Chapitre 2 : le chant du retour (2)



Ils repassent par l'immense salon emprunter une autre porte, en bois foncé simple, qui relie le salon à la salle à manger sans devoir franchir le hall du grand public, même si une autre porte de cette pièce y mène, sur la droite. La table d'une trentaine de chaises prend presque toute la longueur du lieu, entourée de quelques vaisseliers et buffets accolés aux murs garnis de natures mortes. Un écran plat à côté de la porte menant aux cuisines montre les quelques images prises dans le grand hall par les quatre caméras de surveillance. A cette heure-ci, il n'y a plus de visiteurs. Corène se penche au bord de la porte entrouverte.
— Chef Noelga, nous passons à table. Deux personnes, aujourd'hui.

Entre plusieurs pots remplis de légumes coupés et de salades, une tranche de jambon dans l'assiette, ils se racontent leurs récents jours. Gareth donne aussi des nouvelles de sa famille et lui annonce la réussite de Dérith.
— Oh, super ! Et Mirène qui a fini sa formation de gestionnaire satelnet le mois dernier, c'est une bonne année, on dirait !
Garteh retient un soupir : une bonne année ? Même pour eux ? Selon lui, c'est une année semblable à la précédente. Avec plus de doutes existentiels. Léris lui a conseillé d'en discuter avec elle, mais qu'y ferait-elle ? Si c'est juste pour casser l'ambiance, ça ne sert à rien. Il est gâté par la vie, comparé à bien des gens, alors de quel droit se plaindrait-il ? Ses attaches trop intenses l'empêchent de divulguer ses inquiétudes : il a bien trop peur de la choquer.
— Gareth ? Ca va ?

Il sort de ses pensées afin de découvrir la petite main aux ongles pâles sur la sienne et l'expression de Corène.
— Oui oui, marmonne-t-il, j'ai juste mal dormi ces dernières nuits et les journées de boulot sont fatigantes, surtout en Silvérie, 'fait trop chaud en juin. Et puis ça... ça ne me rassurait pas de te savoir là-bas.
— Ohhh.
Sur cette onomatopée triste et touchée, elle caresse son bras, le sourire doux.
— Mais ça va maintenant, je suis rentrée. C'était un colloc international, on était ultra protégés. En plus, les rebelles avaient accepté ces négociations, cela leur aurait été fatal de chercher à s'en prendre aux dirigeants étrangers ou à la bonne tenue de cet événement. Donc tu vois ? Je ne craignais rien.

Il pousse un nouveau soupir, plus affiché cette fois. Comme ces angoisses laissent une faible image de lui.
— Je sais, je me le suis dit aussi, mais parfois ça ne suffit pas, de le dire. Ca m'énerve.
— Si tu stresses de ressentir du stress, t'es pas sorti du tunnel. Bon ! Je vais voir grand-mère.
— Attends !
Il remonte son sac à dos de sous la table et en sort deux petits pots.
— Petits bouts de Silvérie. Des feuilles de trèfles, leurs fleurs en dessert et... j'ai même déniché le porte-bonheur !
Il montre un papier collant sur lequel il a collé sa trouvaille, l'oeil malicieux. Corène ne cache pas sa joie.
— Un à quatre feuilles ? Génial ! J'ai encore celui que tu avais trouvé l'an dernier, tu sais ?
— Ca fonctionne combien de temps, la chance d'un trèfle spécial ?
Surprise, elle le dévisage en retenant un rire.
— Alors là, tu me poses une colle. Dis, je peux l'offrir à grand-mère, pour qu'elle se rétablisse ?
— T'en fais ce que tu veux, si tu penses ne pas en avoir besoin.

Elle se dresse vers les lèvres du jeune homme. Sa voix se fait délicate.
— J'ai déjà beaucoup de chance, dans ma vie. Surtout d'être avec toi.
Il émet un ricanement gêné avant qu'elle ne l'embrasse.

— Désolée de te laisser. On se retrouvera après ma réunion. Et mets des vêtements plus chauds grand fou, tu me donnes froid avec ton t-shirt d'été silverin !

— A vos ordres, future reine !
Elle répond à son salut solennel par une tape sur son épaule qui les fait rire. Chacun part de son côté du salon, Gareth se dirigeant vers la chambre où il y a toujours quelques vêtements de rechange à lui.

Pendant que Gareth se change, Corène file à l'infirmerie, quasi au bout du couloir Est. On y trouve des bureaux, des salles de réunion, de réception, des chambres d'employés du corps médical autour de la porte, blanche munie d'une croix rouge, vers laquelle se dirige la princesse. 

Elle entre à pas de loup dans la longue pièce où s'alignent huit lits, l'unique colonne de lumière éclairant tous les bords métalliques des lits et les pieds des patients. Le soleil est aussi faible que l'unique pensionnaire du lieu, installée tout au bout, au calme. On ne la voit pas encore, derrière les multiples rideaux blancs qui entourent les meubles sur roulettes, perpendiculaires à l'allée laissée vide pour circuler. Les pas de Corène résonnent sur le carrelage bleu. C'est l'une des seules pièces aux murs recouverts d'une matière blanche, pour assurer un haut niveau d'hygiène.

La tête d'une des infirmières passe au-delà d'une rangée de tissu. Corène l'entend annoncer sa présence à la reine.
— Bien. Dans ce cas laissez-nous seules, Katya et Isven.
— Toutes les deux ? Vous n'aurez pas besoin d'aide pour manger ?


Corène s'assied sur l'unique chaise au chevet de la reine. On a apporté un plateau-repas à la vieille dame en redressant son lit avec de gros oreillers pour qu'elle soit presque assise face aux quelques petits pots de légumes ciselés très fins. Les portions sont minces, comme réclamé par la dirigeante qui n'a plus l'habitude des fringales.
— Non, assure Maniras de sa voix chevrotante et effacée, je veux juste parler en privé avec la princesse Corène.
La première, aux cheveux bruns courts teintés de blond, s'incline dans son costume blanc constitué d'un pantalon en fuseau et d'une chemise cintrée. Sa bouche en pomme sur son visage émacié échappe quelques politesses, puis elle se retire. Sa collègue, vêtue de la même tenue de travail, les longs cheveux noirs noués et la silhouette plus boulotte, se penche à son tour avant de la suivre.
Corène étire les lèvres vers la patiente. Les femmes guettent le bruit de la porte refermée dans l'épais silence du lieu. Clac.

— Bonsoir ma petite, as-tu fait bon voyage ?
Corène soupire, même si elle conserve son sourire : sa grand-mère résiste bien, on dirait !
— Pénible, surtout. Toute cette misère... Si le Grand Terrier se portait aussi mal je ne sais pas comment je ferais. Mais je crois que j'ai bien géré ma participation aux négociations, même entourée de vieux croûtons qui me regardaient de haut. Regarde, Gareth m'a autorisé à te donner ce trèfle à quatre feuilles, il vient de le trouver ! C'est pour accélérer ton rétablissement !
— Quand tu seras vraiment reine, ce sera différent. Aujourd'hui, tu n'es encore que ma représentante. Mais ça va changer bientôt. Ce trèfle n'y fera rien.
— Quoi ? Que veux-tu dire, grand-mère ?

La dame courbée, ridée et chaque jour plus maigre, scrute Corène avec intensité. Leurs yeux du même brun foncé ne se lâchent pas. La reine cesse de faire trembler les couverts vers sa bouche. Ses joues autrefois joufflues ont fondu. Elle n'a plus la parfaite articulation d'antan.
— Je sens que mon corps me lâche petit à petit et qu'il ne se relèvera pas comme les autres fois, avoue-t-elle péniblement. J'ai nonante ans. J'ai assez vécu. 


Elle porte une main vibrante au visage de sa descendante. Corène a troqué son sourire contre des débuts de larmes.
— Noon... Grand-mère, ne me laisse pas toute seule, geint-elle. Tu as encore...tous tes esprits, tu... tu parles, tu manges ! Tu peux pas déjà mourir,je... je ne suis pas prête.
Mais la reine reste tranquille. Elle frotte la joue humide de Corène et son tonse charge de tendresse.
— Oh si ma belle enfant, tu es apte à reprendre notre flambeau, la gestion de notre patrie. Je suis heureuse d'avoir vu grandir ma petite-fille, même tardivement. Je ne peux être éternelle. L'envie n'y est plus, je suis fatiguée de tout. Mais Corène, autre chose me chagrine et me fait craindre le grand départ. Nous devons en parler maintenant.
Corène tente de calmer ses sanglots pour l'écouter attentivement.
— Quoi donc ? couine-t-elle.
L'alitée devient plus grave.

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