureux, elle laissa ses pensées s'éparpiller. Et si ce qu'elle avait pensé bien faire depuis le début n'était qu'une vaste mascarade montée par ses soins pour soulager sa conscience ? Pourquoi se cherchait-elle sans arrêt des excuses ? Était-elle donc totalement incapable de lever la tête de sa petite vie bien formatée ? Eliséo n'avait fait qu'essayer de l'aider et, dans une fierté mal placée, elle l'avait repoussé.
Merry se moucha bruyamment. Qui s'en souciait, puisqu'elle était seule ?
A cet instant, elle aurait beaucoup donné pour entendre le bruit de la télévision. Les cris de son père devant le match de baseball, en particulier, et les commentaires agaçants du commentateur sportif. Dans son souvenir, il y avait aussi la voix discordante de sa soeur chantant à tue-tête la dernière chanson de son groupe préféré, le bruit de l'eau qui chauffait dans la cuisine et le grincement familier de la porte lorsque son chat entrait pour réclamer des caresses.
Mais ce dont elle ne se rappelait pas, c'était de ce tambourinement incessant contre la vitre. Déboussolée, elle se redressa et manqua de peu l'infarctus en voyant, cramponné au bord de sa fenêtre... un certain père Noël.
Elle rejoignit l'ouverture d'un bond, ouvrant grand les battants pour tirer le jeune homme à l'intérieur.
- T'es complètement malade ! hurla Merry. On est au deuxième étage !
Pour toute réponse, Eliséo lui brandit sa liste chiffonnée sous le nez. Lourdement, il se laissa tomber sur la moquette élimée du petit appartement. Le garçob claquait des dents et ses mains semblaient prises de tremblements incontrôlables.
- Jésus Mariah Carey, j'ai le vertige. T'as mis du temps à réagir.
- Pourquoi tu n'es pas passé par la porte ? s'emporta-t-elle à nouveau en passant sous silence le rire nerveux que lui inspirait le juron du jeune homme.
- Tu ne m'aurais pas laissé entrer ! geignit-il.
Des coups contre le mur les obligèrent à baisser d'un ton. Le coeur battant encore bien trop vite, Merry chuchota furieusement.
- De toute manière, tu vas sortir !
Tant bien que mal, elle releva Eliséo et tenta de le traîner vers la sortie. D'abord surpris, le jeune homme laissa échapper un léger ricanement, faisant semblant de ne pouvoir résister.
- Par ma barbe, Mère Noël, que vous êtes forte...
- Arrête de te foutre de moi !
- Écrasant les joues de Merry entre ses mains en coupe, Eliséo stoppa net la jeune fille.
- Le réveillon n'est pas terminé, et ma liste non plus. Il me reste... (Rapidement, il consulta sa montre et afficha un grand sourire.) Cinquante-cinq minutes pour te faire découvrir la magie de Noël !
Brutalement, Merry attrapa les poignets de son père Noël pour le forcer à la lâcher. En plus de son horreur des contacts en tout genre, il avait les mains gelées ! Voulant se débarrasser de lui au plus vite, elle expliqua avoir compris ce qu'était l'esprit de cette fête: aider son prochain, apporter un peu de bonheur dans la vie de ceux qui en manquaient et espérer de meilleurs lendemains.
- Il y a sûrement des gens qui méritent plus ton attention que moi, alors va-t-en maintenant, conclut-elle à mi-voix.
- Tu es la dernière sur ma liste d'enfants à gâter, glissa-t-il avec un regard étrangement tendre. Et je n'abandonnerais sûrement pas une fille qui pleure. Ce serait en totale opposition avec mes principes de gentleman.
Gênée qu'il ai put la voir dans cet état, Merry essuya ses yeux d'un revers de manche. Son invité surprise était si près qu'elle aurait pu compter les petits éclats de spéculoos dans ses iris verts. Se rendant compte de cette trop grande proximité, elle bondit sur son lit, rompant le charme du moment.
- Arrête de faire ça, gronda la blonde.
- De faire quoi ? s'amusa Eliséo en jouant des sourcils.
- Ton regard de bébé phoque en détresse ! Arrête immédiatement.
- Seulement si tu viens profiter du marché de Noël avec moi.
Merry hésita quelques instants. Il y avait encore tant de questions à propos de cet étrange père Noël. Mais ce qui l'effrayait le plus, c'était l'origine de son appréhension. Elle ne craignait pas qu'il lui fasse du mal - elle était persuadée qu'Eliséo n'oserait jamais poser la main sur elle, malgré ses tendances très tactiles.
Ce qu'elle redoutait en réalité, c'était de s'attacher au jeune homme. Et s'il disparaissait de sa vie au matin de Noël, comme le mythe qu'il incarnait ? Etait-ce si mal de vouloir le connaître un peu plus, au final ?
Une joie nouvelle vint balayer son côté sceptique. Elle en avait assez de marcher au milieu des sentiers battus; il était temps de s'aventurer dans les forêts enneigées.
☀☀☀
Eliséo virevoltait entre les stands avec l'aisance d'un enfant, admirant pâtisseries, bijoux et autres babioles. Aux anges, il dénicha un bonnet similaire au sien et insista pour que Merry le porte; il tenait à ce que sa Mère Noël ai un minimum de "classe". Bougonnant tout d'abord, la jeune femme finit par accepter. La joie d'Eliséo lui réchauffait le coeur et semblait rendre le décor un peu plus féérique.
Les gens souriaient, un verre de vin chaud à la main; des couples défilaient, croquant des pommes d'amour; les plus jeunes couraient et s'amusaient à déraper sur les plaques de verglas. Eliséo rayonnait lorsque ces derniers venaient tirer sur sa tunique rouge.
Plus souriante que jamais, Merry gravait ces souvenirs dans sa mémoire, comme ceux qu'elle pourrait ressortir lorsque son moral était au plus bas. Le sourire en coin du père Noël, les reflets des guirlandes sur sa peau hâlée et les tâches de rousseur impromptues qu'elle avait remarquées sur ses pommettes. Cette scène lui semblait détachée de la réalité, comme placée entre parenthèse sur le tapis roulant inéluctable du temps.
- Elis' ?
Le garçon reporta son attention sur Merry. Avec un geste d'une infinie douceur, il rajusta le bonnet de son amie et lui fit signe qu'il l'écoutait. Gênée par la familiarité du geste, la blonde recula. Elle sourit cependant, tenant à lui montrer que ce n'était pas un rejet.
- Est-ce qu'il y a un mot pour décrire une sorte de... moment flottant ? Je ne sais pas comment expliquer... Un instant hors du temps, où l'on a l'impression d'être dans une bulle qui nous isole de la vie quotidienne ?
- Je vois ce que tu veux dire, la rassura-t-il. Je crois que oui, c'est un mot japonais... Ukiyo, finit-il par souffler en claquant des doigts. Littéralement, "le monde flottant".
- Ukiyo, répéta doucement Merry. C'est parfait.
Un silence s'installa. Un silence confortable, comme une épaisse couverture posée au coin du feu. Errant au fil des stands, leur pas les menèrent finalement devant la patinoire centrale du marché. Merry y suivit Eliséo avec plaisir: le patin était un des seuls domaines où elle pouvait se vanter de certaines qualités.
Débarrassant ses cheveux des derniers crayons rescapés, la jeune femme commença à virevolter entre les quelques occupants de la piste. Elle ne sentait ni le froid mordre le bout de ses doigts, ni le vent qui s'infiltrait dans chacun des pans de ses vêtements; elle vivait, simplement.
Revenue vers Eliséo après un tour de piste exemplaire, elle vit le jeune homme hésiter sur ses patins. Il ressemblait à un faon à peine né qui tente de marcher. Riant de la maladresse du jeune homme, elle tenta de l'attirer vers le milieu de la piste sans que celui-ci ne finisse par terre. Après maints efforts, le père Noël sembla comprendre la base de l'équilibre sur glace et réussit tant bien que mal à se tenir droit.
Levant le nez vers le ciel après avoir senti un contact froid sur sa joie, Merry constata que quelques flocons chutaient paresseusement, jouant avec les lumières du grand sapin. Alors qu'Eliséo gardait les yeux fixés sur ses pieds - réflexe de débutant, la jeune femme lui souffla de regarder. Un air de bonheur pur traversa le visage du garçon en remarquant les quelques cristaux glacés.
- Tu me montres ta liste ? demanda subitement Merry alors qu'Eliséo tentait d'attraper un flocon sur le bout de sa langue.
Etonné par la requête de Merry, il ne se fit cependant pas prier. Fouillant dans ses poches, il sortit le papier froissé d'un air triomphant et le tendit à sa mère Noël. Appuyée sur l'épaule du brun, la jeune fille cocha les trois dernières cases à l'aide d'un des crayons restés dans ses poches.
☑ aller à la patinoire
☑ visiter le marché de Noël
☑ convaincre Merry que la magie de Noël existe
- Tu es convaincue, alors ? demanda Eliséo d'un air attendri.
- Je t'ai connu plus sûr que toi, mon "miracle de Noël", le taquina-t-elle en le gratifiant d'un coup de crayon sur le nez.
Le regard du jeune homme devint plus difficile à déchiffrer. Sa moufle rouge passa sur la joue de Merry, relevant doucement son visage vers lui. Ce n'est que lorsque le souffle d'Eliséo chatouilla ses lèvres qu'elle comprit les intentions du garçon. Plaquant sa liste contre le visage de l'impudent, elle recula d'une pirouette sur ses patins.
- Tu t'es cru dans une comédie de Noël, gamin ?
Déséquilibré et surpris, Eliséo tomba à la renverse, et Merry aurait pu jurer que son rire avait fait briller le sapin un peu plus fort.
- END -
Merry Christmas - Une histoire de Noël par MayHaverhill
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