1- Javier Rouviere 18 ans à La Rochelle

Jeudi 10 novembre La Rochelle

Javier

                    - Conversation de groupe de la classe de Terminale 6 -

              Yes ! Hé ! vous avez vu mon nombre de vue sur mon site ? La vidéo sur laquelle je fais du VTT sur la plage a totalisé 10K ! Je suis une star ! hé Mmwouaais les gars ! Vous vous prosternerez devant moi tout à l'heure !

Je repose mon téléphone fier de ma connerie, heureux de mon succès, la tête pleine de rêve de gloire alors les notifications sonnent déjà en pagaille.

Je cours partout pour rassembler mes affaires à la recherche de mon livre d'anglais qui a disparu. J'ai une chambre immense, aux murs décorés d'un papier peint démodé - c'est une longue histoire qui implique une mère pas très fiable. Mon ordinateur n'est pas éteint et clairement, je n'aurais pas dû jouer autant cette nuit, je suis crevé.

Ha ha ! Mystère résolu ! Mon livre d'anglais était là ! Caché sous mon ordi qui chauffait trop, il m'a servi à le surélevé.

Mon sac enfin prêt, je me regarde dans la glace avant de partir, histoire de vérifier ma tenue, un jean foncé étroit et un sweat à capuche. Je me maquille légèrement les yeux, trois fois rien et recoiffe mes cheveux hirsutes savamment ébouriffés. Je fais semblant de me donner un coup de poing dans le menton, fier de moi. J'ai des taches de rousseur et des yeux noisette. Un air méga-mignon.

Quand j'avais une dizaine d'années, ma mère m'avait inscrit à un concours d'enfant mannequin et depuis il m'arrive de faire des pubs et des photos, quand ils ont besoin d'un beau gosse en affiche. Cependant, je ne suis pas assez grand pour en faire ma profession, sans regret.

─ Javier, dépêche-toi ! Tu vas être en retard ! hurle ma mère depuis la cuisine.

Je descends en courant et fonce dans la cuisine pour m'assoir près d'elle. Une cuisine ancienne, de la tomette au sol et des meubles de bois chaleureux. Une horloge-coucou martèle bruyamment les minutes qui passent.

Ma grand-mère ne s'est pas levée, son état empire et comme à chaque fois que j'y pense, l'angoisse m'assaille et mon humeur s'assombrit immédiatement.

Sara tient son bol devant elle, le regard vide et semble bien songeuse. Je préfère l'appeler Sara que maman. Elle est en survêtement et mettra son uniforme d'infirmière à l'hôpital, avant de partir, elle va s'occuper de mamie.

Elle boit du café et prétend ne rien pouvoir avaler le matin.

Moi, c'est le contraire, je suis affamé le matin et je me prépare un énorme bol plein à ras bord de céréales et de lait d'avoine. J'ai eu une allergie aux protéines de lait de vache nourrisson et je suis incapable d'en boire désormais.

─ Quelle énergie tu as ! Tu me fatigues ! On dirait que tu es monté sur ressort !

Elle caresse sans gêne mes cheveux châtains, et m'ébouriffe tout en regardant machinalement un grand portrait accroché au mur de la cuisine. Il représente un homme appuyé sur une moto. Il est beau cet inconnu qui serait mon père, et je lui ressemble de plus en plus.

Même pour la petite taille.

─ J'aurais dû t'appeler zébulon ! se moque t'elle.

─ Cela aurait été mieux que Javier !

─ Sale gosse ingrat !

─ Moi aussi je t'aime, je lui réponds.

Après une bataille rangée de câlin, elle veut m'embrasser et je ne veux pas, nous reprenons notre petit déjeuner, calmés tous les deux. Sara lit sur son téléphone et je traine sur les réseaux, en mangeant bruyamment.

Sur la conversation de groupe les félicitations, les délires, et les engueulades pleuvent. Jusqu'à ce qu'Alexandra, la reine-fayote rappelle que c'est le groupe de discussion sur les devoirs et que je fais chier. Elle menace de m'exclure si je continue, c'est moi qui vais l'exclure avant.

En face du prénom de mon ex, le chiffre en rouge de trente-sept m'interpelle. C'est le nombre de messages qu'il m'a laissé depuis hier soir et que je n'ai pas lu.

Je viens de dire à Sam que je souhaitais rompre et je vais raser les murs pour l'éviter au lycée. Je soupire, me voilà à nouveau célibataire.

─ Tu mettras ton blouson ?

Ma mère m'a interrompu de mes pensées et je hoche la tête en pensant in petto « quand les poules auront des dents ». Il ne fait pas assez froid pour m'encombrer d'une doudoune.

Il va être temps d'y aller, j'ai calculé pour arriver juste avant la sonnerie, afin de ne pas croiser Sam et son regard larmoyant. Il va bien falloir qu'il se remette quand même.

─ Javier ! J'aurais voulu te parler, se décide Sara.

─ Trop tard Sara, je n'ai pas le temps là ! Je vais en cours.

─ Javier, nous discuterons ce soir ! insiste ma têtue de mère.

Elle m'a rejoint sur le pas de la porte du jardin. La connaissant, elle veut sans doute me parler d'un nouveau mec ou alors la santé de mamie se dégrade.

Sara, mon tourment perpétuel ! Elle est cool, gentille, avec un petit défaut insupportable : elle est une vraie nunuche avec les hommes qui défilent dans sa vie. Nous habitons avec ma grand-mère maternelle, Marie, dans sa maison tout en longueur, sur un jardin fleuri.

La longère possède deux entrées séparées et mamie a prévu une séparation avec une porte de communication. A huit ans, j'en ai eu assez de l'amant pénible du moment, alors je me suis installé chez ma grand-mère. D'où la déco vieillotte de ma chambre. Si ma mère est célibataire, nous laissons la porte qui sépare les deux parties de la maison ouvertes, dès qu'elle a un mec nous fermons à clé.

C'est un code entre nous trois. Nous lui avons demandé de ne plus nous présenter ses amants successifs, ils sont tous nuls et il n'y a rien à en tirer.

Que vais-je devenir quand il n'y aura plus mamie ?

Je frissonne, terrifié et me dépêche de m'éloigner en pédalant. Plus loin, je tente des sauts en pensant à des sujets plus sympas : mes prochaines vidéos.

Nous habitons avenue des Corsaires à La Rochelle, tout un programme et selon moi c'est le destin une adresse aussi cool. Pourtant nous ne sommes pas à côté de l'océan. Je hume cependant aujourd'hui un air marin parfumé d'embruns.

Les petites routes de la vieille cité-forteresse sont calmes. J'ai un cadre magnifique comme terrain de jeu, trop tranquille en hiver et surpeuplé en été.

Je rejoins devant chez David mes potes. Nous n'avons que le temps du trajet pour bavarder, puisque nous ne sommes plus dans les mêmes classes. David a pris les options littérature et dessin, et Sofiane a choisi l'informatique. Ils ont choisi en fonction de leur passion, moi j'ai fait le contraire et j'ai procédé par élimination, ce que je ne voulais pas faire : il est resté les sciences.

Les deux garçons sont en couple, ils ont eu la chance de se trouver. Ils sont mes associés dans notre chaine en ligne ou nous diffusons de vidéos sportives de VTT. David, le blond au look surfeur sexy, fait des figures à vélo avec moi et Sofiane est doué avec tous les logiciels, c'est lui qui s'occupe de filmer et du montage des vidéos. Souvent Il nous accompagne en VTT, il a fait des progrès à force de nous fréquenter.

Nous arrivons au lycée Saint Exupéry, le nom est inscrit sur un fond bleu d'une grille un peu vieillotte qui a souffert des tempêtes. Le bâtiment principal en façade ressemble à un bateau blanc tassé et derrière, les salles de cours sont dans une immense bâtisse de pierre grise de la région. Je laisse mes copains se faire des câlins sur le parking et me dirige vers ma classe.

Alerte à l'ex larmoyant à dix heures !

Vite, je file par les couloirs du réfectoire pour l'éviter. Je suis dans une classe d'allemand européen, nous apprenons l'histoire et la géographie dans la langue de Goethe. Nous sommes censés être bilingues, disons que nous nous débrouillons. Je n'ai aucune raison particulière d'avoir choisi cette langue, pas de famille dans ce pays. C'est à la base, juste un autre délire de Sara, son premier amour était allemand et elle a insisté pour que j'apprenne cette langue. Cela ne me dérange pas, j'aime bien.

Parfois je me demande si mon père n'a été qu'un mec de passage, puisqu'aux dernières nouvelles il n'était pas allemand. C'était un petit brun dont j'ai tout hérité, mais que je n'ai jamais connu. Il est mort dans un accident de moto alors que Sara était enceinte. Ma mère prétend qu'elle l'a aimé plus que tout, qu'il était le meilleur, parti trop vite.

Le midi, Sam est encore venu pour me parler alors que j'étais avec mes potes. Il n'a vraiment pas compris le sens des termes : c'est fini !

Milo se fout de moi, s'étonnant que ce soit aussi dur de larguer un mec que de larguer une fille ! Hélas il a raison.

Nous terminons la journée avec un cours d'allemand, après sport cherchez l'erreur ! C'est horrible, nous avons tous envie de dormir.

─ Guten tag, les jeunes, fait la prof.

Elle est sympa avec un nom atroce : Elsa Rotenbucherberg.

─ J'ai une merveilleuse nouvelle, allons rentrez vite, dépêchez-vous !

─ Allons bon qu'est-ce qu'elle a cette folle ! bougonne India à côté de moi.

─ Nous allons partir quinze jours en Allemagne dans le cadre d'un échange scolaire, couine la prof, mettant fin au suspense.

Les murmures enflent dans la classe. Des élèves commencent déjà à dire que leurs parents ne pourront pas payer. Tandis que moi je râle, mais simplement parce que ce sera non.

─ Nous allons caser le séjour après le bac blanc et les vacances d'avril. Surtout bonne nouvelle, le budget est riquiqui et tous ceux qui ont besoins devront se signaler pour des aides. Je ne vous en avais pas encore parlé tant que ce n'était pas sûr, pour vous faire la surprise.

Tu parles d'une surprise !

Les élèves posent des questions, ils commencent à s'exciter tous, c'est vrai que quinze jours sans cours, même si c'est en Allemagne, c'est intéressant.

La classe se transforme en une ruche où tout le monde parle en même temps. Elsa a bien du mal à ramener le calme.

─ Laissez-moi parler ! J'ai des choses importantes à vous dire ! Les dates du voyage sont du 23 avril au 7 mai. Nous rentrerons bien vite, ensuite, et vous mettrez les bouchées doubles, pour passer le bac, explique la prof.

Ses propos sont suivis de murmures de protestation en chœur. Elle lève la main, imposant le silence.

Elle commence la distribution des dossiers d'inscriptions en continuant de parler :

─ Je vous distribue des dossiers à me rendre avec l'accord de vos parents, il me les faut au plus tard avant le premier jour des vacances de février. Pour les demandes d'aides de la coopérative et du département, surtout donnez-moi les dossiers le plus vite possible ! Je vous ai mis un descriptif du programme, des villes que nous visiterons. Ce sera chouette, nous irons au lycée avec eux. J'ai beaucoup travaillé avec mon homologue allemand, et des familles bénévoles pourront vous loger.

Je regarde le dossier devant moi, dépité. J'ai plusieurs solutions, le remplir à la place de ma mère en refusant le voyage. Je peux sans doute, aussi, plaider ma cause auprès de ma grand-mère, sauf qu'elle risque de me renvoyer à la case départ : ma mère.

Chez nous, en ce moment ce n'est pas la joie, mamie est très faible et le dernier ex de ma mère est un méchant qui rôde menaçant. Si je parle de ce voyage à Sara, sûr qu'elle va vouloir que j'y aille.

L'Allemagne, ça ne me dit rien du tout ! Parce qu'une fois, j'ai été très con avec un Allemand, genre pas du tout cool, heureusement c'est de l'histoire ancienne et j'ai changé depuis, en mieux !

Bref, c'est grâce à ce mec que je sais que je suis gay.

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