21.

Au bout de plusieurs heures qui semblaient interminables, Niall passa enfin son IRM avant d'être renvoyé chez lui. Les médecins nous expliquèrent que nous recevrions les résultats au plus tôt, mais que nous pourrions tout de même patienter jusqu'à quinze jours. Finalement, une dizaine suffit, et ces dix journées furent atroces. Une sorte de profonde stupeur nous enveloppa, tandis que nous envisagions tous les pires scénarios possibles. Je retournai voir le Dr Pritchard, mais fus incapable de parler de moi. Ce fut une consultation assez calme.

Toute la décade fut assez calme : Harry, Niall et moi restions assis à l'appartement, répondant aux appels de Liam et d'Elodie sans échanger grand-chose d'autre. Nous préparâmes en revanche beaucoup de thé et de café, commandâmes de nombreux plats à emporter et regardâmes la télévision. Sans guère parler. C'était comme si la peur avait banni toute conversation un tant soit peu profonde. Et pour la première fois depuis que nous nous fréquentions, Harry et moi avions partagé un lit sans coucher ensemble. J'ignorais ce que je pouvais faire pour lui, je lui laissai donc l'initiative, effectivement, nous faisions l'amour, c'était lent et doux. Lorsque nous ne faisions rien, Harry me faisait rouler sur le côté, m'enveloppait d'un bras protecteur et me blottissait contre lui, sa tête reposant à côté de la mienne sur l'oreiller. Alors, je passais un bras sur le sien, je glissais mon pied entre ses jambes et le laissais s'endormir ainsi lové.

***

Le docteur Ferguson appela et demanda à Niall de venir le voir.

Les nouvelles n'étaient pas bonnes. N'en avaient pas l'air, du moins. Je fixai longuement Niall après qu'il eut raccroché, et tout ce que j'avais jusqu'alors réussi à contenir et à maîtriser me submergea. Je vis la terreur dans les yeux de mon ami, mais j'étais à ce point consumé par la mienne que je ne trouvai rien pour le réconforter et préférai me taire. Harry l'accompagna à son rendez-vous, et j'attendis dans notre appartement, soudain immense, froid et silencieux, en observant notre sapin, incapable de croire que Noël aurait lieu dans dix jours.

Durant les deux heures que dura leur absence, je restai assis en refusant obstinément d'exhumer mon fameux tiroir à souvenirs, sans quoi il m'aurait été impossible de respirer.

Quand notre porte s'ouvrit enfin, j'étais en proie à une grande léthargie. J'avais l'impression de me déplacer sous l'eau, luttant lentement contre le courant. Harry entra dans le salon, si blême et si hagard que je compris, avant même de poser les yeux sur un Niall ravagé par les larmes. Je savais reconnaître la peur : je savais que le chagrin pouvait épaissir l'air, s'immiscer dans votre poitrine et se répandre dans tout votre corps. Dans vos yeux, dans votre tête, dans vos bras, vos jambes et même vos gencives.

« Ils ont trouvé quelque chose. Une tumeur. »

Niall haussa les épaules, les lèvres tremblotantes.

« Ils ont transmis mon dossier à un neurologue, le docteur Dunham, au Western General. Je vais le voir demain. Pour parler de la suite des événements. Savoir si cela nécessite une intervention. Savoir si c'est malin ou pas. » Compléta-t-il.

Ce n'est pas possible.

Comment avais-je pu laisser cela se produire ?

Je reculai d'un pas, désorienté, furieux, incrédule.

Tout était de ma faute.

Je m'étais ouvert à eux, j'avais transgressé mon code de conduite, et voilà que je retournais à cette putain de case départ !

Merde.

Merde !

MERDE !

Ces cris de terreur ne résonnèrent que dans ma tête. J'adressai à Niall un hochement de tête stoïque.

« Ça va bien se passer. On ne sait encore rien. »

Sauf que je savais. Je savais. J'étais maudit. Je savais que je ne pouvais pas être aussi heureux. Je savais que quelque chose de terrible se produirait. Qu'avais-je infligé à Niall ?

Niall ? Je souffrais pour lui. J'aurais voulu lui ôter tout peur. Le rassurer.

J'en fus incapable.

Au lieu de quoi, je l'enfermai dans mon tiroir à souvenirs.

« Je travaille au bar, ce soir. Je vais aller faire un peu de sport avant. »

Je m'excusai d'un petit signe de tête et fis mine de sortir de la pièce.

« Lewis ? »

Harry m'attrapa par le bras, un air d'appréhension et de crainte sur le visage. Déconcerté par mon attitude. Il avait besoin de moi.

Je refusais d'avoir besoin de lui.

Je me libérai doucement et le gratifiai d'un sourire fragile.

« On se voit plus tard. »

Puis je quittai la pièce, les abandonnant à leur inquiétude.

***

Je n'allais pas à la salle de sport. Je me dirigeai plutôt vers le château d'Edimbourg, avant la fermeture. La balade était d'un froid cassant, l'air glacé me mordait les jours, mes poumons semblaient devoir fournir deux fois plus d'efforts pour que je puisse respirer. Après avoir traversé le pont-levis, j'achetai mon ticket d'entrée puis franchis l'arche de pierre et empruntai le chemin pavé qui grimpait sur la droite. Je remontai jusqu'à la rue principale puis bifurquai à droite pour rejoindre la muraille. Là, je m'arrêtai au niveau de Mons Meg, l'un des plus vieux canons du monde et, ensemble, nous contemplâmes la ville. Malgré la légère brume, le panorama était à couper le souffle. J'avais payé l'entrée -pas forcément donné d'ailleurs- uniquement pour jouir de cette vue. Et sans doute pour la majesté des lieux. C'était le seul endroit où je m'imaginais trouver un peu de répit, et je me réfugiais là chaque fois que j'angoissais à l'idée de ne jamais accéder à cette paix éternelle à laquelle j'aspirais tant.

Ce jour-là plus que tous les autres.

Ces derniers mois fantastiques, passés à me voiler la face en feignant de croire qu'aimer les gens était sans conséquence, m'avaient mené ici. Cela faisait à peine un semestre que j'avais entamé ma métamorphose pour devenir le « nouveau moi », et voilà que mon monde s'écroulait de nouveau.

Ce genre de pensées était très égoïste.

J'en avais conscience.

C'était Niall qui souffrait le plus. Pas moi.

Cela n'était pas nécessairement vrai non plus.

Niall Horan était un gars pas comme les autres. Il était doux, gentil, un peu gaffeur, drôle, avec un cœur énorme. Il était comme mon frère. La première famille que je retrouvais depuis la disparition de la mienne. Je me sentais le devoir de le protéger, je souffrais quand il souffrait. Je pensais à son bien-être et à ce que je pouvais faire pour lui rendre la vie agréable. Même ma relation avec Zayn était incomparable.

J'étais presque aussi proche de Niall que je l'avais été de Dru.

Et bientôt, j'allais le perdre aussi.

Je me laissai tomber sur la pierre gelée à côté du canon et serrai mes bras contre moi dans l'espoir d'étouffer la douleur. Je m'imaginais qu'en réécrivant le fil de l'histoire, je me sentirais moins mal. Finalement, peut-être que Niall et moi n'étions pas si proches que ça. Peut-être que nous ne l'avions jamais été. Dans ce cas, sa disparition serait moins grave.

Je sursautai soudain quand mon téléphone se mit à sonner. L'estomac noué, je le sortis et poussai un soupir de soulagement en voyant que c'était Zayn.

« Salut. » répondis-je d'un ton rauque.

« Salut, mon salaud ! » s'exclama Zayn à l'autre bout du fil, d'un air étonnamment joyeux. « Comment ça va ? Je voulais juste te dire que James et moi avions un vol pour Edimbourg dans trois jours, puisqu'on va passer Noël chez sa mère, à Falkirk. On voulait faire un saut chez toi avant d'attraper le train, il me faudrait ton adresse. »

Ça ne pouvait pas tomber plus mal.

« C'est un peu bizarre à l'appartement en ce moment. On ne pourrait pas se retrouver pour le café, plutôt ? »

« Bon Dieu, Louis, tu as une voix horrible. Tout va bien ? »

Je n'ai pas envie d'en parler au téléphone.

« Je t'expliquerai quand on se verra. Un café alors ? »

« Ouais, ok. » Il avait toujours l'air inquiet. « On se retrouve à la cafétéria de la librairie de Princes Street. A trois heures mardi. »

« A mardi. »

Je raccrochai, parcourant la ville des yeux avant de les lever vers les nuages blancs au ventre pâle et à la mine bougonne. Ce n'était qu'un vaste amas de coton flottant en était d'apesanteur. Ils n'étaient ni noirs ni lourds.

Aucun risque de pluie.

***

Jo m'attrapa par le coude avant que je puisse prendre la commande suivante et m'entraîna jusqu'à la salle du personnel. Elle posa les mains sur ses hanches et fronça les sourcils.

« Tu te comportes vraiment bizarrement. »

Je haussai les épaules, profitant de cette torpeur dont je m'étais emmitouflé.

« Je suis fatigué, c'est tout. »

« Non. » Elle s'avança vers moi, visiblement soucieuse. « Il y a un truc qui cloche, Louis. Ecoute, je sais qu'on n'est pas très proches, mais tu as toujours été là pour moi quand je ressassais mes problèmes, alors si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas. »

Je veux pas avoir besoin de toi.

« Tout va bien. »

Elle secoua la tête.

« Tu as le regard mort, Louis. Tu nous files la trouille, à Craig et à moi. Il s'est passé quelque chose? C'est à cause d'Harry ? »

Non. Et ça ne risque pas.

« Non. »

« Louis ? »

« Jo, il y a vraiment beaucoup de monde ce soir... On peut y retourner ? »

Elle tressaillit légèrement et se mordit la lèvre, mal à l'aise.

« D'accord. »

Je hochai la tête et tournai les talons, reprenant ma place derrière le comptoir. Jo alla chuchoter quelques mots à l'oreille  de Craig, qui se tourna vers moi pour me dévisager.

« Putain, Louis, qu'est-ce qui t'arrive, mon cœur ? »

Je dressai le majeur en guise de réponse.

Craig jeta un coup d'œil à Jo.

« Je ne crois pas qu'il ait envie d'en parler. »


***

A ma très grande surprise, Harry m'attendait à la sortie du Club 39. La soirée s'était déroulée à la vitesse grand V. Je ne me souvenais même de rien, et il me fallut quelques secondes pour émerger de mon brouillard et de le reconnaître. Il était accoudé à la rambarde en fer forgé, mal rasé, tête basse, les mains fourrées dans les poches de son élégant manteau de laine croisé. Il se retourna quand je montai sur le trottoir, et je faillis sursauter en l'apercevant. Ses cheveux étaient encore plus emmêlés qu'à l'habitude, ses yeux sombres et injectés de sang.

Pendant une seconde, je faillis oublier que tout ce que nous avions vécu durant ces derniers mois n'existait plus. Disparu dans mon tiroir à souvenirs. Je croisai les bras et le dévisageai, sourcils froncés.

« Tu ne devrais pas être avec Niall ? »

Il me toisa d'un air scrutateur. Mon cœur m'élança. Il semblait si jeune et vulnérable. Je n'aimais pas le voir dans cet état.

« Je lui ai fait boire un peu de whisky. Il a pleuré jusqu'à s'endormir. Je me suis dis que j'allais venir te chercher. »

« Tu aurais dû rester avec lui. »

Je voulus lui passer devant, mais il me retint fermement par le bras, me contraignant à m'arrêter.

Quand je l'observai de nouveau, il avait moins l'air vulnérable qu'en colère. Voilà le Harry que je connaissais et que, bizarrement, je trouvais plus facile à gérer.

« Tout comme toi tu aurais dû rester cet après-midi. »

« J'avais des choses à faire. » rétorquai-je d'une voix neutre.

Il plissa les paupières et m'attira à lui. Comme toujours, je dus pencher la tête en arrière pour soutenir son regard.

« Des trucs à faire ? » répéta-t-il d'un ton furieux. « Putain, l'un de tes amis avait besoin de toi. A quoi tu joues, Lewis? »

« Je ne vois pas de quoi tu parles. »

Il secoua lentement la tête.

« Non. » chuchota-t-il, menaçant, en rapprochant son visage du mien de sorte que nos nez se touchaient presque. « Ne fais pas ça. Pas maintenant. Je ne sais pas quelles conneries t'embrouillent les idées, mais arrête. Il a besoin de toi, bébé. » Il déglutit douloureusement. Ses yeux brillèrent à la lueur des lampadaires. « J'ai besoin de toi. »

Je sentis ma boule habituelle se former au fond de ma gorge.

« Je ne t'ai jamais dit que tu pouvais compter sur moi. » murmurai-je en retour.

Je la vis très clairement. Cette douleur fulgurante qui traversa son visage avant qu'il reprenne la maîtrise de ses émotions. Il me lâcha brusquement.

« Très bien. Je n'ai pas de temps à perdre avec tes innombrables problèmes émotionnels. Mon petit frère a peut-être un cancer, et il a besoin de moi, contrairement à toi. Laisse-moi tout de même te dire une chose, Lewis... » Il fit un pas en avant, pointant un doigt hargneux sur moi. « Si tu ne l'aides pas à surmonter cette épreuve, tu vas te détester toute ta vie. Tu peux faire comme si tu n'en avais rien à foutre de moi, mais pas comme si Niall ne comptait pas à tes yeux. Je vous ai vu ensemble. Tu m'entends ? »

Il siffla entre ses dents. Son souffle chaud me caressa la peau tandis que ses mots s'immisçaient jusqu'à mon cerveau.

« Tu l'aimes. Tu ne peux pas balayer ça sous le tapis parce que c'est plus facile de prétendre qu'il n'est rien pour rien que d'accepter l'idée de le perdre. Il mérite mieux que ça. »

Je serrai fermement les paupières, haïssant le fait qu'il me comprenne si bien. Et il avait raison : Niall valait bien mieux que ma couardise. Je ne pouvais pas cacher mes sentiments pour lui, car tout le monde les avait vus et compris. Il les avait vus et compris. Comment pouvais-je le laisser tomber alors que j'avais laissé naître notre amitié? J'allais devoir me montrer courageux, même si je devais pour cela abandonner tout ce qu'il me restait.

« Je serai là pour lui. » me surpris-je à promettre. Je rouvris les yeux en espérant qu'il y lirait ma sincérité. « Tu as raison. Je serai là pour lui. »

Il ferma à son tour les yeux et poussa un profond soupir. Quand il les rouvrit, j'y découvris une tendresse que je m'étais forcé à ne pas regretter durant ces cinq dernières minutes.

« Bon sang. On t'a perdu pendant quelques heures. Qu'est-ce qu'on va faire de toi, Lewis Tomlinson ? »

Il ouvrit les bras comme pour m'embrasser mais je l'esquivai, battant en arrière.

« Tu devrais rentrer te reposer. Je vais veiller sur lui cette nuit. »

Harry se crispa, l'air interrogateur, les dents serrées.

« Lewis ? »

« Rentre chez toi, Harry. »

Je tournai les talons, mais il me retint par la main.

« Lewis, regarde-moi. »

J'essayais de me libérer mais il refusa de me lâcher. Je dus faire un gros effort pour durcir mes traits et l'affronter.

« Laisse-moi, Harry. »

« Qu'est-ce que tu fous ? » demanda-t-il.

Sa voix était aussi râpeuse que s'il avait avalé du papier de verre.

« On en reparlerai plus tard. Ce n'est pas le bon moment. Tout ce qui compte, c'est Niall. »

L'air désormais résolument dangereux -dangereux et déterminé-, il me fusilla du regard.

« N'envisage même pas de me quitter. »

« On pourrait en discuter plus tard ? »

En guise de réponse, il m'attira à lui et plaqua sa bouche contre la mienne. Je sentais le whisky et le désespoir sur sa langue. Sa main sur ma nuque m'empêchait de rompre ce baiser profond, humide et douloureux. Je n'arrivais plus à respirer. Je le repoussai au niveau de la poitrine avec un gémissement d'agonie, et il me libéra enfin. Du moins, il retira sa bouche. Ses bras me ceignaient encore.

« Lâche-moi. » geignis-je, les lèvres enflées et brûlantes.

« Non. » souffla-t-il sèchement. « Je ne te laisserai pas nous faire ça. Je ne peux pas croire que tu te fiches de moi. »

Il va falloir t'y résoudre.

« On ne peut pas continuer. »

« Pourquoi ? »

« J'en suis incapable. »

« Ça ne me suffit pas. »

Je me débattis, l'incendiant du regard.

« Si je décide de rompre, tu n'as pas trop le choix. »

Le Harry écumant de rage resurgit presque instantanément.

« Putain, je ne te laisserai pas faire ! »

« Hé, tout va bien vous deux ? » nous apostropha un jeune homme bien éméché.

Nous tournâmes de conserve la tête vers lui. Il nous épiait d'un air suspicieux, et je me rendis soudain compte que nous nous disputions sur George Street un vendredi soir, alors que des tas de gens pouvaient encore nous entendre.

« Ça va. » répliqua Harry d'un ton calme, sans me lâcher pour autant.

L'autre m'interrogea du regard.

« C'est sûr ? »

Refusant de voir la situation dégénérer en bagarre -c'était la dernière chose dont Harry avait besoin en ce moment-, j'acquiesçai.

« Certain. »

L'ivrogne loucha de nouveau sur nous puis, estimant que nous n'avions qu'à régler cela entre nous, il se retourna pour héler un taxi.

« Lâche-moi. » ordonnai-je à Harry.

« Non. »

« Cette fois, tu ne t'en tireras pas avec tes airs d'homme des cavernes. » Je ne pouvais pas affronter son regard alors que la douleur et les mensonges m'envahissaient. « Tu comptes pour moi, Harry. Sincèrement. Nous sommes amis. Mais ça a duré bien trop longtemps. »

« Tu as peur. J'ai compris. » Il me murmura à l'oreille quelques paroles réconfortantes. « Je sais pourquoi tu t'es enfui tout à l'heure, et je sais pourquoi tu veux fuir maintenant. Mais ce genre de chose arrive, bébé, on ne peut rien faire pour l'éviter. Tu ne peux pas laisser cette crainte diriger ta vie et influencer ta relation avec les gens. Il faut profiter de l'existence, car on ne sait pas combien de temps elle va durer. Arrête de fuir. »

Tu aurais dû être psy.

Je m'efforçai de me décontracter et d'oublier les gargouillis insupportables qui me tordaient le ventre.

« C'est pour ça que je préfère arrêter. La vie est courte. On devrait toujours être auprès de ceux qu'on aime. »

Harry se figea une fois encore, et j'attendis, le souffle court. Il s'écarta lentement de moi, et m'examina avec sévérité.

« Tu mens. »

Oui, je mens, mon amour. Mais je ne te survivrai pas. Et, pire encore, tu ne me survivras pas.

« Non. Je ne t'aime pas, et après tout ce que tu as vécu, tu mérites d'être aimé. »

Ses bras tombèrent le long de son corps, mais pas comme pour me laisser partir. Il semblait sous le choc. Je crois même qu'il était en état de choc. J'en profitai pour m'éloigner de lui, craignant, en restant trop près, de laisser s'ébrécher ma carapace d'acier et de lui avouer que je n'étais qu'un sale menteur, et que je ne voulais plus jamais le quitter.

Je m'étais cependant montré suffisamment égoïste pour la journée.

« Tu m'aimes. » insista-t-il d'une voix douce et basse. « Je l'ai vu. »

J'avalai ma salive et me forçai à soutenir son regard.

« Tu comptes pour moi, mais ça fait une grosse différence. »

Pendant un instant, je ne sus pas s'il allait répondre.

Puis son regard se ternit et il hocha sèchement la tête.

« Très bien, dans ce cas. »

« Tu me laisses partir ? »

Il ourla la lèvre supérieure, arborant une expression amère et douloureuse tout en reculant d'un pas.

« Apparemment... je n'ai jamais eu la moindre prise sur toi. »

Il tourna brusquement les talons et disparut à grands pas dans la rue enténébrée.

Il ne se retourna pas une fois, et tant mieux.

Dans le cas contraire, il aurait vu Lewis Tomlinson pleurer à chaudes larmes pour la première fois depuis une éternité, et il aurait su que je mentais. Sur toute la ligne. Car quiconque m'aurait vu aurait comprit que mon cœur se brisait.

***

« Je ne crois pas que vous ayez pris la décision la plus sage de votre existence, Louis. Et vous ? »

Le docteur Pritchard me parlait d'une voix posée, malgré ses sourcils froncés.

« C'est la meilleure chose que j'aie jamais faite. »

« Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? »

« Si je disais la vérité à Harry, si je lui avouais que je l'aimais, il ne ferait jamais machine arrière. Il est tellement tenace... Et alors, il pourrait passer le reste de ses jours avec moi. »

« Serait-ce si terrible ? »

« Eh bien, oui. » rétorquai-je d'un air irrité. « Vous n'avez pas entendu ce que je leur ai infligé, à Niall et à lui ? Je suis tellement terrifié à l'idée de tout perdre de nouveau qu'il m'arrive de débloquer à ce point. »

« Oui, mais à présent, vous en avez conscience. C'est un bon pas en avant. »

« Pas du tout. J'ai des problèmes d'un kilomètre de long, et rien ne me dit que je ne vais pas lui refaire le même coup encore, et encore. Ce ne serait pas juste. Harry a déjà été trahi une fois par une personne qu'il pensait aimer. Si je restais avec lui en continuant mes conneries, je le ferai souffrir une nouvelle fois. Et il ne le mérite pas. »

Le docteur Pritchard inclina la tête.

« Ce n'est pas à vous d'en décider, seulement à Harry. Et il n'est pas certain que vous continuiez vos conneries, comme vous dites. Le fait d'être avec lui pourrait vous aider dans ce processus. Lui-même pourrait vous aider. »

« Ça n'a pas aidé. Le fait d'être avec lui n'a pas aidé. »

« Il vous a convaincue de rester auprès de Niall, et vous l'avez fait. Je trouve donc que si. »

Je campai sur ma position.

« Je ne lui dirai pas la vérité. Je le fais pour son bien. »

« Ce que j'essaie de vous dire, Louis, c'est que vous devriez arrêter de vous positionner en martyre. Peut-être qu'Harry estime que le mieux pour lui serait de vous avoir dans sa vie. Peut-être même qu'il est prêt pour ça à affronter vos angoisses et les remparts d'un kilomètre de haut que vous avez érigés autour de vous. »

« Vous avez peut-être raison. » admis-je. Les larmes me montèrent aux yeux alors que j'essayais de repousser la douloureuse pensée d'un avenir commun avec lui. « Je suis peut-être un martyre. Et peut-être qu'il est prêt à se battre. Mais il mérite mieux que ça. Il mérite d'être heureux dans une relation, tout comme mon père l'était avec ma mère. Et si leur amour m'a appris une seule chose, c'est bien qu'Harry a raison : la vie est beaucoup trop courte. »

***

Lorsque la pluie commence à tomber, elle ne va pas s'arrêter simplement parce que vous le lui demandez. Elle cesse le temps venu. A l'instar de la pluie, mes larmes ne cessèrent de ruisseler alors que je rentrais, la vision trouble. En vérité, il est difficile de décrire un cœur brisé. Tout ce que je sais, c'est qu'une douleur inimaginable -une palpitation aiguë qui vous empêche presque de bouger -naît dans votre poitrine et irradie tout votre corps. Mais ce n'est pas seulement de la douleur. Le déni se loge dans votre gorge, et cette boule en elle-même provoque une souffrance. Un cœur brisé peut également provoquer un nœud à l'estomac. Un nœud qui se contracte et s'étire, tant et si bien que la nausée menace de prendre le dessus.

Par miracle, je parvins à préserver au moins cette part de dignité.

Dès que j'arrivais à l'appartement, en revanche, la douleur à l'idée d'avoir laissé tomber Harry se mua en terreur. J'observai la porte de la chambre de Niall, à l'autre bout du couloir, et je dus fournir un gros effort pour ne pas me parjurer et fuir.

Je fis même tout le contraire.

Je me débarrassai de mes bottes, de mon manteau, et pénétrai à pas feutrés dans sa chambre sombre. Grâce aux rayons de lune qui filtraient par la fenêtre, je le vis roulé en boule sur le côté. Le plancher grinça alors sous mon pied et il ouvrit grands les yeux.

Il me contempla avec méfiance.

Cela me peina.

Mon chagrin redoubla d'intensité, et quand il perçut mes pleurs, une larme roula sur sa joue. Sans un mot, je grimpai dans son lit et me serrai contre lui quand il se mit sur le dos. Nous restâmes allongé, côté à côté, ma tête sur son épaule. Je serrai sa main entre les miennes.

« Je suis désolé. » chuchotai-je.

« Ce n'est rien. » répondit-il, en proie à une vive émotion. « Tu es revenu. »

Et parce que la vie était trop courte...

« Je t'aime, Niall Horan. Tu vas surmonter ça. »

Je l'entendis ravaler un sanglot.

« Je t'aime aussi, Louis. »

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