_ Je ne t'ai demandé qu'une chose: faire un feu. Et tu n'en es même pas capable?

Licaros prit un air vexé. Sa bouche se souleva dans une moue d'enfant gâté et il secoua la tête avant de se reconcentrer sur la bleue:

_ Ecoute moi bien, Aqua-Wave. Je te dis que j'ai vu une plante... Tu sais ce qu'est une plante?

_ Bien sûr que oui! Au cas où tu serais miro, il y en a des tas autour de nous!

_ À la différence que celles-ci ne bougent pas! Celle que j'ai vu courrait! Et elle parlait en plus !

Epon reprit un air blasé. Cela faisait à peine cinq minutes qu'elle était revenue de pêche, portant au bout d'une fine corde une dizaine de carpes, coïts et blackbass. Et voilà que ce crétin de Darien lui avait presque sauté dessus en beuglant qu'il avait vu une plante parlante.

_ Tu as dû respirer des spores de champignons, Licarotte. En tout cas, je ne sais pas comment on va faire pour se réchauffer et cuire les poissons si tu ne fais pas de feu. Alors bouge ton derrière! 

Et elle tourna les talons, retournant sur sa pierre pour écailler ses prises à l'aide de l'un de ses tonfas, improvisant ingénieusement face à l'absence de couteau.

Licaros resta immobile, la suivant des yeux. Sincèrement, il ignorait ce qu'il avait fait pour mériter ça. 

Devant le manque de considération qu'avait la bleue pour lui, il grommela comme à son habitude et empoignit son épée, ce qui eu pour effet de faire lever un sourcil à Epon.

_ Qu'est-ce que tu fais, encore ?

_ Je retourne chercher mon bois! Et je me prépare au cas où je retomberais sur ces plantes vivantes!

Son interlocutrice soupira:

_ Tu me fais pitié.

Licaros ne répondit pas et la laissa en plant avec son poisson. Cette fois-ci, il était prêt. Daggyarys fermement en main, il s'enfonça de nouveau entre les arbres, son éternel air blasé et agacé peint sur le visage. Il sentait sur lui le regard désespéré de la princesse Zora, qui devait vraiment le trouver pathétique.

Peu importe ce que pensait ce stupide thon de lui. Il avait vu cette plante et il se moquait qu'Epon le croit ou non.
D'un autre côté, se mettre dans un état pareil à cause d'un végétale qui s'était enfui en le voyant était un peu extrême. 

Une toile d'araignée se colla à sa joue tandis qu'il marchait et il grimaça aussitôt, s'empressant de chasser la toile poisseuse et gluante de son visage. C'était désormais officiel. Il haïssait cette forêt.

Presque autant qu'il haïssait Epon.

Il ne tarda pas à retrouver son misérable tas de bois abandonné et il s'en empara, se débrouillant pour garder Daggyarys en main. De toute manière, la bestiole-fougère ne semblait plus là.

Tant mieux.

De retour à ce qui allait leur servir de camps, il retrouva la demi-Zora debout, remplissant la seule bouteille d'eau en leur possession.

_ Alors ? Demanda-t-elle en l'appercevant. Tu as revu ta plante?

Son ton ne plût pas du tout au Darien, qui jeta les branches au milieu de la clairière avant de s'asseoir à côté.

_ Non. Répondit-il cependant. Elle a fuit.

_ Excellente nouvelle ! Railla Epon avec un immense sourire.

Elle alla s'asseoir à son tour, ses poissons écaillés en main. Elle fut impressionnée de la vitesse à laquelle son vis-à-vis alluma le feu. Il savait donc au moins faire ça.

La nuit était maintenant totalement tombée et elle ne cacha pas que le feu de Licaros lui faisait le plus grand bien. Étant mi-humaine, elle craignait moins le froid que les autres Zoras. Mais cela ne voulait pas non plus dire qu'elle en raffolait spécialement. À l'aide d'une branche, elle empala son butin de pêche et le mit au dessus du feu. Puis, en attendant que ça grille, elle enserra ses bras de ses mains pour se réchauffer.

Licaros la vit faire du coin de l'oeil.

_ Si seulement tu pouvais nous faire une hypothermie. Dit-il posément.

Epon releva la tête vers lui et le fusilla du regard. Mais le Darien ne fit pas attention à elle. Il gardait les yeux rivés sur les flammes, laissant l'ombre du petit brasier danser sur son visage d'une pâleur laiteuse.

Le silence se propagea à tout le repas, aucun n'étant heureux de la présence de l'autre.

Si Kamryn et Paleuni comptaient réellement les rapprocher avec cette expérience, autant dire que c'était mal barré pour le moment.

Le poisson avalé, ils ne bougèrent toujours pas, ignorant de toute manière quoi faire. La forêt était devenue sombre, dangereuse, et ils avaient l'impression qu'à chaque instant, quelque chose allait leur sauter dessus.

_ Il faudrait dormir un peu. Murmura soudain Epon, rompant le silence inquiétant qui régnait.

Licaros leva à peine la tête vers elle. Il était si près du feu qu'Epon le soupçonnait de ne pas craindre la chaleur autant que le commun des mortels.

_ Dormir ? Grogna-t-il. Je n'arriverai jamais à m'endormir au milieu des bois parmi les insectes et la boue.

_ C'est dommage pour vous, ô princesse de Dareim. Répliqua sarcastiquement la jeune demi-Zora. Tu n'as qu'à monter la garde, Licasse-pieds. Moi je vais me reposer: on a du chemin à faire demain.

_ Du chemin ? Répéta Licaros. On ne peut pas attendre ici qu'elles viennent nous rechercher ?

Epon lui tourna le dos, s'installant plus ou moins confortablement pour la nuit avant de répondre :

_ Ecoute, je ne pense pas que c'est ce qu'elles veulent. 24 heures, c'est le temps que nous avons pour trouver la sortie de cette forêt. Ce serait stupide de nous balancer ici pour qu'on attende simplement. Elles veulent de l'entraide.

_ C'est hors de question.

Elle roula des yeux, intérieurement vivement agacée.

_ Plus vite nous trouverons la sortie, plus vite nous serons séparés. Tu es conscient de ça? Alors repose-toi, je ne veux pas que tu me gênes demain. Et prie pour que rien ne nous attaque pendant la nuit.

Ce fut tout. Elle se tue. Le silence reprit ses droits.

Le Darien plissa les yeux. Elle avait raison sur ce point. S'ils sortaient rapidement, ils pourraient chacun vaquer à leurs occupations, loin l'un de l'autre. Cette perspective le réjouissait.

Toujours méfiant vis-à-vis de la noirceur des bois, Licaros s'allongea encore plus près du feu. De toute manière, il se disait que ses pensées le tiendraient éveillées toute la nuit et qu'il entendrait si quelque chose approchait.

Quelle erreur.