5.
Deux soirs plus tard, je faisais trempette dans ma baignoire après une session de muscu éprouvante quand j'entendis Niall pousser un cri de joie. Je me tournai vers la porte en haussant un sourcil, et ne fus pas surpris d'entendre frapper deux secondes plus tard.
« Je peux entrer ? » s'enquit-il en riant.
A l'évidence, la nouvelle qu'il avait reçue ne pouvait pas attendre. Je m'assurai d'être suffisamment recouvert de mousse au niveau de mon anatomie masculine.
« Bien sûr. » répliquai-je alors.
Le battant pivota, et Niall se glissa à l'intérieur avec une bière dans chaque main et une expression béate sur le visage. Je le délestai d'une bouteille et fus contaminé par son sourire.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
« Eh bien... » il rayonnait littéralement. « ...après six mois horribles, Harry a fini par larguer Taylor. »
Je ricanai dans ma bière, malgré mon ventre qui se noua instantanément.
« C'est ça, ta nouvelle si excitante ? »
Niall me contempla comme si je venais de proférer une insanité.
« Bien sûr ! C'est la meilleure nouvelle du siècle. Taylor était la pire d'entre toutes. Tu sais, je crois que la soirée au bar lui a été fatale. Harry était mort de honte. Il était plus que temps qu'il se débarrasse de cette plaie égocentrique, bipolaire et dépensière. »
J'acquiesçai en repensant au flirt éhonté auquel il s'était adonné avec moi.
« Ouais, il aurait sans doute fini par la tromper de toute façon. »
Toute trace de joie disparut soudain du visage de Niall qui me toisa méchamment. J'arquai un sourcil surpris.
« Harry ne ferait jamais un truc pareil. »
Il le tenait vraiment en haute estime. J'inclinai la tête en arborant un rictus cynique, ce qui devait me conférer un air de tête à claques condescendante.
« Je t'en prie, Niall. Il flirte avec tout ce qui bouge. »
Il m'examina un instant, puis s'adossa au mur carrelé sans se soucier de la buée qui le recouvraient et qui devait inonder le dos de son sweet. Sa jubilation avait vraisemblablement succombé à mon négativisme.
« Il y a une chose que tu dois savoir à son sujet. Il ne tromperait jamais personne. Il est loin d'être parfait, j'en suis bien conscient. Mais disons qu'il ne se montrerait jamais aussi cruel ou malhonnête envers quiconque. Chaque fois qu'il s'est épris d'une autre alors qu'il était en couple, il a fait preuve d'une grande honnêteté et a rompu avant de démarrer autre chose. Je ne dis pas que c'est un comportement exemplaire, mais au moins, c'est honnête. »
Intrigué par son côté catégorique, j'avalais une gorgée de bière avant de demander :
« Est-ce que quelqu'un l'a déjà trompé ? »
Il m'adressa un sourire triste.
« Ce n'est pas à moi de te répondre. »
Waouh. Si même Niall ne voulait pas en parler, c'est qu'Harry avait vraiment dû souffrir.
« Disons que c'est un coureur. Il est parfaitement monogame, bien qu'il passe d'une relation à une autre. Taylor a duré plus longtemps que la plupart d'entre elles. Je pense que c'est parce qu'elle partait régulièrement dans le Sud. » Il m'examina d'un air taquin, presque entendu. « Je me demande bien quelle personne a bien pu retenir son attention, cette fois. »
Je l'étudiai avec soin. Etait-il au courant? Avait-il perçu l'étincelle entre nous ?
« Et je me demande si c'est cette personne qui lui remettra les pieds sur terre. Il a bien besoin qu'on le bouscule un peu. »
Je marmonnai une réponse incohérente, refusant d'alimenter ses soupçons à mon égard.
« Désolé de t'avoir dérangé pendant ton bain. »
« Non, pas de problème. » Je brandis ma bière vers elle. « Tu m'as apporté une bière. On est quitte. »
« Tu as déjà trompé quelqu'un ? »
Waouh. Ça avait le mérite d'être direct.
« Alors ? »
S'agissait-il d'un entretien prénuptial ?
Je le regardai droit dans les yeux afin qu'il comprenne que j'étais on ne peut plus sérieux et répliquai avec sincérité, faisant confiance à Niall pour ne pas me pousser dans mes retranchement :
« Je n'ai jamais été assez proche de quelqu'un pour que la question se pose. » Ma réponse parut le démonter, ce qui semblait confirmer ma théorie selon laquelle il envisageait quelque romance entre Harry et moi. « Je n'aime pas les relations durables, Niall. Je n'ai pas ça dans le sang. »
Il acquiesça, légèrement perdu.
« J'espère pour toi que cela changera. »
Jamais.
« Peut-être. »
« Bon, je te laisse à ton bain. Oh. » Il s'arrêta et se tourna vers moi. « Ma mère prépare chaque dimanche un gros rôti pour toute la famille. Tu es invité, cette semaine. »
Une soudaine vague de froid s'abattit sur moi, et je frissonnais. Je n'avais plus participé à une réunion de famille depuis le lycée.
« Oh, je ne voudrais pas m'imposer. »
« Tu ne t'imposes pas. Et je ne t'autorise pas à refuser. »
J'arborai un sourire timide et vidai ma bouteille d'une traite dès qu'il eut fermé la porte. En sentant le liquide me réchauffer, je priai pour un miracle qui me permettrait d'échapper à cette grand-messe dominicale.
Le vendredi soir, j'étais en retard pour le travail. Niall avait décidé de préparer le dîner, qui s'était révélé être un désastre sans nom. Nous avions donc décidé d'aller manger dehors, et avions perdu la notion du temps en discutant longuement sur nos travaux respectifs -ses recherches et mon roman. Niall était rentré se coucher à cause d'une migraine subite, et j'avais couru jusqu'au bar. En passant devant le comptoir pour rejoindre la salle du personnel, j'adressai à Jo un regard d'excuse. J'étais en train de fourrer mes affaires dans mon casier quand mon portable se mit à sonner.
C'était Zayn.
« Salut beau gosse, je peux te rappeler pendant ma pause ? Je suis déjà en retard. »
Zayn renifla à l'autre bout du fil.
« D'accord. »
Mon cœur s'arrêta de battre. Zayn était-il en train de pleurer ? Il ne pleurait jamais. Nous ne pleurions jamais.
« Zayn, qu'est-ce qui se passe ? »
Le sang me battait aux tempes.
« J'ai rompu avec James. »
Sa voix se brisa en même temps que mes certitudes.
J'imaginais leur couple solide. Indestructible.
Merde.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? »
Bon sang, James l'avait-il trompé ?
« Il m'a demandé en mariage. »
Un long silence s'installa entre nous, le temps que j'assimile l'information.
« Il t'a demandé en mariage, et donc, tu l'as largué ? »
« Bien sûr. »
Quelque chose m'échappait.
« Je ne comprends pas. »
Il grogna. Littéralement.
« Comment se fait-il que toi, plus que n'importe qui d'autre, n'arrive pas à comprendre, Louis ? C'est précisément pour ça que je t'appelle ! Putain, toi, tu es vraiment censé piger ! »
« Eh bien, non, alors arrête de me hurler dessus. » rétorquai-je en ressentant un pincement au cœur pour ce pauvre James.
Il adorait Zayn. Sa vie entière tournait autour de lui.
« Je ne peux pas l'épouser, Louis. Je ne peux pas épouser qui que ce soit. Le mariage vient toujours tout gâcher. »
J'eus soudain un éclair de lucidité. Nous venions de mettre un pied dans la zone interdite. Il était question des parents de Zayn. Je savais qu'ils étaient divorcés, mais rien de plus. Si mon ami avait décidé de tourner le dos à James, l'histoire devait être bien pire, bien plus complexe.
« James n'est pas ton père. Vous n'êtes pas tes parents. Il t'aime. »
« Putain, Louis ! Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de mon ami ? »
Je marquai une pause. Peut-être que je passais effectivement trop de temps avec Niall. Il déteignait sur moi.
« Désolé. » maugréai-je.
Zayn poussa un soupir de soulagement.
« Donc tu penses que j'ai fait ce qu'il fallait. »
« Non. » répliquai-je en toute honnêteté. « Je crois que tu as la trouille, mais de trouillard à trouillard, je sais que personne ne pourra te faire changer d'avis. »
Nous demeurâmes silencieux, nous contentant chacun d'écouter la respiration de l'autre, sentant ce lien qui nous unissait, ce soulagement de savoir qu'il existait une autre personne au monde aussi dérangé que nous.
« Tu as déjà envisagé les conséquences, Zayn ? » finis-je par murmurer. « C'est-à-dire, imaginer James avec quelqu'un d'autre ? »
Il me répondit par un bruit étouffé. Mon cœur se serra.
« Zayn ? »
« Il faut que j'y aille. »
Il raccrocha. Et d'une façon ou d'une autre, je compris qu'il raccrochait pour pleurer. Nous ne pleurions jamais.
Pris d'un accès de mélancolie, je lui envoyai un texto lui conseillant de bien y réfléchir et de ne pas prendre de décision hâtive. Pour une fois; je regrettais d'être aussi déglingué, d'être incapable de tomber amoureux et d'offrir à Zayn cette épaule forte à laquelle se raccrocher ou de lui donner l'exemple. Au lieu de quoi, je servais d'alibi à son attitude irrationnelle. Je l'avais involontairement encouragé dans cette voie.
« Louis ? »
Je levai les yeux vers Craig.
« Ouais ? »
« Un coup de main, s'il te plaît ? »
« Oui, bien sûr. »
« Ça te dit une petite baise après le boulot ? »
« Non, Craig. »
Je secouai la tête et le suivi hors de la pièce, trop déprimé pour plaisanter.
Le dimanche arriva sans crier gare ; j'étais tellement préoccupé par mon livre et par Zayn -qui ne cessait de filtrer mes appels-, et si terrifié à l'idée d'appeler James, craignant de sentir mon cœur se briser de nouveau en le découvrant complètement dévasté, que je n'eus pas le moindre début d'occasion de réfléchir à une excuse pour éviter le repas de famille de Niall.
Nous nous retrouvâmes donc tout deux dans un taxi ; j'avais enfilé mon short en jean et un simple tee shirt blanc ainsi qu'une bonne paire de Ray Ban pour célébrer la présence d'un soleil radieux. Nous prîmes la route de Stockbridge et arrivâmes à peine cinq minutes plus tard devant un appartement qui ressemblait énormément au nôtre.
Je ne fus donc pas surpris de découvrir un intérieur similaire, avec des pièces immenses, de hauts plafonds et un confortable désordre qui n'était pas sans me rappeler celui de mon colocataire. Au moins, je savais d'où il tenait ça.
Elodie Nichols m'accueillit à la française, en m'embrassant sur les deux joues. A l'instar de son fils, elle était grande, belle et délicate. Bizarrement, je m'attendais à ce qu'elle ait un accent, alors que Niall m'avait prévenu qu'il s'était installé en Ecosse à l'âge de quatre ans.
« Niall m'a tant parlé de toi. Il m'a dit que vous étiez rapidement devenus amis. Je suis tellement content. J'étais un peu inquiète quand il m'a annoncé vouloir prendre un colocataire, mais tout s'est bien passé. »
J'eus l'impression d'avoir à nouveau quinze ans. Elodie avait une façon très maternelle de s'adresser à moi.
« Oui, en effet. » répondis-je d'un ton avenant. « Niall est génial. »
Elodie rayonna, ce qui lui fit perdre vingt ans et ressembler énormément à son fils.
Puis on me présenta Clark, une sorte de type quelconque aux cheveux bruns et au sourire agréable.
« Niall nous a dit que vous étiez auteur ? »
J'adressai à mon ami un sourire empreint d'ironie.
C'est ce qu'il répétait à tout le monde.
« J'essaie de le devenir. »
« Et qu'est-ce que vous écrivez ? » s'enquit Clark en me tendant un verre de vin.
Nous nous étions rassemblés dans le salon tandis qu'Elodie allait surveiller la cuisson en cuisine.
« De la fantaisie. Je travaille sur une série. »
Les yeux de Clark s'écarquillèrent légèrement derrière ses lunettes.
« J'adore la fantaisie. Vous savez, je serais ravi de lire votre manuscrit avant que vous l'envoyiez à un éditeur. »
« Vous voulez dire en tant que premier lecteur ? »
« Oui. Si ça peut vous aider ? »
Me rappelant que Clark enseignait à l'université et avait l'habitude de noter des copies, je fus secrètement très heureux de sa proposition. Je lui souris avec reconnaissance.
« Ça serait super. Ça me rendrait un grand service. Cependant, je suis encore loin d'avoir fini. »
« Eh bien, le moment venu, n'hésitez pas. »
Mon sourire s'élargit.
« Entendu. Merci. »
Je commençais tout juste à me dire que j'allais peut-être survivre à cette réunion de famille quand j'entendis des rires d'enfants.
« Papa ! »
La voix d'un jeune garçon retentit depuis l'autre bout du couloir, puis son propriétaire se présenta dans l'embrasure de la porte. Il courut jusqu'à Clark, pétillant d'excitation. Je devinai qu'il s'agissait de Declan, le demi-frère de dix ans.
« Papa, regarde ce que Harry m'a acheté ! »
Il brandit une Nintendo DS et deux jeux sous le nez de son père. Ce dernier les contempla en souriant.
« C'est celle que tu voulais ? »
« Ouais, c'est le dernier modèle. »
Clark leva les yeux en faisant claquer sa langue d'un air faussement désapprobateur.
« Son anniversaire n'est que dans une semaine. Tu le gâtes trop. »
Je me retournai subitement, et mes paumes devinrent moites dès que j'aperçus Harry, la main posé sur l'épaule d'une sorte de Niall miniature et féminin. L'adolescente était collée à lui ; sa frange épaisse et ses cheveux courts étaient étonnamment seyants pour une fille de son âge. Je ne m'attardais toutefois pas longtemps sur celle qui devait être Hannah. Non, mes yeux remontèrent d'eux-mêmes vers Harry pour le dévorer tout entier.
Une vague de désir déferla dans mes veines.
Il portait un jean noir et un tee-shirt gris. C'était la première fois que je le voyais en tenue décontractée, la première fois aussi que j'avais accès à ses biceps bien dessinés et à ses larges épaules.
Sentant mon entrejambe palpiter, je détournai rapidement la tête, détestant mon corps de réagir ainsi.
« Je sais. » répondit Harry. « Mais je ne voulais pas passer un dimanche de plus à entendre Dec me casser les oreilles avec cette fichue console. »
L'intéressé se contenta de ricaner, son regard triomphal se posant alors sur son écran tandis qu'il s'avachissait au pied au pied de son père pour commencer une partie de Super Mario Bros.
« Regardez ce que j'ai eu. »
Hannah exhiba quelque chose qui ressemblait à une carte de crédit. J'espérais sincèrement que ça n'en était pas une.
Clark loucha dessus.
« C'est quoi ? »
Le visage de sa fille s'illumina.
« Une énorme carte-cadeau pour la librairie ! »
« Super. » Niall lui rendit son sourire et écarta les bras pour l'embrasser. « Qu'est-ce que tu vas acheter ? »
Sa petite sœur se précipita vers lui et se glissa sous son bras tout en prenant place sur le canapé. Hannah m'adressa un sourire timide avant de répondre à Niall.
« Il y a une nouvelle série sur les vampires qui m'intéresse... »
« Hannah dévore littéralement les bouquins. » expliqua une voix profonde juste au-dessus de ma tête.
Je pivotai et découvris Harry, debout derrière moi, me contemplant avec un sourire parfaitement amical. Bien que légèrement déconcerté par son changement d'attitude, je lui souris moi aussi.
« Je vois. »
Une volée de papillons décolla dans mon ventre, et je tressaillis intérieurement en arrachant mon regard au sien. Je n'avais jamais imaginé qu'Harry serait là pour ce déjeuner ; pourtant, Niall m'avait bien dit qu'il faisait partie intégrante de la famille.
« Vous avez remercié Harry ? » s'inquiéta brusquement Clark.
Cela eut le mérite de reporter mon attention vers les enfants, au détriment du sexe sur pattes debout à côté de moi.
Deux « oui » bredouillés répondirent à cette question.
« Hannah, Dec, voici mon colocataire, Louis. » dit Niall pour faire les présentations.
Je leur souris à tous deux.
« Salut. »
Hannah me fit un petit coucou de la main. Ma poitrine se serra légèrement tant elle était adorable.
« Salut. »
Je fis à mon tour un signe.
« Tu aimes la Nintendo ? » demanda Declan avec un air inquisiteur.
Je compris que de ma réponse dépendrait l'avenir de notre relation.
« Oh, ouais. Mario et moi, c'est une longue histoire. »
Il eut un sourire impertinent.
« Il est trop cool, ton accent. »
« Le tien aussi. »
Cela parut lui plaire, et il s'en retourna illico à son jeu. J'estimais avoir réussi l'examen d'entré.
Clark lui tapota la tête.
« Fiston, coupe le son, s'il te plaît. »
La musique familière de Mario s'évanouit presque immédiatement, et je décrétai que ces enfants me plaisaient bien. Harry les gâtait sans doute et, à en juger par leur appartement, ils ne devaient manquer de rien, mais étaient tout aussi bien élevés que Niall.
« Harry ! » Elodie débarqua, radieuse, dans la pièce. « Je ne t'ai pas entendu entrer. »
Harry l'étreignit affectueusement.
« Est-ce que Clark t'a servi à boire ? »
« Non, mais je vais me chercher quelque chose. »
« Oh non, ne bouge pas. » intervint l'intéressé en se levant. « Une blonde ? »
« Oui, merci, ce serait parfait. »
« Assieds-toi. » Elodie le força à s'installer dans le fauteuil à ma droite tandis que son mari quittait la pièce. Elle se jucha sur l'accoudoir et repoussa la mèche de cheveux qui tombait sur le front d'Harry. « Comment vas-tu ? Il paraît que Taylor et toi avez rompu ? »
Je n'avais jamais imaginé qu'Harry puisse aimer se faire dorloter, pourtant, il semblait ravi de l'attention que lui portait Elodie. Il lui embrassa tendrement le revers de la main.
« Tout va bien, Elodie. Nos routes se sont séparées voilà tout. »
« Mmm. » répondit-elle avec un froncement de sourcils. Puis, comme si elle venait de se souvenir de ma présence, elle se tourna vers moi. « Tu as déjà rencontré Louis, n'est-ce pas ? »
Il opina tandis qu'un sourire discret, presque secret, venait orner le coin de sa bouche. Cela demeurait amical, sans rien de sexuel, et je n'arrivais pas à déterminer si je devais m'en sentir heureux ou déçue. Saloperies d'hormones.
« Ouais, Lewis et moi nous nous connaissons. »
Je sentis mon front se plisser. Pourquoi persistait-il à m'appeler Lewis ?
Le retour de Clark mit un terme à ma réflexion, et la discussion reprit de plus belle. Je fis de mon mieux pour répondre aux questions et les retourner ; cependant, je devais rendre grâce à Niall. Celui-ci vint à ma rescousse quand sa mère commença à m'interroger sur mes parents, en détournant chaque fois la conversation. Il m'évita ainsi de faire preuve d'une grande impolitesse. Je poussai un soupir de soulagement. Je ne m'en sortais pas trop mal. Je parvins même à échanger quelques paroles amicales et dénudées de sous-entendus avec Harry.
Puis nous passâmes à la salle à manger pour déjeuner.
Tous ces rires, ces voix, ces bruits alors que nous nous servions de pomme de terre et de légumes pour agrémenter les généreuses portions de poulet rôti qui emplissaient déjà nos assiettes... Tandis que je me servais en jus, leurs bavardages, leurs affections, la normalité ambiante firent resurgir des souvenirs profondément enfouis...
« J'ai invité Mitch et Arlene à déjeuner. » dit ma mère en rajoutant des couverts.
Dru mangeait à la maison, puisqu'on préparait un exposé ensemble, et mon père installait la petite Lottie dans sa chaise haute.
Papa soupira.
« Heureusement que j'ai fait la dose de chili, Mitch va sans doute encore tout engloutir. »
« Sois gentil. » le réprimanda maman avec un léger sourire. « Ils seront là d'une minutes à l'autre. »
« C'était juste un constat. Il a un bon coup de fourchette. »
Dru gloussa à côté de moi en lui adressant un regard d'adoration. Son père n'était jamais à la maison, elle voyait donc le mien comme une sorte de Superman.
« Alors, comment avance votre exposé ? » s'enquit maman en nous servant un verre de jus d'orange.
Je décochai à Dru un sourire entendu. Nous n'avions pas progressé d'un pouce. Nous avions passé la dernière heure à discuter de Kyle Ramsey et Jeude Jeffrey. Nous ricanions comme des bécasses en prononçant des « Juuuuude » langoureux.
Ma mère sourit en comprenant notre amusement.
« Je vois. »
« Salut, voisin ! » s'exclama une voix chaleureuse.
Mitch et Arlene avaient l'habitude d'entrer sans frapper par la porte-fenêtre. Ça ne nous dérangeait pas, puisqu'ils habitaient vraiment à deux pas de chez nous. Ma mère adorait leur grande décontraction. Ma père ? Beaucoup moins.
Après une interminable cérémonie d'accueil -Mitch et Arlene étaient incapables de se contenter d'un seul bonjour-, nous nous installâmes finalement à la table de la cuisine, autour du célèbre chili de papa.
« Pourquoi tu ne m'en fais jamais ? » se plaignit Arlene à son mari après avoir gémi de façon légèrement inconvenante en avalant sa première bouchée.
« Tu ne me le demandes jamais. »
« Je parie que Johannah ne le demande jamais à Mark. Hein, Johannah ? »
Ma mère implora silencieusement mon père de lui venir en aide.
« Euh... »
« Oui, c'est bien ce que je pensais. »
« Papa, Lottie a renversé son verre. » déclarai-je en désignant le sol.
Comme il était le plus près, il se pencha pour le ramasser.
« Mon père ne cuisine jamais. » intervint Dru pour rassurer Arlene.
« Tu vois ? » marmonna Mitch par-dessus sa fourchette. Je ne suis pas le seul.
Arlene se rembrunit.
« Comment ça « tu vois ? » ? Comme si le fait qu'un autre homme ne cuisine pas pour sa femme justifiait que tu ne le fasses pas non plus. »
Mitch avala sa bouchée.
« Comme tu veux. Je vais cuisiner. »
« Tu sais faire ? » demanda maman à mi-voix, et j'entendis papa s'étouffer sur sa bouchée.
Je dissimulai mon gloussement en buvant une gorgée de jus d'orange.
« Non. »
Un silence se fit autour de la table, durant lequel nous nous dévisageâmes avant de tous nous esclaffer. Cela fit peur à Lottie qui, d'un geste maladroit, fit à nouveau tomber son verre. Les éclats de rire redoublèrent...
Cette scène fut suivie par une autre, lors d'un repas de Noël. Puis de Thanksgiving. Puis vint mon treizième anniversaire...
Tous ces souvenirs déclenchèrent en moi une crise d'angoisse.
D'abord, la tête me tourna, et je reposai rapidement la fourchette dégoulinante de jus que je tenais entre mes doigts tremblants. Mon visage se mit à me picoter, et je fus parcouru d'une soudaine sueur froide. Mon cœur battait si fort contre ma poitrine que je craignis qu'elle n'explose. Elle se comprima alors, et je dus lutter pour chaque inspiration.
« Lewis ? »
Le souffle court, je cherchai de mes yeux paniqués d'où provenait la voix.
Harry.
Il lâcha ses couverts et se pencha vers moi, le front barré d'un pli soucieux.
« Lewis ? »
Il fallait que je sorte d'ici.
J'avais besoin d'air.
« Lewis... bon sang. » murmura Harry en quittant rapidement la table pour voler à mon secours.
Je bondis alors de ma chaise et tendis les bras pour l'arrêter. Sans un mot, je tournai les talons et quittai la pièce en courant, me précipitant vers la salle de bain, où je m'enfermai.
J'appuyai mes mains tremblantes sur le rebord de la fenêtre, soulagé de sentir enfin un courant d'air, même chaud. Sachant que je devais impérativement recouvrer mon calme, je m'efforçai de ralentir ma respiration.
Quelques minutes plus tard, je retrouvai la maîtrise de mon corps et de mon esprit. Je me laissai glisser sur la cuvette des toilettes, les jambes en coton. Je me sentais complètement éreinté. Une deuxième crise d'angoisse.
Génial.
« Lewis ? »
La voix d'Harry me parvint à travers la porte.
Je fermai les paupières pour la chasser, me demandant déjà comment j'allais pouvoir me justifier. Un profond embarras empourpra mes joues.
Je croyais avoir surmonté ça. Cela faisait huit ans. J'aurais dû avoir tourné la page.
En entendant le battant pivoter, j'entrouvris les yeux et vis un Harry plus qu'inquiet entrer dans la pièce et refermer derrière lui. Je me demandai brièvement pourquoi ce n'était pas Niall qui était venu aux nouvelles. Constatant que je ne disais rien, il s'accroupit devant moi afin de se mettre à ma hauteur. Mes yeux examinèrent son visage parfait et, pour une fois, je regrettais de m'imposer toutes ces foutues règles. Pas de relation et pas de coup d'un soir avec des gars que je connaissais à peine. Harry était donc hors jeu, ce qui était fort dommage car j'avais la ferme impression qu'il pourrait bien arriver à tout me faire oublier pendant quelques minutes.
Nous nous examinâmes sans un mot pendant près d'une éternité. Je m'attendais à une avalanche de question puisqu'il devait être évident, au moins pour les adultes, que j'avais eu une crise. Ils se demandaient sans doute pourquoi, et je ne tenais vraiment pas à retourner auprès d'eux.
« Ça va mieux ? » finit par s'enquérir Harry.
Attendez une seconde. C'était quoi, ça ? Pas un semblant d'inquisition ?
« Ouais. »
Non, pas franchement.
Il dut interpréter correctement mon expression, car il inclina la tête de côté, le regard pensif.
« Inutile de t'expliquer. »
Je me fendis d'un sourire sans humour.
« Alors je préfère te laisser me prendre pour un dingue. »
Il me sourit à son tour.
« Je le savais déjà. » Il se releva et me tendit la main. « Allez, viens. »
Je considérai avec hésitation la proposition.
« Je crois que je devrais rentrer. »
« Et moi je crois que tu devrais profiter d'un bon repas avec de bons amis. »
Je pensai à Niall et à l'accueil fantastique qu'il m'avait réservé. Il aurait été insultant de quitter sans un mot le déjeuner de sa mère, et je ne voulais rien faire qui risquerait de le fâcher.
Je finis par saisir la main de Harry et le laissai me remettre debout.
« Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter ? »
Inutile de prendre un air assuré et décontracté désormais. Il m'avait déjà vu dans mon état le plus vulnérable. Deux fois.
« Rien. » m'assura-t-il. « Pas la peine de te justifier auprès de qui que ce soit. »
Son sourire était avenant. Je n'arrivais pas à savoir si je préférais celui-ci ou le sourire pervers.
« D'accord. »
J'inspirai profondément et le suivis jusqu'à la salle à manger. Il ne me lâcha pas la main jusqu'à ce que nous y soyons, et je refusai d'admettre l'existence de cette pointe de désespoir quand il me libéra enfin.
« Tout va bien, mon chéri ? » s'inquiéta Elodie.
« Il a dû faire une petite insolation. » la rassura Harry. « Il est resté trop longtemps dehors ce matin. »
« Oh. » Elle me gratifia de son air de maman inquiète. « J'espère au moins que tu avais mis de la crème. »
J'opinai en me glissant sur ma chaise.
« J'aurais dû prendre un chapeau. »
Alors que la conversation reprenait son cours et que la tension se dissipait, je fis mine de ne pas remarquer les œillades suspicieuses de Niall et remerciai Harry d'un sourire.
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