Chapitre 1 : la F.I.S. (fin)



Gareth déambule sur les trottoirs pavés et dans les ruelles, au cœur de la ville bien animée. C'est tellement plus agréable de marcher sans la lourde combinaison ! Il n'a gardé que ses bottines, le reste est dans le sac à dos. Ses lunettes sont de nouveau normales et son képi a cédé sa place à un bob blanc. Il se doute du sujet de conversation de Dérith, mais la question se pose ; réussi ou raté ?

Les mains dans les poches, il longe les cafés et commerces de la ruelle. Le Passe-temps a une vitrine avec plein de petites vitres entourées de châssis vernis, ornée de pots de fleur suspendus. À l'intérieur, il repère Dérith sur une banquette en bois près de la fenêtre, illuminé par le soleil. Le gaillard de vingt ans étire ses petites lèvres mauves, c'est bon signe ! Ses yeux vert bouteille pétillent. Gareth partage le sourire de l'homme aussi blafard que lui.
— Alors ? T'as réussi, ça y est ?
— Ouais ! Serre-moi la main, collègue ! s'exclame l'ancien enfant de la rue en tendant les doigts.
— Ah non, la bise eh ! M'insulte pas !
Dérith ricane tout en réalisant le geste que les Terrons ne réservent qu'à leurs plus proches relations. Il a gardé de très bons contacts avec Gareth, même après la mise en sécurité de Corène. Voilà trois années qu'il était policier, en cherchant depuis des mois à intégrer la F.I.S. Les comparses s'assoient sur leur bonheur commun.

— Content, j'imagine. On doit fêter ça ! lâche Gareth. T'as eu combien ?
Dérith a ôté sa casquette blanche en présence de son hôte installé, révélant ses cheveux mi-longs noirs et frisés.
— Quatre-vingt huit pourcent, pas mal non ? Il fallait en avoir quatre-vingt et après ils gardaient les cinq meilleurs, je suis trop fier quoi ! Merci pour les tuyaux, je vais enfin pouvoir aller au Grand Terrier comme je veux. Ah, j'ai hâte ! Tu m'emmèneras faire le tour du pays ?
— Boh tu sais, c'est petit. En deux jours, on aura fini.
— Et je pourrai voir l'étage royal, tu crois ? demande-t-il en complice. T'es une P.T.I toi, là-bas, tu me feras passer hein ?
Gareth éclate de rire d'être ainsi évoqué comme une Personne Très Importante.
— Tu t'arrangeras avec Corène, vieux ! Bon, on commande ? Je crève de soif.
L'un commande une bière, l'autre un vin.
— Un vin, par cette chaleur ! s'étonne Gareth. Moi ça me monterait direct à la tête.
— Surtout si t'es crevé, fait remarquer Dérith. C'est le cas non ? T'as de gros cernes.
— Ouais, dure journée, on a intercepté trois voleurs à mon poste aujourd'hui, on a eu blindé de monde entrant et quasi pas de sortant. Je parie que les hôtels sont archi pleins. Ça va être énorme demain, je serai mort naze, je vais sûrement pas tenir jusqu'à la fin du concert. 

Dérith lui adresse un sourire narquois sur son visage un peu rond.
— Pas moiii ! J'ai pris congé, chantonne-t-il. Je risque d'être bourré ou de draguer une gonzesse ce soir pour crier partout ma victoire du jour, alors vaut mieux pas que je travaille le lendemain, haha !
— Pff, veinard !
— C'est qui que tu traites de veinard, tu t'es vu toi ? Tu ne dors pas tout seul aussi souvent que moi ! Je serai mort avant d'avoir vécu avec une fille la moitié de ce que tu vis avec Corène, je vous envie, bande d'enfoirés.
Face à ce ton plaisantin, Gareth étire un étrange sourire, un peu mélancolique et intimidé.
— Bof, moi aussi j'envie des gars comme toi, parfois. Ce serait tellement plus simple, plus amusant... pas savoir si demain tu auras une autre copine, faire des tentatives, ne guetter aucun retour, pas stresser pour rien en imaginant le pire à son sujet... je trouve vos vies relaxes par rapport à la mienne.
Dérith semble surpris. Il a la mine plus grave après sa gorgée de vin.
— Me dis pas que t'es plus attaché à Corène, je te croirai pas. D'ailleurs, je suis sûr que si t'es si fatigué, c'est aussi à cause de son voyage au Zougan qui t'empêche de dormir. Tu ne la feras pas à moi.
Gareth acquiesce. Il ne cherche pas à nier l'intensité de leurs rapports. Au contraire... Ses yeux se perdent dans la mousse de son verre.
— Et tu trouves ça normal ?

Son ami reste silencieux face à sa question sourde. Il fixe Gareth d'un air songeur. L'analyse. L'auteur de la question garde les paupières basses et la mine maussade. Ils ont perdu la joie du nouveau travail de Dérith. En même temps, ce dernier ne peut pas lui en vouloir, c'est lui qui a amené ce sujet sur la table. Dans un soupir, Gareth se dévoue pour abattre le silence. Il tourne la tête vers les vitres, derrière lesquelles des passants font bouger la rue piétonne.
— Y a pas longtemps, je me suis souvenu d'une très vieille conversation avec Corène, ajoute-t-il à mi-voix.
— Avant d'être reconnue ?
— Ouais. Elle avait pleuré après m'avoir embrassé, je crois que ça m'avait marqué à cause de ça. Elle me disait que... elle n'avait le sentiment de vivre qu'en ma présence et que c'était pour elle à la fois une joie et une prison. Ça l'avait effrayé. J'ai pas vraiment voulu saisir le sens de cette phrase, à ce moment-là je voulais juste la rassurer en lui jurant que moi, j'aimais bien sa présence et qu'au contraire, grâce à elle j'avais moins peur de mourir. J'avais pas supporté qu'elle me repousse. Mais en fait... l'un n'empêche pas l'autre. Tu comprends, je peux très bien détester être loin d'elle et me sentir coincé dans une sorte de prison. D'ailleurs, quand je suis avec elle, je suis aussi bien qu'avant, ça n'a rien avoir avec ce qu'elle est. Mais je... j'ai l'impression que les murs se forment vite autour de moi et que je contrôle pas ma vie. Je ne me sens pas... libre. Mon choix de métier, mon hésitation à acheter une maison, les jours où on peut se voir... tout dépend de Corène. Même si c'est pas vraiment sa faute... c'est pesant. Alors oui, je suis un peu jaloux. J'ai une vie routinière de papi pendant que ceux de mon âge s'amusent. 

— Ben, rien ne t'empêche de me suivre, même ce soir, si tu veux. Bon, tu ne draguerais pas les nanas, mais au moins tu te lâcherais un peu. Tu te fous trop de pression.
— Je peux pas, Corène rentre ce soir, elle décompte les heures par smt tellement elle s'attend à me revoir. Je vais aller au bois pour lui rapporter un truc et repartir à cinq heures, heure silverine. Elle m'a dit revenir vers six heures au Grand Terrier.

Dérith jette un œil à son boîtier.
— 'Traîne plus trop alors, il est quatre heures.
— Déjà ? Oh merde ! Je te laisse poursuivre ta route des vins, mais préviens-moi quand tu emménages à la FIS. Vu le proprio véreux que tu as, je présume que tu vas te jeter sur les chambres du Q.G. !
— Un peu, que je vais en prendre une ! Je te biperai si nécessaire. Allez, profite de ta petite beauté et arrête ta déprime !
Il lui fait une bise suivie d'une tape franche sur l'épaule. Gareth sourit de nouveau.
— T'en fais pas, c'est moi qui me pose trop de questions, t'as raison. 'Faudrait que je me détende un peu. Je suis un sale angoissé.
— C'est clair, t'aurais même pas besoin de Corène pour te faire du mouron, héhé.
— Ça, je ne l'ai jamais su et ne le saurai peut-être jamais. À plus !

Gareth s'en va, espérant que ses idées noires fassent de même. C'est plus simple qu'il ne l'aurait cru : il a tant hâte de revoir Corène ! Il lui offre souvent des éléments de la forêt ; il sait que là-haut, au dernier étage du Grand Terrier, c'est encore ce qui lui manque le plus. Son cœur sautille et le porte jusqu'au pont le plus proche, pour traverser l'Alama et quitter la ville. Que pourrait-il cueillir ? Il suit un sentier jusqu'à une clairière qui le borde, d'où on peut voir tout le versant sud et ouest de la colline habitée. La dernière fois, il a pris les premières fraises des bois. Aujourd'hui... En pleine réflexion, il baisse les yeux sur le tapis de trèfles. Oui, du trèfle ! 

Revenu en ville, le sac rempli de son trésor du jour, il ne traîne pas : son corps zigzague entre les passants qu'il évite de bousculer. Avec sa haute silhouette et ses quatre-vingt-cinq kilos, ce n'est généralement pas lui qui a mal lors d'un choc inattendu. Dès que les voitures et calèches se sont éloignées, il traverse la chaussée et file deux rues plus loin, au Quartier Général de la F.I.S., pour emprunter le passage spatial des agents. C'est préférable de ne pas être entouré de n'importe qui quand on veut composer un code de niveau trois sur le clavier de l'arcade en métal noir. Un collègue le voit tapoter les chiffres dans le couloir blanc et jaune pâle du deuxième étage.
— Ah tiens, Gareth ! Retour au Grand Terrier ? 

Gareth répond à son sourire, mais son iris brille plus fort que celui du Silverin aux longs cheveux châtains.
— Ouais, mais regarde ailleurs, c'est un code trois.
L'homme lui jette un œil gris clair perplexe. Puis enfin, cela semble faire tilt.
— Ahh oui, tu vas à l'étage royal !
Gareth se courbe autour du clavier pour encoder la combinaison gagnante vers la zone sécurisée.
— Désolé, mais tu sais bien, on peut pas le laisser voir même par d'autres agents. Faut que le dirigeant m'y autorise, pour ça.
— Oh là, ça remonte loin, on en croise pas souvent ! Tout le monde ne s'invite pas chez les chefs d'Etat comme toi haha.
Gareth rit avec lui tandis que le passage s'entrouvre.
— Heureusement ! Bonne soirée, Ludgen !
— Bon app' et bonne nuit surtout !
Gareth traverse le couloir vaporeux blanc et mauve, rempli de vives sensations à l'idée de la retrouver.


Prochain chapitre : le chant du retour

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