01 | le diplôme
Le jour de la remise des diplômes, lorsque je quittai l'estrade, je sus que quelque chose avait changé. Par changer, je n'entendais peut-être pas me faire larguer par Gabriel King précisément ce jour là, mais dans tous les cas un changement drastique pointait le bout de son nez et portait le doux nom d'université. Les premières facs avaient déjà répondu et leurs réponses étaient sans appel : non, non et non. Il fallait avouer que je n'avais jamais été la meilleure élève du lycée, toutefois je ne m'attendais pas à autant de refus. Harvard, Yale, Princeton... Aucune chance d'avoir des avis favorable. Mais je ne perdais pas espoir, peut-être que la fac de Chicago était encore possible.
Le bal de fin d'année se tenait le soir-même et je comptais bien profiter de ces dernières heures au lycée avec Gabriel et ses amis. Après la cérémonie, mes parents me ramenèrent en voiture. Je vis défiler à travers la vitre teintée l'herbe verdoyante qui entourait mon lycée, les centaines de chaises face à l'estrade ayant accueilli tous les diplômés une heure auparavant. Un soupir nostalgique s'échappa de mes lèvres. Tout cela était bel et bien terminé. Jamais je ne remettrais les pieds sur la petite estrade, sous le soleil de plomb du mois de juin, pour récupérer son diplôme. Le lycée était un temps révolu, il fallait s'y faire désormais.
Lorsque je rentrai chez moi pour me préparer, toute ma famille m'attendait le sourire aux lèvres. Leur petite Scout, promise à un avenir brillant avec un fiancé charmant, enfin diplômée ! Ma grand-mère profita de l'agitation générale pour affirmer que Gabriel était le gendre idéal et qu'elle avait hâte pour le mariage, alors que mon oncle me glissait discrètement un préservatif dans le creux de la main. Je me mis à rougir violemment, assurant à mon oncle que je n'en avais vraiment pas besoin.
- Pas à moi gamine, me rétorqua le trentenaire avec un clin d'oeil complice. Fut un temps où moi aussi je suis allé à mon bal des finissants, et crois-moi que tu vas en avoir besoin !
Mes joues étaient à présents si rouges que j'avais peur que ma peau ne brûle. En marmonnant quelques mots je rangeai le préservatif dans ma poche et tentai du mieux que je pouvais d'avoir l'air naturel face à mes grands-parents qui me posaient de nombreuses questions quant à l'université que j'avais choisie. Il était midi et les Coleman avaient installés des chaises autour de la table du jardin, avec un grand parasol. Ça sentait bon l'été, avec la limonade dans les verres des enfants et les tranches de melons trônant dans les assiettes. Chacun trouva sa place et le repas se déroula dans la bonne humeur, agrémenté de barbecue fumant et de toasts au champagne.
Très vite, le moment redouté arriva. Tous se mirent à chanter en choeur pour que je fasse à mon tour un discours. Après tout, je devenais une adulte. Ma cousine, assise à sa gauche, me força à se lever, sans même prendre en compte la gêne plus que visible sur mes joues en feu. Est-ce que quelqu'un m'avais demandé si j'avais vraiment envie de faire un discours ? Ou si j'avais quelque chose de pertinent à dire ? Non. Évidemment que non. Ce qui mena à la catastrophe suivante :
- Eh bien... Euh, je..., débutai-je dans un murmure incompréhensible. D'abord merci à tous d'être venus.
Lors d'un instant, je me rappelai ce que ma mère me disait toujours : Scoutie, combien de fois t'ai-je dit de t'exprimer clairement ? Quand on prend la parole, on lève le menton et on articule. Ou encore mon père, et ses fameux : Sois-fière d'être une Coleman, on a le don de l'éloquence il faut en profiter ! Mes parents me fixaient d'un air entendu, ils me poussaient à faire le grand saut du haut du plongeoir, je devais me lancer. Je pris une grande inspiration, et je me demandai ce qu'Alex aurait dit. La réponse était facile, il aurait dit : Certains d'entre vous ont fait des heures de voiture pour venir voir mon beau sourire, je parle bien de toi Tante Annie, je vous comprends, j'aurai aussi fait ça pour venir me voir. Il aurait ajouté deux trois sourires charmeurs et tout le monde aurait rigolé.
Mais je n'étais pas Alex.
- Je ne suis pas très douée pour les discours, m'excusai-je en entortillant mes doigts. Mais je connaissais quelqu'un qui l'était. Et je crois qu'il aurait fini son discours par : trêves de bavardages, maintenant mangeons ! Je vous évite l'interminable partie du milieu, alors mangeons !
L'ensemble de la famille applaudit, sauf mes parents qui restèrent quelque peu sur leur faim. Eux qui s'attendaient à des mots aussi éloquents que ceux de Jane Austen, ils n'étaient pas au bout de leurs peines.
Je remarquai l'indifférence marquée de mes parents, mais n'osai pas ajouter quelque chose. Si j'avais été courageuse, j'aurait pris une flûte de champagne et aurais porté un toast à mes deux parents, en leur disant d'une voix mielleuse à quelle point je les détestais d'avoir toujours cherché à faire de moi la petite dernière, naïve et empotée, qui ne valait clairement pas les prouesses de mon aînée.
Mais « courageuse » n'était pas un adjectif qui pouvait me qualifier.
Les applaudissements effacèrent mes larmes avortées comme une une vague caressant le sable. Silencieusement. Presque invisible. Après tout, n'était-ce pas ce que j'avais toujours été ?
- Alors ma petite, m'aborda Tante Annie en s'approchant de moi. Dans quelle université vas-tu l'année prochaine ?
Je n'aimais pas spécialement qu'on me considère comme petite. Évidemment j'étais à peine majeure et ne dépassais pas le mètre 75, mais je n'étais pas petite. J'étais juste dans la moyenne.
Peut être que finalement le problème se trouvait là : j'étais pile dans la moyenne, jamais au dessus. Peut être que j'étais trop normale.
- Je ne sais pas encore, fini-je par répondre poliment malgré le peu d'affection que je portais à ma tante Annie.
- Tu n'as pas encore reçu de lettre de Yale ?
- Si.
- Et donc ?
- Ils m'ont refusé.
Une mine horrifiée se dessina lentement sur le visage de la Tante Annie. Une lenteur terrible. Annonciatrice de mauvais présage.
Yale c'était l'université des Coleman. Grand-papy Coleman avait rencontré Grand-mamy Coleman là-bas. Leurs parents eux-mêmes avaient été majors de leurs promo à Yale. Mon père était affiché dans le hall des plus grands donateurs. Ma mère, quant à elle, faisait parti du club des organisatrices.
Tout bon Coleman se devait d'aller à Yale.
À ce stade c'était plus qu'une tradition, c'était devenu un rite de passage. Quelque chose d'obligatoire, de presque sacré.
Et moi, évidemment, en tant que vilain petit canard, avais lamentablement échoué.
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