68. PAS DE QUARTIER

Même en Enfer, il ne fait pas aussi chaud que dans ce putain d'endroit.

C'est ce genre de chaleur assommante, qui te renverse sur un transat et te laisse avec la bouche entrouverte et les yeux roulant à l'arrière de la tête.

J'entrouvre une paupière quand j'entends des pas approcher. La lumière du jour est aveuglante, même à travers les verres de mes lunettes de soleil.

"Tu sais, c'est pas parce que c'est la saison des pluies que le soleil va disparaître à tout jamais," marmonne Juan, en essayant de ne pas faire tomber la cigarette allumée qui pend du coin de ses lèvres.

Andrea tend son cou pour essayer de le voir sous le bord de son chapeau de paille surdimensionné.

"Et ? elle réplique.

Juan fait tinter son verre de sangria contre le mien en s'asseyant. "Vous voulez pas finir de bronzer un autre jour ?"

Il fronce les sourcils et repousse une mouche de son menton fraîchement rasé. Il a laissé Pablo seul au bar de la piscine, affalé sur une chaise et le front appuyé contre le carrelage frais du comptoir, tranquillement assoupi par les effets de la pilule qu'il a pris plus tôt ce matin.

"Sérieux, je comprends pas pourquoi vous vous faites ça," marmonne Juan, "Em est rouge comme un homard et je sens les aisselles moites de Manée d'ici."

"Ta gueule," grogne sa fiancée.

Pour ma part, je suis d'accord avec Juan. On serait mieux à l'intérieur, avec la clim à fond en train de siroter des cocktails bien froids qui n'ont pas été fermentés par le soleil brûlant, mais Manée et Andrea sont catégoriques. Selon elles, c'est la journée parfaite pour grésiller pendant des heures au bord de la piscine.

Et puisque maintenant je sais que Manée a mis la main sur des informations très sensibles, je préfère ne pas la laisser errer dans la maison de Pablo sans surveillance.

Ma peau commence à picoter quand Juan mentionne mes coups de soleil. Je tends le bras pour attraper la crème solaire qui traîne sur le sol, mais elle est tout juste hors de portée. Juan se penche pour l'attraper et me la lance, et je laisse échapper un grognement quand elle atterrit sur mon ventre.

La journée est lente, et j'ai compté chaque seconde.

J'ai planté le téléphone de Manée dans la chambre de Mafer hier soir, mais on dirait que pour le moment, personne ne l'a trouvé.

Avec ma poisse, Mafer va tomber dessus avant les hommes de Pablo.

Je me demande si elle se doute de quelque chose. Elle était pas dans sa chambre quand j'y suis entrée pour cacher le téléphone, mais on s'est croisées dans le couloir moins d'une minute après mon départ.

Je lui ai demandé comment s'est passé l'interrogatoire. Elle a essuyé une larme imaginaire du coin de son œil sec et m'a dit que c'était terrifiant, mais qu'au moins elle allait bien. Je l'ai serrée dans mes bras et j'ai prié pour qu'elle y croie, et j'ai disparu quelques secondes après, en lui disant qu'il valait mieux que personne ne nous voie parler.

Maintenant que j'y pense, ça pourrait prendre des jours avant que Pablo ne la revoie, et même alors, il prendrait probablement pas la peine de vérifier entre le cadre de son lit et son matelas.

Il faut que j'accélère les choses.

Je mâchouille nerveusement un morceau de fruit qui flotte dans ma sangria, en pensant à ce que je pourrais bien faire.

Pablo a besoin d'une raison pour soupçonner Mafer d'être la taupe, mais si je le lui dis moi-même, il va se douter que je suis au courant de leur liaison. Elle est censée être ma meilleure amie ici, et même si elle était coupable, la pauvre petite Emilia ne l'aurait jamais dénoncée.

J'ai encore une carte que je peux tirer, un outil qui peut me servir utiliser, et il est assis là, sirotant sa sangria, fixant sa fiancée pendant qu'elle me regarde l'observer.

Je sors de ma transe, et tourne la tête d'un coup sec.

"Je vais faire plus de sangria," je dis à voix haute.

Personne ne bouge et personne ne répond, on dirait qu'ils ont déjà fondu en flaques collantes de chair et de sueur. Un oiseau chahute au loin, Pablo ronfle légèrement de l'autre côté de la terrasse, l'eau de la piscine clapote contre le carrelage, et à part ça, tout est silencieux.

Je me lève et jette un regard vers Juan, en espérant qu'il comprendra le message et me suivra dans la cuisine.

"Je viens tout juste de remplir ton verre," il marmonne.

"Quand je l'aurai fini, on aura plus de sangria."

Il hausse les épaules et les miennes se crispent de frustration.

"Quoi, tu veux que je t'aide ?" demande-t-il.

Je pousse un soupir de soulagement. "Si tu veux."

La cuisine est fraîche et ombragée, l'air un peu humide. Les comptoirs en marbre scintillent sous les lumières, comme s'ils transpirent aussi. Je jette vite un coup d'œil à chaque coin, fenêtre ou porte pour vérifier si quelqu'un écoute, et dès que Juan entre, je l'attrape par le bras.

"J'ai besoin que tu dises à Pablo que tu penses que j'ai travaillé avec Mafer," je lui dis, en gardant ma voix aussi basse que possible.

"Mafer ?" demande-t-il.

Il recule d'un pas, son corps devient rigide lorsqu'il s'éloigne de moi, comme si le contact de ma main lui brûlait le poignet.

"Qu'est-ce que t'as fait ?" dit-il, le souffle coupé. "Où est-ce que t'as mis le téléphone ?"

"T'inquiète pas pour ça," je murmure.

Il serre les dents. "Tu m'inquiètes, Em. Tu m'inquiètes vraiment."

Je retiens mon souffle quand une femme de chambre passe devant nous. Elle quitte la cuisine aussi vite qu'elle y a fait irruption, et ne semble même pas remarquer qu'on est là.

"Faut que tu me fasses confiance. Dis-lui," je marmonne en fouillant dans le frigo. "Dis-lui que tu penses qu'elle est une espionne aussi, quelque chose comme ça."

"Il m'a dit d'oublier toute l'histoire de l'espionnage," grommelle Juan.

"Trouve un moyen, je m'en fous," je siffle en posant deux poignées de fruits sur le comptoir de la cuisine. "Le téléphone est dans sa chambre, et je veux qu'il le trouve."

Son regard inquiet suit mes mains alors qu'elles attrapent un couteau et se mettent à hacher les fruits en petits quartiers.

"Tu sais ce qu'il va lui faire s'il le trouve ?" souffle-t-il.

Je me mords la lèvre. Si je lui explique ce que j'ai appris, ça serait trop d'informations, trop vite. Il va me poser un tas de questions et je vais devoir admettre que Pablo doute de lui. Ça va le rendre nerveux, et qui sait à quel point Juan peut être con quand il est nerveux ?

"J'ai beaucoup de choses à te dire, mais ça sera pour plus tard," je soupire. "Pour l'instant, tu dois me faire confiance."

"Tu fais ça pour Manée ?"

"Non, je fais ça pour nous."

Il secoue la tête, étonné par le ton glacial de ma voix.

"S'il te plaît, devient pas quelqu'un comme Pablo," murmure-t-il.

Je le fixe d'un regard noir. Il sait que c'est la pire insulte qu'il pourrait me lancer. C'est pas moi qui kidnappe des jeunes femmes et détruit leur vie. C'est pas moi trafiquant de drogue, le psychopathe, encore moins le meurtrier de sang-froid.

Pourtant, c'est ce que Juan semble penser de moi. Je le vois à la façon dont il continue à me regarder du coin de ses yeux sombres et écarquillés. À la manière dont ses mains tremblent lorsqu'il remplit le pichet de vin, et en renverse un peu à côté. Comment il se penche loin de moi comme s'il croit que j'allais le poignarder avec mon couteau, tout comme je l'ai fait avec Pablo lors de notre premier rendez-vous dans cette cuisine, assise sur ce même tabouret.

Je lui fourre la cruche entre les mains et lui fait signe de retourner dans le jardin.

"Fais-le," je crache.

Juan s'approche prudemment du bar de la piscine, ses mouvements lents et hésitants, et tapote doucement l'épaule de Pablo pour le réveiller. L'air sur son visage est plus sérieux que jamais. Il n'arrête pas de jeter des regards anxieux vers moi, et à chaque fois, je tourne la tête, pour faire semblant que je ne l'ai pas remarqué.

Pablo, la tête encore alourdie par le sommeil, n'en a pas grand chose à foutre des paroles de Juan, quelles qu'elles puissent être. Il lâche un rire paresseux et renvoie Juan vers les transat d'un geste dédaigneux de la main.

Un soupir m'échappe et mes épaules s'affaissent. Je connaissais la chanson, maintenant. Au mieux, mon plan va échouer, et au pire, il va se retourner contre moi. Juan reste muet, et avec Manée dans les parages, il n'y a aucun moyen que je puisse lui demander comment ça s'est passé.

Pourtant, on dirait que Pablo tape un court message sur son téléphone juste avant de se rendormir. Quelques minutes plus tard, trois gardes franchissent la porte voûtée qui mène aux quartiers de bonne.

Peut-être que c'est mon surplus d'espoir ou mes délusions qui font passer des détails insignifiants pour des événements importants, mais je sens que quelque chose est en train de se passer.

Je fais de mieux pour ne pas réagir, suivre les gardes par curiosité ou même juste froncer les sourcils. C'est frustrant, comme situation, un peu comme essayer d'imaginer un puzzle de mille pièces quand on n'en a qu'une douzaine sous la main.

Une silhouette émerge dans le jardin, tel un mirage flou dans un désert, et Oscar s'approche de son frère. Ils échangent quelques mots–des mots inquiétants, on dirait, étant donné leurs regards sévères et leurs pas pressés lorsqu'ils rentrent tous les deux dans la maison.

Je me retourne pour les regarder partir, et mon regard tombe sur le visage pâle de Manée. Malgré son bronzage et la chaleur pensante, elle est aussi blanche qu'un drap blanchi au chlore, gelée comme une stalagmite assise dans son transat.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Dans ce jeu de poker mortel, je viens de tirer une putain de quinte flush royale. Souriant toujours à Manée, je secoue la tête, l'un fait un clin d'œil et presse un doigt sur mes lèvres. Mon geste discret signifie "Ne t'inquiète pas et ferme ta gueule," et c'est exactement ce qu'elle fait. Peut-être que c'est un message un peu trop zélé, mais heureusement, personne d'autre n'a remarqué.

Tout va bien, et mon plan avance. J'ai réduit Manée au silence par la peur, je mène Juan par le bout du nez, et Andrea est toujours aussi contente et naïve que jamais. Avec cette pensée paisible à l'esprit, l'attente est un peu moins angoissante.

Je fais semblant d'être surprise quand, environ deux heures plus tard, Oscar revient et s'arrête juste à côté de moi.

"Pablo veut te parler," murmure-t-il.

"Il est où ?" je demande.

Ses yeux scrutent le jardin, et ses lèvres s'entrouvrent à peine lorsqu'il me répond. "Suis-moi."

Il m'emmène dans la maison, en passant par des portes verrouillées et des couloirs lourdement gardés, puis me fait descendre une cage d'escalier sombre et trop silencieuse.

J'ai jamais vu cet endroit auparavant– c'est encore un autre sous-sol, au fin fond des entrailles de la maison. C'est si calme ici que j'entends Oscar qui respire, et le battement de mon propre cœur qui s'affole dans ma poitrine.

L'air est lourd d'odeurs qui se battent entre elles. Le parfum chimique de nettoyant industriel masque à peine la puanteur humide des moisissures qui tachent le coin des murs. Une odeur cuivrée flotte dans l'air, avec celle de la fumée et de quelque chose de brûlé, on dirait presque de la viande trop cuite.

Oscar frappe à la porte devant nous. On entend des cliquetis métalliques et des voix étouffées, puis la porte s'ouvre. Pablo se tient devant nous, un sourire tendu sur ses lèvres gercées. Sans même me donner le temps de souffler, il m'attrape par le bras et me traîne dans la pièce, et la porte se referme derrière moi.

La pièce est recouverte de carrelage d'un mur à l'autre et du sol au plafond, tous faits de céramique blanche stérile ou vert bile. Le sol est strié d'un liquide rose délavé, et il me faut un certain temps avant que mes yeux ne s'habituent aux lumières aveuglantes qui brillent au-dessus de ma tête.

Ce n'est que maintenant que je peux les voir– les taches rouges sur sa main, qui me retient par le poignet. Le chariot en acier inoxydable dans un coin, et les outils tranchants qui le jonchent. Les bâches en plastique mouchetées de carmin qui traînent dans chaque coin, et tout le sang qui ruisselle vers un drain au centre de la pièce.

Il y a tellement de sang.

Au milieu de l'horreur se trouve une jeune femme, agenouillée sur ses jambes couvertes de bleus. Ses bras, parsemés de dizaines de petites brûlures circulaires, sont attachés devant elle. Sa bouche est bâillonnée avec un chiffon sale et son uniforme bleu ciel est ensanglanté.

Ses yeux bruns sont toujours ouverts et alertes, et ils me regardent droit dans les miens. Ça me donne presque la nausée.

Mafer est devant moi, et tout ça, c'est ce que je lui ai fait.

"Je lui ai déjà posé quelques questions," déclare Pablo, sans même une introduction. "Maintenant, je veux entendre tes réponses, et je veux rien que la vérité."

Il me fixe droit dans les yeux, mais les miens restent collés à Mafer. Son regard suppliant, ses respirations lourdes, l'air terrifié sur son visage meurtri.

Quel beau spectacle.

"Si une de tes réponses est différente de la sienne, je saurai qu'une d'entre vous a menti," il poursuit. "Et tu sais ce qui arrive aux menteurs, ici."

Peut-être que j'aurais jamais réussi à la battre aux Morpions, mais ce jeu-là, je vais le gagner. C'est moi qui ai le dessus, et Pablo l'a prouvé à maintes reprises. S'il avait jamais voulu me tuer, il l'aurait déjà fait.

"Compris ?" demande-t-il en faisant pivoter mes épaules pour que je fasse face à lui.

Je hoche la tête. Tout ce que j'ai à faire c'est de jouer le jeu, de feindre l'innocence, sans leur laisser savoir que je sais qu'ils m'ont trahi.

Il pose une main sur l'étui de son arme et s'adosse au mur crasseux derrière lui. "Tu dirais que Mafer est une bonne amie ?"

"Oui," je mens.

"Est-ce que tu lui as demandé de dire aux flics que tu étais ici ?"

"Non."

"Tu crois qu'elle est capable de le faire de toute façon ?"

Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule pour la regarder. Pablo fait un pas en avant et presse le canon de son flingue contre mon menton pour me faire tourner la tête.

"Regarde-moi quand je te parle, Gordita," grogne-t-il. "Tu crois qu'elle en est capable ?"

"Non."

"Tu lui as déjà demandé de t'aider à t'échapper ?"

J'essaye de ne pas répondre avec trop d'empressement. Si je n'étais pas au courant de ce que Mafer m'a fait, je ne l'aurais pas trahie si facilement. Pour garder mon secret en sécurité, je fais semblant d'hésiter et inspire profondément.

"Oui," je réponds. "Le premier jour où je l'ai rencontrée."

Il lève le menton, et me regarde de haut. "Et qu'est-ce qu'elle t'a dit ?"

"Elle m'a dit qu'elle pouvait pas."

"Bien." Pablo se lèche les dents. "Tu lui as redemandé depuis ?"

Son arme est si près de mon visage que ça me fait loucher.

"Je vais reformuler," soupire-t-il, en s'impatientant après quelques secondes de silence. "Est-ce que tu as déjà dit à Mafer que tu comptais t'enfuir ?"

Je secoue lentement la tête de haut en bas.

"Quand ça ?" demande-t-il.

"Juste après que tu m'aies laissé crever de faim," je rétorque. "Et juste avant tout ce qui s'est passé avec Gustavo."

Son visage se déforme en une grimace, un air de rage familière qui semble dire "Je le savais." En m'en tenant à la vérité, j'ai découvert le mensonge de Mafer. Ça, c'est quelque chose qu'elle lui avait caché.

"Et qu'est-ce qu'elle t'a dit ?" grommelle Pablo.

Je laisse mijoter sa question. Je crois que je viens d'épuiser une vie entière de bonne chance en touchant ce jackpot, et je dois faire attention. Si je parle trop vite, l'un d'eux va comprendre ce que je manigance. Je secoue la tête et tente de penser à des choses plus tristes que la souffrance de Mafer, en espérant verser au moins une larme ou deux.

"Réponds à ma question," crache-t-il.

"Elle a proposé de m'aider," je dis.

"Développe. Ça m'intéresse."

C'est plus facile de répondre maintenant qu'il ne me regarde plus, et que son regard noir est piqué comme une lance en plein sur le cœur de Mafer.

"Elle a dit qu'elle connaissait un moyen de sortir de la maison," je marmonne, laissant glisser de faux sanglots entre mes mots. "Mais je suis revenue, ce soir-là, tu te souviens ?"

Je me mords la lèvre. Ces derniers mots sonnent trop artificiels, et maintenant ma peur est réelle. C'est qu'une question de temps avant que toute ma stratégie ne soit découverte.

"C'est quoi, ce moyen de sortir de la maison ?" me demande Pablo.

"Il fallait que je bouge la caméra dans la chambre de Majo, que je descende dans le garde-manger, puis que je sorte par la fenêtre."

Il lâche un rire amer. "Tu croyais vraiment que ça allait marcher ?"

"Ça a pas marché. C'est pour ça que je suis revenue. Mafer a rien fait de mal," je balbutie.

"C'est pas grave," murmure-t-il. "Merci d'avoir dit la vérité, Gordita."

Il se penche pour déposer un baiser sur ma tempe. J'aurais aimé voir l'air sur le visage de Mafer, et que Pablo ne puisse pas voir le mien.

"S'il te plaît, lui fais pas de mal," je chuchote. "C'est moi qui lui ai demandé de m'aider."

Mon cœur se met à battre la chamade. Comment est-ce que je suis censée continuer à simuler la détresse, alors j'ai jamais été aussi heureuse de ma vie ?

"Gordita, t'es une fille bien, une fille honnête," il me dit. "Mafer, par contre, est une traître."

Il enroule un bras autour de mes épaules et me tend son flingue.

"Et tu sais ce qu'on fait aux traîtres."

Quand je sens le lourd et froid métal de l'arme glisser entre mes doigts, tout me semble soudain trop réel. Je vais la tuer, de sang-froid, comme Juan le craignait.

"Tiens-le comme ça," murmure Pablo, en ajustant doucement la position de mes mains. "Garde tes doigts sur la gâchette jusqu'à ce que tu te sentes prête."

Quand la réalité me vient enfin, elle me frappe comme une balle dans le cerveau. Elle fait siffler mes oreilles avec un bourdonnement aigu et mon sang glacé se met à brûler d'une fièvre maladive.

Ça serait plus facile si c'était pas moi qui lui tirait dessus. Maintenant que mes doigts sont sur la gâchette, c'est plus difficile de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre.

Mes bras se grippent et commencent à trembler. Je ne suis pas une meurtrière, encore moins quelqu'un d'aussi impitoyable. Les yeux de Mafer s'écarquillent de panique quand ils croisent les miens, et elle tente de demander pitié sous le chiffon que Pablo enroulé autour de sa mâchoire.

"Corrige ta position," me dit Pablo, alors que ses doigts s'enfoncent au creux de ma taille. "Aligne tes épaules avec tes hanches."

Et si j'avais tort ? je me surprends à penser. Et si quand je l'ai vu, il était au mauvais endroit, au mauvais moment, ou que je l'ai simplement confondu avec quelqu'un d'autre ? Il aurait pu être dans une autre pièce, à côté. Ça aurait pu être un autre homme qui lui ressemblait. Peut-être que j'ai tout halluciné.

Les mots tombent de ma bouche alors qu'une larme coule sur ma joue. "Je veux pas la tuer."

"Ce que tu veux, c'est pas mon problème, Gordita," marmonne-t-il. "Vise la tête et elle sentira rien."

Un souffle agonisant se fraye un chemin hors de mes poumons, et les cris étouffés de Mafer redoublent de force. J'ai plus besoin de simuler mon angoisse. La culpabilité que je ressens est déjà trop vraie.

Et si tout ce qu'elle a fait est d'essayer de m'aider ? Ça serait pas la première fois que ma tête s'invente des choses, comme quand j'ai entendu la voix d'Ana dans un mur et que je l'ai cherchée dans toute la maison.

Mais il est trop tard pour faire marche arrière, et je ne peux plus défaire toutes les erreurs que j'ai faites.

Ça veut dire que je vais devoir vivre toute ma vie en portant un fardeau, celui de savoir que je suis la seule personne responsable de la mort de Mafer.

"Contrôle ta respiration," me dit Pablo. "Il faut que tu te concentres."

Tout mon corps tremble et le flingue n'arrête pas de glisser entre mes mains moites. J'ai manigancé, manipulé mon chemin jusqu'à en arriver ici, et maintenant que j'ai atteint mon but j'ai peur de m'être trompée. Je suis pas prête à faire face aux conséquences de mes actes.

Je sais pas si je suis un monstre ou simplement trop conne, mais ça ne change rien de toute façon. Mafer va mourir ici, que ce soit dans quelques minutes ou quelques secondes, et tout est de ma faute.

L'index de Pablo se serre contre le mien, effleurant la gâchette. "Tout ce que t'as à faire, c'est d'appuyer ici."

"Pourquoi tu me fais ça ?"

Pablo sourit. "Je veux voir si tu peux faire preuve de loyauté."

Il s'éloigne, et me laisse seule, debout au milieu de sa petite salle de torture. Des larmes tremblantes brouillent ma vision et je ne sais plus où je vise.

"Je suis tellement désolée," je murmure, et les regrets m'étranglent la gorge comme un python.

Pablo lève le doigt pour me faire signe d'attendre, et se penche pour découvrir la bouche de Mafer. Elle détourne de moi son regard implorant, hochant la tête comme si elle était résignée à son sort, et se tourne vers Pablo à la place.

Il recule, les bras croisés et un sourire ironique au coin des lèvres. Elle doit pas se douter que c'est de ma faute, car son regard noir reste rivé sur Pablo. L'odeur et la pensée de sa mort imminente me font monter la bile dans ma gorge. Juan a raison. Je deviens Pablo.

Il s'accroupit, son visage au niveau de celui de Mafer. Tout mon corps tremble et mon doigt plane au-dessus de la détente.

C'est pas ce que je veux. Je peux pas le faire. Pas tant que j'ai ne serait-ce que l'ombre d'un doute sur ce que Mafer m'a fait ou non.

"Un dernier mot ?" lui demande Pablo.

"Je t'aime," elle répond.

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