6 - Jalousie, quand tu nous tiens
Jungkook me suivit sans dire un mot jusqu'à la bibliothèque. Les couloirs étaient déserts à cette heure, et la plupart des gamins se trouvaient sous la douche ou en salle de petit-déjeuner.
J'entendis ses claquettes crisser sur le lino orange vieillot des allées et le silence y faire écho. Je me rendis directement jusqu'au coin que j'occupais lorsque j'étais seul, c'est-à-dire sur les tapis recouverts de coussins situés derrière les hautes étagères renfermant les romans de fantasy, de princesses, de capes et d'épées et de princes au cheval blanc.
Je me tournai vers lui sans lui présenter une once de sympathie. Je ne savais pas très bien où je voulais en venir, seulement que j'avais besoin qu'il sache que de mon côté, je vivais un cauchemar. Je vis à son visage, à ses sourcils froncés vers le bas, à ses yeux fuyants et à ses dents qui tiraient nerveusement sur sa lèvre, qu'il redoutait cette conversation. Pourtant, elle était nécessaire.
— Jungkook, je suis malheureux.
— Quoi ?! Mais pourquoi, hyung ? On est en vacances, il fait beau, j-
— Je me fiche du temps qu'il fait !
— Alors quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il l'air désemparé.
Je m'avançai d'un pas et me retrouvai tout près de lui, à quelques centimètres à peine, nos nez se touchant presque.
— Qui suis-je exactement pour toi ?
— Mais mon meilleur ami, voyons !
— Et Heather ?
Son regard retomba au sol pour observer ses chaussettes Iron Man dans ses claquettes. Ses pieds se recroquevillèrent, ses orteils se côtoyant.
— Elle est ton amie ? Ta petite-amie ? Où est-ce que nous allons, tous les trois ?
— Je ne sais pas... je veux te garder avec moi, hyung.
Mon cœur se serra si douloureusement que je manquai de vomir sur le tatami.
— Jungkook... soufflai-je en retenant mes larmes, tu te rappelles cette discussion après la pièce de théâtre ?
— Oui... murmura-t-il d'une petite voix, la tête baissée.
— Je t'aime... et je ne supporte pas de te voir aussi proche de quelqu'un d'autre que moi.
— Je sais.
Je laissai une grimace de douleur fendre mes traits.
— Alors pourquoi tu le fais ? Pourquoi tu me fais du mal comme ça ?!
Il releva vivement la tête et je remarquai les larmes qui ravinaient ses joues rondes encore enfantines.
— Je ne voulais pas te faire de mal, hyung ! Mais j'aime Heather ! Je l'aime et je t'aime toi !
— Tu ne peux pas nous aimer tous les deux !
— Mais je ne veux pas vous perdre !
— Je refuse de te partager ! grondai-je les poings serrés.
— Est-ce qu'on peut au moins en parler ? me supplia-t-il en attrapant ma main.
— Que veux-tu dire de plus ?
Il haussa les épaules, complètement perdu. Je l'étais moi aussi, mais ma souffrance était telle que la colère semblait surpasser tout le reste. J'étais furieux de me retrouver dans cet état, de lui infliger ça et de tomber si bas. Je me haïssais pour ce que je lui faisais subir, pour les choix que je lui imposais. Pourtant ils étaient plus forts que moi.
— Je... je vais essayer de t'accorder plus de temps ?
Ma main pressa la sienne plus fort.
— Jamais je ne t'abandonnerai, Jungkook. Tu la connais depuis peu de temps, tu ne peux pas compter sur elle comme sur moi. Tu te rappelles nos promesses à la maternelle ? Amis pour la vie. Elle est de passage, les filles seront toujours de passage, alors que moi je serais là pour toujours.
Volontairement, je tus la dernière promesse que nous nous étions faite au bord de la plage. Celle qui visait à nous unir lorsque nous serions grands. Car plus le temps passait, et plus je réalisais que Jungkook avait toutes les cartes en mains pour épouser Heather lorsque nous serions adultes, et ça, il n'en était pas question.
Il essuya sa joue d'un revers de manche et renifla. J'avais envie de le prendre dans mes bras et de ne plus jamais le lâcher. Pourtant je m'efforçai de garder une distance, celle qu'il m'imposait malgré lui.
— Je... d'accord, je vais essayer de t'accorder autant de temps qu'à elle. Est-ce que tu me pardonnes, hyung, hein dis ?
J'étais un monstre. J'étais incroyablement égoïste et mufle. Comment pouvais-je lui demander une telle chose ? Comment pouvais-je malmener ce petit garçon qui m'avait offert son amitié si précieuse depuis des années ?
Ses yeux criaient au désespoir de me perdre, de voir notre amitié voler en éclats. Alors je pris sur moi, encore, et acquiesçai.
— Merci de m'avoir écouté. J'avais besoin de te dire tout ce que je ressentais. Je vais essayer d'être plus tolérant de mon côté, c'est promis.
C'était toujours comme ça. J'avais des idées, des griefs que je ne souhaitais pas lâcher, mais Jungkook me faisait renoncer à tout. Pour lui j'aurais tout supporté, tout toléré. J'aurais été jusque dans les tréfonds de l'enfer. Parce qu'il était celui que j'aimais par-dessus tout.
**
La fin de l'été fut morose pour moi. Jungkook tentait de me faire sourire autant qu'il le pouvait, sans succès. J'étais apathique et désagréable alors qu'il semblait vivre ses plus beaux instants.
J'avais remarqué que lorsque j'étais là, il lâchait la main d'Heather et essayait de paraitre moins amoureux, et ça me faisait mal. Parce qu'il freinait ses ardeurs au lieu de profiter de la vie, et ça uniquement à cause de moi. Je ne parvenais plus à profiter de nos instants à deux, sans cesse tourmenté par cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Le couperet me menaçait, et bientôt, il me tomberait dessus pour déchirer mon cœur en deux.
L'anniversaire de Jungkook fut catastrophique. Désireux de bien faire, il avait organisé une fête à laquelle il ne m'avait pas invité. Cependant, il ne me l'avait pas caché et m'avait informé qu'il recevrait quelques garçons de notre classe, ainsi qu'Heather pour une après-midi au bord de la plage.
— Je sais que tu préfères quand on est que tous les deux, hyung... dit-il en me prenant la main. Alors on se voit juste après, d'accord ? Tu viens manger à la maison et on dormira sous la tente, maman est d'accord pour qu'on se mette dans le jardin, il fait encore chaud, on n'aura même pas besoin de la veilleuse, on aura directement les étoiles ! C'est pas fantastique ?!
— Si... soufflai-je, empourpré. Comme d'habitude, tout est parfait avec toi, Jungkook.
Il fronça le nez, et son sourire s'élargit. Ses mains attrapèrent les miennes, et il les balança gaiement entre les siennes.
— J'ai hâte, hyung... à demain.
— À demain, Kookie.
Ses pommettes rosirent sous l'appellation que j'avais employée, et en cet instant, je me sentis apaisé. Ses mains dans les miennes, la chaleur de son corps et son sourire exceptionnel rehaussé d'un regard espiègle. Il était mon monde et je lui confiais mon cœur.
Néanmoins, le samedi midi, après le déjeuner, je ne pus m'empêcher de me rendre à la plage pour épier la fête qui se jouait sans moi.
Quelle erreur...
Le petit groupe s'était installé au milieu d'une foule assez dense. Il faisait une chaleur insoutenable et le soleil tapait sans relâche alors que j'avais oublié de mettre de la crème. Je me tins assez loin, de manière à ne pas me faire repérer. Il y avait Jimin, Hoseok, et un autre garçon de notre classe, ainsi que Jungkook et bien sûr, Heather.
Heather dans son incroyable bikini rouge deux pièces. Son corps avait encore pris des formes, et elle arborait maintenant un soutien-gorge bien rempli, affichant deux pommes lisses et rebondies sur lesquelles les quatre autres louchaient sans retenue. Sa taille était fine et ses hanches bien marquées. Elle n'avait rien à voir avec les filles de chez nous, plutôt plates et pas vraiment encore formées. Heather était australienne et trainait derrière elle tous les rêves de ses camarades. Ses cheveux blonds ardents volèrent dans la brise brulante, et elle se redressa pour présenter le flacon de crème solaire à Jungkook.
Je le connaissais par cœur, et je vis presque de ma place, ses joues prendre feu. Dans des gestes peu assurés et malhabiles, il se redressa et tira sur son maillot de bain en fronçant le nez. L'étau qui enserrait mon cœur se resserra. Ce geste était unique, et jusqu'alors c'était à moi qu'il était réservé. Néanmoins depuis quelques semaines, mon meilleur ami se mettait à afficher ses émotions bien plus largement qu'auparavant en compagnie d'Heather.
Elle fit glisser ses cheveux le long de son épaule, et Jungkook appliqua de la crème sur son dos sous l'hilarité de ses amis. Ses petites joues étaient rouges comme deux cerises, et il se mordait la lèvre sans oser relever le regard. Il était adorable, et je ne voulais qu'il soit qu'à moi. Mon ventre se tordit de contrariété. Derrière la visière de ma casquette, j'observai ses gestes. Il descendit dans le bas de son dos, puis sur sa taille. Une boule se forma dans ma gorge et je baissai les yeux, puis enterrai mes pieds dans le sable en soupirant de harassement. Lorsque je relevai la tête, la scène insoutenable était terminée et Heather s'était rallongée sur sa serviette, tandis que les garçons jouaient avec un ballon à quelques mètres.
J'en profitai pour laisser mon regard se balader sur le physique de mon meilleur ami. Je n'autorisais que rarement mes yeux à se laisser aller sur ses flancs encore blancs protégés du soleil. Ses légers abdominaux formés par ses séances de boxe et ses bras qui se dessinaient lentement avec le temps. Ses cuisses étaient plus grosses que les miennes et que la plupart de celles de tous les autres garçons. Elles étaient belles, musclées et ses mollets fuselés. Je me mordis la lèvre et sentis une goutte de sueur perler le long de mon échine dorsale. Celle qui longea ma tempe, en revanche, n'était pas dû à la chaleur, mais bien à la gêne résultant de ma perversité réveillée. Je me mordis la lèvre jusqu'au sang et reportai mon attention sur l'horizon.
Le soleil déclinait, et la foule regagna le centre-ville afin de manger une glace ou faire les boutiques. Je me levai à mon tour et ramassai ma serviette. Il était temps de quitter les lieux si je ne voulais pas être découvert.
En remontant, j'avisai Heather se rhabiller. Elle enfila une robe bain de soleil qu'elle noua dans son cou. Juste derrière, Jungkook s'était immobilisé et la mangeait du regard. Je vis ses yeux noirs descendre le long de ses courbes, s'arrêter à certains endroits et repartir de plus belles pour loucher sur ses cuisses. C'est lorsque je me fis bousculer par une vieille dame, que je sentis une larme rouler sur ma joue. Je tournai les talons et fonçai droit à mon appartement où je m'enfermai dans ma chambre en claquant la porte.
La nuit fut atroce et je ne cessais de pleurer.
Pauvre gosse, vous diriez-vous. Il avait le cœur brisé. L'amour fait mal.
Il n'en était rien. Je pleurais parce que je voulais une robe moi aussi. Je voulais une crinière blonde, épaisse et douce, des cuisses fuselées et de grands yeux bleus, ainsi qu'une pléiade de tâches de rousseurs que Jungkook pourrait compter au même titre que les étoiles.
Je rêvais d'être une fille, et je déplorais le fait que malgré tous mes souhaits d'anniversaire, toutes les lampes et les génies que je pourrais trouver dans ma vie, cet unique rêve ne se réaliserait jamais.
**
Mes larmes s'étaient taries. J'avais tant pleuré que je m'étais levé le visage bouffi et les yeux rouges. Cependant, j'avais compris quelque chose de crucial : Jungkook aimait les robes, et moi, je rêvais d'en porter une. Je passais donc le dimanche matin dans la chambre de ma sœur. Joo-Eun avait dormi chez une amie et sa garde-robe me tendait les bras. En l'ouvrant, j'eus le souffle coupé. Il y avait là pléthore de tenues qui me faisaient rêver depuis des années. Ma mère était au marché, et mon père passait souvent la matinée à lire le journal dans la cuisine. J'étais donc tranquille pour un bon bout de temps.
Je saisis une première robe aussi jaune que le soleil. Elle avait des manches bouffantes et la taille était resserrée par des lacets qui se nouaient dans le dos. Je l'enfilai, le cœur battant, et fermai les yeux jusqu'au grand miroir qui jouxtait le bureau. Puis lentement, j'ouvris un œil, puis l'autre. Ma mâchoire se décrocha et je chancelai.
J'étais moi.
Enfin.
Je ne m'étais jamais trouvé aussi joli et aussi épanoui. Mes yeux brillaient d'excitation, et mes pommettes roses reflétaient ma joie.
Finalement, n'étais-je pas, moi aussi, un splendide garçon dans cette belle robe ? Pourquoi n'avais-je pas le droit de la porter si cela me plaisait et me rendait heureux ? Pourquoi devrais-je enfiler des pantalons ternes et des chemises ringardes ?
Mes bras étaient plus fins que ceux d'Heather. Sa taille était plus marquée que la mienne, mais j'étais plus menu. Mes cuisses, bien trop fines à mon goût, étaient dissimulées sous ce tissu couleur d'été qui me ravissait le cœur.
Je l'ôtai finalement pour en attraper une rouge au jupon volumineux. Je l'enfilai mais très vite, je grimaçai d'inconfort. Le tissu, principalement de la tulle, me grattait, et je trouvais cette robe assez inconfortable.
Je finis par une robe en coton aux motifs floraux bleu et blanc. Les épaules nues, elle était dotée d'une fente longeant la courbe de ma jambe jusqu'à mi-cuisse. Je la trouvais vraiment exceptionnelle, et je sentis que mon estime remontait en puissance. Un large sourire barra le bas de mon visage, et mes yeux s'illuminèrent d'une joie que je ne connaissais pas. J'avais l'impression enfin d'être moi, d'être heureux et épanoui dans ce vêtement à travers lequel je me voyais briller.
Mes mains enserrèrent le tissu et je tournai sur moi-même afin de profiter de mon état d'intense euphorie. C'est à ce moment-là que j'entendis la porte d'entrée claquer, et la voix de ma mère porter par-dessus le fond de radio que mon père avait enclenché.
— Mon chéri ?!
Je filai jusqu'à ma chambre en essayant de ne pas me prendre les pieds dans la robe bien trop grande pour moi, et fermait la porte à clé, le cœur battant.
— Mon chéri ??! répéta ma mère, une pointe d'inquiétude dans la voix.
— Oui, je suis dans ma chambre !
Sa main sur la poignée témoigna de son manque de considération pour mon intimité. J'étais déjà en slip lorsqu'elle s'agaça de nouveau sur la porte en piaillant :
— Ouvre donc, Taehyung !!! Je n'aime pas que tu t'enfermes !
Je jetai la robe dans mon armoire et enfilai un bas de jogging avant d'aller déverrouiller la porte. Son regard interloqué passa de mon visage à mon torse nu.
— Eh bien, pourquoi est-ce que tu t'enfermes ?
— Pour rien, marmonnai-je. J'allais aller à la douche.
— Ah, je me disais aussi que ce n'était pas ton genre de te promener dans ce genre de tenue !
Elle referma la porte, et je laissai mon souffle reprendre un rythme normal. Pas mon genre de tenue ? Non, en effet, moi j'aimais les robes, les volants et la mousseline. Je me dirigeai vers mon armoire, le cœur encore défaillant d'avoir failli me montrer sous mon vrai jour, et fixai la robe fleurie.
— Mon chéri ! m'interrompit ma mère dans un sursaut qui manqua de me décoller un ventricule. Prépare ton sac pour aller chez Jungkook, je vais te déposer d'ici une petite heure !
— O-oui, d'accord...
La robe dissimulée derrière ma silhouette frêle, je lui souris niaisement, et elle referma la porte de ma chambre. Mes yeux se posèrent sur le tissu fin et une audacieuse idée naquit dans mon esprit. Je tirai mon sac de sport de sous mon lit et y jetai des vêtements de rechange, un pyjama, ainsi que ma brosse à dent. Puis dans la petite poche avant, bien dissimulée aux yeux de tous, j'y roulai la robe, un fin sourire sur les lèvres.
Heather était une fille, et moi j'avais une robe, bien décidé à défendre mon territoire avec les armes que la vie m'avait laissé à disposition.
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Hey, mes Kiwis ! 🥝
J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous a plu ! 😊
Taehyung découvre les robes et ce n'est que le début de l'histoire ! 👀
J'espère que vous aimez ce que vous lisez, si c'est le cas, n'hésitez pas à laisser un vote et un commentaire, ça fait toujours plaiz ! ⭐
Je vous dis à mardi pour la suite, rendez-vous pour l'anniversaire de Jungkook sous les étoiles. Oh, et, n'oubliez pas votre robe ! 👀🥰
Bisous ! ❤️🤸🏻♀️
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