08 | les conseils d'Amanda

La semaine suivant ma rencontre avec Miles se déroula exactement comme toutes les autres semaines de ma vie. Monotone. Et solitaire.

Mes parents m'avaient puni de sortie pour être rentrée aussi tard et avoir crié sur ma mère avant de m'enfuir sans les prévenir. Ça tombait bien, je n'avais plus jamais envie de sortir et au moins j'avais à présent une excuse pour me morfondre toute la journée dans ma chambre sans être dérangée. Retour à la case départ.

J'avais longuement réfléchi à mon comportement vis à vis de Miles. Il allait de soi que j'avais été très malpolie, mais surtout je n'avais pas été courageuse. J'avais fui, comme à mon habitude.

Un soupir s'échappa de mes lèvres, de toute façon il ne risquait pas de repointer le bout de son nez après ce qu'il s'était passé. Je me contentai donc de lancer un énième épisode de Gossip Girl, et de m'enfoncer lentement, mais sûrement, dans ma médiocrité.

La journée suivait lentement son cours, j'en étais au troisième épisode de la saison 4 quand quelques coups secs on été tapés à ma porte. Je voulu répondre « non, je ne suis pas là » et jouer à l'adolescente en colère, mais la vérité était que je n'étais pas en colère ; j'étais juste honteuse et ennuyée. À croire que l'élan de liberté qui m'avait pris quelques jours plus tôt avait fini d'achever mes espoirs d'une vie un peu moins banale.

- Je peux entrer ? Questionna Amanda alors qu'elle avait déjà un pied dans ma chambre.

Mon grommellement ne suffit pas à la faire partir, et bientôt elle passa tout son corps à travers l'encadrement de la porte.

Amanda était mon aînée, elle avait sept ans de plus que moi. En fait, elle avait tout de plus que moi : la taille, la beauté, l'intelligence. Parfois les gens ne nous croyaient même pas quand nous annoncions que nous étions sœurs. Amanda était le portrait craché des mes parents ; grande, avec des longs cheveux bruns et bouclés, et une paire de prunelles d'un noir profond, qui s'éclairait toujours au moindre sourire.

Il fallait dire que ma sœur savait sourire, évidemment certains étaient plus faux que d'autres, mais elle parvenait toujours à réchauffer le cœur des gens. Mes parents rigolaient sans cesse en lui disant : « Avec tes sourires tu pourrais guérir un cancéreux, tu aurais du t'inscrire à Miss Monde ! ». Sauf qu'évidemment, Amanda était brillante, et participer à ce genre d'émission débile n'aurait fait que gâché son talent incommensurable. Maintenant qu'elle avait finit ses études de droit, elle travaillait en tant qu'avocate dans un cabinet réputé. Si jeune et pourtant si douée, étaient les mots qui ressortaient à son égard.

Oh oui, Amanda Coleman était parfaite. Je n'étais qu'une pâle copie à côté d'elle, au sens littéral du terme au vu de mon teint de porcelaine et de mes cheveux d'un blond fade, alors qu'elle resplendissait d'un teint de pêche et de formes envoûtantes.

J'avais été jalouse d'elle pendant de nombreuses années, envieuse de ses trophées d'athlétisme, de ses diplômes d'excellence et de son physique de Vénus. Puis j'avais fini par me contenter de ce que j'avais, de trouver que finalement mes cheveux n'étaient pas si filasses, et que parfois, mon sourire crispé et ridicule, pouvait s'avérer charmant. Et puis, il y avait eu Gabriel King, qui, pendant un temps, m'avait fait croire que j'étais spéciale, et que mes parents pouvaient m'accorder quelques mérites. Mais très vite, cet espoir avait été balayé, le jour où l'on m'avait reproché d'être incapable de garder un homme bien à mes côtés. Évidemment, ce n'était pas à moi qu'était revenu le mérite, j'avais été si naïve de le croire. C'était simplement Gabriel, si parfait, qui avait réussi à améliorer mon image le temps d'un an.

Toutefois, tant d'années à être mises en compétition par nos parents avaient laissés quelques séquelles. Je n'arrivais pas à être heureuse pour elle ; je ne l'enviais plus pourtant, je ne voulais pas d'une vie bien rangée à 26 ans, avec un fiancé tout aussi parfait et des projets d'avenir barbants. Mais malgré le dégoût que m'inspirait sa vie, vie tant espérée par mes chers parents, je ne pouvais me convaincre que cela lui plaisait. Peut-être était-ce un désir profond de savoir qu'elle n'était en réalité, pas si heureuse qu'elle laissait croire, un désir de vengeance malsaine qui me tiraillait les entrailles. Ou peut-être était-ce une simple intuition quant à celle avec qui j'avais partagé 18 ans de ma vie, et qui malgré tout ce qui nous opposait, était bien plus profonde et sincère que ce que reflétait son image parfaite. Je m'attachais à cette petite étincelle qui brillait parfois dans son regard, quand elle me parlait de ce qui la passionnait réellement, et j'essayais de croire que nous n'étions pas si différentes, que finalement elle avait juste suivi ce chemin tout tracé par peur de contrarier mes parents, ou par peur d'assumer ses choix et d'en souffrir. C'était tellement plus simple de s'abandonner à la conformité.

Mais moi j'étais persuadée que derrière cette couche de mondanité et de faux sourire se trouvait toujours la jolie Amanda qui m'accompagnait acheter une glace avec son argent de poche quand les parents me reprochaient que de telles sucreries m'empêcherait de rentrer dans ma robe sur mesure prévue pour la communion de la cousine Liza. La jolie Amanda qui n'hésitait pas  à sauter pieds joints dans la boue pour récupérer la peluche qui m'avait échappé des bras. La jolie Amanda qui avait donné un coup de poing à un garçon parce qu'il avait osé se moquer de moi. J'osais croire qu'elle existait toujours, et qu'elle attendait simplement de pouvoir ressurgir à la surface.

Mais aussi loin que remontait mes souvenirs, Amanda n'avait agit comme ça qu'en ma présence, et depuis qu'elle avait quitté le cocon familial pour habiter la grande ville, nos liens s'étaient peu à peu dégradés jusqu'à ce que la fille, assise aujourd'hui au bord de mon lit, ne soit pour moi qu'une parfaite inconnue.

- Les parents étaient vraiment inquiets, débuta-t-elle d'une voix doucereuse.

Elle approcha sa main de mes cheveux, et, comme pour rassurer un animal sauvage, attendit quelques instants que mes yeux cessent de lancer des éclairs pour se mettre à caresser mon crâne. J'étais épuisée de me battre avec elle. De toute façon, elle avait toujours raison. Du moins, c'est ce que je lui laissais entendre pour qu'elle me foute la paix.

- Tu ne peux pas leur en vouloir, tu as toujours été si...

- Invisible, maugrée-je.

- Discrète, me reprit Amanda avec sa diplomatie habituelle.

C'était bien ma sœur ça, toujours modérée, jamais un mot plus haut que l'autre.

- C'est pas ton genre de disparaître comme ça pendant une journée.

- Je dirais que c'est exactement mon genre, je disparais tout le temps, c'est juste que d'habitude, je suis dans ma chambre à me morfondre. Combien de temps ont-il mis avant de voir que je n'étais pas revenue à la maison ? Ils ne me voient jamais de toute façon. J'ai voulu prendre un peu l'air, où est le problème ? J'ai 18 ans, ils ne pourront pas me garder captive toute leur vie.

- Ils ne cherchent pas à te brimer, ils t'aiment beaucoup. C'est juste que tu es... difficile à vivre. Surtout en ce moment, on croirait à une crise d'adolescence tardive. Je ne te reconnais plus, Scout.

- Et c'est si mal que ça ? De changer ? On me reproche sans arrêt que je devrais me comporter en adulte mais dès que je tente mes propres expériences on m'empêche de grandir.

Lors d'un instant, ma voix se fut suppliante, comme si je pouvais avoir une vraie discussion avec ma sœur. Comme si elle pouvait de nouveau me protéger. Mais c'était trop en demander, elle n'était ici que pour me sermonner avec discours ennuyeux. D'ailleurs ça ne m'aurais pas étonné que les parents l'aient envoyé exprès pour me faire croire à une réconciliation entre sœurs, alors que cette visite n'avait pour but que de me recarder. Franchement je me demandais encore pourquoi ils ne m'avaient pas envoyé dans un couvent.

- Voyons, ce n'est pas en batifolant avec je ne sais qui dans la nature que tu te comportes en adulte. Être adulte c'est être modéré, c'est savoir utiliser la justice et la raison et-

- Je ne batifolais pas, la coupais-je en me renfrognant.

- Scout, j'ai été jeune avant toi, déclara-t-elle posément. Même si les parents ont bien compris que tu t'étais enfuie pour rejoindre un garçon, j'ai eu la décence de ne pas leur dire que le garçon en question n'était sûrement pas Gabriel. Lui au moins aurait été assez bien élevé pour se présenter aux parents et te ramener en voiture ! D'ailleurs tu as pensé à lui ? Au mal que ça lui fera quand il apprendra que sa petite-amie traîne avec un voyou !

- Gabriel n'est plus mon petit-ami. Je l'ai quitté.

- Mais qu'est ce que tu as fait encore ! Tu es tombée sur la tête ? C'est ce garçon qui te retourne le cerveau comme ça ?

- J'ai fais ce qui était bon pour moi, contrairement à toi. Pour une fois j'ai fais quelque chose qui ne plairait pas aux parents mais qui au moins me ferait plaisir à moi. C'est quand la dernière fois que tu as pensé à toi ? Ils sont passés où tes rêves de voyage et de photographie ?

Le ton monta, cette fois-ci j'étais plus qu'énervée. J'étais hors de moi, comment pouvait-elle être aussi aveugle ? Elle ne me reconnaissait plus parce que je n'étais pas toujours gentille et docile, mais moi je ne la reconnaissais plus parce qu'en réalité, derrière son masque de joie, elle avait perdu toute humanité.

- C'était des rêves d'enfants ! S'emporta Amanda, me faisant sursauter.

Je n'avais pas entendu ma sœur hurler depuis trop longtemps.

- Aujourd'hui j'ai des projets d'adultes, tu ferais mieux d'en faire autant, sinon tu finiras seule et reniée de toute la famille.

La honte de la famille, comme si je ne l'étais pas déjà.

- Des projets d'adultes ? Se marier à 26 ans à un connard qui me trompe et qui ne voit pas à quel point je suis merveilleuse ? N'avoir rien vécu et mettre de côté tous mes rêves d'aventure ? Non merci, les projets d'adultes je te les laisse Amanda, je rétorque froidement.

Elle arqua un sourcil, les lèvres frémissantes. Ça devait la démanger de me sauter au cou pour me faire taire, mais elle était trop digne pour ça. Elle se leva, tremblante de rage, et se dirigea vers la porte.

- Ce ne sont que des conseils. Je t'aurais prévenu, ne viens pas pleurer quand tu ne seras qu'une bonne à rien avec un salaire minable et que ton voyou t'auras quitté pour une autre.

La porte claqua derrière elle.

- ET MON FIANCÉ NE ME TROMPE PAS, crut-elle bon d'ajouter en hurlant, derrière la porte.

Je me laissais tomber sur mon lit dans un énième soupir las. Cette famille était épuisante.

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