03 | la rencontre

Trois jours après le bal de promo, ma mère décréta que je subissais une dépression post-diplôme, ce qui :

a) n'avait aucun sens
b) était complètement faux

Certes j'avais dormi dans ma robe de bal comme Izzy à la mort de Denny Duquette, mais je n'étais pas en dépression. Ce soir là, j'étais juste très fatiguée parce que je m'étais rendue compte qu'après tous ces événements, ma vie était très vide de sens. Mais comme j'étais Scout, et que la gentille et sage Scout n'était pas du genre à se poser des questions existentielles, je m'étais simplement vautrée sur son lit et avais maté des séries pendant trois jours d'affilée.

Rien de très grave. Peut être que j'étais atteinte du syndrome de l'adolescent-larve, mais à part ça j'allais plutôt bien.

Mais aux yeux de ma mère, visiblement très inquiète pour moi après dix-sept ans de vie commune, cela ne suffisait pas. Elle voulait que je sorte, que je profite de l'été comme tout le monde. Sauf que je n'avais pas envie de pointer le bout de son nez dehors. Je voulais finir les 15 saisons de Grey's Anatomy en un temps record et me goinfrer de céréales à la guimauve. C'était simple, pourtant.

"Ma puce, je sais que tout ça est très dur à digérer, mais tu ne peux pas te morfondre comme ça toutes les vacances."

"Je vais très bien" Répétai-je machinalement sans même quitter son écran des yeux.

Cette phrase avait franchi mes lèvres tant de fois qu'elle n'avait plus aucune saveur.

"Écoute, si tu avais demander à ton père de parler au directeur de Yale on n'en serait pas là. J'ai parlé à mon psy, et il est presque certain que c'était un acte volontaire de sabotage. Quelle idée d'envoyer ta lettre de motivation sans que ton père ne passe un coup de fil avant ? Tu savais très bien que de cette manière là tu ne risquais pas d'être prise."

La tournure de la discussion piqua ma curiosité, je me redressai alors vivement vers la mère, assise au bord de mon lit. Mes sourcils de froncèrent tout d'abord d'incompréhension, parce que je ne comprenais pas souvent ce que cherchai à me dire ma mère.

"Tu sous entend que je n'étais pas assez bien pour aller à Yale ? Que j'ai besoin d'être pistonnée pour faire parti des meilleurs ?"

Un soupçon de colère s'insinua sous ma peau et parcouru chacune de mes vertèbres. Comment ma propre mère pouvait-elle croire aussi peu en elle ? Et puis surtout, pourquoi personne ne me demandait jamais son avis ?

" Parce que moi je n'ai jamais voulu à Yale. J'ai pas envie d'utiliser mon fric pour gravir les échelons, je veux faire quelque chose de bien, de vraiment bien. Je veux aider les autres, par leur cracher ma supériorité dessus. Alors oui, peut être que je ne suis pas la meilleure élève, dans un grand nombre de domaine, mais vous ne vous êtes jamais posé la question ? Vous ne vous êtes jamais demandé : pourquoi est ce que ma fille n'est pas intéressée par l'école ? Quels sont ses véritables centres d'intérêts ? Parce qu'au final, j'ai tellement voulu vous plaire que je n'ai jamais su trouver mes propres envies. Je ne sais pas ce qui me plaît ou ce que je veux faire plus tard parce que vous ne m'avez jamais laissé le choix. Alors moi, j'emmerde Yale parce que s'il y a bien une chose que je ne veux pas faire, c'est faire exactement comme vous et rendre mes enfants malheureux."

J'avais été courageuse. Pour la première fois de ma vie j'avais osé hausser le ton, pour ne pas dire hurler comme une folle, contre ma mère. J'avais osé exprimer le fond de ma pensée sans rougir ni bégayer. J'avais posé ses arguments sur la table et clamai haut et fort : je suis Scout Coleman et votre avis je m'en tape.

Évidemment, parce que je tenais quand même à sa vie, je m'étais empressé de quitter sa chambre et de sortir de la maison. Comme quoi, ma mère avait eu gain de cause.

Une fois dehors, la panique me gagna. Je venais littéralement de signer mon arrêt de mort, et je n'avais que mon vieux vélo pour fuir le plus rapidement possible. Autant dire que ce n'était pas le meilleur moyen de locomotion pour une telle situation, mais c'était déjà mieux que rien.

J'enfourchai alors ma bicyclette jaune et je m'élançai vers une destination inconnue.

Rapidement, les maisons laissèrent place aux arbres et aux champs qui s'étendaient à perte de vue. J'empruntai un petit chemin sinueux qui menait jusqu'en haut d'une petite colline verdoyante. J'arrêterai mon vélo et le déposai sur l'herbe, avant de m'allonger à ses côtés. Les pâquerettes chatouillaient mes jambes nues tandis qu'une légère brise venait rafraîchir mes joues rougies par l'effort. Je repris mon souffle, bercée par les oiseaux, fermant mes paupières.

J'avais toujours eu besoin de moment de calme, c'était mon petit truc à moi quand je sentais que j'allais exploser, j'errai sans but jusqu'à trouver une un endroit paisible où je pouvais enfin respirer hors de cette atmosphère toxique qui régnait chez moi.

Plus loin, j'entendais s'écouler une petite rivière, des clapotis contre des rochers. Peu à peu, le sommeil me gagna, et je me laissai tomber dans les bras de Morphée, au cœur des hautes herbes et des fleurs.

Lorsque j'ouvris les yeux, en pensant rencontrer l'immensité du ciel bleu, je rencontrai le regard perçant d'un garçon, dont les contours se dessinaient à contrejour. Un hoquet de surprise s'échappa de mes lèvres, mais avant même que je ne puisse m'enfuir en courant, le garçon avait déjà pris la parole.

"Salut, je voulais pas t'effrayer." Débuta-il prudemment, comme s'il avait peur que je me mette à hurler. "Je m'appelle Miles"

Le dénommé Miles me tendit la main, sûrement pour m'aider à me révéler. J'eus un léger mouvement de recul qui ne l'arrêta pas pour autant.

"Est ce que tu parles anglais ? Tu comprends ce que je dis ?" J'hochai la tête, plongée dans un profond mutisme. "Et bien dis donc ! Tu n'es pas bavarde."

C'est vrai que je n'étais pas du genre à adresser la parole à des inconnus. En fait, je n'étais pas du genre à adresser la parole à des gens tout court. Si personne ne me forçais à parler, je ne le faisais pas.

"Moi j'aime bien parler" Déclara le garçon en s'asseyant à côté de moi, sans éprouver la moindre gêne. "Ça ne me dérange pas de devoir le faire à ta place. Du genre : Oh bonjour, moi c'est Émilie, qu'est-ce que tu fais ici ? Et là je te réponds : je pars à la recherche de la vie. Et là tu rétorques..."

"Je fuis" J'avais pris la parole, d'une voix un peu nerveuse, presque inaudible. Je lui avais coupé la parole, et contre toute attente un grand sourire s'était dessiné sur son visage. "Et je m'appelle Scout."

Je ne savais pas vraiment d'où était sorti cet élan de courage, mais j'aimais ça. Peut-être qu aujourd'hui était une journée où j'avais le droit de changer. Où pour quelques heures, je pouvais être une meilleure version de moi-même.

Et peut-être même que c'était pour ça que Miles était là, avec moi dans un champ de fleurs, perdu au fin fond de l'Illinois.

Pour me donner un peu de courage.

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