17.
Un week-end de sexe et de rires nous réconcilia, Harry et moi. Je travaillais, Harry travaillait et, le dimanche, Elodie et Clark emmenèrent les enfants passer la journée à Saint Andrews. Harry, Niall et moi restâmes donc avec Liam, Jenna et Ed. C'était la première fois qu'Harry et moi sortions avec d'autres personnes depuis le début de notre arrangement. Je sus dès que nous pénétrâmes pour déjeuner dans le pub préféré d'Ed, sur Royal Mile, que tous étaient désormais au courant de notre accord. Jenna nous étudia comme une curiosité scientifique, et Ed avait un sourire stupide de petit garçon. Liam m'adressa pour sa part un clin d'œil. Je jure devant Dieu que j'aurais fui les lieux sans tarder si Harry n'avait pas anticipé ma réaction en m'attrapant par le bras pour me forcer à avancer. Dès qu'ils prirent conscience que rien n'avait vraiment changé- nous ne formions pas un couple, nous ne nous tenions ni ne nous caressions la main et, en réalité, nos chaises étaient même à bonne distance l'une de l'autre-, tout le monde retrouva une attitude normale. Après un super déjeuner et quelques bières, nous décidâmes d'aller au cinéma. Là-bas, Harry nous fit effectivement nous asseoir derrière les autres et, d'accord... nous nous tripotâmes peut-être légèrement dans le noir.
Nous ne nous revîmes pas le lundi, je parvins donc à rédiger un nouveau chapitre de mon roman en plus de mon rendez-vous chez le Dr Pritchard. Amusant. Le mardi, Harry prit sa pause déjeuner dans mon lit. Le mercredi, il fut rattrapé par le travail, je ne le vis donc pas de la journée. Je passai la soirée en compagnie de Niall devant une romance d'adolescentes, qui me donna des haut-le-cœur tant elle était niaiseuse. J'insistai pour que, la prochaine fois, nous regardions soit un film d'action où la superstar hollywoodienne cassait quelques gueules, soit une comédie musicale avec Gene Kelly.
« Ça fait un moment que tu ne m'as plus parlé de Liam. »
Le visage de Niall se ferma, et je regrettai immédiatement mon choix de conversation.
« On a à peine échangé quelques mots depuis l'autre dimanche chez maman. Je crois qu'il a pris conscience qu'il m'envoyait des signaux contradictoires, il s'est donc retranché dans son coin. »
« Pourtant, tout avait l'air normal entre vous, au pub. »
« C'est parce que tu étais perdu au Pays de Harry. »
Je m'esclaffais.
« Ouais, d'accord. »
Il secoua le chef.
« Tête de linotte. »
C'était nouveau. De mémoire, Zayn et James ne m'avaient jamais appelé de la sorte.
« Tu viens de me traiter de tête de linotte ? »
« Ouaip. Délirant ajouterais-je même. » me dit Niall.
« Et puis-je te demander de quoi il s'agit ? »
« D'une personne faisant preuve d'un manque de connaissance flagrant d'une situation donnée ; un idiot ; un imbécile ; un crétin. Tête de linotte délirant : Louis Tomlinson et son opinion erroné, stupide, imbécile et aveugle de la nature de la relation qu'il entretient avec mon frère, Harry Styles. »
Il me fusilla du regard, mais il s'agissait du regard de Niall, ça ne comptait pas vraiment.
J'opinai.
« Tête de linotte. Je valide. »
Il me lança un coussin dessus.
***
Lorsque le jeudi arriva, je reçus un message de Harry m'annonçant qu'il ne pourrait pas se libérer ce soir-là ; je dois bien reconnaître que je ressentis alors une très légère pointe de déception. Je ne pouvais clairement pas admettre mon immense déception, car j'avais enfoui ce sentiment dans l'un de mes tiroirs mentaux. Il était sur le point de conclure l'affaire sur laquelle il avait travaillé tout l'été, son désistement était donc tout légitime. Ce qui ne signifiait pas pour autant que cela ne craignait pas.
Je me creusai la tête et consacrai la journée à écrire, à la fois stupéfait et heureux d'avoir pu coucher sur le papier plusieurs chapitres de plus sans raviver des souvenirs qui m'auraient vraisemblablement renvoyé dans la salle de bain avec une crise d'angoisse. Toutefois, la force était de constater que je n'en avais pas subi depuis celle, mémorable du vendredi précédent.
Le soir venu, puisque Harry n'était pas là pour me tenir compagnie, je noyai mon chagrin dans un marathon Denzel Washington. Niall capitula au bout de deux films et alla se coucher. Quelques heures plus tard, je sombrai à mon tour.
Je me réveillai en sentant le monde s'écrouler sous mon corps.
« Quoi ? » marmonnai-je en essayant d'accoutumer ma vue à la faible lueur.
« Chut, bébé. » me répondit la voix grave d'Harry. Je me rendis alors compte que j'étais dans ses bras. « Je te mets au lit. »
J'enroulai paresseusement les bras autour de son cou tandis qu'il me menait vers ma chambre.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? »
« Tu me manquais. »
« Mmm. » grognai-je en me plaquant au plus près de lui. « Toi aussi. »
Une seconde plus tard, je m'étais rendormi.
***
Le niveau de l'eau grimpait dans notre appartement, et je ne pouvais pas m'échapper. L'angoisse m'oppressait de plus en plus alors que la crue approchait la plafond. Je me préparais à une mort imminente quand un geyser de désir jaillit d'entre mes jambes ; en baissant la tête, je découvris celle d'un magnifique triton. L'eau s'assécha en un instant, et je me retrouvai sur le dos, à observer le crâne d'un homme sans visage me dévorer avec passion.
« Mon Dieu. » soufflai-je alors que le plaisir me ramenait dans le monde réel.
J'ouvris grands les yeux. J'étais dans mon lit. Il faisait jour.
Et la tête d'Harry se trouvait entre mes cuisses.
« Harry. » chuchotai-je en me laissant aller contre le matelas, plongeant les mains dans ses cheveux soyeux. Il avait une langue magique.
Vous parlez d'un réveil...
Je me détendis sur le lit tandis qu'Harry remontait contre moi ; ses yeux riaient quand il se plaça à califourchon sur moi. Je sentais la puissance de son érection sur moi.
« 'jour, bébé. »
Je lui caressai la taille, le griffant très légèrement tel qu'il aimait que je le fasse.
« Bonjour aussi. La matinée commence bien. »
Mon sourire niais le fit éclater de rire, et il se laissa rouler à côté de moi. Je tournai la tête pour regarder l'heure, mais lorsque mes yeux perçurent l'objet sur mon bureau, je me relevai d'un coup, le regard fixe, me demandant si mon imagination me jouait des tours. Je sentis Harry derrière moi, qui posait le menton sur mon épaule.
« Elle te plaît ? »
Une machine à écrire. Une vieille machine à écrire d'un noir brillant, disposée juste à côté de mon ordinateur portable. Elle était magnifique. Identique à celle que maman avait promis de m'acheter. Celle qu'elle n'avait pu m'offrir pour cause de mort prématurée.
C'était un cadeau incroyable. Splendide, plein d'attention. Et ce n'était pas que du cul.
Ma poitrine se comprima avant que je puisse réagir, et mon cerveau s'embruma comme s'il était trop encombré. Des fourmillements se répandirent sur toute ma peau et mon cœur s'emballa.
« Lewis. » La voix inquiète d'Harry perça à travers le brouillard, et je lui attrapai la main pour le rassurer. « Respire. » me murmura-t-il à l'oreille en me serrant les doigts.
Il apposa son autre paume sur ma hanche pour me tenir tout contre lui.
J'inspirai et expirai de façon lente et régulière, regagnant la maîtrise de mon corps, déployant mes poumons, ralentissant mon rythme cardiaque, libérant mon cerveau de la chape de brume qu'il l'enveloppait. Épuisé, je m'effondrai contre le torse de Harry.
Au bout d'une ou deux minutes, il me dit :
« Je sais que tu ne veux pas en discuter, mais... est-ce que ces crises d'angoisse t'arrivent souvent ? »
« Parfois. »
Il soupira, et mon corps suivit le mouvement de sa poitrine.
« Tu devrais peut-être en parler à quelqu'un. »
Je m'écartai de lui, incapable de le regarder.
« C'est déjà le cas. »
« Vraiment ? »
J'acquiesçai, dissimulé derrière cheveux.
« A ma psy. »
« Tu vois une psy. » répéta-t-il d'une voix calme.
« Ouais. »
Il passa sa main dans mes cheveux, puis me saisit délicatement par le menton pour me forcer à me tourner vers lui. Son regard était doux, soucieux. Compréhensif.
« C'est bien. Je suis content que tu te sois enfin décidé. »
Tu es beau.
« Merci pour la machine. Elle est parfaite. »
Il m'adressa un sourire gêné.
« Je ne pensais pas déclencher une crise. »
Je l'embrassai rapidement pour le déculpabiliser.
« Je suis un peu zinzin. Ne t'en fais pas. Je l'adore. C'est vraiment adorable de ta part. »
Plus que ça, même. Pour le convaincre de la portée de mes sentiments, j'eus un sourire diabolique et laissa glisser ma main sur son ventre jusqu'à saisir son sexe.
Il se raidit instantanément.
« Cependant, je ne peux pas accepter sans rien t'offrir en retour. »
Alors que ma tête descendait, il me retint par le haut des bras et me fit remonter à sa hauteur. Je fronçai les sourcils. Je savais qu'il en avait envie. Il palpitait sous mes doigts.
« Quoi ? »
Son expression changea rapidement, ses yeux s'assombrirent, ses traits se durcirent.
« Si tu le fais, c'est parce que tu en as envie, pas à cause de cette machine à écrire. C'était un cadeau, Lewis. Ne va pas tout déformer et t'imaginer je ne sais quel truc tordu. »
Je l'écoutai attentivement, et finis par opiner.
« D'accord. » Je le serrai un peu plus, et vis ses narines se dilater. « Alors, disons que je le fais pour te remercier de m'avoir réveillé. »
Il me relâcha lentement et s'appuya sur ses coudes.
« Dans ce cas... »
***
« Et donc, votre livre avance ? » me demanda le docteur Pritchard, l'air satisfait.
J'acquiesçai.
« Je progresse. »
« Et les crises d'angoisse ? »
« J'en ai eu quelques-unes. »
« A quelles occasions ? »
Je lui expliquai, et quand j'eus terminé, elle leva les yeux et j'y découvris une lueur que je ne compris pas.
« Vous avez dit à Harry que vous veniez me voir ? »
Oh merde, avais-je commis une erreur ? Ça m'avait échappée, j'ignorais pourquoi.
« Ouais, en effet. »
Je fis mine de ne pas me soucier d'avoir bien fait ou pas.
« C'est une bonne chose. »
Attendez un instant. Quoi ?
« Vraiment ? »
« Oui. »
« Pourquoi ? »
« A votre avis ? »
Je fis la grimace.
« Question suivante. »
***
Je vis Harry presque quotidiennement après ce matin-là. Nous sortîmes tous les jours de la semaine. Niall, Harry, Jenna, Liam et son rencard du soir passèrent au bar le samedi avant de traîner Harry en boîte. Il détestait danser, à tel point que je lui avais demandé ce qui avait pu le pousser à acheter le Fire. Il m'avait répondu que c'était une affaire juteuse. Alors que les autres l'entraînaient dehors, je lui adressai un sourire compatissant. Je ne fus pas le moins du monde surpris de découvrir qu'il avait fui, plus tard dans la soirée, pour venir me chercher. Le dimanche, lors du repas chez Elodie et Clark, Declan et Hannah se chamaillèrent. Clark fit mine de ne rien entendre, et Elodie mit involontairement de l'huile sur le feu. Niall, tentant d'oublier la fille qui s'était pointée avec Liam la veille, passa son temps à se plaindre que la correction de ses lunettes ne convenait pas. En revanche, nul ne remarqua le moindre changement de comportement entre Harry et moi. Dieu merci. Elodie ferait sans doute un arrêt cardiaque si elle apprenait ce qui se passait entre nous.
Le lundi, Harry était venu après sa séance de muscu -par chance, nous étions inscrits dans deux salles différentes : j'avais besoin de me concentrer quand je faisais du sport- et nous avions passé la soirée avec Niall. Puis Harry était resté dormir. Le mardi fut l'occasion de mon premier dîner d'affaires imposé. Un vrai, cette fois. Ce que j'ignorais, c'était qu'Harry vendait son restaurant français, mais conservait l'écossais haut de gamme et moderne qui servait des fruits de mer sur la côte. La cession était privée, l'acheteur étant un proche collègue. Une cession privée, jusqu'à ce que les médias locaux découvrent l'acte de vente de La Cour et se mettent à spéculer sur les raisons de la transaction.
Globalement, le dîner fut plutôt agréable. Harry semblait moins stressé à présent que le fardeau La Cour ne pesait plus sur ses épaules et, pour une raison ou pour une autre, je constatai que le fait qu'il soit plus détendu contribuait à me relâcher. Nous passâmes la nuit du mercredi chez lui, surtout parce que nous ne pouvions pas faire trop de bruit dans l'appartement que je partageais avec Niall, ce qui nous privait d'une partie du plaisir. Nous criâmes donc tout notre soûl sur son canapé, sur son parquet, et dans son lit.
Comblé, j'étais allongé sur les draps froissés à contempler le plafond. Sa chambre était aussi moderne que le reste de son duplex. Un lit bas, de type japonais, des penderies incrustées dans les murs pour gagner de l'espace. Un fauteuil dans le coin, près de la fenêtre. Deux tables de chevet. C'était tout. Il lui manquait au moins quelques photos.
« Pourquoi tu ne parles jamais de ta famille ? »
Tout mon corps se contracta, et le souffle m'abandonna quand j'entendis cette question à laquelle je n'étais pas du tout préparé. Je pivotai la tête sur l'oreiller pour le dévisager d'un air incrédule. Il ne m'observait pas avec méfiance, ainsi qu'il l'aurait fait s'il s'attendait à me voir piquer une crise. Il semblait juste déterminé. J'inspirai entre mes dents et me détournai.
« Parce que. »
« Ce n'est pas vraiment une réponse, bébé. »
Je levai les mains.
« Ils sont partis. Il n'y a rien à ajouter. »
« C'est faux. Tu pourrais dire quel genre de personnes ils étaient. Comment ça se passait, en famille. Comment ils sont morts... »
Je me débattis quelques instants avec ma colère, tentant de la contenir. Il n'avait pas l'intention de se montrer cruel, j'en étais conscient. Il était simplement curieux. Il voulait savoir. Ce n'était pas insensé. Mais j'avais cru que nous nous comprenions. J'avais cru qu'il me comprenait.
Et je venais de me rendre compte que c'était parfaitement impossible.
« Harry, je sais que tu n'as eu une vie facile, mais tu ne peux pas mesurer à quel point mon passé est compliqué. Merdique. Et ce n'est pas un endroit où je veux t'emmener. »
Il s'assit, relevant l'oreiller contre la tête de lit, et je roulai de côté pour soutenir son regard où régnait une lueur de chagrin que je n'y avais encore jamais perçu.
« Je comprends ce qui est merdique, Lewis. Crois-moi. »
J'attendis, pressentant qu'il n'en avait pas terminé.
Il poussa effectivement un soupir, et observa par la fenêtre.
« Ma mère est la femme la plus égoïste que je connaisse. Et je ne la connais même pas si bien que ça. J'ai été contraint de rester avec elle durant les vacances d'été, à faire le tour de l'Europe tout en supportant les pauvres connards qu'elle parvenait à manipuler jusque dans son lit. Durant l'année scolaire, j'habitais chez mon père, à Edimbourg. Douglas Styles était un salopard qui pouvait se montrer sévère et distant, mais au moins c'était un salopard qui m'aimait, ce que ma mère n'a jamais su faire. Et puis il m'a offert Niall et Elodie. C'est d'ailleurs à propos d'Elodie que je me disputais souvent avec lui. Elle était douce et tendre, il n'aurait jamais dû lui courir après et la traiter comme les autres. C'est pourtant ce qu'il a fait. Et puis elle s'est mise avec Clark, et Niall a rencontré un frère prêt à tout pour lui. Mon père était au mieux négligemment affectueux avec Niall. Alors qu'à moi, il me serrait la vis. Je n'étais qu'un petit con qui refusait de marcher dans les pas de son père. » Il pesta après lui et secoua la tête. « Si seulement on pouvait revenir en arrière et inculquer un peu de bon sens aux gamins que nous étions... »
Si seulement.
« J'ai commencé à avoir de mauvaises fréquentations, à fumer des joints, à me bourrer la gueule, à me bagarrer. J'étais remonté. J'en avais après tout et tout le monde. Et j'aimais me servir de mes poings pour libérer cette colère. J'avais dix-neuf ans, et je sortais avec une fille d'un quartier chaud des environs. Sa mère était en prison, son père parti, et son frère junkie. Une fille bien, mais une famille pourrie. Un soir, elle est venue chez moi dans un état pas possible. » Son regard se fit distant alors qu'il se remémorait la scène, et je devinai que la suite allait être plus qu'horrible. « Elle pleurait, tremblait, elle avait du vomi dans les cheveux. Elle est rentrée chez elle et son frère était tellement défoncé à l'héro qu'il l'avait violée. »
« Oh, mon Dieu. » soufflai-je en ressentant une profonde douleur pour cette fille que je n'avais jamais rencontrée, et pour Harry qui connaissait la victime.
« J'ai pété un plomb. Je suis parti sans réfléchir et j'ai couru jusque chez elle, porté par l'adrénaline. » Il se tut un instant, les mâchoires serrées. « Lewis, je l'ai quasiment battu à mort. » Il me contempla d'un air plein de remords. « Je suis plutôt costaud. » chuchota-t-il. « Je l'étais déjà quand j'étais ado. Je ne me rendais pas compte de ma force. »
Je n'arrivais pas à croire qu'il me racontait tout cela. Je n'arrivais pas à croire que toutes ces choses lui soient arrivées. Harry, que j'avais toujours imaginé dans un monde de dîners de gala et d'appartement luxueux. Apparemment, il avait connu une vie bien différente pendant quelque temps.
« Que s'est-il passé ? »
« Je suis parti, j'ai passé un coup de téléphone anonyme aux urgences, et je lui ai avoué ce que j'avais fait. Elle ne m'en a pas voulu. En réalité, quand la police à trouver son frère, nous nous sommes couverts mutuellement. C'était un junkie notoire, il n'y avait pas de témoins, ils ont donc supposé que c'était une affaire de drogue. Il est resté plusieurs jours dans le coma. Les pires jours de ma vie. Quand il s'est réveillé, il a dit aux flics qu'il ne se rappelait pas qui l'avait agressé, mais quand je suis allé lui rendre visite avec sa sœur, elle lui a expliqué ce qu'il avait fait. » La voix d'Harry dérailla légèrement. « Il s'est mis à pleurer. Je n'ai sans doute jamais rien vu de plus pitoyable que ses larmes et le regard assassin de sa sœur. Elle est partie. Il m'a promis qu'il ne raconterait jamais toute l'histoire. Il m'a dit qu'il le méritait, et que j'aurais dû le tuer. Je ne pouvais plus rien faire pour eux. Je ne l'ai plus jamais revu. Quant à elle, notre relation s'est brisée quand elle a sombré dans la drogue pour oublier, refusant mon aide. Il y a quelques années, j'ai appris qu'elle avait fait une overdose. »
Je me redressai à côté de lui, souffrant mille maux tant je compatissais.
« Harry... Je suis désolé. »
Il hocha la tête puis la tourna vers moi.
« Je ne me suis plus jamais battu depuis. Je n'ai plus jamais porté la main sur qui que ce soit. Mon père et moi avons passé l'éponge sur des tas de trucs après ça. Il est la seule autre personne à connaître la vérité, et il m'a aidé à me remettre sur pied. Je lui dois beaucoup. »
« Comme nous tous. »
J'eus un sourire triste et lui caressai la joue en prenant conscience qu'il venait de s'ouvrir à moi.
A moi.
Oh, mon Dieu.
Lui étais-je moi aussi redevable, d'une manière ou d'une autre ? Est-ce que ça marcherait comme ça ? Il m'avait fait confiance parce qu'il savait que je ne trahirais pas son secret ; parce qu'il savait que je ne le jugerais pas.
Il m'apparut, alors que j'étais ainsi allongé à côté de lui, que lui non plus ne répéterait jamais ce que je pourrais lui confier. Qu'il ne me jugerait pas. Je poussais un soupir et laissai retomber ma main, sentant mon ventre se nouer tandis que j'étais en plein conflit intérieur.
« Dru. »
Son nom m'échappa des lèvres avant même que je ne puisse y penser.
Le corps de Harry se tendit instantanément.
« Dru ? »
J'opinai, préférant regarder son ventre plutôt que son visage. Le sang afflua à mes oreilles, et je m'agrippai aux draps pour empêcher mes doigts de trembler.
« C'était ma meilleure amie. Nous avions grandi ensemble, et quand ma famille est morte, je n'avais plus qu'elle. Personne d'autre. » Je ravalai douloureusement mes souvenirs. « Après ça, j'ai fait n'importe quoi. Je l'ai entraînée dans des fêtes pour lesquelles nous étions beaucoup trop jeunes, nous avons fait des expériences qui n'étaient clairement pas de notre âge. C'était à peine plus d'un an après... Il y avait cette soirée bière du côté de la rivière. J'étais dans une phase où je sélectionnais les mecs, soit pour les emballer, soit si j'étais assez soûl, pour faire d'autre trucs. De son côté, Dru essayait de trouver le courage de demander à Kyle Ramsey de sortir avec elle. » Je ricanai sans humour. « Kyle me rendait fou. Il n'arrêtait pas de me faire chier mais... en dehors de Dru, c'était la seule personne à qui je pouvais parler d'à peu près tout. Il était vraiment sympa. Et je l'aimais bien. » confessai-je à mi voix. « Vraiment bien. Mais Dru avait toujours craqué pour lui, et je n'étais plus le petit gamin pour qui il avait eu un coup de cœur. Elle ne voulait pas venir ce soir-là. Je l'avais malgré tout convaincue que Kyle serait là, et je lui avais plus ou moins forcé la main... En milieu de soirée, j'étais en train de flirter avec le capitaine de l'équipe de foot, pensant que Dru était occupée avec Kyle. Mais soudain, il s'est pointé et a demandé à me parler. On s'est isolés des autres et il m'a raconté des tas de trucs. Que je valais mieux que ce que je faisais avec tous ces types. Que mes parents seraient furieux de me voir agir de la sorte. » Tremblant, je pris une grande inspiration en relatant cet élément. « Et il m'a dit qu'il tenait à moi. Qu'il pensait pouvoir tomber amoureux de moi. Je n'ai pas réfléchi. Je l'ai laissé m'embrasser, et bien vite c'est devenu assez chaud. Il s'est arrêté avant d'aller trop loin et m'a dit que je n'étais pas obligé de coucher avec lui pour l'intéresser. Qu'il voulait être mon petit ami. Je lui ai alors répondu que c'était impossible, que Dru était folle de lui, que je ne pouvais pas lui faire ça. On a tourné en rond pendant quelques minutes, puis j'ai décidé qu'il fallait que je me bourre la gueule pour fuir ce mauvais drame pour adolescents, mais quand je suis allé rejoindre les autres, l'une des copines de Dru m'a dit que je n'étais qu'un connard, que je l'avais poignardée dans le dos. Et j'ai alors compris ; Dru avait appris ce qui s'était passé entre Kyle et moi. »
Je fermai les paupières, la revoyant près de la balançoire, les yeux pleins de haine.
« Je l'ai retrouvée un peu plus loin, le long de la rivière, ivre morte. Elle tentait de grimper sur l'une de ces vieilles balançoires qui surplombent l'eau, mais elle était vraiment usée, et le courant tellement fort... Je l'ai suppliée de revenir me parler, mais elle n'arrêtait pas de me traiter de traître et de traîné. » Je levai la tête vers Harry, qui me contemplait avec compassion. « Elle s'est élancée avant que je puisse l'en empêcher, et la corde a cassé. Elle m'a appelé au secours tandis que le courant l'emportait, et sans réfléchir, je me suis jeté à l'eau. Mais Kyle n'était pas loin derrière et il a plongé à ma suite. Il était bien meilleur nageur. Et au lieu de me laisser la rattraper, il m'a ramené sur la berge. Dru a été entraînée par les flots. Je n'ai plus jamais parlé à Kyle. »
« Bébé. » murmura Harry en tendant la main vers moi.
J'élevai la paume en secouant la tête, des larmes plein les yeux.
« Je l'ai tuée, Harry. Je ne mérite pas qu'on me console. »
Il parut choqué.
« Lewis, tu ne l'as pas tuée. C'était un accident. »
« C'était une succession d'évènements causés par mes actes. Je suis le seul responsable. » Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais j'apposai mes doigts sur ses lèvres. « Je sais que ce n'est pas rationnel. J'en suis conscient. Mais j'ignore si j'arriverais un jour à ne plus m'en vouloir. Cependant, je m'efforce de vivre avec. T'en parler est déjà énorme. Crois-moi. »
Harry m'attira vers lui et me prit dans ses bras, refermant sa main derrière ma nuque.
« Merci de m'avoir fait confiance. »
Je posai ma paume sur sa joue et poussai un soupir las.
« Je crois qu'on a besoin de faire l'amour, à présent. »
Il fronça les sourcils.
« Pourquoi ? »
« Pour qu'on se rappelle bien ce qu'on fait ici. » répliquai-je d'un ton lourd de sous-entendus.
Il étrécit les yeux.
« Non. » trancha-t-il d'un air bourru. « Toutes les raisons sont bonnes pour coucher avec toi, sauf celle-là. »
Surpris, je me rendis compte que je n'avais, pour une fois, pas de répartie, mais Harry n'en attendait aucune. Il m'embrassa à pleine bouche avant de se laisser glisser sur le lit, m'entraînant à sa suite. Il me serra contre lui, puis se pencha pour éteindre la lumière.
« Dors, bébé. »
Complètement stupéfait par le tour qu'avait pris la soirée, je restai immobile à l'écouter respirer jusqu'à ce que le sommeil m'emporte enfin.
***
« Comment vous sentez-vous, à présent que vous avez parlé de Dru à Harry ? »
Mon regard glissa du diplôme encadré au mur jusqu'au visage du docteur Pritchard.
« Je suis à la fois terrifié et soulagé. »
« Terrifié parce que vous vous en êtes ouvert à quelqu'un d'autre que moi ? »
« Oui. »
« Et soulagé... ? »
Je remuai sur ma chaise, mal à l'aise.
« Je suis parfaitement conscient de cacher des choses aux gens. Je sais que ça n'est pas très courageux, mais c'est ma façon de gérer. Quand j'en ai parlé à Harry, ça n'était pas la fin du monde. Pour une fois, je me suis senti courageux. Et ça a été une forme de soulagement. »
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