04 | la vie de miles

"Scout ? C'est original." Remarqua Miles.

"Je t'interdis de te moquer." Répliquais-je, un peu trop fort. À la pensée même d'avoir ordonné quelque chose à un inconnu, mes joues s'empourprèrent. "Désolée je ne voulais pas être méchante."

Un rire s'échappa de ses lèvres fines. Il avait des réactions pour le moins bizarre.

"T'as pas à t'en faire, Scout. Ce n'est pas parce que tu dis un mot plus haut que l'autre que je vais partir en courant. J'en ai vu d'autres." Ses prunelles ambres me fixèrent un instant. J'étais déstabilisée. Et je crois qu'il trouvait ça plutôt drôle. "On dirait que tu n'as jamais haussé le ton sur quelqu'un. T'es quoi, une sorte de religieuse qui prêche la paix et l'amour ?"

"Non. Je suis juste..." La fin de ma phrase s'étrangla dans ma gorge.

Miles était diablement beau, et j'en perdais tout mes mots. Son regard était si perçant que j'avais presque l'impression d'être nue face à lui. Et je sentais déjà mes joues brûler à cette idée.

Miles n'était pas comme Gabriel, il n'était pas unanimement beau, il n'avait pas des traits de modèle plastique. Sa peau découvrait quelques cicatrices d'acné et des cernes violacées décoraient ses yeux. Mais il avait de jolies boucles châtains qui retombaient sur son front comme des mèches folles, et des iris clairs et pétillants. Son sourire était lumineux, pur, presque trop beau pour un monde pareil.

Il était rayonnant.

Gabriel était juste beau.

"T'as perdu ta langue Scoutie ?" Se moqua ce dernier sans pour autant me quitter des yeux. "C'est pas très grave, comme je te l'ai dit, je sais tenir des monologues pendants des heures."

Il commença par me raconter sa vie, laissant aux battements de mon cœur un certain répit. Il habitait avec sa grande sœur, Kate, 27 ans, infirmière, et enceinte jusqu'à cou, et avec sa mère, Marla, 46 ans, professeure des écoles et grande amatrice de vin (parfois un peu trop). Ils vivaient à la bordure d'Evergreen Park, dans une petite maison où, heureusement, il possédait sa propre chambre. Avant il allait au lycée d'Evergreen, mais il avait eu son diplôme l'année passée, et il avait débuté son semestre à la fac de Chicago en septembre avant d'abandonner au bout de deux mois, à cause du trajet qu'il devait effectuer tous les matins. Ensuite, il avait enchaîné les petits boulots : promeneur de chien, serveur, apprenti garagiste. Il avait sûrement tondu toutes les pelouses du quartier, et j'avais un peu honte en pensant qu'il avait du tondre la mienne sans même que je n'y prête attention. À présent, il naviguait entre des formations qu'il pouvait effectuer chez lui et son job au glacier du coin.

Il n'y avait aucun doute : Miles était un excellent orateur.

Tout au long de son discours, j'éprouvai une grande admiration pour ce garçon qui n'avait visiblement pas une situation facile, et qui se démenait pour payer son loyer. Moi, j'avais toujours eu tout ce dont j'avais besoin, et je ne m'étais jamais demandé si je devais prendre un job à mi-temps pour les vacances, afin de financer ma propre indépendance. J'avais vécu au crochet de mes parents, et malgré tout, j'avais aimé cette vie facile.

"Bon assez parlé de moi" Finit-il par trancher, à bout de souffle. "Tu fais quoi, toi, dans la vie ?"

C'est vrai que j'en connaissais assez sur sa vie pour écrire un roman, alors que lui, à part mon nom, il n'avait pas grand chose à se mettre sous la dent. D'un autre côté, il fallait avouer que ma vie était loin d'être aussi passionnante que celle de Miles. J'étais pire que banale. Lui, il était téméraire et n'avait pas peur de donner vie à ses idées saugrenues.

"J'ai fini le lycée. Et mes parents veulent que j'aille à la fac. Mais j'ai été refusé à Yale, et pour eux il n'y a que l'excellence qui compte. De toute façon j'irai sûrement à l'université de Chicago, c'est pas très loin de la maison en voiture et je n'ai pas besoin d'être un génie pour y aller."

Miles m'écouta attentivement. Ses grands yeux noisettes se posèrent sur moi, non sans me faire rougir, et il aborda une mine sérieuse qui ne lui saillait pas du tout.

"J'avais un petit copain aussi, Gabriel King, il était au lycée Evergreen aussi. Mais il m'a largué le soir du bal de promo." Expliquai-je en arrachant distraitement des brins d'herbes. "Enfin techniquement, il ne m'a pas largué"

"Comment est ce qu'il a pu te larguer sans techniquement te larguer ?"

"Il a embrassé une fille. Sur l'estrade. Devant littéralement tout le lycée."

Mais au lieu de me lancer un regard empli de pitié, Miles grimaça. "C'est vraiment une tête de gland."

Un sourire se glissa sur mes lèvres. Miles ne s'était pas dit : pauvre petite Scout, elle est si fragile et on lui a brisé le coeur. Il avait pensé : c'est vraiment une tête de gland, et c'était vraiment la meilleure chose que j'avais pu entendre à son propos. Depuis toujours.

Le lendemain du bal, lorsque j'avais annoncé la nouvelle à ma mère, elle avait été plus attristée de ne plus voir ce « charmant garçon » que par mon propre malheur. Et sur quoi elle avait ajouté que je ne le méritais pas, et que le pauvre s'était déjà entiché d'une pauvre fille comme quoi pendant plusieurs années. C'était un saint.

C'était toujours la même chose : Gabriel par ci, Gabriel par là. Gabriel, ce cher Gabriel, si parfait, si merveilleux, si incroyable. Gabriel à qui on pardonnait tout, à qui revenait tout le mérite. Gabriel, meilleur que tout le monde, tout le temps. J'en avais ma claque.

"Tu sais ce que tu devrais faire ?" Miles m'arracha à mes fulminations intérieures. "Tu devrais le quitter."

"On est déjà plus ensemble."

"Ça j'avais compris. Mais il ne te l'as pas dit officiellement, si ?" Je secouai la tête. "Alors fais-le ! Défoules-toi ! Qu'est-ce que tu as à perdre ?"

À ces mots, il se leva et attrapa mon vélo d'une main ferme.

"Mais qu'est-ce que tu fais ?" M'écriai-je, déchirée entre le rire et l'incompréhension.

"Il habite où ton Gabriel King ?" Me demanda-t-il le plus sérieusement du monde.

"12 allée des Lilas."

"Je vous emmène faire un tour, mademoiselle ?" Miles, chevauchant mon vélo jaune, se baissa pour exécuter une drôle de révérence. Ce garçon était à la fois totalement charmant et déjanté.

J'éclatai de rire et montai derrière lui sur mon fidèle destrier, puis nous nous élançâmes dans les champs, portés par le vent et une nouvelle sensation qui coulait dans nos veines. L'adrénaline.

Après tout, Miles avait raison, qu'est-ce que j'avais à perdre ? J'avais déjà tout perdu, il était temps pour moi d'être courageuse.

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