Chamboulements

Dunevaëlle

Je referme doucement la porte de la chambre d'Ayden, mon cœur en miettes. La lumière tamisée de la veilleuse projette des ombres douces sur son visage paisible. Il dort profondément, sa petite main serrant son doudou préféré, comme si rien ne pouvait troubler son monde. Un monde que j'ai construit pour le protéger.

Mais ce monde est sur le point de s'effondrer.

Mon cœur bat si fort que je crois qu'il va exploser dans ma poitrine. Chaque pas que je fais dans ce couloir blanc d'hôpital me rapproche de l'inévitable. Luis.

— Luis ! Attends !

Ma voix résonne, mais il ne se retourne pas. Il marche, les épaules tendues, chaque mouvement trahissant sa colère. Je presse le pas, luttant contre l'envie d'opérer un demi-tour, de fuir.

— Isaac Luis Lopez !

À ces mots, il s'arrête net. Je vois son dos se raidir, puis il pivote lentement. Son regard me frappe comme un coup. Ses yeux, sombres et perçants, débordent de colère, mais aussi d'une douleur que je n'avais pas prévue.

Il croise les bras, son visage fermé.

— Luis, je...

— Quel âge a-t-il ?

Sa voix est tranchante, mais quelque chose vacille. Une fissure dans son masque.

— Bientôt six ans.

Il ne répond pas tout de suite. Je le vois faire le calcul, son regard se perd un instant, avant qu'il ne revienne se planter dans le mien.

— Donc, c'est mon fils.

Ce n'est pas une question, mais une vérité qu'il énonce, brutale et implacable. Je déglutis, incapable de détourner les yeux.

—  Dis-le, Vaëlle. Dis-le à voix haute.

Je prends une grande inspiration. Chaque mot est un coup porté à mon propre cœur.

—  Oui, Luis. Ayden est ton fils.

Son visage se tord légèrement. Je crois voir une étincelle d'émotion – un mélange d'incrédulité, de joie, peut-être même d'espoir. Mais elle disparaît aussi vite qu'elle est apparue, remplacée par une colère sourde.

—  Putain... Sa voix se brise légèrement, avant de monter d'un cran. Et tu ne me l'as jamais dit ?

Je baisse les yeux, la honte me submerge.

— Luis, on s'est quittés en mauvais termes. Tu m'avais...

—  Tu vas vraiment jouer cette carte-là ? Il me coupe, sa voix grondante. Qui est au courant ?

Je sens la chaleur monter à mes joues. C'est là que je vais le blesser le plus.

— Tout le monde. Sauf Nathan, Gwen et Kate.

Sa réaction est immédiate. Il éclate d'un rire amer, presque hystérique.

— Alors non seulement tu me l'as caché, mais tu as partagé ça avec tout le monde sauf moi ? Putain, Dunevaëlle, tu es incroyable.

Je sens ses mots m'atteindre en plein cœur. Mais il ne s'arrête pas.

— Tu sais ce que c'est, toi, de te réveiller un jour et d'apprendre que tu as un fils ? Que six putains d'années de ta vie ont été volées sans que tu n'aies ton mot à dire ?

Je recule sous l'intensité de ses accusations, mais je refuse de me taire.

— Luis, c'était compliqué...

—  Compliqué ? Sérieusement ?

Sa voix monte, brisant ce qu'il reste de ma volonté. Mon cœur est en feu, brûlant sous le poids de sa colère, mais aussi de ma culpabilité.

Pourtant, je ne peux plus fuir.

— Tu veux savoir pourquoi je n'ai rien dit ? Parce que tu étais un danger pour moi, pour lui, pour nous.

Le silence qui suit est glacial. Ses yeux s'écarquillent légèrement, mais je vois dans son regard qu'il refuse d'accepter ce que je viens de dire.

—  Un danger ? murmure-t-il, presque incrédule. C'est ça que tu te dis pour te dédouaner ?

Ma gorge se serre. Les souvenirs de nos disputes, de sa violence parfois incontrôlable, des nuits où j'ai pleuré de peur et de frustration, refont surface. Mais tout ce que je vois dans ses yeux maintenant, c'est de la douleur, pure et brute.

Luis se passe une main sur le visage, comme s'il essayait de reprendre son souffle.

— Emma, murmure-t-il, pourquoi ?

Sa voix n'est plus qu'un murmure, mais elle me transperce comme une lame. Je sens mes jambes flancher sous le poids de ses mots et de mes propres regrets.

Quand Andrew et Juan arrivent, je sais que l'affrontement touche à sa fin, mais la tempête en moi est loin de s'apaiser.

—  Laissez-moi, finit-il par dire, sa voix tremblante.

Et alors qu'il s'éloigne, je reste figée, incapable de bouger. Mon cœur est un champ de bataille où se mêlent la culpabilité, la peur, et une douleur insupportable.

Je voulais protéger Ayden. Mais en faisant cela, j'ai détruit quelque chose en Luis. Quelque chose que je ne suis pas sûre de pouvoir réparer.

Cela fait plusieurs jours que je n'ai pas vu Luis. L'hôpital, le couloir glacial, et nos mots tranchants flottent encore dans mon esprit comme des spectres que je n'arrive pas à chasser. Il m'évite soigneusement, et je fais de même, terrifiée à l'idée de croiser son regard noir. Chaque instant sans lui est un mélange de soulagement et de poids écrasant, un étrange paradoxe. Je reste à l'appartement avec Ayden, m'efforçant de maintenir une routine normale pour lui.

Nathan est un fantôme. Il prétend chercher du travail, mais ses longues absences et ses excuses bancales trahissent une vérité que je n'ai plus l'énergie d'affronter. Il ne fait que s'éloigner davantage, laissant le vide qu'il crée se remplir de ma fatigue, de mes doutes et de mes responsabilités.

Heureusement, Adam et Andrew sont là. Leur présence est une bouée, un rappel que je ne suis pas totalement seule dans cette tempête. Adam a pris l'habitude de cuisiner de grands repas, prétendant que cela le détend, tandis qu'Andrew se fait une mission d'aider Ayden avec ses devoirs. Le rire d'Ayden résonne parfois dans l'appartement, mais il y a des moments où même lui semble sentir la tension.

Un soir, alors qu'Ayden dort profondément, bercé par une histoire qu'Andrew lui a lue, je reste seule dans la cuisine. Une tasse de tisane refroidit entre mes mains, oubliée, tandis que je fixe un point invisible sur la table. La fatigue me submerge, mais c'est une fatigue différente, celle qui ne se dissipe pas avec du sommeil. C'est le poids de tout ce que je porte depuis des années.

Adam entre dans la pièce en silence, me tirant de mes pensées. Il s'appuie contre le plan de travail, les bras croisés, et me regarde avec cet air protecteur qui lui est propre.

— Vaëlle, tu dois te reposer, dit-il doucement, sa voix remplie d'une inquiétude sincère.

Je secoue la tête, incapable de répondre. Je sais qu'il a raison, mais comment pourrais-je m'arrêter ? Comment pourrais-je dormir alors que chaque aspect de ma vie semble être en train de s'effondrer ?

Il s'approche et pose une main réconfortante sur mon épaule.

— On est là, tu sais. Andrew et moi. Tu n'as pas à tout gérer toute seule.

Je force un sourire, mais les mots restent coincés dans ma gorge. C'est dans ces moments que la solitude me frappe le plus durement. Même entourée de mes amis, je me sens isolée, comme si le poids que je porte était invisible pour eux.

Et puis, ce matin-là, tout bascule.

Juan frappe à la porte, l'air grave, son visage crispé par une tension que je reconnais immédiatement. Dès qu'il entre, je sens que quelque chose ne va pas.

— Juan ? Qu'est-ce qui se passe ? je demande, ma voix plus tremblante que je ne l'aurais voulu.

Il hésite, visiblement mal à l'aise.

— Luis veut te renvoyer, finit-il par dire, le ton lourd de regret.

Les mots tombent comme une enclume. Pendant un instant, je ne peux rien dire, mon esprit refusant d'accepter ce qu'il vient de prononcer.

— Quoi ? je murmure, ma voix étranglée par l'incrédulité.

— Il pense que c'est mieux ainsi, dit Juan en évitant mon regard.

Avant que je ne puisse répondre, un bruit de chaise raclant le sol attire mon attention. Andrew, qui était assis dans un coin du salon, s'est levé si brusquement que sa tasse de café a failli tomber.

— Ce connard va trop loin, gronde-t-il, la mâchoire serrée. Je vais lui régler son compte.

— Andrew, non ! Attends, laisse-moi lui parler...

Mais il ne m'écoute pas. Il attrape un sweat posé sur le dossier d'une chaise, le passe rapidement et se dirige vers la porte, son visage fermé par la colère.

— Andrew, s'il te plaît ! Je m'interpose, essayant de lui barrer la route.

— Il veut te virer, Vaëlle ! rugit-il. Après tout ce que tu as traversé, après tout ce que tu as fait pour lui, il ose encore te traiter comme ça ?

— Ce n'est pas la solution, je souffle, désespérée.

— Peut-être pas pour toi, mais moi, je vais lui faire comprendre.

Il ouvre la porte et sort en claquant, me laissant figée au milieu du salon, la gorge serrée et les larmes aux yeux.

Adam, qui est resté silencieux jusque-là, pose une main sur mon épaule.

— Il a besoin de s'énerver, dit-il doucement. Et toi, tu dois te préparer à ce qui vient ensuite.

Je hoche la tête, mais une peur sourde s'installe dans ma poitrine. Luis. Andrew. Deux hommes avec une colère aussi grande que leurs blessures. Et moi, coincée au milieu, sans savoir comment apaiser l'un ou l'autre.

Je regarde la porte qui vient de claquer, le bruit résonnant encore dans mes oreilles. Puis, je serre les poings, bien décidée à ne pas laisser la situation m'échapper complètement. Il faut que je trouve une solution, pour Ayden, pour moi... et peut-être même pour Luis.


Luis

Je suis dans ma cuisine, une tasse de café froid entre les mains. Je n'ai pas touché à la boisson depuis un moment. Mes doigts tremblent, mes pensées se bousculent, elle m'a trahi. Six ans. Six ans sans voir mon fils. Six ans pendant lesquels elle a tout fait pour me le cacher, pour m'éloigner d'eux. Je me laisse envahir par ce flot de rancœur, mais plus je pense à elle, plus je suis assiégé par cette colère glaciale qui me ronge depuis trop de temps. Et maintenant, je veux qu'elle parte. Je veux qu'elle disparaisse de ma vie. Que tout ça cesse. Elle a continué à me mentir en arrivant ici, il étant dans cette ville et elle ne m'a rien dit.

Je suis tellement perdu dans mes pensées que je n'entends même pas la porte claquer. Je n'ai pas conscience de sa présence avant qu'il ne s'approche. Je relève la tête avec un sursaut. C'est Andrew.

Il est là, sur le pas de la porte, la mâchoire serrée et les poings crispés. Ses yeux ne me laissent aucune illusion. Il est furieux.

— Tu es sérieux, Isaac ? La voix d'Andrew est un mélange de dégoût et de colère. Il m'énonce mon prénom comme une accusation, comme si ce nom pouvait, par lui seul, rappeler qui je suis devenu, qui je suis en train de devenir.

— Ne m'appelle pas comme ça, je gronde, mais je suis déjà pris au piège par ses yeux. Je n'ai pas de réponse, juste cette brûlure au fond de ma gorge.

— Je t'appelle comme je veux. Et franchement, tu es qu'un sale gamin pour réagir comme ça. Tu veux virer Vaëlle ? Pour quoi ? Parce qu'elle a survécu sans toi ? Son regard me transperce. Ses mots résonnent comme une gifle. Je veux crier, protester, lui dire qu'il ne comprend pas, que tout ça est trop compliqué pour lui, mais rien ne sort.

Il fait un pas en avant. Tout son corps est tendu, et sa voix, maintenant plus dure, plus désespérée, frappe mes oreilles comme une pluie battante.

— Elle m'a caché mon fils, Andrew ! Je crache mes mots, mais plus je les prononce, plus je sens qu'ils m'éloignent de ce que je croyais être la vérité. C'est moi qui ai été trahi. Moi. Elle m'a tout pris. Et toi, tu l'as aidée.

Il ne me laisse pas finir. En un instant, il se précipite, m'attrape par le col de mon t-shirt et me plaque contre le mur. La douleur dans mes épaules est intense, mais c'est la brûlure dans mes entrailles qui me fait mal. C'est ma propre culpabilité qui me déchire. La rage d'Andrew me déstabilise. Je veux lui crier de me lâcher, mais il ne me laisse pas respirer.

— Tu veux parler de mensonges ? Il me crache ces mots avec une telle force que je sens tout le poids de sa déception. C'est toi qui as brisé Vaëlle. Toi. Pas elle. Tu as joué avec elle, tu as détruit sa vie, et maintenant tu veux la punir pour avoir essayé de recoller les morceaux. Tu es qu'un lâche, Luis.

Ses mots résonnent comme un coup de tonnerre. Je n'ai pas de réponse. Ils font écho à ce que je savais au fond de moi, mais que je n'avais jamais osé affronter. J'ai commis des erreurs, et pas des petites. J'ai tout gâché, encore une fois. Je voulais me protéger. Je voulais reprendre le contrôle sur une situation que je ne comprenais plus. Mais j'ai détruit tout ce qui m'était cher. J'ai brisé Vaëlle. Je l'ai laissée partir. Et maintenant, je veux qu'elle me revienne, alors que je suis le seul responsable de sa fuite. Je ferme les yeux, une douleur sourde me saisissant le ventre. Je suis le seul à blâmer.

Andrew me relâche soudainement, comme si son propre souffle venait de se briser sous le poids de ses mots. Il tombe dans la première chaise qu'il trouve, épuisé par la colère qui l'a traversé. Il respire fort, ses mains tremblent. Mais il n'a pas fini. Il va plus loin. Il pousse un dernier cri, un cri de vérité brute.

— Tu n'imagines pas tout ce qui lui est arrivé ! Tu n'étais pas là ! Toutes ces fois où elle était épuisée, ses douleurs ! Ne lui reproche pas de ne rien t'avoir dit alors que tu as fait en sorte qu'elle parte ! Elle avait besoin de soutien, mais toi, tu avais déjà tout foiré. Il était trop tard pour penser à tes beaux yeux ! Ayden est la meilleure chose qui lui soit arrivée après la mort de Noah, même si ça a été dur et dangereux ! Je l'ai soutenue, moi, alors que toi, tu l'as abandonnée !

Le monde autour de moi se fige. Je n'entends plus rien. Juste ces mots. La mort de Noah. Un coup de poignard en plein cœur. La mention de Noah me transperce. Une douleur intense, insupportable, me serre la poitrine. C'était ma meilleure amie, mon ancre dans ce monde chaotique. Elle avait toujours été là, fidèle, présente. Et je l'ai perdue, de la manière la plus cruelle qui soit. J'ai toujours cru que j'aurais pu la sauver, qu'il y avait quelque chose que j'aurais pu faire. Mais la vérité, c'est que je l'ai laissée partir, que je n'ai pas été là, que j'ai tourné le dos à ceux qui avaient besoin de moi. C'est ma faute. Noah...

Une boule de tristesse m'envahit. Mes yeux se ferment sous l'intensité de la douleur. Elle est partie, me dis-je. Je n'ai rien pu faire.

— Je l'ai perdue, soufflé-je.

Andrew n'a pas l'air de l'entendre. Il continue, comme si ces mots étaient une purge qu'il avait besoin de m'infliger. Je devrais répondre, le contrer, mais je n'ai pas la force. Pas après tout ce qu'il vient de dire. Après tout ce que j'ai fait.

— Elle a failli y passer, merde ! Ouvre les yeux ! Grandis, Luis ! Arrête de te comporter comme un sale gosse pourri gâté, putain ! Comporte-toi comme un adulte maintenant !

Je n'arrive plus à respirer correctement. Mon cœur est lourd, trop lourd. La rage et la culpabilité m'étouffent. Je suis trop fatigué pour me battre, trop épuisé pour m'accrocher à cette colère qui m'a guidé pendant si longtemps. La vérité est là, cruelle et simple : j'ai échoué. J'ai échoué à la sauver. Je l'ai laissée partir. J'ai rejeté tout ce qui comptait.

Je ferme les yeux, et pour la première fois, je prends conscience de l'étendue de mes erreurs. Le temps qu'il me reste ne suffira pas à tout réparer. Mais peut-être qu'il est encore possible de changer. Peut-être que je peux, enfin, arrêter de me cacher derrière mes excuses et faire face à la réalité.

— Je suis allé trop loin, murmuré-je, d'une voix brisée. Trop loin...

La culpabilité, la colère et la tristesse s'entrelacent dans mon esprit, mais je sais que ce n'est que le début. Le début d'une prise de conscience douloureuse, mais nécessaire. Est-ce que je peux encore réparer ce que j'ai détruit ?

~~~

Coucouuuu ! Votre semaine s'est bien passée ? J'avais tellement hâte de vous faire découvrir ce chapitre !!!

Enfin la réaction de Luis ! Alors ? Votre avis ?

En attendant je travaille dur sur la suite 🫢

À vendrediiii
Bisous bisous 😘

Chloé ❤️

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