14) Réflexion

Pour être totalement honnête, je l'évite. J'essaie d'emprunter les corridors qu'il n'utilise jamais et je reste le plus loin possible de lui lorsque nous devons être dans la même pièce. Ce n'est pas très facile de rester loin de lui. Nous avons de nombreux cours en commun, ce qui me rend la tâche plus ardue.

Je n'ai été qu'un sale con d'avoir pensé qu'il pouvait être un mec bien, un gentil garçon au fond. Je commençais même à bien l'aimer et à apprécier sa compagnie. Passer du temps avec lui m'était agréable. Je m'amusais bien, on rigolait. Mon image de lui avait même commencé à changer.

Et ce baiser. Jamais quelqu'un ne m'avait fait ressentir autant de choses en même temps. Jamais je n'avais eu l'estomac aussi retourné par un baiser. Et jamais je n'avais ressenti ce genre de connexion entre deux corps dont l'un est le mien. Mon cœur battait la chamade et il aurait pu imploser à tout moment. Le contact de sa peau avec la mienne était si bon que bien malgré mes pensées et convictions, j'aurais voulu continuer à l'embrasser comme ça toute la nuit ; ou bien jusqu'à ce que nos lèvres en brûlent. Ses lunes de chair rosées sont si douces et habiles, elles me faisaient perdre la tête.

Tout ceci pourrait pratiquement être un bon souvenir. Pratiquement. Mais pour ça, il aurait fallu que ce soit vrai et sincère des deux côtés, ce qui ne l'était évidemment pas.

J'ai honte. Il m'a amadoué, et je me suis fait prendre comme un pauvre ignorant. Bien heureusement, je me suis réveillé avant que son petit jeu n'aille trop loin et qu'il ne gagne quelconque gage que ses potes lui ont certainement lancé. Je ne vois que cette option, car jamais Myles ne s'approcherait d'un garçon comme il l'a si bien fait avec moi. Puisque la théorie qu'il m'aime bien aussi est totalement inimaginable, il ne reste que cette explication.

Je savais bien que quelque chose clochait avec lui. Du jour au lendemain, il a complètement changé d'attitude avec moi. Ses transports improvisés, sa gentillesse, ses attentions ; tout ça était trop soudain pour être réel. J'aurais dû me méfier davantage. Mais comme souvent, ma curiosité l'a emporté sur le reste et je me suis fait embobiner comme un débutant.

Je me suis blessé moi-même en acceptant de le laisser m'approcher comme ça. Je connaissais les dangers et pourtant, je n'ai pas reculé. Au contraire, à la dernière minute, j'ai plongé tête première. Et je m'en veux tellement. J'étais celui qui voyait à travers son jeu, celui qui connaissait ses tactiques. J'ai été si aveugle.

Je refuse d'admettre que je suis déçu. Je refuse d'admettre que je m'attachais à lui. Je refuse d'admettre qu'il me manque. Il a joué avec moi comme il l'a fait avec tous les autres. 

Menteur et manipulateur je disais. Voilà ce qu'il est. Et jamais il ne changera. Devon Myles est comme ça. Et le sera toujours. Vaut mieux ne pas se faire d'illusions.

Il a essayé de m'aborder quelques fois depuis cette semaine. Mais à chaque fois, je me dérobais, pressé d'être le plus loin possible de lui. Je ne crois pas que son visage parfait aurait supporté la rage de mes coups si j'étais resté pour l'écouter me raconter quelconques plates excuses. Il me suivait partout. Il m'attendait à la porte à la fin des cours, ou bien à mon casier à l'heure des pauses, ou encore devant chez moi le matin ou en fin d'après-midi. Il voulait parler.

Il n'y a rien à discuter. Tout est très clair.

C'est ce que je lui ai répliqué à chaque fois avant de prendre la poudre d'escampette. Qu'aurait-il bien pu me dire ? Je n'avais pas envie d'entendre un sale mot sortir de sa bouche.

À force de le repousser, il s'est éloigné et s'est fait de moins en moins insistant. Jusqu'à ne plus essayer du tout. Charlotte ne cesse de me dire qu'il me regarde de loin, toujours d'un air triste et désolé. Je lui dis qu'elle s'imagine des choses.

Les jours passent, se transformant lentement en semaines. J'essaie de me convaincre que ce qui s'est passé entre Devon et moi n'était rien, mais mon esprit refuse toujours de comprendre. Je m'étais malheureusement plus attaché que je ne l'aurais dû, bien plus que je ne le pensais. Malgré les moments peu nombreux que nous avons passés ensemble, le garçon que j'avais appris à connaitre lors de ceux-ci me plaisait. Il avait été si doux et attentionné avec mes sœurs. De plus, il s'était soucié de moi et de mon confort lorsque j'avais dormi chez lui. Il était si différent du garçon auquel je m'étais habitué au cours des années. Il m'a déstabilisé au point de me faire oublier qui il était.

J'essaie de repousser toutes ses pensées dans un coin reculé de mon cerveau. Je me concentre sur les lignes de couleurs que je suis en train de tracer sur la feuille blanche au sol de la chambre de mes sœurs. Tous les trois assis sur le plancher, des crayons à colorier éparpillés un peu partout, nous dessinons, si nous pouvons appeler ça comme ça. Je tiens à rappeler qu'elles n'ont que deux ans, et il faut dire que je suis loin d'être le meilleur en dessin de mon côté. Les bonhommes allumettes suffisent amplement à l'élaboration de mon coloriage. 

Soudain, Emma se lève, attrape son dessin, vient vers moi et le pose devant moi. Quatre personnes y sont représentées : deux grandes et deux petites, toutes se tenant par la main, si j'en crois les fines lignes représentant les bras qui se croisent à chaque extrémité. À première vue, on dirait une petite famille.

— Qui est-ce ? lui demandé-je en souriant.

Elle commence par poser son petit doigt sur un petit personnage de son dessin. De son autre main, elle pointe sa sœur Olivia assise un peu plus loin, concentrée dans son art. Puis, Emma déplace son doigt sur le deuxième petit bonhomme sur la feuille de papier. Elle ramène son autre main à elle, se pointant elle-même.

— Emma, prononce-t-elle en se désignant de sa voix toute mignonne.

Elle glisse ensuite son délicat doigt vers l'un des grands, puis pointe son autre doigt vers moi. Cette troisième personne me représente donc. Je la regarde et lui souris. Elle est tellement mignonne. C'est adorable.

Puis, elle déplace finalement son doigt vers la dernière personne qui figure sur le dessin. Elle se relève ensuite et grimpe sur son lit. Que va-t-elle donc chercher ?

Une fois sur son petit lit recouvert d'une jolie couette orangée, elle se met debout afin d'accéder à la fenêtre qui offre en grande partie la luminosité de cette chambre. Elle pose ses courts bras sur le rebord du cadre de la vitre et appuie son petit doigt contre celle-ci. Elle tourne ensuite son mignon visage vers moi, m'invitant à venir voir ce qu'elle veut me montrer. La fenêtre donnant sur la cour arrière, je me demande bien ce qui peut y représenter son dernier personnage.

Je me lève et me mets à genoux sur son lit, me plaçant à côté d'elle, appuyé au rebord de la fenêtre. Je suis des yeux ce qu'elle pointe, tournant mon regard vers la cour.

En le voyant, j'ai compris.

Le trampoline. Il ne peut représenter qu'une seule personne.

Un petit pincement me serre la poitrine, perturbant pendant un court instant le rythme des battements de mon cœur.

Cette dernière et quatrième personne représentée par Emma, c'est Devon.

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