19.
Durant les semaines qui suivirent, Harry ne fut que l'ombre de lui-même. Après la soirée au Fire, il était toujours à avoir au sujet de l'histoire avec Gavin, mais je m'efforçais de le convaincre que ce sale type méritait de se faire casser la gueule, et, surtout, que le fait qu'il ait perdu son sang-froid à cet instant ne faisait pas de lui un voyou. Liam m'en apprit davantage sur le coach personnel. Apparemment, ils avaient été copains depuis l'école primaire mais, en grandissant, Gavin était devenu plutôt con. Sournois, parfois caustique, horrible avec les femmes - « fouteur de monde », avait précisé Liam – et menteur. Harry refusait de lui tourner le dos, parce qu'ils étaient amis de longues date. En tout cas jusqu'à ce que l'autre baise sa femme. A force de rappeler ces choses à Harry, je finis sans doute par me faire entendre, car au bout de quelques semaines, il cessa peu à peu ses sombres ruminations.
Naturellement, j'annulai mon abonnement à la salle de sport après qu'Harry m'eut convaincu de m'inscrire à la sienne, où je compris que l'une des raisons justifiant ses épaules carrées si désirables et ses hanches fines était le fait qu'il nageait après chaque entraînement. Bizarrement, la plupart du temps, je finissais par le suivre dans la piscine. Encore plus bizarrement, nous finîmes par envahir la vie de l'autre presque complètement. Les soirs de semaine, nous nous débrouillions pour aller dormir l'un chez l'autre presque toutes les nuits. Regarder la télé ou écouter de la musique ensemble nous suffisait, ce qui ne nous empêchait pas d'aller au ciné ou au resto, voire de boire des verres avec des amis. Deux fois par mois au moins, nous nous rendions à l'un ou l'autre à un évènement en rapport avec le travail d'Harry. Mon nom avait même été cité dans la rubrique divertissement du canard local, en tant que dernier compagnon en date de monsieur Styles. J'essayais de ne pas me laisser affecter.
Dans la mesure du possible, Harry venait au Club 39 tous les vendredis et samedis, ce qui signifiait que Niall, Liam et quiconque les accompagnait s'y rendaient également. Harry m'expliqua qu'il aimait bien me regarder travailler, qu'il trouvait ça sexy, mais Niall déclara qu'il venait marquer son territoire devant mes collègues et clients.
En tout cas, il était avec moi aussi souvent que possible, et passait donc beaucoup de temps au bar. Ce qui ne me dérangeait pas.
En réalité, il me manquait dès qu'il n'était pas là. Notre arrangement n'avait pas du tout évolué de la façon dont je l'imaginais : en fait, il s'effondra de lui-même. Et à un moment donné, j'avais cessé de m'en soucier, tant que cela signifiait que je pouvais rester avec lui sans avoir à me poser un million de questions angoissantes sur l'avenir.
Nous étions dans ma chambre ; Harry passait en revue les différents croquis de Liam pour un nouveau projet qu'il avait alignés sur mon lit. J'étais devant ma machine, à travailler sur le quinzième chapitre de mon roman qui, jusque-là, me plaisait beaucoup. En toute honnêteté, j'étais même enthousiasmé par le tour que prenaient les évènements. Les personnages semblaient plus réels que tous ceux que j'avais pu créer auparavant, et pour cause : ils étaient fondés sur mes parents. Je compulsais mes notes, tentant de déterminer la sonnalité de ma protagoniste principale. Plus j'y réfléchissais, plus cela me semblait hors propos, et j'essayais de trouver la bonne formulation sans altérer le sens de son argument. Perdu dans mes pensés, je ne rendis même pas compte que Harry me surveillait, je sursautai donc quand il me parla. Mon cœur manqua un battement quand j'entendis ses paroles.
« Jenna et Ed se marient la semaine prochaine. Cela correspond avec la fin de notre arrangement. »
Je me figeai.
Je le savais déjà. Je redoutais juste qu'il ne le mette sur le tapis.
***
« Pourquoi n'en avez-vous pas parlé ? » Le docteur Pritchard but une gorgée d'eau. « Les trois mois touchent presque à leur terme, ne pensez-vous pas que vous devriez en discuter ? »
Je penchai la tête sur le côté.
« Ne pensez-vous pas que j'ai fait beaucoup de chemin en cinq mois ? »
« Vous vous êtes effectivement ouvert, Louis. Mais je crois que vous n'avez pas encore fait le deuil de votre famille. Vous refusez toujours d'en parler. »
« Je sais que vous pensez cela, mais ce que je veux vous dire c'est qu'il y a cinq mois, je ne connaissais rien de mon meilleur ami, qui ignorait tout de moi. Je n'aimais pas m'investir plus que nécessaire dans la vie des autres, et j'étais résolu à ne m'entourer que de vagues connaissances. » Je souris, à la fois incrédule et soulagé. « Niall et Harry ont bouleversé tout ça. Surtout Harry. Il... » Je secouai la tête, peinant encore à y croire. « Il est mon meilleur ami. Il y a trois mois, j'étais parti pour une histoire de fesses, point final. Aujourd'hui, il fait véritablement partie de moi. Il me connaît plus en profondeur que n'importe qui, et je ne sais pas du tout ce que l'avenir me réserve à ce propos. Je ne veux pas y réfléchir. Je sais en revanche que je ne suis pas prêt à perdre une fois de plus mon meilleur ami. »
« Vous devriez en parler avec lui, Louis. Il doit savoir tout ça. »
Je fronçais des sourcils, déjà pétrifié d'angoisse.
« Non. Non, c'est hors de question. S'il veut mettre un terme à notre relation, alors d'accord, mais dans ce cas, ce sera moins douloureux si je suis le seul à connaître la vérité. »
Le docteur Pritchard.
« Pourquoi ? Afin de pouvoir enfouir cette vérité avec toutes les autres ? »
« Vous êtes vraiment rabat-joie. »
Elle rit.
« Seulement parce que je regarde la vérité en face. »
« Il faut toujours que vous ayez le dernier mot, hein ? »
***
Je me tournai lentement pour lui faire face.
« Ouais. »
Harry posa la feuille qu'il avait sur les genoux et m'observa droit dans les yeux.
« Qu'est-ce que ça te fait ? »
« Qu'est-ce que ça te fait, à toi ? »
Il plissa les paupières.
« Je t'ai posé la question en premier. »
Je poussai un soupir, sentant les petites fourmis de l'incertitude grouiller dans mon ventre.
« Bon Dieu ? On a quoi, cinq ans ? »
« Tu trouves ? »
Je scrutai intensément son regard obstiné.
« Harry. »
Je n'avais pas eu l'intention de prononcer son prénom telle une supplique, ce fut pourtant l'impression que cela donna.
« Je pourrais très facilement répondre à cette question, Lewis -Nous savons l'un comme l'autre lequel de nous deux est le plus ouvert-, mais je ne le ferai pas. Pour une fois, je tiens d'abord à connaître tes sentiments. »
« Comment ça pour une fois ? » m'exclamai-je. « Je t'en dis plus qu'à n'importe qui, mon gars. »
Il m'adressa un sourire bref, effronté et bien trop attirant à mon goût.
« Je sais, bébé. Mais ce soir, j'en veux plus encore. »
Sans le vouloir, il venait de dévoiler son jeu. Il en voulait plus. Ainsi, plus en confiance, je haussai négligemment les épaules et me remis face à ma machine à écrire.
« Ça ne me dérangerait pas qu'on annule notre accord. »
J'attendis patiemment qu'il réplique. Il finit par dire :
« Et si je suggérais que l'on cesse de prétendre qu'on était des copains de baise ? »
Un léger sourire se dessina sur mes lèvres, et je fus soulagé qu'il ne puisse pas le voir.
« Ok. » répondis-je avec une bonne dose d'ennui. « Ça marche. »
Ai-je déjà précisé qu'Harry savait se montrer vif comme l'éclair ?
Des feuilles volèrent dans la pièce quand il se pencha sur le lit pour m'attraper par la taille et m'attirer sur le matelas. Surpris, j'éclatai de rire quand il colla son corps au mien.
« Quand vas-tu arrêter de me secouer comme une poupée de chiffon ? »
Son sourire ne trahit aucun remords.
« Jamais. Tu es tellement minuscule que je ne fais même pas exprès, la plupart du temps. »
« Je ne suis pas minuscule. » m'offusquai-je. « Je fais un mètre soixante dix. Il y a des tas de gens plus petits, crois-moi. »
« Bébé, je mesure au moins vingt centimètres de plus que toi. Tu es minuscule. » Il se pencha pour effleurer mes lèvres des siennes. « Mais ça me plaît. »
« Et qu'est-il advenu de ton amour pour les bimbos aux jambes interminables ? »
« Il a été remplacé par mon amour pour les jolis culs masculin, le coup d'enfer et la grande gueule. »
Il m'embrassa plus profondément cette fois, venant délicieusement titiller ma langue. J'enroulai les bras autour de son cou pour accentuer notre étreinte, comme à mon habitude mais, cette fois-ci, en ayant l'esprit ailleurs.
D'une façon détournée... s'agissait-il d'une déclaration d'amour ?
Cette pensée me fit frémir mais, par chance, ce frémissement fut parfaitement synchronisé avec l'instant où il glissa sa main jusqu'à mon derrière. Il ne se rendit donc jamais compte que j'étais en train de flipper.
***
Je me serinai que ce n'était pas ce qu'il avait voulu dire et finis par oublier l'incident, prenant les jours avec lui les uns après les autres. Plus tard, dans la semaine, j'étais dans la cuisine en pleine pause-café quand Niall vint me rejoindre d'un pas nonchalant. Il travaillait à la maison, aujourd'hui, ayant des copies à noter.
Il me sourit d'un air entendu en s'asseyant en face de moi.
J'arquai un sourcil soupçonneux.
« Quoi ? »
« J'étais au téléphone avec mon grand frère. »
« Et alors ? »
Il me fit la grimace.
« Il m'a dit que vous alliez au mariage ensemble. »
« Et alors ? »
« Louis. » Il me lança un petit-beurre, que je parvins à esquiver. « Quand est-ce que tu comptais me le dire ? »
Je jetai un coup d'œil au missile qui jonchait désormais notre sol.
« Te dire quoi exactement ? »
« Que votre arrangement avait pris fin ? C'est le cas, pas vrai ? Vous êtes ensemble, à présent ? »
Ensemble ? Cela ressemblait à une étiquette. Je détestais qu'on me colle des étiquettes.
« Disons qu'on se fréquente. »
Niall poussa un cri perçant qui me fit reculer.
« Oh, c'est génial ! Je le savais, je le savais ! »
« J'aimerais bien savoir ce que tu savais. » répliquai-je perplexe.
« Oh, arrête. Je savais depuis le début qu'Harry ne se comportait pas avec toi comme avec les autres. » Il poussa un soupir de ravissement absolu. « La vie est bonne, parfois. Encore meilleure accompagnée d'une tasse de thé. »
« Tu vas devoir remplir la bouilloire. »
Il acquiesça et s'en approcha. Tandis que je l'observais, je songeai à Liam.
« Liam a une cavalière. Tu viens avec quelqu'un ? »
Il se raidit légèrement en allant jusqu'à l'évier.
« J'amène Nicholas. »
« Oh, on va s'amuser. » marmonnai-je en anticipant le drame que cela causerait quand Liam l'apprendrait.
Un grand fracas me fit relever la tête. Niall jura, le visage tout chiffonné. J'accourus vers lui et m'aperçus qu'il avait lâché la bouilloire dans l'évier et se tenait le bras droit.
« Ça va ? » M'enquis-je sans comprendre ce qui s'était passé.
Il était blême. Il hocha néanmoins la tête, les lèvres pincées.
« J'ai juste une crampe dans la main à force d'avoir corrigé toutes ces copies.
« Tu as fait tomber la bouilloire. » Ce n'était pas la première fois qu'il travaillait jusqu'à en être tétanisé. « Tu dois ralentir le rythme et faire plus de pauses. Tu bosses trop dur. » Niall semblait tellement inquiet que mon cœur se serra. « Niall, ça va ? »
Il me répondit avec un drôle de sourire.
« Un peu stressé. »
« Va faire une sieste. » Je lui massai doucement l'épaule. « Tu te sentiras mieux après. »
***
« Salut beauté. »
Je me retournai et souris à Harry, debout dans son smoking noir très excitant. Liam et lui avaient décidé d'abandonner le port du kilt traditionnel depuis que le mois de novembre en Ecosse était devenu « polaire » selon eux.
« Salut beau gosse. »
Je l'embrassai comme d'habitude juste sous la mâchoire, à mon endroit préféré.
« Allons-y avant d'être en retard. Tu sais si Niall est prêt ? »
« Non. Et je ne veux pas rester seul avec Nicholas. »
Harry grimaça, et je l'imitai.
« Le pauvre, il est tellement ennuyeux. »
Harry grogna en enfonçant sa tête dans mon cou.
« Mon frère a besoin d'un psy. » marmonna-t-il tout contre moi.
J'étouffai un rire en lui caressant les cheveux.
« Ça va aller. »
Il se redressa, soudain bougon.
« Il n'est pas assez bien pour lui. »
Je haussai les épaules, puis ramassai ma veste.
« Je ne suis pas assez bien pour toi, ça ne t'a pourtant pas arrêté. »
Il m'agrippa fermement le poignet, les sourcils froncés.
« Quoi ? »
« Je suis prêt ! »
Niall m'entraîna par la main et Harry nous suivit dans le couloir, où le malheureux Nicholas nous attendait.
J'étais soulagé de n'avoir pas eu à répondre à ce stupide dérapage dans la chambre.
***
Le mariage tout entier -cérémonie et réception- eut lieu au Edinbourg Corn Exchange, une salle de spectacle accueillant aussi bien des fêtes de famille que des concerts de rock. C'était un bâtiment assez ancien, orné de colonnes grecques, mais il n'était par particulièrement beau, pas plus que ses environs.
En revanche, la salle de cérémonie était somptueuse, et le salon à couper le souffle. Tout était blanc et argent sous un éclairage bleu glacier. Une merveille hivernale pour un mariage hivernal.
Harry était parti discuter avec Liam, qui avait jusque-là passé l'essentiel de la fête à oublier sa charmante cavalière pour lancer des regards noirs à Nicholas. Pourquoi le toisait-il de la sorte, alors que Niall avait abandonné le pauvre homme pour aller papillonner comme le pro des relations sociales qu'il était, je l'ignorais. Mais si un regard pouvait tuer....
Je secouai la tête. Il allait falloir qu'il se fasse une raison.
« Louis. »
Je quittai des yeux ma coupe de champagne pour sourire à Elodie, debout à côté de moi. Clark et elle étaient installés à la table voisine, et je vis qu'il était en grande conversation avec un homme plus âgé que je ne connaissais pas. De toute manière, je ne connaissais presque personne. Elodie était splendide, dans sa robe bleu saphir.
« Hello, ça va ? »
Elle m'adressa un sourire entendu et se laissa glisser sur la chaise vacante près de la mienne. Elle avait évidemment compris que Harry et moi nous fréquentions -d'autant qu'il était si peu discret que Declan l'avait surpris à m'embrasser dans la cuisine lors d'un repas dominical, plusieurs semaines auparavant. Il avait émis un « beurk » avant d'aller en informer toute la famille.
« Harry a l'air vraiment heureux. » Se réjouit Elodie en l'observant. Je remarquai qu'une grande blonde très jolie s'était jointe à Liam et lui, et je m'efforçai de ne pas étrécir les yeux tel un tigre prêt à sortir les griffes. « Je ne crois pas l'avoir déjà vu aussi comblé. »
Cela me fit chaud au cœur, or je ne sus que répondre.
Elle me dévisagea d'un air doux mais sérieux.
« Tu es un garçon adorable, Louis. Je le pense sincèrement. Mais je te trouve incroyablement difficile à cerner. Je ne sais pas pourquoi, mais tu sembles toujours sur la défensive, mon chéri. Presque impénétrable. »
Je me sentis blêmir.
« Je considère Harry comme mon fils. Un fils que j'aime beaucoup. Ce qu'Analise lui a fait m'a brisé le cœur. Il ne devrait jamais avoir à revivre ça. Ou pire. » Elle lui jeta un coup d'œil avant de se retourner vers moi. « Et je pense qu'avec toi, ce serait pire. »
« Elodie... »
Les mots me manquaient.
« Si tu ne partages pas ses sentiments, Louis, mets un terme à votre relation. Fais-le pour son bien. »
Elle se leva alors, me tapota l'épaule de son air maternel, puis retourna vers son mari chéri.
« Bébé, ça va ? »
Je redressai la tête, le cœur toujours tambourinant dans ma poitrine, et découvris l'air inquiet d'Harry. J'acquiesçai, toujours muet.
Il ne semblait pas convaincu.
« Viens. » Il me prit la main et me força à me lever. « Viens danser. »
C'était l'une de mes chansons préférées. « Non Believer » de La Rocca.
« Tu danses, toi ? »
« Ce soir, oui. »
Je le laissai m'entraîner sur la piste et me blottis contre lui.
« Ton cœur bat à toute vitesse. Est-ce qu'Elodie t'a dit quelque chose ? »
Rien que la vérité.
Elle avait raison. Je devrais le quitter. J'inspirai son odeur, incapable de m'imaginer loin de lui un seul instant. J'étais donc égoïste. Je me collai davantage à lui. Je ne pouvais pas le quitter. Mais si je lui faisais du mal ? Bon sang, cette simple pensée me fendait le cœur. A tel point que je compris qu'il comptait plus à mes yeux que moi-même.
J'étais piégé.
Mon souffle se bloqua. Harry s'en rendit compte, m'étreignit plus fort, et me murmura :
« Respire, bébé. »
Je n'étais pas en proie à une crise d'angoisse, j'étais juste terrifié, mais je ne répondis rien, profitant de cet instant de calme tandis que sa main apaisante me caressait le dos.
« Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? »
Sa voix était cassante. Il était furieux après Elodie.
Je secouai la tête pour le rassurer.
« Elle m'a juste confié à quel point la famille était importante. Ce n'était pas sa faute. »
« Bébé. » chuchota-t-il en m'effleurant la joue.
« Tu veux me soûler ? » Suggérai-je pour détendre l'atmosphère.
Harry ricana et laissa glisser ses mains jusqu'au creux de mes reins.
« Pas besoin de te soûler pour obtenir de toi tout ce que je veux. »
« Oh, tu as vraiment de la chance que ton côté homme des cavernes me plaise, Harry Styles. »
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