12 | la rebellion

- Eh je crois que ta copine se réveille !

- Je t'ai déjà dit que c'était pas ma copine, Maddie.

- Et en plus tu t'attends à ce que je crois à tes mensonges ?

- T'es chiante.

- Je sais.

Je papillonnai des yeux un instant, encore engourdie dans une brume épaisse. Par intermittence se dessinait les silhouettes vagues de Miles et d'une autre fille. Ma tête résonnait encore, j'avais l'impression d'avoir reçu une enclume sur le crâne. 

J'essayai de me relever, en vain. Miles se précipita vers moi.

- Bouges pas Scout, tu dois être encore un peu sonnée, je vais t'apporter de l'eau.

La fille à ses côtés, que je reconnu comme étant la caissière, grommela quelque chose ce qui lui valut un coup de poing sur l'épaule de la part de Miles. Visiblement ces deux là se connaissaient déjà. Ou alors j'avais hiberné pendant une bonne semaine.

Avant même que je ne puisse répondre, Miles se levait déjà et partait en direction de la voiture qui attendait sagement quelques mètres plus loin. La fille le suivit des yeux un instant puis me jeta un regard étrange, assez semblable à celui qu'elle m'avait lancé dans le magasin. 

- Tu nous a fait une peur bleue, ça t'arrives souvent de tomber dans les pommes comme ça ?

Je secouai la tête, incapable de prononcer un mot. Mes lèvres étaient sèches, mes pensées cotonneuses.

- Miles était super inquiet, t'aurais du voir sa tête quand il est entré dans le magasin. C'était épique, une vraie scène de cinéma, se moqua-t-elle. Je suis Madelaine au fait, et toi c'est Scout, c'est ça ?

J'acquiesçai lentement en serrant la main qu'elle me tendait. Une brise légère combla le silence. Les cheveux de Madelaine étaient bruns et coupés dans un carré long, ils voletaient sur ses épaules. Elle semblait très jeune, sa peau avait subi quelques traces de l'adolescence et les tâches de rousseur qui réhaussait ses pommettes rouges lui donnaient un air de poupée. 

- Vous vous connaissez ? finis-je par demander d'une petite voix.

- Je suis sa voisine, on se connait depuis le bac à sable comme disent les vieux, rétorqua Madelaine en mâchant son chewing-gum. 

- Oh.

Je ne savais pas vraiment si son comportement à mon égard était désinvolte ou suspicieux. Dans tous les cas ma présence aux côtés de Miles ne semblait pas la ravir. Ce dernier revint avec une bouteille d'eau, coupant court à ma gêne.

- Tu te sens mieux Scout ? T'as les joues rouges, t'as pas trop chaud ? 

Je secouai la tête pour la énième fois et attrapai la bouteille d'eau pour en prendre une grande gorgée. Cette situation était très embarrassante ; je me sentais comme une fillette de cinq ans qui s'était égratigné le genou, et ce n'était pas forcément très reluisant. L'idée que Miles puisse penser que j'étais une gamine faiblarde me blessa, c'était l'image que je m'étais coltiné durant tout le lycée et j'espérais pouvoir laisser ces années de ma vie derrière moi, à Evergreen Park. 

- Je vais bien, déclarai-je avec un semblant d'assurance.

Madelaine arqua un sourcil, moqueuse, tandis que Miles, ignorant mes protestations, me tendit le fameux sandwich au thon. Je déclinai.

- J'ai pas besoin d'être baby-sittée, articulai-je plus fermement cette fois-ci. 

Je m'aidai du sol pour me relever avec un tant soit peu de dignité. La scène devait sûrement être ridicule, mais j'avais un égo. Et je ne connaissais pas Miles. 

- Je vais me rafraîchir, annonçai-je une fois debout. Mais je vais bien. 

A ces mots, je me dirigeai vers les toilettes les plus proches et m'enfermai en vitesse dans une des deux cabines libres. Les murs carrelés étaient blancs, et, dans le miroir, je pouvais presque disparaître dans le décor avec ma peau fantomatique et mes cheveux ternes. Je pouvais presque comprendre l'inquiétude de Miles, j'avais vraiment mauvaise mine. 

Je coupai court à l'inspection de mon apparence, de toute façon il n'y avait pas grand chose à voir, et fit couler l'eau du robinet. Avec mes mains en coupe, je vint récupérer de l'eau fraîche et en barbouilla mon visage. La sensation glacée apaisa mes joues rougies par la honte et la frustration, mettant mes pensées en mode off pour quelques instants. 

En revenant des toilettes, les deux acolytes m'attendaient. Madelaine avait troqué son uniforme pour un sweat épais qui lui arrivait jusqu'aux genoux - il appartenait sans aucun doute à Miles. Et Miles, lui, dévorait son sandwich au poulet avec appétit. 

- C'est bon, t'es calmée ? 

Un nouveau coup de coude pour Madelaine.

- Excuse-là c'est un peu une brute de décoffrage, ajouta platement le garçon. 

- Je t'emmerde, Whitemore, grogna-t-elle.

Ils se chamaillèrent encore. Je me sentais parfaitement à ma place : invisible. Miles remarqua rapidement mon malaise et engloutit la fin de son repas avant de couper court à la dispute. Il attrapa son sac à dos contre la borne d'essence et se leva pour me faire face. 

- Scout, je peux te parler une seconde ? 

J'hochai la tête. Il se retourna vers Madelaine et lui signifia qu'elle avait d'autres choses à faire. J'étais mal à l'aise lorsqu'elle se trouvait dans les parages, il y avait quelque chose qui me donnait envie de retourner au fond de ma coquille et de ne plus en bouger. Amanda avait l'habitude de me comparer avec un bernard-l'ermite quand nous étions plus jeunes. La comparaison n'était certainement pas flatteuse, mais elle avait le mérite d'être réaliste. Je sentais vraiment le besoin de me retrancher et de rester dans mon coin. 

- Ecoute je pense que tout ce voyage t'as un peu secouée, débuta Miles lorsque Madelaine fut partie. Je peux comprendre que l'aventure c'est pas trop ton truc, tu as été habituée à la routine toute ta vie, et tout ça c'est beaucoup.

Il choisissait ses mots attentivement, bafouillant de temps à autre quand il hésitait sur la meilleure tournure à employer. Il ne voulait pas me blesser.

Il y avait quelque chose en moi, un feu qui me brûlait la poitrine, qui cherchait à se révolter. Il y avait cette volonté de tout envoyer chier, de prouver au monde que je n'étais pas une poupée de porcelaine qu'on avait peur de briser. Cette envie de m'exprimer, d'avoir une voix et de me faire entendre.

Et il y avait le reste, cette sensation de gêne qui m'avait dominée pendant des années. Je me disais que je n'étais pas à ma place, je me faisais petite, je me cachais dans l'ombre de ma sœur. Je tortillais mes jambes et affaissais mes épaules. Je voulais être une souris et disparaître. J'avais peur.

Et plus je me forçais à écouter mon côté lisse, celui qui ne dérangeait pas - la couche de peinture passe-partout, plus je sentais cette brûlure grossir dans mes entrailles et démanger ma langue. 

Partir avec Miles, faire ce road-trip improvisé, plonger dans l'inconnu - c'était ma façon de dire "je vous emmerde". C'était ma rebellion rien qu'à moi. C'était cette dose d'adrénaline qui vibrait sous ma peau, c'était effrayant mais addictif.

Miles se grattait la nuque, embarrassé. Il parlait, mais j'avais arrêté de l'écouter. Mes yeux parcouraient son visage, son expression sérieuse, ses lèvres roses et muettes. Peut-être qu'une partie de moi avait décidé de s'enfuir avec Miles parce qu'il me plaisait, peut-être que j'essayais bêtement de combler le trou béant qu'avait laissé Gabriel dans mon cœur. Mais qu'est-ce qu'il y avait de mal à ça ? Ce n'était pas si grave, de profiter un dernier été avant la vie d'adulte. De prendre des risques, de rire, de découvrir et peut-être de tomber amoureuse d'un garçon que je ne reverrai pas. Ce n'étais pas grave de faire des erreurs et d'apprendre, d'être naïve et un peu trop intrépide. 

J'étais fatiguée de devoir sans arrêt lutter contre mes propres envies, de devoir passer après les autres. J'avais envie de vivre. 

Et peut-être que j'allais regretter cette aventure impromptue, mais comment pouvais-je le savoir si je ne le faisais pas ?

- Donc si tu veux rentrer chez toi, on n'est qu'à quelques heures de route. Je te ramènerai. C'est de ma faute tout ça, j'aurais pas dû te pousser à partir. Je voulais juste te pousser un peu dans tes retranchements, mais c'était peut-être pas la meilleure chose à faire. Je me sens un peu con et égoïste parce que moi aussi je voulais partir, et je ne voulais pas être seul. Et maintenant tu te sens mal, et j'ai pas réfléchi.

- Je reste, le coupai-je. 

Ma propre injonction me dérouta, j'avais l'air si sûre de moi. Miles ouvrit de grand yeux. Il s'assura à plusieurs reprise que ma décision était catégorique et se mit à sourire bêtement.

C'était un grand sourire, un sourire qui illuminait tout son visage, il n'arrivait pas à se contenir et, bientôt, ce fut contagieux.

- Bon les tourtereaux c'est bientôt fini ? Vous avez l'air niais à sourire comme ça. 

C'était Madelaine, les bras chargés de provisions et l'air agacé - ce qui maintenant ne me choquait plus vraiment.

- On y va ? 



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