69. SANG POUR SANG

Une tache rouge s'épanouit comme une rose au centre de sa poitrine.

J'ai appuyé sur la gâchette.

Elle se met à cracher d'épais caillots pourpres, qui débordent de ses lèvres et éclaboussent le sol à ses pieds.

Je lui ai tiré dessus.

"Faut viser mieux, Gordita," soupire Pablo, en me tapotant l'épaule et en retirant l'arme d'entre mes doigts moites. "C'est plus simple quand tu mets la balle dans la tête."

Tout tremble. Mes mains, mes jambes, mes lèvres, les larmes dans mes yeux, chacune des respirations douloureuses que j'essaye désespérément d'aspirer.

Mafer n'est pas encore morte. Elle a le regard vitreux, mais elle fixe toujours mes pieds. Elle enchaîne les haut-le-cœurs et s'étouffe sur son sang, qui coule lentement le long de son tablier d'habitude immaculé.

Elle ne m'a pas supplié de la sauver, elle ne m'a même pas demandé pardon. Elle a juste regardé Pablo droit dans les yeux et lui a dit qu'elle l'aimait.

J'ai pas réfléchi. Quand j'ai entendu ces mots, tout mon corps s'est grippé, mon doigt s'est serré autour de la gâchette, et le temps de cligner des yeux, le coup de feu était parti.

C'est comme ça que je l'ai tuée.

Sans une seule pensée.

Je lève les yeux vers l'homme qui l'a poussée à me trahir. Il est adossé contre le carrelage derrière lui, comme du lierre qui grimpe en haut d'un mur. Il est la racine du mal, et tranquille, il continue à se répandre.

Pablo hausse les épaules. "Me regarde pas comme ça. Je sais pas pourquoi elle a dit ça."

"T'es sûr ?" je lui demande.

"À cent pour cent," il répond. "Jusqu'à hier, je savais même pas comment elle s'appelait."

Je pince les lèvres pour retenir ce qui tente d'en sortir–que ce soit un sanglot agonisant, une série d'insultes, les restes de fruits de ma sangria ou ce cri sans fin que je sens déjà brûler dans mes poumons.

Les souffles sourds de Mafer se sont arrêtés maintenant, et elle n'est plus qu'une masse informe sur le sol, face contre terre baignant dans son propre sang, qui s'écoule lentement vers les égouts.

Pablo la pousse nonchalamment du bout de sa botte, et elle s'affaisse sur un côté. Le sang commence à sécher en croûtes au coin de ses lèvres ouvertes, et son cou est tordu à un angle qui me fait froid dans le dos. Ses grands yeux bruns ne sont plus que deux billes opaques, immobiles comme du verre et perdus dans le vide.

"Comment tu te sens ?" il demande.

Horrible, honnêtement. J'ai tellement mal à la poitrine qu'on croirait que quelqu'un vient de me sauter sur les côtes à pieds joints. J'ai la tête qui tourne et mon cœur qui s'affole comme si j'étais coincée dans un ascenseur en chute libre. Mes joues sont si froides, j'ai l'impression qu'elles vont tomber de mon crâne.

Pourtant, j'ai accompli ce que je voulais. Je me suis débarrassée de Mafer. Le cri coincé dans ma poitrine est moins un lamentable gémissement qu'un victorieux cri de guerre.

"Je sais pas," je réponds.

"La première fois, c'est la plus dure" soupire-t-il en enroulant un bras autour de mon épaule. "Mais tu vas t'y habituer avec le temps."

Je secoue la tête. "Il y aura pas d'autre fois."

"Faut jamais dire jamais," il me chuchote à l'oreille. "C'est la vie qu'on vit, Gordita. C'est pas que du champagne et des paillettes, tu sais."

Il m'embrasse tendrement la tempe, mais la sensation persiste comme s'il venait de la marquer au fer rouge.

Mes pieds sont toujours bloqués en position de tir. J'ai pas bougé depuis le coup de feu, mis à part quand j'ai laissé pendre mes bras sur les côtés de ma poitrine, qui se balance d'avant en arrière avec chacun de mes souffles peinés.

Un bourdonnement aigu siffle dans mes oreilles, de plus en plus fort à mesure que le visage de Mafer pâlit.

Son parfum se mêle à la puanteur âcre de plomb et de sang, comme un cupcake à la vanille perdu sur un champ de bataille.

Je viens de tuer quelqu'un.

Il était une fois, Mafer était comme une sœur pour moi.

"Gordita," Pablo marmonne comme s'il le répétait pour la cinquantième fois. "Viens, on y va."

Les couloirs du sous-sol me semblent plus sombres que jamais, tout comme les nuages gris au-dessus du jardin. Je sursaute à chaque fois qu'une goutte de pluie frappe à la fenêtre de la chambre.

Il reste du sang sur mes chevilles. C'est pas un carnage, juste quelques petites taches qui ont déjà séché, mais peu importe combien je les gratte, elles ne se détachent pas. Elles semblent tatouées sur ma peau, gravées dans ma chair, accrochées à mes jambes comme de petites tiques.

Même après une douche, je suis toujours pâle et tremblante, et le sang de Mafer tâche toujours ma peau.

"La première fois que j'ai tué quelqu'un, j'avais du sang sous mes ongles pendant des semaines," déclare Pablo.

J'arrête un instant de gratter les petits points rouges sur mes jambes, remonte ma serviette avant qu'elle ne glisse de ma poitrine nue, et je le fixe.

"D'accord."

Il s'assoit à côté de moi et passe ses doigts dans mes cheveux. "Comment tu te sens ?"

"Comme un putain de monstre," je marmonne.

"Dis pas ça, Gordita," il murmure. "T'as fait ce que t'avais à faire. Il y a pas de mal à ça."

J'avale la boule dans ma gorge, et elle semble tout déchiqueter sur son passage. "Mais je l'ai tuée."

"Tuer des gens fait pas de toi un monstre."

"Bien sûr que si, Pablo," je réplique. "Tuer des gens, c'est genre, la définition d'un monstre."

Il hausse les épaules. "Pas quand t'as une bonne raison de le faire."

"J'avais pas de bonne raison."

Autant j'ai envie de croire que ces paroles sont un mensonge, quand elles sortent de ma bouche, ça sonne comme la vérité pure et dure.

J'ai appuyé sur la gâchette quand elle a dit à Pablo qu'elle l'aimait. Pas une minute plus tôt, pas une seconde plus tard. Même si tout a commencé avec sa trahison, j'ai douté de ma décision jusqu'au tout dernier moment, celui où elle lui a avoué ses sentiments.

Tuer Mafer parce qu'elle aimait Pablo, c'est pas une bonne raison.

"Alors pourquoi tu l'as fait ?" il dit.

Je choisis mes mots avec soin. Il faut que je continue à jouer le jeu, aussi injuste qu'il soit.

"Parce que tu m'as demandé de le faire," ça laisse l'impression que j'avais le choix.

"Parce que tu m'as obligée à le faire," ça rejette la faute sur lui, soit le contraire de ce que Pablo voulait quand il a décidé de me mettre l'arme dans les mains.

"Parce que tu m'as dit de le faire," je réponds finalement.

"Et c'est pas une bonne raison ?"

Un sourire arrogant tiraille le coin de ses lèvres. Il a l'air fier de lui. J'aurais aimé pouvoir lui dire que je l'ai pas fait par passion et encore moins par loyauté, que la vérité c'est que je l'ai fait me débarrasser de l'un de ses alliés les plus précieux.

Putain, qu'est-ce que j'aurais aimé pouvoir éclater sa bulle, rabaisser son ego surdimensionné, et briser en mille morceaux toute la confiance qu'il s'est construit.

Aussi tentant que ça me semble de le gifler en pleine gueule avec une bonne claque de vérité, je dois continuer à mentir. Tant qu'il pense que son petit secret est en sécurité, Juan et moi on l'est aussi.

"Tu sais à quel point j'aimais Mafer," je renifle.

Et tu l'as poussée à me trahir.

Il hausse les épaules et son sourire persiste. "Oui, je sais."

"J'avais besoin d'elle, Pablo."

Et tu l'as retournée contre moi.

Il roule des yeux au ciel et se lève, puis lâche un soupir alors qu'il commence à faire les cent pas entre la fenêtre et moi.

"La seule personne dont t'as besoin ici, c'est moi," il me dit, d'un ton un peu plus tranchant. "C'est moi qui te maintiens en vie ici, pas ta putain de bonne."

Il fait semblant de regarder par la fenêtre, mais je le vois me fixer du coin de l'œil, surveillant attentivement l'effet que ses paroles ont sur moi.

De la peur, c'est ça qu'il veut voir. Que mes yeux brillent de terreur, que mes poils s'hérissent, que ma mâchoire tremble et que je ferme la gueule pour l'en empêcher. Il veut du respect, que je baisse la tête plutôt que de répondre. Son cou se redresse en attendant anxieusement que je me défende.

Par-dessus tout, il veut que je me soumette, alors je fais semblant d'hocher la tête.

Le sourire sur son visage revient aussi vite qu'il est parti.

"Je t'avoue, tu me surprends, Gordita" il murmure. "Je pensais pas que t'aurais le courage de le faire."

"Moi non plus, jusqu'à ce qu'elle te dise je t'aime," je marmonne.

"J'ai cru qu'elle te le disait à toi."

"Elle te regardait droit dans les yeux, Pablo."

Il hausse les épaules. "J'ai pas fait attention. Mais t'aurais vu comme elle t'a défendu, tout au long de l'interrogatoire, on aurait cru qu'elle avait le béguin pour toi."

Et le voilà qui repart, à jouer avec mon esprit, et me faire me demander si mes yeux ou mes oreilles ne m'ont pas trahi aussi.

Le cadre du lit grince doucement lorsque je plie les jambes, serrant mes genoux contre ma poitrine. Je presse une oreille contre mon épaule et couvre l'autre avec la paume de ma main, faisant de mon mieux pour bloquer le son de sa voix.

J'ai rien imaginé, je l'ai pas halluciné. J'ai vu Pablo quitter sa chambre, je l'ai entendue lui dire qu'elle l'aimait. Même si j'ai pas envie de croire que c'est vrai, Mafer est une traître.

La seule chose sur laquelle j'avais tort, c'est d'avoir cru que tout irait bien une fois que quelqu'un aurait appuyé sur la gâchette.

Pablo pousse un soupir alors qu'une larme coule le long de ma joue.

"Pleure pas, Gordita. T'as fait ce qu'il fallait."

Il s'assoit sur le lit et enroule tendrement des mèches de mes cheveux autour de ses doigts.

"Je suis fier de ce que t'es devenue, tu sais," il chuchote. "Quand je t'ai rencontrée pour la première fois, t'étais toute faible, toute effrayée, comme un pauvre chien battu. T'avais un peu de feu en toi, je le voyais déjà, mais c'était rien qu'une petite étincelle. Mais regarde-toi maintenant, maintenant t'es, t'es un..."

"Un assassin," je marmonne. "Je suis un putain d'assassin."

"J'allais dire un volcan."

Une boule grossit dans ma gorge. Je me souviens de quand Juan m'a dit que Pablo était comme un volcan. Juan m'a aussi avertie que je commençais à devenir comme Pablo.

Peut-être que c'est rien qu'une coïncidence, mais ça me fait quand même froid dans le dos. Et puis, comme pour confirmer mes craintes, Pablo me sourit et ajoute :

"C'est comme si je t'avais créée à mon image."

"Tu te prends pour Dieu ou quoi ?"

Pablo ricane. "Je me prends pas pour Dieu. C'est Dieu qui se prend pour Pablo."

Je secoue la tête, et un goût amer se répand sur ma langue.

"Allez, Gordita," gémit-il. "Ris à ma blague."

"Ha-ha."

Il lève encore les yeux au ciel, mais plus doucement cette fois. J'écarte sa main de mes cheveux.

Je suis pas du tout comme lui. Je suis pas une putain de psychopathe. Pas encore, au moins. J'éprouve toujours des remords quand je blesse quelqu'un, peu importe si j'avais raison de le faire ou non.

"Faudrait qu'on redescende maintenant," soupire Pablo. "Mais tu vas t'en remettre, t'inquiète pas. On s'en remet toujours, des choses comme ça."

~

La pluie tambourine sans relâche contre les fenêtres, que la buée recouvre d'un voile gris. L'air froid et humide s'infiltre à travers les murs, et une brise étrange murmure dans les longs couloirs. Le froid transperce ma peau, et engourdit tout, du bout de mes doigts jusqu'au fin fond de mes pensées.

Les gens parlent, tentent de me saluer, parfois ils discutent du temps ou d'un mariage, mais je n'entends plus rien.

Tout ce à quoi je peux penser, c'est comment elle est morte. La balle qui déchire l'air, le recul de l'arme qui fouette mon poignet. Les spasmes de son corps quand la balle l'a frappée. Le bourdonnement dans mes oreilles après le coup de feu, la douzaine de cliquetis qui ont résonné une fois que le chargeur était vide. Ses gargarismes agonisants, mes respirations tremblantes, le sourire narquois sur les lèvres de Pablo.

Je bouge la main chaque fois que quelqu'un la touche, car toute peau contre la mienne semble me brûler. C'est chaud comme la honte, celle qui m'enflamme les joues quand quelqu'un me regarde. Heureusement que la plupart d'entre eux ne sauront jamais ce que je viens de faire.

Pablo me tend un verre de vin, sombre et rouge comme le sang que j'ai versé. Je le repousse.

"J'ai besoin de prendre l'air," je chuchote.

Il hoche la tête. "Vas-y."

J'attends sous l'auvent qui recouvre une partie de la terrasse, à regarder le déluge s'abattre sur le jardin et à écouter son rugissement assourdissant. Les gouttes de pluie frappent les fenêtres, ricochent sur le toit, martèlent le sol, et creusent des torrents boueux qui serpentent dans l'herbe.

Autant de larmes refoulées commencent à me piquer les yeux, mon corps tremble sous le poids des souvenirs rabâchés. La balle qui lui transperce la poitrine, l'air vide dans ses yeux mort, la façon dont elle est tombée sur le côté avec juste un petit coup du bout de la chaussure de Pablo.

Quelque chose touche mon bras et je tressaille.

"Emilia, qu'est-ce qu'il s'est passé ?"

Le visage de Juan est strié de rides profondes, un air sombre voile ses yeux inquiets. Ses mots flottent en l'air, épais comme le brouillard, et je manque de peu de suffoquer en essayant de répondre à sa question.

"Il m'a dit de la tuer."

Son front se plisse encore plus. "Comment ça ?"

"Il a mis un pistolet entre mes mains et il m'a dit de tirer."

"T'as tiré sur Mafer ?" il demande.

Je hoche la tête. "Je l'ai tuée."

Même moi, je suis choquée par le ton calme et froid de ma propre voix.

Juan secoue la tête, incrédule. Sa bouche s'ouvre et se ferme alors qu'il cherche désespérément une réponse, mais plus les secondes passent, plus son visage se décompose.

"C'est de ta faute, Em," il crache.

"Je sais."

"Elle méritait pas de mourir."

Je hausse sèchement les épaules. "Ça dépend du point de vue. Moi je pense que si."

Il regarde à sa droite, à sa gauche, puis vers moi.

"Tu ferais mieux de t'expliquer, Emilia," marmonne Juan.

"D'accord," je soupire. "Est-ce qu'on est seuls, au moins ?"

Il jette encore un coup d'œil par-dessus son épaule. "Il y a juste une bonne, dans la cuisine."

Je hoche lentement la tête en scrutant le jardin, qui reste étouffé par une couverture de brouillard. Mes joues sont trempées, soit par la pluie, soit par des larmes refroidies.

J'essaye de me souvenir de ce que je lui ai déjà dit et de ce dont il ne sait pas encore. La culpabilité dans ma poitrine s'enracine comme de mauvaises herbes, et je ne sais pas combien de temps je vais réussir à parler avant qu'elle ne m'étouffe.

J'ai revécu toutes les scènes mille fois chacune, que ce soit allongée dans mon lit à fixer le plafond, ou debout dans une pièce aussi immobile qu'une ombre sur un mur. J'ai l'impression que Juan sait déjà tout, et pourtant il me regarde toujours comme si je ne suis rien d'autre qu'une inconnue.

"J'ai surpris Mafer et Pablo en train de coucher ensemble," je lui dis.

Il laisse échapper un rire amer. "Et alors ? C'est pas comme si tu l'aimais."

"Je croyais qu'ils se connaissaient même pas," je murmure. "Il faisait toujours semblant de pas se rappeler de son nom."

"Tout le monde couche avec tout le monde ici, Em," se moque Juan, en reniflant une larme solitaire. "Surtout les bonnes. Elles nous sucent la queue, on leur achète des trucs de marque. On a pas besoin de connaître leurs noms. C'est comme ça que ça se passe, ici."

"Ouais, c'est ce que tu faisais avec Majo tous les vendredis vers vingt-deux heures, non ?" je rétorque.

Juan recule d'un pas. "Qu'est-ce que ça a à voir ?"

"Parce que quand Mafer m'a dit qu'elle m'aiderait à m'échapper, elle m'a envoyée dans la chambre de Majo au moment exact où elle savait que tu serais là. Elle m'a aussi dit qu'il y avait un bus vers San José ce soir-là, et y en avait pas," je lui explique. "Elle a tout fait pour que je me fasse choper."

Il reste silencieux, et je peux presque entendre le sang se drainer de son visage. Dans ma tête, ça fait le même bruit que celui de Mafer quand il coulait dans un égout.

"Tu te souviens de ce que je t'ai dit, quand j'ai cru que tu faisais semblant d'être mon ami juste pour pouvoir raconter à Pablo tout ce que je te disais ?" je lui demande.

"T'as jamais parlé de nous à Mafer, j'espère ?" murmure-t-il, figé comme une statue.

"Non, mais elle le savait quand même," je réponds. "Elle voulait toujours qu'on parle de toi."

"Merde," il souffle. "Alors Pablo le sait aussi."

"C'est ça le truc," je marmonne. "Quand j'ai appris ce qu'elle faisait, je suis allée lui dire à quel point je te détestais. J'ai attendu qu'elle répète tout à Pablo, puis j'ai fait en sorte qu'elle répète rien d'autre."

Sa voix me fait écho. "Qu'elle répète rien d'autre ?"

"J'ai mis le téléphone de Manée sous son oreiller, toi t'as prévenu Pablo, et il a mordu à l'hameçon. Il a cru qu'elle l'a trahi lui, pour essayer de m'aider, alors il l'a torturée puis m'a obligée à la tuer," je chuchote. "Maintenant, il croit que je suis soumise à lui, que j'ai plus d'alliés dans la maison et que je te méprise. Et surtout, je me suis débarrassée de Mafer avant qu'elle découvre ce que je savais. Tu peux me dire merci."

Sa bouche pend à moitié ouverte et les charnières de sa mâchoire grincent presque de tension.

"Putain Em, pouquoi t'as fait ça ?" il crie.

Je fronce les sourcils, inclinant discrètement la tête pour lui rappeler la jeune femme de chambre qui s'affaire pas loin de nous, dans la cuisine.

"Quoi ?" je siffle. "Je l'ai fait pour nous protéger, c'est tout."

"On aurait pu, je sais pas moi, l'utiliser à notre avantage," il balbutie. "On aurait pu essayer de bien cerner leur jeu, et le retourner contre eux. Mais toi... toi t'as... tu l'as juste tuée."

"C'est exactement ce que j'ai fait, retourner leur jeu contre eux," je rétorque. "Et j'ai gagné avant même que t'y penses."

Il inspire un long souffle saccadé. Ses doigts s'enroulent autour de la balustrade, si fort que la peau de ses jointures blanchit.

"Depuis combien de temps tu prépares tout ça ?" demande Juan.

"Deux jours," je marmonne.

"Et comment on va s'occuper de Manée, maintenant qu'on n'a plus le téléphone comme preuve ?" il soupire.

"Je m'en occupe, laisse-moi faire," je réponds.

Son front reste plissé, mais son air s'adoucit un peu. La colère qui fige ses traits se brise lentement, et devient une pitoyable tristesse. Les larmes trempent ses yeux noirs, et ses lèvres muettes se mettent à trembler.

"Pourquoi tu m'en as pas parlé plus tôt ?" il me dit.

"Je voulais pas que tu foutes tout en l'air," je rétorque.

"C'est ça, ce que tu penses de moi ?" il persifle, les lèvres tordues de dégoût. "Que je suis rien qu'un con, qui qui fout toujours tout en l'air ?"

"Non, c'est juste..."

"Tu sais, je suis pas si surpris que ça, au final," il crache. "Je comprends bien maintenant, pourquoi tu veux pas partir."

Je fronce les sourcils. "Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"T'es à ta place ici," dit-il, hochant deux fois la tête pour cacher comme il déglutit sa peine. "T'es tout comme les autres."

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