07 | le sorbet citron
Je pris place de l'autre côté du comptoir, la tête entre les mains et le regard rivé vers Miles. Il avait l'air tellement concentré, avec son petit tablier et sa langue coincée entre ses dents.
Miles n'était pas spécialement apprêté, il avait une tignasse brune mal coiffée, un nez légèrement de travers et flottait dans ses vêtements. Je crois que tout son charme résidait dans ses yeux alertes et pétillants et dans son sourire éclatant, qui laissait apparaître deux petites fossettes au creux de ses joues. Miles était très loin d'avoir le charisme de Gabriel. Pourtant, quand je le regardai là, assise face à lui, je ne pouvais m'empêcher de le trouver rayonnant. Comme un soleil.
"Quelle glace plairait à Mademoiselle ?"
Il me jeta un regard malicieux, un cornet à la main. Ce qui était certain c'est qui ne ratait jamais une occasion pour faire le pitre.
"Une glace à la vanille, s'il vous plaît Monsieur."
"Mais il me plaît, Mademoiselle." Rétorqua-t-il en me servant le cornet vanille.
Quelques minutes plus tard nous étions attablés dans un coin de la glacerie, à déguster nos glaces sans un bruit. Les rayons orangés avaient laissé place à une lueur bleue qui enrobait la pièce d'une atmosphère mystérieuse. Les ombres de nos corps silencieux jouaient sur le mur.
Miles s'était tut, ce qui n'était pas habituel. Ses prunelles noisettes faisaient des aller-retours incessant entre son sorbet et mon visage. Il ne tenait décidément pas en place.
"T'as perdu ta langue ?" Me moquais-je en le voyant se perdre dans ses pensées. "Je pensais que tu étais inarrêtable."
Il releva son nez froncé, presque étonné que je sois capable d'humour. Ou du moins, à voix haute. Rapidement, un éclair de malice vint parsemer ses yeux.
Il poussa son pot jusqu'à moi. Le silence reprit son trône, tandis que je goûtais son fameux sorbet citron. Et je devais avouer que la douceur acidulée du citron venant caresser ma langue était une des meilleures sensations que j'avais connu. Je devais définitivement changer mon classement des meilleurs glaces et augmenter le pauvre et méconnu sorbet au citron d'une dizaines de places.
"J'aime bien."
"Évidemment que tu aimes bien. Tout le monde aime le sorbet au citron. Même Dumbledore."
"Et c'est bien connu que tout ce que dit Dumbledore est parole d'évangile."
"C'est normal. Harry Potter c'est un peu ma bible à moi."
J'haussai un sourcil, amusée par ses paroles. C'est clair que j'étais loin d'avoir des débats sur Harry Potter avec Gabriel. Moi qui était habituée aux questions existentielles de mon ancien petit ami, j'étais bien contente de pouvoir discuter sans prise de tête avec un parfait inconnu.
"D'accord. Alors qui est le meilleur personnage d'Harry Potter ?" Demandais-je avec un air de de défi.
"C'est très simple," a-t-il répondu "C'est Ron."
"Pourquoi lui ?"
"Je veux dire il est roux et arrive quand même à choper la meuf la plus canon. C'est lui le magicien le plus fort de tout Poudlard ! Et puis il mange beaucoup et ça c'est quand même +10 points dans le classement de mon cœur."
Miles était quand même un sacré numéro.
"Et toi laisse moi deviner, tu vas dire : la meilleure c'est Hermione parce que c'est une femme et qu'elle est trop forte et que sans elle Harry serait mort déjà au premier tome, comme une grosse merde."
Son imitation de ma voix était pire que mauvaise, il parlait d'une voix nasillarde et en faisait des caisses avec ses mains.
"J'allais répondre Neville, mais ta réponse tient la route."
"Neville ?"
"Oui Neville. En fait Neville c'est un peu le héros oublié, parce qu'il répond à tous les critères de la prophétie mais finalement c'est Harry qui a été choisi. Tu vois Neville ç'aurait pu être le héros mais finalement non, du coup il vit dans l'ombre des autres parce qu'il se croit nul jusqu'au jour où il tranche la tête de Nagini. Là il est carrément badass."
"En fait les plus gros losers sont pour nous les meilleurs, ça en dit quand même long sur ce qu'on est."
"Comment ça ?"
"Bah ça me paraît super logique, forcément tu adules la personne que t'aimerais être. Je pense que tu kifferais montrer qu'en fait t'es une héroïne à qui on a pas laissé sa chance et puis moi clairement je compte pecho la meuf bonne malgré ma tête de clown. CQFD."
Je fixai Miles quelques secondes, incrédule. Le mec venait littéralement de me psychanalyser à partir d'Harry Potter. Et le pire c'est qu'il était loin d'avoir tort.
"C'est comme avec nos glaces" répondais-je. "Toi t'as pris un sorbet citron parce que t'es un sorbet citron."
"Je suis jaune et acidulé ? Et clairement sous estimé par le commun des mortels ?" Se moqua-t-il tout en enfournant une cuillerée de son sorbet dans sa bouche.
"Un peu oui. T'es toujours plein d'énergie, tu respires l'optimisme et tu souris tout le temps."
"Parce que ça sourit un citron ?"
"Non, mais le citron ça soigne les maux de gorges et toi tu soignes un peu mes maux de cœur avec tes idées farfelues."
"Cool, eh bah je suis un sorbet au citron. Mais par contre ta théorie glacée marche pas très bien."
Il désigna brièvement la glace à la vanille que j'étais en train d'engloutir.
"Bah si, la glace à la vanille c'est simple, doux et ça passe partout. C'est tellement logique qu'on y pense pas."
"Ouais mais toi t'es une mytho. Tu fais genre que t'es une glace à la vanille mais en vrai t'es une glace à la lavande. T'es surprenante."
"Une glace à la lavande ? Pourquoi la lavande spécifiquement ?"
"Je sais pas trop, ça te va bien. La lavande ça sent bon et ça a pleins de vertus. Par exemple, elle calme les angoisses et aide à se concentrer."
"Je ne vois pas trop quel est le rapport avec moi" marmonnais-je en sentant mes joues prendre une teinte rouge brique.
Miles releva ses yeux vers moi, une lueur malicieuse éclairant ses prunelles ambres. Il me considéra un instant, sûrement amusé par la couleur de mes joues alors que je tentais tant bien que mal de cacher mon visage.
"Tu m'apaises. On ne se connaît pas trop, c'est vrai, mais depuis que je t'ai rencontré je n'ai pas réfléchi une seule fois. C'est limpide. Tu sais, je suis plutôt du genre... hyperactif. Et je réfléchis beaucoup trop, on pourrait se dire que c'est une bonne chose, mais quand tu réfléchis tellement que tu te files des migraines horribles et que tu n'arrives plus à quitter ton lit, c'est plutôt néfaste comme comportement. Pourtant, aujourd'hui, je n'ai pas songé une seule fois à mes angoisses."
"Ça doit juste être l'adrénaline" ai-je rétorqué, peu sûre de mon affirmation mais de plus en plus mal à l'aise quant à ses révélations.
Le regard de Miles était perçant, comme s'il essayait de me sonder derrière mon visage écarlate et mes yeux fuyants. J'avais du mal à me dire que j'avais passé la journée avec un garçon que je connaissais à peine, et qu'à présent il me faisait de grandes déclarations comme si j'étais tout à fait incroyable. Je n'étais que Scout Coleman, et franchement je ne comprenais pas ce qu'il me trouvait, assis face à moi, un grand sourire sur les lèvres.
Une vague de panique s'empara alors de tout mon être. Il était tard, le soleil s'était déjà couché depuis longtemps et mes parents devaient déjà avoir lancé la police à mes trousses. Je n'avais pas de batterie et je mangeais une glace en tête à tête avec un parfait inconnu. Qu'est ce qui me prouvait que Miles n'était pas un dangereux psychopathe ? Et moi, comme une sombre idiote, je l'avais suivit des ses mésaventures et je n'avais aucun moyen de m'échapper.
Ce n'était pas moi. Lancer des oeufs sur la voiture de Gabriel, parcourir la ville comme si ma vie n'avait aucun sens et que je pouvais la vivre comme bon me semblait. Je n'aurais jamais fait ça en tant normal. Peut-être que ma mère avait raison, j'étais en pleine dépression post-diplôme et j'étais en train de me noyer dans la médiocrité de ma vie.
"Eh Scout, ça va ? T'en fais une tête, on dirait que t'as vu un fantôme" s'exclama Miles sur le ton de la rigolade, alors que ses yeux reflétaient une réelle inquiétude.
"Je vais devoir y aller" répondis-je d'une voix blanche, me levant sans plus attendre pour quitter les lieux.
"Mais t'as même pas fini ta glace ! Scout ! Je te raccompagne ?"
"Il ne vaut mieux pas."
À ces mots, j'enfourchai mon vélo et m'enfonçais dans l'épaisseur de la nuit, sans un regard en arrière. Au loin j'entendais encore les cris de Miles, mon prénom étouffé par la brume jusqu'à se perdre dans un écho lointain.
Folle. J'étais complètement folle. Folle d'avoir sympathisé avec un parfait inconnu, folle d'avoir insulté Gabriel King, folle d'avoir désobéi à mes parents. Qu'est ce qui ne tournait pas rond chez moi ?
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