09 | la fugue

Un cognement retentit sur le carreau. Brusquement. Puis un second. Et encore un troisième.

Je battis des paupières, encore engourdies par le sommeil dont on venait de me tirer. Ma chambre était plongée dans un noir de poix, je ne se souvenais même pas de m'être endormie et me levai à l'aveuglette, quelque peu déboussolée. Les vestiges de longues stries trempées étaient les seuls témoins des larmes que j'avais versé la veille, après ma dispute avec Amanda.

Un énième cognement me fis sursauter. Mon regard dévia vers son radio-réveil qui indiquait en LED flurorescentes "2:06".

Qui était le malade qui me réveillait au beau milieu de la nuit ? Et en lançant des cailloux à la fenêtre en plus ? Il se croyait sûrement dans une comédie musicale, et je n'allais pas tarder à lui remonter les bretelles. J'avais beau être gentille et docile, il y avait une chose que je ne supportais pas et c'était que quelqu'un coupe court à mon sommeil de marmotte. Encore plus avec des cailloux. Non seulement c'était vraiment très malpoli, parce qu'en principe on appelait la personne avant, ou on avait la décence de toquer à la porte, mais en plus ça risquait de briser le verre et de réveiller mes parents. Déjà que j'étais privée de sortie, ce serait le pompom de me faire punir pour être justement restée à l'intérieur.

Je me précipitai à la fenêtre et l'ouvris sans aucune douceur, manquant de faire sauter les gonds.

Néanmoins, je fut stoppée dans son élan lorsque la silhouette de Miles se détacha de la nuit sous la faible lumière des lampadaires. Alors là, c'était une drôle de surprise.

Ne m'ayant pas encore remarqué, il jeta une énième pierre qui me frôla le visage, m'arrachant un cri. Ce mec avait un sérieux problème.

- T'es complètement malade !

- Désolé, il fait super nuit et j'ai besoin de lunettes, me répondit-il comme si c'était une excuse valable.

- Qu'est ce que tu fais là ?

- Je suis venu te chercher, répliqua-t-il simplement, une ébauche de sourire au coin des lèvres.

- Je suis interdite de sortie, précisai-je, agacée par cette visite nocturne et, pour le moins, inattendue. Et qu'est ce qui te fait dire que j'ai envie de te rejoindre ? Il est deux heures du matin, et tu m'as réveillé. En plus, t'as failli m'éborgné.

- Je trouvais ça plus fun la nuit, ça fait un peu film d'aventure, débuta Miles sans réprimer son sourire débile. Disons que si tu viens, tu seras pardonnée pour t'être enfuie la dernière fois.

- Je ne me suis pas enfuie, maugréai-je, de mauvaise foi. Je devais juste rentrer.

- Tu n'avais même pas fini ta glace.

- Et qu'est-ce qu'on ferait à une heure pareille ?

- On pourrait s'enfuir. Mais à deux, cette fois-ci.

J'hésitai. D'un point de vue extérieur, cette scène farfelue avait des airs de Raiponce. Miles au pied du mur, bien plus nonchalant qu'un prince charmant, mais tout de même venu me chercher au beau milieu de la nuit, et moi, accoudée au rebord de la fenêtre, mes longs cheveux blonds dansant au gré du vent. Mais on était loin du conte de fée. Je refermai la fenêtre, plus délicatement que lorsqu'elle l'avait ouverte, et Miles arrêta de sourire.

- Attends je n'ai même pas pu t'expliquer ! Protesta le brun, mais ses cris furent étouffés par la vitre qui nous séparait.

Une fois à l'intérieur, une vague d'angoisse me gagna. Ma décision était folle, inconsciente, irréfléchie. C'était la pire idée du siècle. S'enfuir ? Pour aller où ? Pour faire quoi ?

Je ne le connaissais même pas. Enfin si, parce qu'on avait fréquenté le même lycée et qu'on avait partagé un sorbet citron, mais ce n'était clairement pas suffisant pour partir en vadrouille avec lui. Pourtant, tout mon corps semblait m'indiquer de faire mon sac et de déguerpir aussi vite. Moi qui avait toujours apprécié ma petite vie bien rangée, depuis que j'avais rencontré Miles, un souffle intrépide m'avait parcouru. Et j'avais aimé ça.

Je ne m'étais jamais sentie aussi libre que le jour de notre rencontre, où nous avions parcouru la ville à bord de ma petite bicyclette jaune. Je m'étais même sentie courageuse.

Courageuse d'avoir quitté ce connard de Gabriel, courageuse d'avoir osé tenir tête à mes parents (même si ça s'était soldé par un échec cuisant et que j'avais été privée de sortie), courageuse d'avoir dit à Amanda ce que je pensas réellement. Finalement, courageuse d'accepter de changer, d'accepter que passer à l'âge adulte signifiait aussi que je ne devais plus avoir peur de me jeter à l'eau. Mais est-ce que m'enfuir avec Miles était du courage, ou simplement de la folie ? Comment savoir si je n'allais pas regretter mon acte, me dire qu'après tout ce n'était qu'une tentative de rébellion adolescente ?

Tous ces changements avaient un goût amer, parce que moi aussi j'avais du mal à me reconnaître. Je ne savais pas si je devais passer par cette phase étrange avant de me sentir en parfaite harmonie avec moi-même, et je n'avais personne à qui me confier. Personne, à part Miles.

Mes parents ne me comprenaient pas, en réalité ils n'essayaient même pas, parce que c'était bien plus facile de me répéter que ma vraie nature était la délicatesse et la discrétion, plutôt que devoir gérer une adolescente qui voulait se libérer de ses carcans, quitte à y aller sans douceur. Quant à mes amis, du moins aux amis de Gabriel, ils étaient tous en vacances et n'en avaient sûrement rien à faire de ma petite crise existentielle.

Mais ce fut Amanda qui me décida. Parce qu'Amanda me l'avait prouvé hier, lors de notre altercation, elle était l'exemple même de l'adolescente à qui on avait interdit de rêver, et qui était devenue une adulte fade et désenchantée par la vie. Moi je voulais y croire, naïvement sûrement, à ce conte de fées qui s'offrait à moi. Et je comprenais, un peu tard, que ni la jeunesse, ni l'amour, ni l'aventure, n'allait me tomber dessus par hasard. Aujourd'hui, elle me tendait les bras, et c'était à moi de prendre cette chance. C'était à moi d'agir pour mon propre bonheur.

Après tout qu'est ce qui me retenait ici ? J'étais en vacances, j'étais majeure, j'avais la vie devant moi. Il était grand temps que je vive ma première aventure. Il n'était jamais trop tard.

Alors dans la précipitation, j'attrapai un sac de randonnée et y fourrai tout ce qui me paraissait nécéssaire. Je restai toujours moi, et il était hors de question que je parte d'ici sans une trousse de secours ou des provisions. Une fois le strict minimum enfoui dans mon sac, je fouillai parmi mes pulls pour retrouver les enveloppes pleines d'argent que j'avais reçu à mon anniversaire, puis m'emparai d'un stylo et d'une feuille pour laisser un mot à mes parents. Le but n'était pas non plus qu'ils appellent la police le lendemain. Alors j'expliquai que je partais quelques jours chez Tante Annie, dans le Rhode Island afin de me ressourcer et de me voir mes cousins. Je comptais les appeler au bout de quelques jours, lorsqu'ils se rendraient compte que je n'étais pas à l'endroit prévu, pour les rassurer. Peut-être qu'après ça, je risquais d'être punie à vie, mais je m'en fichais. Ça en valait la peine.

Rongée par les remords, je finis par écrire également un mot pour Amanda, m'excusant pour mes propos et lui prouvant que moi j'étais capable de réaliser mes rêves, et que j'avais hâte qu'elle en fasse autant.

Lorsque la porte d'entrée claqua derrière moi, j'eu le sentiment qu'un énorme poids avait quitté mes épaules.

Miles m'attendait toujours, adossé contre un lampadaire. Un sourire vint de nouveau illuminer son visage alors que je m'approchai de lui, l'air décidé. Je ne lui dis pas qu'il éclairait bien plus la nuit que ne le faisait tous les lampadaires de la rue, mais je le pensais très fort.

- Comment tu pouvais savoir que j'allais accepter ? Finis-je par lui demander, brisant la bulle de silence qui nous enveloppait.

- Je ne le savais pas. J'aurais attendu jusqu'au petit matin que tu changes d'avis, et si tu ne l'avais pas fait, je serais tout de même parti. Mais le trajet aurait été bien moins agréable. Alors je suis plutôt content que tu te sois décidée rapidement.

Il me jeta un regard moqueur en me voyant crouler sous le poids de mon sac à dos. C'est vrai que j'avais un peu l'air de m'être préparée pour un épisode de Man VS Wild, avec mes cheveux en batailles et mes cernes violettes.

- Ça ne dérangera pas tes parents ? Osa-t-il tout de même s'inquiéter, alors que nous empruntions la rue pour rejoindre sa voiture.

- J'emmerde mes parents, déclarai-je.

Et je n'avais jamais été aussi sûre de moi, alors que je montai aux côtés de Miles sur le siège passager.

Toute ma vie, j'avais attendu l'aventure. Aujourd'hui, c'est elle qui m'attendait. Et j'arrivai, confinée dans le tas de ferrailles que conduisait Miles, le sourire jusqu'aux oreilles, et le coeur léger.

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