Prologue
Désert de Black Rock, Nevada.
- Asseyez-vous, je vous en prie.
À la lueur de sa lampe torche, l'homme me désigne une chaise pliante gainée de velours comme on en voit dans les banquets. J'accueille l'invitation avec un profond soulagement ; mes jambes chancellent, elles ne m'auraient pas portée plus loin. Je tire vers moi le siège poussiéreux, prends place sur l'assise au bordeaux décati, les yeux rivés sur mes godasses. D'où vient cette atmosphère de tribunal, comme si se profilait un réquisitoire à charge contre moi ? À côté, mon voisin exhibe son sourire d'une insolente désinvolture. Voire machiavélique, à la lueur des guirlandes rouges décorant la tonnelle qui nous abrite. Me pointer là n'était sans doute pas l'idée du siècle... Encore moins avec lui. Clairement. Alors qu'est-ce que je fiche ici ?
- Mademoiselle ?
Ah, le monsieur sévère m'a parlé. Je pose enfin mon regard sur mon interlocuteur, ourle les lèvres dans un rictus gêné quand il se focalise sur mes mains que je triture nerveusement. Cette nuit pas comme les autres s'étire à n'en plus finir... Les émotions succèdent aux verres à moitié vides et malgré tout, je refuse de quitter la partie.
- ... Oui ?
Pour le ton assuré, on repassera. Je m'éclaircis la voix afin d'effacer cette espèce de couinement sorti de ma bouche tandis qu'il démarre son speech.
- Votre âge ?
Honneur aux dames, je dois répondre en premier. Quitte à braver l'égalité des sexes, je peux lui rappeler qu'on ne demande pas ce genre de choses à une femme ?
- Il veut s'assurer que tu n'es pas mineure.
Je me tourne vers le grand brun qui m'accompagne et qui s'amuse de mes tergiversations.
- Est-ce qu'il peut aussi s'assurer que tu la boucles un peu ?
- Peu importe, on n'est pas venus ici pour palabrer, que je sache ?
Je me rembrunis face à sa énième provocation. L'employé devant nous s'impatiente, en témoignent ses phalanges tapotant la table sur tréteaux.
- Vingt-six ans, marmonné-je.
- Vingt-sept, déclare mon meilleur ennemi.
- Parfait, merci. Inutile de vous rappeler les règles affichées à l'entrée ? Pas de téléphone, d'appareil photo, ni de caméra. Pas de personnes seules, vous récupérez vos affaires en sortant de la tente et ne laissez surtout rien traîner. OK ?
- OK.
Le nez dans ses listings alors qu'il nous gronde, c'est à peine s'il nous regarde. Il doit sûrement y passer ses soirées... Dans la pénombre, les halos écarlates qui dansent au gré du vent et se reflètent sur son crâne rasé lui confèrent des airs de cerbère tout droit échappé des Enfers.
- Vous êtes sobre ?
Euh...
- Vous avez discuté avec votre partenaire des pratiques sexuelles auxquelles vous souhaitez vous livrer ?
Je manque de m'étouffer avec ma propre salive pendant que mon partenaire se retient de pouffer. Le type aux allures d'armoire à glace nous dévisage, sourcils froncés ; je reprends contenance et lui réponds par l'affirmative... les doigts croisés sous le plateau.
- Bon. Passons au plus important, poursuit-il solennellement. Selon l'option choisie, recherchez toujours le consentement de l'autre. Vous voulez regarder le couple d'à côté ? Vous demandez. Envie de jouer avec eux, ou à plusieurs ? Vous demandez. La réponse doit être ferme, sans équivoque. Un Oui ! ou Putain, oui ! plutôt qu'un D'accord ou Pourquoi pas. Compris ? Et surtout, soyez précis, posez les bonnes questions. « Est-ce que je peux toucher vos seins ? Ou bien, M'autorisez-vous une petite gâterie ? Accepteriez-vous que j'honore votre derriè... »
- C'est bon ! m'étranglé-je. Oui, putain, oui, on a compris !
Je me rends compte que je me suis limite levée de ma chaise, et qu'une jolie teinte écrevisse égaye ma carnation. Quant à mon cavalier pour la soirée, le regard ambigu qu'il m'adresse n'arrange en rien mon cas. Sombre ou piquant, trouble puis taquin ; il cultive le doute et l'envie à la manière d'une boîte de Petri.
- Très bien.
D'un geste mécanique, il nous tend un long formulaire, ainsi qu'un stylo.
- Signez la décharge, et patientez ici jusqu'à ce qu'on appelle votre numéro.
Pourquoi j'ai l'impression de faire la queue à la sécu ? Enfin, plutôt, d'attendre ma gynéco pour un frottis ? Tout ça à cause d'un foutu pari... Ou comment se retrouver dans une orgie en plein désert avec un homme qu'on a tant détesté. Un homme, que dis-je, un adversaire, et des plus redoutables puisqu'il me connaît mieux que personne. Ses prunelles malicieuses s'arriment aux miennes tandis qu'il rend son Bic ; ses lèvres s'étirent puis s'incurvent, délivrent au ralenti le message qui m'est personnellement adressé : « À toi de jouer, Emma... » Notre hôte nous interpelle, je sursaute et me retourne.
- Ah, j'oubliais ! Si vous êtes à court de munitions, nos condoms fairies vous fourniront de quoi vous amuser pour la nuit.
OK. J'aurais peut-être dû rester à Bordeaux, moi.
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