85. TOUT À MOI
Je rentre dans la chambre à reculons, ma robe hissée sur ma hanche d'un côté, et laisse les lèvres fraîches de la brise nocturne effleurer ma peau chauffée. Un souffle tremblant me prend à la gorge et je sens un martèlement dans ma poitrine, grandir comme mon désir.
"Maintenant ?" je murmure, tandis que mes doigts se tordent dans l'ourlet de ma robe.
Il hausse les épaules. Sa chemise glisse le long de son épaule quand il en défait un autre bouton.
"Ou jamais," il dit. "C'est toi qui choisis."
Je laisse échapper un rire essoufflé et grince des dents au son que ça fait. J'ai l'air d'une idiote.
Il est debout entre moi et les yeux scrutateurs de la Lune, sa silhouette imposante se dresse dans la porte ouverte. Il s'appuie contre le cadre, une main serrant fermement le linteau au-dessus de sa tête, les muscles un peu trop fléchis pour qu'il ne le fasse pas exprès.
Le regard sombre de Juan scintille au gré de son imagination. "Je te fais pas peur, j'espère ?"
Je secoue la tête, bouche bée, comme ensorcelée. La porte se ferme derrière Juan avec un clic silencieux, et ses lentes enjambées ferment l'espace entre nous deux.
Il me domine, et son regard brûlant embrasse chaque centimètre de mon corps avant que ses mains se posent aux côtés de mon visage.
"T'es sûr..."
La langue de Juan se noue avec la mienne, transformant mes mots en gémissements.
Il me jette sur le lit, une main enroulée autour de ma taille pendant que l'autre retient mon poignet. Mes jambes s'écartent pour lui et ses hanches se pressent contre l'espace. J'étouffe un râle alors que son membre enflé frotte contre l'intérieur de ma cuisse. J'en trace le contour du bout des doigts et j'en imagine la forme. Elle est épaisse, dure, sans fin.
Juan me mordille le cou, avant d'y placer toute une traînée de baisers légers comme des plumes, puis la caresse chaude de ses souffles langoureux. Ses mains remontent le long de mon ventre, trouvant enfin le rond sensible de mes seins sous ma robe.
Il serre un tétons entre son pouce et son index, le fait rouler un peu jusqu'à ce qu'il rougisse de honte. Je me rends. Je lève les bras, et d'un geste tendre de sa main, ma robe s'en va. Juan s'arrête, recule d'un pas, et m'admire comme un peintre avec son plus grand chef-d'œuvre.
Un sourire narquois se répand sur son visage, et il se met à genoux. Doucement guidée par ses doigts stables, ma lingerie en dentelle glisse le long de mes chevilles et tombe au sol. Il écarte un peu plus mes jambes, et je sens le métal froid de sa fine chaîne en or frôler la peau brûlante à l'intérieur de ma jambe.
Ses doigts s'enfoncent dans les bords de mes hanches, les épinglant contre le matelas, mon dos se saisit et se cambre d'extase. Je pose mes genoux, déjà tremblants, sur la cime de ses épaules et laisse sa langue plaire chaque bon endroit.
Il me prend comme une fièvre, qui fait frissonner mon corps entier. Dans chaque halètement, chaque gémissement, chaque cri lubrique, je prononce son nom. Juan. Juan. Juan.
"Juan," je crie, avant de plaquer ma main sur ma bouche.
Ses yeux, plein de malice, apparaissent entre mes jambes et il rit.
"Tu peux crier mon nom aussi fort que t'en as envie," il dit, frottant sa joue hirsute contre ma cuisse. "Personne peut entendre."
Il glisse deux doigts en moi, les enroule contre mes lisses parois, et taquine mon clito avec de minuscules cercles qu'il dessine du bout de son pouce. Il me contrôle comme une petite marionnette. Tout ce qu'il a à faire, c'est de plier l'index, et tout mon corps se contracte.
Ses narines s'évasent et son étreinte se resserre. Chaque contact fait vibrer mon corps, de la base de mon crâne jusqu'au bout de mes orteils. Ses lèvres fraîches s'attardent dans le creux au sommet de ma jambe, laissant de tendres morsures chaque fois que je spasme un peu trop forts.
Juste au moment où mon estomac commence à se serrer, à peine poussé mon gémissement le plus fort jusqu'ici, Juan s'arrête.
"Qu'est-ce qu'il se passe ?" je demande.
"T'inquiète pas," s'esclaffe Juan, pendant qu'il défait sa ceinture. "J'ai pas terminé."
Son sexe se libère de son boxer et part comme un ressort. Juan fait un demi pas en avant, et la pointe atteint mon nombril. À l'image de la chose, mes yeux s'ouvrent grand, et je lâche un cri de surprise.
Elle est énorme. Juan le sait. Il a un grand sourire sur les lèvres. Elle fait probablement cinq centimètres de plus que celle de Pablo, et doit être deux fois plus épaisse. Pas étonnant qu'elle se prenne dans des buissons quand il court à poil dans la forêt, et encore moins qu'il ait l'ego aussi surdimensionné que sa queue.
Je l'ai jamais vu aussi concentré qu'il l'est maintenant, à tirer mes jambes d'un côté et glisser un oreiller sous mes hanches. Il se frotte les lèvres, étouffe un râle, et se lèche les dents à l'idée de ce qui vient.
Il sort un préservatif de la poche arrière de son jean. Du tranchant de ses dents, il déchire le paquet fragile et déroule le caoutchouc sur sa longueur.
Balayant vers le haut, son regard rencontra le mien. Sombre, déterminé, provocateur et presque animal, ses yeux me dévorent alors qu'il soulève mes jambes contre sa poitrine, et les cale dans le creux entre son épaule gauche et son cou.
Ses doigts grattent mes chevilles, il laisse un doux baiser sur mon tibia et se pousse en moi.
C'est douloureusement cathartique. Mes doigts griffent les draps, et je laisse échapper un cri languissant. Sans rompre son regard fixe, Juan me calme d'un petit coup de langue. Sa main caresse doucement de haut en bas ma cuisse, et il plonge plus profond.
L'inconfort ne dure pas longtemps, vite remplacé par la jouissance. Nos corps se lacent, et se balancent d'avant en arrière au rythme accéléré de ses hanches roulantes. Son souffle redouble de force ; le mien est déjà à bout.
Ses yeux descendent, se posant un instant sur le mouvement de mes seins rebondissants. Puis il ferme les paupières, penche la tête en arrière et laisse échapper une série de grognements et de jurons en espagnol.
Lorsque mon corps se serre comme un étau autour de son membre, ses bras font de même autour de mes jambes chancelantes. Il hâte son rythme, qui devient une mélodie, et transformant mes gémissements en vrais cris.
Lisse comme des perles, le bout de ses doigts coule le long de ma cuisse alors qu'il commence à lâcher prise. La sueur roule sur ma nuque comme sur la poitrine de Juan. Sa silhouette ciselée scintille dans la pénombre du clair de lune, brillant de la même lueur argentée qui apparaît dans ses yeux lorsqu'ils roulent vers l'arrière de son crâne.
L'une et l'autre poussons, et mon esprit se vide, clarifié par la chaleur et de plaisir. Mon cœur s'arrête et je deviens muette, figée dans un halètement sans fin. J'aimerais que ce sentiment ne s'évanouisse jamais.
Quand j'ouvre les yeux, Juan est au-dessus de moi, son sourire satisfait encadré par les mèches humides de ses cheveux ébouriffés. Il lâche un rire essoufflé en démêlant mon collier de sa chaîne en or, et embrasse encore une fois mes lèvres avant que nos corps fatigués ne se séparent.
Juan serre la mâchoire et aspire de l'air entre ses dents, et sa longueur palpite une dernière fois lorsqu'il se retire d'en moi.
Il enlève soigneusement son préservatif, fait un nœud au bout et grimace en voyant le morceau de caoutchouc gélatineux qu'il balance juste devant son visage.
"Je vais, euh, prendre ça avec moi pour que personne le trouve dans ta chambre," il marmonne. "Me juge pas, d'accord ?"
"Trop sexy," je glousse, encore épuisée par les ébats. "Tant que tu fais rien de chelou avec, ça ira."
Il hausse les sourcils, l'air de plaisanter, et disparaît dans la salle de bain. Il en émerge quelques secondes plus tard, le préservatif enveloppé dans une liasse de papier toilette, qu'il fourre dans la poche de son pantalon.
Il se couche à côté de moi dans mon petit lit, bien étalé, il occupe presque tout l'espace. Ça me dérange pas vraiment. Il fait froid dans la chambre, ma couverture est trop mince, et la chaleur qui rayonne de son corps me réconforte.
"Alors ?" je demande, en traçant une ligne au centre de sa poitrine. "C'était tout ce dont t'as toujours rêvé ?"
Juan sourit. "Encore mieux."
"Vraiment ?" je ronronne.
"Em, ta chatte est juste– "
Il embrasse le bout de ses doigts et les lève vers le plafond, l'air rêveur. Je laisse échapper un rire idiot et le regrette immédiatement. C'est un miracle s'il est pas encore convaincu que je suis complètement conne.
"Tu dis ça juste pour me faire plaisir," je réponds.
"Non, je suis très sérieux," dit-il. "Tu rentres facile dans mon top trois."
Il tressaille comme s'il s'attendait à une réaction négative de ma part, mais tout ce que je fais, c'est enfouir mon menton dans la paume de ma main.
"Trop trois sur combien ?"
Avec un sourire sournois, il emmêle une mèche de mes cheveux autour de son doigt. "Je divulgue pas ce genre d'informations."
Il hausse les sourcils et pince les lèvres, feignant l'innocence, et je lâche un autre de ces rires aigus, aussi insupportable qu'incontrôlable. Mais au lieu d'une grimace, Juan esquisse un sourire, avant de se rapprocher de moi. Ses dents effleurent mon épaule puis il dépose un baiser sur ma peau nue.
"Et toi ?" murmura-t-il.
Nos corps se recroquevillent, et ses yeux noirs croisent avec les miens, brillant faiblement au clair de lune lointain. Je marque une pause, le temps de réfléchir. C'est dur de me concentrer quand il me regarde comme ça.
"T'es mon treizième," je lui dis. "Enfin, quatorzième, mais il y en a un qui compte pas vraiment."
"Wow, t'es pas mal pour une débutante," il rit doucement. "Mais c'est pas ce que je voulais dire. J'étais comment ?"
Du bout de ses doigts, il balaye la honte sur mes joues rougissantes.
"Oh, t'es de loin le meilleur gars avec qui j'ai jamais couché."
L'orgueil emplit sa poitrine et soulève les coins de ses lèvres. Je pose ma tête sur son torse. Son cœur bat lentement, paisiblement, et son rire est chaud, profond et moelleux comme un oreiller.
"C'est tout ce que je suis ?" il murmure. "Un mec avec qui t'as couché ?"
"Ouais, bah t'aurais pu être mon sauveur," je marmonne.
"Ton sauveur avec qui t'as couché," il ricane.
Je hausse les épaules. "C'est pas trop tard, tu sais."
Son index caresse le bord de ma mâchoire, puis s'enroule sous mon menton pour relever ma tête et me faire le regarder.
"Je veux être plus que ça."
Sa voix sonne bas, grave et rocailleuse. Elle me fait frissonner chaque fois qu'il me parle.
"Qu'est-ce que tu veux être ?" je demandé.
"Tout à toi."
Son cœur s'emballe le temps de quelques battements et je me sens planer. Plus haut que la drogue, plus haut que les oiseaux, plus haut que les gratte-ciel, les avions et les vaisseaux spatiaux. Je fonds dans ses bras, brûlante d'euphorie. Je me sens comme un nuage de vapeur en apesanteur, flottant à ses côtés.
"Alors voilà," je murmure. "T'es à moi."
"Peut-être qu'un jour toi aussi tu seras toute à moi," il dit.
Une petite boule grossit dans ma gorge, mais l'amertume est si petite en comparaison de l'amour, que ça ne suffit pas pour effacer mon sourire.
"Ça, ça dépend que de toi."
Être avec Juan, c'est différent de tout ce que j'ai vécu au cours des dernières semaines, des derniers mois ou même des dernières années. Il ne me laisse qu'avec du bonheur. Pas un soupçon de regret, pas de poids du dégoût dans mon estomac, pas de sentiment débilitant d'angoisse existentielle une fois mon orgasme passé.
Ça ne m'agace pas de sentir sa barbe mal rasée picoter mes joues, ni la moiteur de ses mains autour de ma taille, ni même l'odeur de sa sueur.
Il semble tout aussi beau qu'il l'était avant qu'on couche ensemble, peut-être même plus, maintenant qu'il a un peu fait marcher ses muscles et que ses abdos ressortent un peu plus. Juan est parfait. Assez bien pour moi, du moins. Il a même enlevé ses chaussettes. Qu'est-ce qu'une fille comme moi peut demander de plus ?
Pablo ne m'a jamais fait ressentir ça, pas même de loin.
Et il aura jamais l'occasion de tenter, dit une petite voix dans ma tête. Parce qu'il va pas survivre la nuit.
La culpabilité me frappe comme un coup de poing dans le ventre. Quel genre de femme est-ce que je suis devenue ?
Le genre qui tente de tuer quelqu'un, va se foutre en l'air de suite, profite des meilleurs ébats de sa vie pendant que l'autre lutte pour la sienne, et ricane intérieurement en voyant à quel point la bite de son amant est plus grosse que celle de l'homme qu'elle vient de buter ?
Je m'étais dit que je tuerais jamais personne d'autre. Je l'ai juré devant Pablo. Faut jamais dire jamais, il m'avait répondu, le sourire aux lèvres. Et si au final il meurt ce soir, ce serait à cause d'une cruelle prophétie. C'est pas de ma faute, non, je suis pas si vicieuse que ça.
Je me dis qu'il ira bien, qu'il en est probablement pas à sa première overdose. Et s'il a pas survécu, il serait pas mort par ma main. Si j'avais pas vu le gars glisser quelque chose dans le verre, je l'aurais quand même donné à Pablo, et on en serait au même point. Et si l'omission fait de moi une coupable, ça n'a toujours pas d'importance, car Pablo le méritait bien.
Je m'assois raide dans mon lit comme si je venais de me réveiller d'un cauchemar. Un cauchemar où je suis aveuglée par la vengeance, assoiffée de sang et malveillante, un mauvais rêve que j'ai vécu une fois et que j'espérais ne plus jamais revivre.
"T'as entendu quelque chose ?" chuchote Juan, et l'inquiétude lui engloutit le visage.
J'inspire profondément en le regardant, allongée nu et les yeux écarquillés dans mon lit, et j'essuie une goutte de sueur sur mon front.
"Je suis pas sûre," je réponds. "Peut-être que tu ferais mieux de partir."
"Tu me jettes dehors ? Déjà ?
Je me mords la lèvre, et Juan me sourit doucement, avant de se pencher par-dessus le bord du matelas pour ramasser ses vêtements.
"Je suis désolée," je lui dis.
"Tu vas aller voir Pablo ?" demande-t-il en arquant un sourcil.
"Non, je veux juste pas que quelqu'un te trouve ici. Ça nous fouterait tous les deux dans la merde."
Juan répond par un hochement de tête. Il enfile son caleçon et fronce les sourcils quand je lui tends son pantalon.
"Regarde, tu me fous dehors dans le froid, comme un pauvre coup d'un soir que tu regrettes d'avoir ramené chez toi dès que t'as dessaoulé," il plaisante. "Quand moi, tout ce que je veux, c'est sentir ta chaleur une minute de plus."
"Joue pas les dramatiques," je glousse. "Allez Juan, faut que tu partes."
Il reboutonne sa chemise en secouant théâtralement la tête. "Je ferai ce que tu veux, Émilie Dupont, peu importe à quel point ça me blesse."
Il jette un autre coup d'œil par-dessus son épaule, avant d'ouvrir la porte de la chambre.
"Hé, Juan," je murmure. "Si quelque chose va pas là-bas, tu reviendras ici me le dire ?"
Son visage devient sérieux en l'espace d'une fraction de seconde. "Bien sûr."
Une fois Juan parti, ma main caresse le côté du lit où il était allongé jusqu'à ce que les draps deviennent froids. J'arrive pas à décider si je veux qu'il revienne ou non.
Je garde les yeux ouverts jusqu'à ce qu'ils commencent à me piquer, et au bout d'un moment, j'en conclus que si quelque chose était arrivé à Pablo, quelqu'un serait venu me le dire de toute façon.
Malgré la gueule de bois, tous les drames de la nuit et l'effet dévastateur d'une autre évasion ratée, pour la première fois depuis longtemps, je me réveille et je me sens bien.
Je laisse couler la douche de ma chambre pendant quinze minutes, et l'eau ne devient jamais chaude. J'imagine que c'est une des raisons pourquoi personne ne séjourne jamais dans ces chambres. Ça, et les scorpions dont Juan m'a parlé, même si j'en ai toujours pas vu un seul. Non pas que je le souhaite.
Je suis encore vêtue de ma mini-robe de soirée quand je me précipite vers la maison principale, et j'arrive les pieds encore couverts de la crasse et de bouts de goudrons que l'herbe du jardin n'a pas essuyé.
Je passe par la cuisine prendre une tasse de café avant de monter à l'étage, dans la chambre de Pablo. Elle est bouillante, fumante, beaucoup trop chaude pour la boire. Elle n'est plus que tiède au moment où je sors de la douche.
Le bruit de l'eau courante n'a pas réveillé Pablo. Sans le léger ronflement qui provient du lit, je me serais demandée s'il était pas mort. Ça m'aurait pas étonné que Hernan et les autres laissent un cadavre là le temps de trouver où le jeter.
J'ouvre la fenêtre pour débarrasser la pièce de cette puanteur persistante de vomi, et je m'assois pour savourer une cigarette pendant que j'y suis. Je me souviens de la dernière fois que je me suis assise dans ce fauteuil, les poumons remplis de fumée et la tête de pensées pour Juan.
La différence, c'est que cette fois-ci, je ne ressens pas de douleur ou de tristesse, mais plutôt comme un instinct de glisser ma main sous mon peignoir et entre mes jambes.
"Je suis au paradis ?" dit une voix derrière moi.
J'adresse un sourire tendre à Pablo, pendant que j'essuie discrètement mes doigts sur un pan de mon peignoir. "Malheureusement pour nous, t'es toujours en vie."
"Ouais," renifle-t-il. "Je me disais bien que ma vie après la mort ne serait pas aussi belle."
"Comment tu te sens ?"
"Comme si j'étais en train de crever, Gordita," il marmonne. "Je me souviens même pas de ce qui s'est passé."
"Quelqu'un a dû glisser un truc dans le verre que je t'ai donné" je lui explique. "J'en ai pris une gorgée en revenant du bar et je me suis senti super malade, moi aussi."
Pablo plisse les yeux. "Tu te souviens à quoi il ressemblait, ce fils de pute ?"
"J'ai pas fait gaffe. Si j'avais su que quelqu'un avait mis quelque chose dans le verre, je l'aurais jeté, Pablo," je mens. "Je suis vraiment désolée, au fait."
"T'as pas besoin de t'excuser," il dit, rejetant mes paroles d'un geste de la main. "À partir de maintenant, bois rien avant que j'y ai goûté."
J'arrive à esquisser un sourire crispé. "D'accord."
Il tente de me rendre mon sourire, mais on dirait que le moindre mouvement sur son visage lui semble atroce. Il gémit de douleur en se pinçant l'arête du nez.
"Gordita, tu veux bien être un ange et m'apporter quelque chose pour ma migraine ?" il soupire. "Oscar doit les avoir sur lui. Il est dans la chambre d'à côté."
Le temps qu'il me faut pour enfiler des habits propres, me recoiffer un peu et quitter la pièce, Pablo s'est rendormi.
Je frappe à la porte d'Oscar. J'entends quelqu'un grogner, râler et bâiller, puis la porte s'ouvre lentement. Ses yeux sont injectés de sang et ses paupières sont lourdes, cerclées de rides et de poches violacées.
"Est-ce qu'il va bien ?" me demande Oscar d'une voix basse.
"Ouais, il vient de se réveiller."
Oscar redresse le dos, mais ses bras pendent mollement de ses épaules, comme si la nuit les avait épuisés.
"Bien," grommelle-t-il en se frottant les yeux. "Qu'est-ce que tu veux ?"
"Des anti-douleurs. Pour Pablo."
Il m'observe de la tête aux pieds. "Je vais lui apporter moi-même."
La porte me claque au nez et je déglutis. On dirait que quelqu'un s'est levé du pied gauche.
Je sais pas si je ferais mieux de rester à l'écart ou de prouver ma bonne foi, alors j'erre sans but dans les couloirs pendant quelques minutes, jusqu'à ce que je décide d'aller ramener un verre d'eau à Pablo pour l'aider à avaler ses pilules.
Alors que je plonge la main dans les placards pour attraper une tasse, Juan entre dans la cuisine.
"Bonjour," il dit.
Son ton est neutre. Beaucoup trop neutre, presque désintéressé. Il passe devant moi et s'avance vers le frigo, le pas rapide et la tête baissée, comme s'il était un homme d'affaires surmené et moi la photocopieuse de son bureau qu'il n'a pas utilisé depuis la fin des années 2000.
Je me retourne pour le regarder, et il ne fait rien. Il ne jette pas un seul regard, sourire ou doux baiser matinal. On a couché ensemble il y a à peine quelques heures, et maintenant c'est comme si j'existais plus.
Je ravale mon cœur lourd et j'ouvre le robinet. Quand le verre est presque plein, une main se pose sur ma fesse et la serre.
Je sursaute si violemment que ça me fait craquer le bas du dos, et Juan éclate de rire.
"T'as besoin d'un chiropracteur ?" il chuchote. "Je fais de très bons massages, tu sais."
Mes yeux s'écarquillent et mes joues commencent à me brûler.
"Arrête," je siffle.
"Détends-toi, Em," murmure-t-il. "Il y a personne."
J'essaye de lui lancer un regard noir, mais mes lèvres se recroquevillent toutes seules en un demi-sourire. Je secoue la tête et, avec un soupir exagéré, j'attrape un torchon pour essuyer l'eau que j'ai renversée sur le comptoir.
"Je m'en occuper," me dit Juan, caressant la paume de ma main du bout de son pouce en me prenant le torchon.
Mon cœur fait des bonds comme un yo-yo dans ma poitrine, et je serais pas surprise qu'un jour le pauvre me lâche par la faute de Juan.
Son regard enjoué me suit hors de la cuisine, mais s'assombrit à mesure qu'il réalise vers où je me dirige. Si seulement j'aurais pu lui dire que j'en ai encore moins envie que lui. J'entends Pablo gueuler avant même que j'atteigne sa chambre.
"Tu vas arrêter avec ces conneries ?"
J'ouvre la porte, et lui et Oscar se tournent lentement vers moi. Leur dispute résonne encore dans la pièce, tendant leurs corps et l'air entre eux. Ils se taisent aussitôt et balayent la colère de leurs traits.
"Je... euh, je t'ai apporté de l'eau. Pour tes pilules," je bégaye.
"T'es un amour," Pablo me dit doucement. "Merci, Gordita."
Il chasse son frère hors de la pièce avec rien d'autre qu'un regard tranchant comme une lame, et ne se détend qu'une fois que son frère est parti.
J'ai un mauvais pressentiment qui me pèse comme une enclume dans le creux de mes entrailles. Tremblante, j'inspire profondément pour me calmer, et pars m'asseoir à côté du lit en lui faisant mon plus doux sourire.
Je frotte doucement le dos de la main de Pablo pendant qu'il laisse tomber deux pilules blanches sous sa langue. Il les laisse fondre là, et ça lui semble durer une éternité avant qu'il ne chasse leur goût amer avec une petite gorgée d'eau.
Il s'essuie la bouche avec le côté de son poignet, et je me penche pour picorer ses lèvres.
Pablo s'esclaffe. "T'essaies de me séduire ?"
Je sens ma poitrine se serrer. Même dans le flou, il arrive encore à voir clair en moi.
"Non, je suis juste inquiète pour toi."
"Tout va bien, Gordita," soupire-t-il. "Sors et détends-toi un peu, il fait beau aujourd'hui. Je te rejoins dès que je peux me lever."
Je lui souris, même si je me sens déjà coincée. Il y a pas grand-chose que je puisse faire. Si j'en dis ou fais trop, je vais avoir l'air suspecte. C'est la parole d'Oscar contre la mienne : "Il y a rien, je suis contente que tu ailles bien" versus "Elle t'a empoisonné et a essayé de se barrer."
Je me demande si Pablo m'aurait étranglé s'il en avait la force. Dès qu'il ferme les yeux pour se reposer, je me précipite dans le couloir.
Je rattrape Oscar juste avant qu'il ne commence à descendre les escaliers.
"Qu'est-ce que t'as dit à Pablo ?" je siffle.
Il hausse les sourcils. "Que c'est pas une bonne idée de prendre plus de drogues après ce qui s'est passé."
"T'es sûr ?" je marmonne.
Il balaye les couloirs du regard, haussant les épaules d'un air innocent.
"Pourquoi, il y a autre chose que je devrais lui dire ?" demande-t-il.
Ma gorge se serre. "Non."
Il hausse encore une fois les épaules, avec un peu plus de dédain, et il descend les marches sans un mot de plus. Ses mots devraient me calmer, mais sa façon de les dire, c'est presque flippant.
Oscar m'a déjà sauvé la peau une fois, mais là, je sais plus trop si je peux encore compter sur lui. Je perds des alliés, je perds ma sécurité, et j'ai l'impression que les murs se referment sur moi.
Ce putain de passeport que Juan m'a promis, j'en ai besoin maintenant.
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