3- Chez Javier le soir

 Résumé des chapitres précédents:

Javier est en Terminale en Allemand Européen à la Rochelle. Il y a les gros soucis sa grand-mère gravement malade. Il y a aussi les petits bonheurs.

Son lycée organise un voyage scolaire en Allemagne à Lübeck et Javier est déterminé à ne pas y aller.

En Allemagne, au même moment, à Lubeck, Willem réalise qu'il n'a pas oublié l'été de ses quatorze ans et son ennemi, un français odieux.

Personnages principaux :

Javier Rouvière

Willem kostentin Hansknatsche

***

La prof d'allemand nous a lâchés plus tôt, nous étions trop excités par l'annonce du voyage pour songer à travailler. Arrivé chez moi, je suis monté en courant dans ma chambre, pour trouver la pochette des souvenirs que j'ai conservé de la fameuse colonie de vacances. J'ai eu un peu de mal, il m'a fallu faire de la spéléologie au fond d'un placard.

La voilà !

Je lis un prospectus, et merde ! C'est bien des adolescents de cette ville de Lübeck qui étaient venus nous rejoindre à Fouras, toujours à cause de ce foutu jumelage de merde ! J'ai le programme, des diplômes de navigation qu'on a passés, des bibelots, des cartes que nous nous étions échangés.

J'ai un dessin signé avec un cœur de Willem-Konstantin. Il y a aussi les photos du séjour que je n'avais pas regardé depuis un moment, elles avaient été imprimées par notre monitrice, avant notre guéguerre. Nous sommes tous les deux sur un bateau. Il est si beau. Je ne vois que lui parmi le groupe des adolescents : le grand blond mignon.

Je croyais avoir plus oublié que ça, c'est si étonnant. Les souvenirs me reviennent, sa tendresse. Je nous revois comme le petit couple digne de Philémon et Baucis, quant tout allait bien. Mine de rien, à nous deux nous, nous avons déclenché la troisième guerre mondiale franco-allemande et foutu une belle pagaille à la colo.

Bon, la ville de Lübeck est grande, bien plus peuplée que La Rochelle et ici nous avons quatre lycées. Il y en a autant là-bas, donc la probabilité que je retombe sur lui est très, très faible et même minime, mais il n'est pas question de risquer le coup !

Je l'avais complétement oublié, mais depuis que la prof a parlé du voyage, c'est immédiat, je ne pense qu'à lui. Je ne l'avais pas effacé de ma mémoire, juste ensevelie.

Après un moment à ressasser des souvenirs, je descends rejoindre ma grand-mère qui jardine.

La longère a un grand jardin tout en longueur, avec une végétation abondante, dont de nombreux arbres fruitiers et des massifs de fleurs.

Il fait doux pour ce mois de novembre. Mamie s'occupe de son potager, elle porte un jean et un pull beige, un foulard coloré sur la tête qui la protège du froid, ses cheveux n'ont pas vraiment repoussé depuis l'arrêt des traitements.

Je vais lui faire un câlin et elle me serre dans ses bras.

─ Te voilà ! Tu étais passé où ?

Elle m'enlace et me désigne les plantations.

─ Viens m'aider, si nous voulons un beau jardin. J'ai prévu des salvias, des hortensias et il faut qu'on paille les roses trémières.

Ce qu'elle ne précise pas, c'est si terrifiant, c'est qu'elle ne sera plus là pour admirer la floraison. Elle ne se plaint pas et je me sens si impuissant et si lâche !

Après un moment, nous rentrons et elle s'installe dans sa chaise longue en poussant un soupir de soulagement. Le salon est meublé à l'ancienne, avec des draperies, un papier peint usé orange et de la vaisselle délicate accrochée sur les murs. Je m'installe près d'elle avec mon ordi pour faire mes devoirs plutôt rapidou.

─ Javier, tu veux m'apporter une tisane ? Tu avais quoi de si urgent à courir comme un dératé à ta chambre ?

─ Rien mamie. Je voulais vérifier un truc.

Je prépare le repas pour nous deux, une soupe et une quiche. Sara rentrera plus tard puisqu'elle termine son service à vingt heures. Elle a prévu de me parler et moi il faut que je règle le sujet de ce foutu voyage.

─ Tu es bien soucieux ?

─ Non pas du tout.

Je mens comme un arracheur de dents.

─ Tu as des soucis avec Sam ?

Je proteste avec véhémence, je n'ai aucun souci avec lui. Bon la rupture a été un peu compliquée et je ne tiens pas à en parler à ma grand-mère. Je ne veux rien lui dire qui pourrait l'inquiéter. Certes, il insiste pour recoller les morceaux, mais ce midi je lui ai parlé franchement et il semble avoir enfin compris.

Ma grand-mère est au courant de mon homosexualité comme ma mère. Les deux ont trouvé que c'était cool. Bon Sara n'a pas pu s'empêcher de supposer que c'était un effet de mode, ou alors que je le faisais exprès pour l'embêter.

Mais pardon, le fait que je craque sur certains mecs n'a rien à voir avec elle.

─ Tu ne me parles pas de tes vidéos ? s'étonne ma grand-mère.

Elle s'est mise sur les réseaux pour me suivre. Elle adore regarder mes exploits et souvent me donne des idées, des trucs de vieux, auxquels je n'aurai jamais pensé. Elle m'a pris la main et me la serre. J'admire sa main toute fripée et lui avoue ce qui m'ennuie.

─ Ma prof d'allemand veut organiser un voyage scolaire en Allemagne et je ne veux pas y aller ! Tu connais maman ! Je vais avoir du mal à la raisonner.

─ Et pourquoi ne pas y aller ? ça pourrait te plaire ?

Je me frotte les cheveux, peu fier de moi, il est temps d'avouer mes conneries.

─ J'ai fait un truc pas cool, une fois à un mec... heu à un Allemand. Je ne veux pas le recroiser. Jamais !

Elle me regarde par-dessus ses lunettes en buvant une gorgée de sa tisane.

─ Tout de suite le drame ! Vous les jeunes, vous êtes si intense !

Ma grand-mère rigole.

─ Mamie, c'est sérieux ! Comment tu peux prendre à la rigolade mes problèmes ?

Je suis un peu agacé par ses moqueries, cependant elle m'a fait du bien. Je réalise que j'ai peut-être, en effet, un peu dramatisé. Ce gars doit m'avoir oublié, après tout, moi aussi je l'avais complètement oublié. Je me sens un peu rasséréné.

On mange, puis je l'aide à se coucher. Elle a du mal à monter les escaliers et il lui arrive d'avoir des vertiges.

Ensuite, je n'ai plus qu'à aller attendre ma mère de pied ferme de son côté de la maison, parce que malgré tout, je ne cèderais pas, je n'irais pas !

─ Tu es là, s'exclame Sara, en arrivant peu après. Laisse-moi quelques minutes pour me doucher et me changer puis nous discuterons !

Je lui fais un signe d'y aller, grand seigneur.

Quand elle redescend peu après, vêtu d'un caleçon long et tee shirt, on dirait qu'elle a mon âge. Elle veut me parler, mais j'ai lancé un jeu sur mon téléphone, je suis en pleine game.

─ Attend cinq minutes ! je demande à mon tour. C'est important.

Elle cède, résignée.

J'ai terminé ma partie et je checke mes potes avant de retourner in real life à regret, pendant ce temps, elle a préparé son diner et s'est attablée. Je m'installe contre elle.

─ Alors tu voulais me parler ?

─ Tu es si beau mon garçon ! Tu ressembles de plus en plus à ton père, un loustic facétieux !

─ Merci, Sara, c'est vrai que je suis une star au lycée. C'est de ça que tu voulais me parler ?

─ Non malheureusement, je voulais te prévenir que le mal de mamie progresse vite ....

Elle n'ajoute rien, inutile, j'ai compris ce qu'elle veut me dire, et je ne veux pas me préparer.

Quelle manie de vouloir que les gens se préparent, comme si on pouvait affronter vaillamment ce genre d'épreuve ! Elle n'a que ce mot-là à la bouche : prépare-toi !

Je ne suis PAS P. R. E. T. et je ne le serai jamais !

─ Ellyas me fait des misères depuis que nous avons rompu, surtout ne t'approche pas de lui.

Il n'y a pas de danger !

Ellyas, son dernier ex. Tous les soirs, ils se disputaient : Il la traitait de conne ! Ma grand-mère et moi, on devait assister à ça, impuissants.

─ Ellyas ! Ma pauvre Sara ! Je ne vois pas lequel c'est !

C'est plus fort que moi, ma mauvaise foi ressort. Il faut dire qu'il y en a plusieurs qui m'ont menacé et un qui m'a frappé, alors ses mecs je les déteste tous.

Elle ricane amusée par mon manège.

─ Le dernier en date ! Il veut que je lui rembourse les travaux qu'il a fait dans la maison. Ne me regarde pas comme cela, je n'ai rien demandé, c'est lui qui a insisté pour bricoler à l'époque ! Il trouvait que ce serait bien de refaire la salle de bains, il ne m'a jamais précisé qu'il m'adresserait la facture si on rompait.

Elle n'avait en effet rien demandé, je le sais bien ! Mais maintenant il faut qu'elle aille en justice pour se défendre. Elle comprendra quand ? Que ces aventures ne mènent à rien ! et que ça finit toujours mal. Elle n'en choisit jamais un seul de bien ! Est-ce que je serai comme elle plus tard ? Toujours à choisir les foireux ?

Après l'avoir rassurée sur le fait que je ne monterai jamais dans une voiture avec Ellyas, elle semble enfin considérer le sujet comme clos.

─ Maman ?

Elle sursaute surprise que je l'appelle ainsi.

─ Moi aussi il faut que je te parle. Ma classe va partir en Allemagne à Lübeck fin avril, entre les premières épreuves et celles de juin.

─ C'est merveilleux !

─ Je ne veux pas y aller ! j'ai un ton affirmatif, je dois l'emporter.

─ Mais ...commence Sara.

Je la coupe, soucieux de la convaincre.

─ Laisse-moi t'expliquer ... je n'ai pas envie de te laisser seule et surtout il n'est pas question que je m'éloi...

Je n'arrive plus à respirer et à parler une minute. Je respire un coup et reprends :

─ Que je m'éloigne de mamie en ce moment. Bon il y a aussi une autre raison sordide.

Elle sourit, sceptique, comme mamie, elle ne se rend pas compte.

─ Quand j'ai été en vacances à Fouras, avec des jeunes Allemands, là où tu as absolument voulu que j'aille ! ...alors que je ne voulais pas y aller !

─ Tu as passé des vacances à faire des activités, vous les jeunes vous n'êtes jamais contents ! Tu n'avais que quatorze ans, je n'allais pas te laisser toute la journée sur ton ordinateur.

─ Tu aurais peut-être dû ! En fait j'ai vraiment joué au con, j'ai embêté un des Allemands, je n'ai pas d'excuse, franchement, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Ce mec ne s'est pas laissé faire et nous deux ça a dégénéré. On n'arrêtait pas de se faire des vacheries et si je vais dans son pays, je serai en position de faiblesse.

Et ça, il n'en est pas question ! Je ne suis jamais faible !

─ Je ne veux pas le revoir.

─ Donc, tu as peur de tomber sur lui, en allant en Allemagne ?

─ Oui tu dois savoir ce que c'est, toi, les mecs menaçants.

─ Javier ! Ne sois pas insolent !

─ Désolé maman, mais je ne veux pas y aller !

Elle se lève, vient m'enlacer en m'ébouriffant les cheveux. Elle lève les bras en l'air en signe de reddition.

─ Très bien ! Très bien ! Tu n'iras pas, voilà, je signe tout ce que tu veux ! Tu es content ?

Je suis drôlement soulagé que ma mère accepte, pour une fois qu'elle m'écoute. Ellyas doit lui en faire baver pour qu'elle soit aussi compréhensive. Une corvée de résolue, je n'irai pas en Allemagne ! Sauvé !

─ Au fait le week-end prochain, tu fais quelque chose avec ton petit copain ? demande ma mère.

─ Non je l'ai largué, il me saoulait, je suis célibataire.

─ Mon pauvre chou !

Elle m'enlace en me serrant fort. Je la laisse me câliner un moment avant de me dégager.

─ Je suis heureux d'être libre, il ne voulait jamais m'embrasser, comme s'il n'aimait pas vraiment les mecs et je ne le trouvais pas très drôle !

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