11.
Mes clés tintèrent sur le buffet en noyer de l'entrée, ce qui fut le premier bruit assez puissant pour rompre le silence pesant entre Niall et moi. Après une soirée agitée au Club 39, j'avais généralement la tête qui bourdonnait, et il me fallait quelques heures de détente avant de pouvoir aller au lit. Ce soir-là était pire que les autres. Je sentais encore Harry dans ma bouche, sur mon torse, entre mes jambes. Bon Dieu, son odeur et son goût refusaient de m'abandonner. Et je m'étais comporté comme si de rien n'était tandis qu'il respectait sa promesse en nous mettant, Niall et moi, dans un taxi, à la fermeture du bar. Je ne lui avais même pas adressé la parole.
Pas plus qu'à quiconque.
Alistair et Harry étaient les deux seuls à savoir pourquoi. Craig m'avait observé d'un air confus pendant tout le reste de la soirée, se demandant sans doute où ma bonne humeur était passée ; pour ma part, je m'étais efforcé d'éviter le regard de Niall. Je l'avais évité dans le bar, je l'avais évité sur le trottoir, je l'avais évité dans le taxi, et je l'évitais encore maintenant. Je retirai mes chaussures d'un coup de pied tout en lui tournant le dos, et je le laissai dans l'entrée pour aller me chercher un verre d'eau dans la cuisine.
« On ne va pas en discuter, donc ? » me demanda-t-il en m'emboîtant le pas.
Je lui jetai un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule, feignant de ne pas comprendre.
« Discuter de quoi ? »
Il me toisa d'un air exaspéré.
« Du fait que Harry ait été furax de voir Craig t'embrasser, qu'il t'ai suivi dans la salle du personnel, qu'il y soit resté enfermé avec toi pendant plus de vingt minutes et qu'il en soit ressorti dans le même état que si on l'avait jeté en pâture à une personne privée de sexe et de vibromasseur depuis dix ans. »
Je ne pus m'empêcher. J'éclatai de rire en visualisant la scène.
Niall ne partagea pas mon hilarité.
« Louis ! Sérieux, qu'est-ce qui se passe ? »
Mon rire mourut sur mes lèvres.
« Il m'a embrassé. On s'est arrêtés. Ça ne se reproduira plus. »
« Harry ne fera pas machine arrière s'il pense que tu es intéressé. »
« Je suis pas intéressé. »
Je suis carrément intéressé.
« Je pense que si, et je... »
« Niall. » Je pivotai pour lui faire face, les nerfs à vif. « Stop, d'accord ? S'il te plaît. Je n'ai pas envie d'un parler. »
Il eut l'air d'un enfant venant de se voir confisquer son jouet préféré.
« Mais... »
« Niall. »
« D'accord. »
Il soupira.
Afin de détourner la conversation, je m'adossai au comptoir et arquai le sourcil droit avec inquiétude.
« Alors, c'était quoi cette histoire entre Liam et toi, ce soir ? »
« Pareil que toi. Je n'ai pas envie d'en parler. »
Ouais, c'est ça.
« Niall... »
Il étrécit alors ses yeux clairs et tristes.
« Bon d'accord, je meurs d'envie d'en parler. Merde, comment tu fais pour toujours tout garder pour toi ? » Il fit la moue. « C'est vraiment trop difficile. »
Je souris en secouant la tête.
« Pas pour moi. »
Il me tira la langue et s'affala mollement sur une chaise de cuisine.
« Je suis vidé. La soirée a été éprouvante. »
« D'où ton air grincheux ? »
« Je ne suis pas grincheux. »
« Un petit peu. »
« Eh bien, tu le serais toi aussi si tu avais dû supporter Liam jusqu'à la fermeture. »
Je me glissai sur le siège voisin du sien en me demandant si j'allais devoir mettre les bouchées double en salle de muscu pour flanquer une correction à ce salaud.
« Qu'est-ce qui s'est passé, babe ? »
« Je n'y comprends rien. » Il grimaça, me contempla d'un œil malheureux. « Il n'arrête pas de dire que nous ne sommes qu'amis, tout en se comportant comme si ça n'était pas le cas. Harry est tellement focalisé sur toi qu'il n'a même pas remarqué son comportement de ce soir, et Liam en a tiré profit. »
« Je l'ai vu faire son possessif avec toi, te forcer à t'asseoir à côté de lui et tout ça.
« Possessif ? Plus j'essayais de me montrer distant, plus il envahissait mon espace. Puis quand Harry a disparu avec toi, j'ai crevé l'abcès. Je lui ai parlé de Nicholas avant de lui demander pourquoi il agissait si bizarrement... »
« Et qu'est-ce qu'il t'a répondu ? »
« Que Nick n'était pas assez bien pour moi, et que si j'arrêtais de me conduire comme un gamin irascible, il arrêterait d'être si dominateur. »
Il était doué. J'eus un rire sans humour.
« Jolie façon d'esquiver le sujet, hein ? »
« Et tu sais de quoi tu parles. » me glissa-t-il.
Je ricanai.
« Ouch. »
« Oh, mon Dieu, désolé, Louis. » gémit Niall. « Je me comporte vraiment comme un connard. »
« Je trouve ça charmant. Vraiment. »
Il gloussa en secouant la tête, les yeux tombant de fatigue.
« Tu es barge. » Il se leva. « Mais je t'aime. » J'en restai pétrifié. Il bâilla. « Il faut que j'aille me coucher. On en reparle demain matin. On essaiera de comprendre l'insensé, d'accord ? »
Mais je t'aime.
« Euh... ouais. » répliquai-je, toujours abasourdi.
« Bonne nuit. »
« 'Nuit. »
Mais je t'aime.
« Allez. » suppliai-je Dru. « On va s'amuser. Kyle sera là. »
Elle me toisa d'un air sceptique.
« Je me suis complètement ridiculisée à la dernière soirée, Louis, et ça n'avait rien à voir avec le fait de porter un bikini. »
Je roulai des yeux.
« On s'est tous ridiculisés à la dernière soirée. C'était même presque le but. Allez. Nate sera là aussi, et je meurs d'envie de traîner avec lui ce soir. »
« Tu veux dire de coucher avec lui. »
Je haussai les épaules.
« Louis, on devrait peut-être faire l'impasse pour cette fois. On est déjà beaucoup sortis dernièrement. »
Un large sourire aux lèvres, je lui passai un bras autour du coup et l'attirai vers moi.
« On est jeunes, on est censés s'amuser. » J'ai besoin de m'amuser. J'ai besoin d'oublier. « Et je ne veux pas faire la fête sans toi. Tu sais quoi? Je vais même vomir sur une pom-pom girl pour toi. Comme ça, quoi que tu fasses, j'aurais toujours la palme de l'acte le plus séditieux de la soirée. »
Elle éclata de rire et m'étreignit fermement.
« Tu es barge... mais je t'aime. »
Les mures se refermèrent sur moi, oppressants. La respiration sifflante, je peinais à avaler assez d'oxygène.
J'étais en train de mourir.
La crise d'angoisse dura plus longtemps cette fois, l'écho de ces mots m'empêchant de me concentrer.
Finalement, je parvins à reprendre pied dans la réalité et à repousser les souvenirs. Mon corps put alors se détendre.
Une fois la crise surmontée, je voulus me mettre à pleurer, mais les larmes n'auraient fait que m'affaiblir. Je repris donc appui sur mes jambes tremblotantes et abandonnai ces réminiscences sur le carrelage de la cuisine. Le temps de changer et de me glisser dans le lit, je peux prétendre que rien ne s'était passé.
***
« Vous avez fait une nouvelle crise d'angoisse ? » s'enquit doucement le bon docteur.
Pourquoi l'avais-je mentionné ? Nous allions devoir parler d'elle, et le Dr Pritchard ne pourrait rien changer à mes actes.
« Ouais, rien de grave. »
« Si, c'est grave, Louis. Qu'est ce qui l'a déclenchée, cette fois ? »
Je contemplai mes pieds.
« Mon amie. »
« Laquelle ? »
Ma meilleure amie.
« Dru. »
« Vous n'avez encore jamais parlé d'elle. »
« Non. »
« Pourquoi Dru vous a-t-elle déclenché une crise d'angoisse, Louis ? »
Je levai lentement les yeux jusqu'à croiser les siens, une vive douleur m'envahissait tout entière.
« Parce qu'elle est morte. » J'inspirai longuement entre mes dents serrées. « Et que c'est ma faute. »
***
Je me réveillai peu avant midi et fus immédiatement assaillie par les souvenirs de la nuit précédente. De souvenirs d'Harry, de ce qu'il pouvait y avoir entre nous. Afin de me changer les idées, je passai le déjeuner à parler en boucle de Liam avec Niall, luttant contre le nerf qui m'élançait dans le ventre chaque fois que je repensais à la promesse que m'avait fait Harry de passer me voir le soir même.
Je m'apprêtais à aller prendre un bain quand le téléphone de Niall bipa. Il jura parcourant son message.
« Quoi ? » demandai-je paresseusement en débarrassant la table.
« Harry est une fois de plus coincé au bureau, il ne pourra pas assister au repas de famille. Maman va encore me poser vingt mille questions pour savoir s'il va bien. »
Je ne m'attardais pas sur la pointe de déception que je ressentis alors au creux de la poitrine. Si Harry travaillait, il ne risquait pas de venir. Ce qui aurait pourtant dû me réjouir.
« Ta mère a vraiment l'air de tenir à lui, hein ? »
« Eh bien, celle de Harry est une sorcière avide égoïste et vaniteuse qui entre et sort de sa vie comme il lui chante. Il ne l'a plus vue depuis des années. Alors... oui. La mienne veille sur lui, parce que tout le monde a besoin d'une maman. »
Comment sa propre mère pouvait-elle se désintéresser de lui ? On parlait tout de même d'Harry Styles !
« C'est incroyable. Je ne peux pas imaginer infliger ça à mes enfants. »
Même si je n'en aurai jamais.
Niall m'observa d'un air triste.
« Harry ressemble beaucoup à notre père, que la mère d'Harry, Evelyn, aimait beaucoup. Mais il a brusquement coupé les ponts avec elle. Il lui a donné de l'argent. Quand elle lui a appris qu'elle était enceinte, il a affirmé qu'il prendrait soin d'Harry, mais qu'il ne voulait jamais la revoir. Désormais, lorsqu'elle regarde son fils, elle voit en lui l'homme qui lui a brisé le cœur, ce qui explique qu'elle ne soit pas très aimante. Elle ne l'a jamais été. Harry a passé son enfance à Edimbourg avec un père distant et assez strict, et chaque été il parcourait l'Europe en voyant sa mère s'enticher de quelque riche d'imbécile n'ayant que faire d'un gamin. »
J'eus de la peine pour le petit Harry.
Et je commis l'erreur de le monter sur mon visage.
« Oh, Louis... » souffla Niall. « Maintenant il va bien, tu sais ? »
Je m'en fiche. Je me renfrognai devant son expression doucereuse.
« Je m'en fiche. »
Il pinça les lèvres, mais ne répondit rien. Au lieu de quoi, il se leva pour quitter la pièce, et me serra chaleureusement l'épaule au passage.
Je contemplai fixement l'évier, et une sorte de malaise m'étreignit. Je n'étais pas encore prêt à m'ouvrir, pourtant mon masque n'arrêtait pas de tomber devant Niall ou son frère.
J'attrapai mon téléphone et me dirigeai vers la salle de bains afin de me prélasser dans l'eau chaude en écoutant de la musique. Alors même que je me déshabillais, la sonnerie retentit.
Harry.
J'observai l'écran, bouche bée, hésitant à décrocher.
Je laissai finalement l'appel basculer sur ma messagerie.
Le téléphone sonna de nouveau.
Et de nouveau, je le fixai sans réagir.
Deux minutes plus tard, alors que je m'immergeais dans la baignoire, soulagé de m'en tirer à si bon compte, Niall tambourina à la porte.
« Harry voudrait que tu décroches ! »
Mon téléphone sonna encore, et je fermai les paupières.
« D'accord ! » criai-je en retour en attrapant mon portable. « Quoi ? » répondis-je sèchement.
Son rire profond ne me laissa pas indifférent.
« Salut, toi. »
« Qu'est-ce que tu veux, Harry ? Je suis occupé. »
« Niall m'a dit que tu prenais ton bain. » Il parlait à voix basse. « J'adorerais être avec toi, bébé. »
Je sentais presque sa présence.
« Harry. Qu'est-ce. Que. Tu. Veux ? »
Il feignit de se vexer.
« Je voulais juste te dire que je ne pourrais pas venir ce soir. »
Merci mon Dieu !
« J'ai un problème avec des fournisseurs, ce qui nous reporte à dans quelques semaines. Je ne sais pas encore quand j'aurai un peu de temps, mais je te promets qu'à la première occasion, je passerai te voir. »
« Harry ne fais pas ça. »
« Après la nuit dernière, inutile de prétendre qu'il n'y a rien entre nous. Il est hors de question que je fasse machine arrière, alors au lieu d'élaborer une nouvelle stratégie de défense -même si je suis sûr que je trouverai ça très amusant-, capitule bébé. Tu sais que tu vas finir par craquer de toute façon. »
« Je t'ai déjà dit à quel point je te trouvais pénible et arrogant ? »
« Je sens encore ton goût et ton odeur, Lewis. Et je bande toujours comme un dingue. »
Je chavirai en mon for intérieur et serrai les jambes.
« Mon Dieu, Harry... » Soufflais-je sans réfléchir.
« J'ai hâte de t'entendre dire ça quand je serai en toi bébé. A bientôt. »
Sur ce, il raccrocha.
Je gémis, et laissai aller ma tête contre la baignoire.
J'étais foutu.
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