1.2
Au début, Prunelle dormait très souvent. Elle entendait son adulte lui parler de "jour", de "journée" et de "nuit", mais ces mots n'avaient aucun sens pour elle. Elle l'entendait aussi parler d'"hier" ou de "demain", ce qui en avait encore moins. Elle finit par comprendre que ce que son adulte appelait un "jour", c'était ce qui débutait par un cadeau. Chaque jour (c'est à dire tous les cinq ou six dodos), un petit objet tout doux apparaissait dans son lit. Son adulte les appelait selon les cas "doudous" ou "animaux". Elle ne connaissait pas la différence entre ces deux mots, et conclut qu'ils étaient synonymes (même si, bien sûr, elle ne connaissait pas non plus le mot "synonyme").
Les doudous/animaux peuplaient la vie de Prunelle et les histoires que son adulte lui racontait. Il donnait à chacun d'entre eux un nom rigolo, parlant par exemple de "zègre", de "chevoutre" ou de "libedile". Mais surtout, il racontait des choses qui n'avaient aucun sens poue Prunelle. Il lui disait par exemple « Ma petite Prunelle, tu vas grandir et apprendre à marcher, puis à courir, mais jamais tu ne courras aussi vite que le zègre, car le zègre court extrêmement vite. C'est sympa de courir vite, mais, moi, je préfèrerai pouvoir voler comme une libedile. Je ne peux malheureusement pas voler, car, comme toi, je suis un humain. Les humains ne peuvent pas voler. Mais, contrairement au zègre, nous pouvons nager. Le chevoutre, lui aussi, sait nager. Le chevroute peut courir et peut aussi nager, car il vit aussi bien sur terre que dans l'eau. N'est-ce pas incroyable, à quel point chacun de ces animaux est différent des autres ? Ces doudous sont vraiment extraordinaires, et tu as beaucoup de chance que le Lutin Lionel les amène à toi chaque jour. Mais, moi, j'ai encore plus de chance, car j'ai une petite Prunelle qui m'est tombée du ciel. Et tu es le plus extraordinaire de tous les animaux. »
Si Prunelle avait su parler, elle aurait demandé à son adulte s'il la prenait pour une idiote. Pourquoi racontait-il toutes ces bêtises ? Elle voyait bien que chacun de ses doudous était inanimé, qu'ils ne courraient pas, qu'ils ne volaient que quand elle les soulevait et qu'ils vivaient dans son lit et pas sur terre ou dans la mer.
L'adulte racontait aussi que ces animaux étaient des cadeaux de la part du Lutin Lionel et, ça, ça avait beaucoup plus de sens. Chaque jour, la collection d'animaux s'allongeait : il fallait bien qu'ils viennent de quelque part. D'après son adulte, le Lutin Lionel donnait des animaux à tous les enfants du monde. Ça devait être vrai car, chaque fois que Prunelle voyait un autre enfant, il avait bien avec lui quatre ou cinq de ces amis en laine. Les lutins étaient petits et malicieux ; il semblait normal qu'ils déposent des surprises en cherchant à ne pas être vus.
Prunelle arrivait très bien à s'imaginer le Lutin Lionel, mais elle avait beaucoup de mal à s'imaginer d'autres animaux que ses doudous. A force d'écouter son adulte, elle finit par comprendre qu'il croyait qu'il existait des versions géantes de ses doudous. Des versions non seulement géantes, mais aussi vivantes ; aussi vivantes qu'elle-même et que son adulte. Déjà que Prunelle avait du mal à se représenter que son adulte soit aussi vivant qu'elle, imaginez le mal qu'elle devait avoir à s'imaginer des animaux alors qu'elle n'en avait jamais vu. Quand elle se promenait avec son adulte, ils croisaient d'autres adultes et d'autres enfants, mais pas grand chose d'autre qui soit vivant.
Non, décidément, un monde dans lequel gambadaient librement des libediles, des chiats, des liors et des bisèvres, c'était inimaginable. Il était tellement plus facile de se représenter le Lutin Lionel cousant et déposant des jouets sans jamais être vus. Pour Prunelle, tous ces animaux venaient de l'imagination du Lutin Lionel ; c'était certain. Et, si son adulte croyait qu'ils existaient en géant et en vivant, c'était peut-être que son adulte n'était pas très malin.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top