49. PRESSION
J'ai peur de lui.
Peu importe s'il est calme, comment il agit, si parfois il est gentil. Pablo me terrifie.
Même maintenant, alors qu'il dort profondément, les yeux fermés et la bouche entrouverte, sa tête posée sur le dos de sa main comme si c'était un oreiller, recroquevillé comme un chaton sous ses draps de satin. Il me fout l'angoisse, et mon rythme cardiaque atteint un nouveau sommets chaque fois que je le regarde.
C'est pas seulement Pablo qui me fait peur. Ce sont les milliers d'images qui me traversent la tête, les idées aussi tordues et traumatisantes de ce qu'il me fera quand il découvrira ce que je viens de dire à Juan. Ces cauchemars me hantent à chaque fois que je ferme les yeux.
J'ai nulle part où me cacher, nulle part où courir. Malgré les dizaines de chambres éparpillées le long des interminables couloirs de sa maison surdimensionnée, je suis coincée dans le même lit que lui.
Peut-être qu'il a cru que c'était ce que je voulais, ou peut-être qu'il veut me surveiller d'un peu plus près, et tout cas, j'ai pas le courage de m'opposer à cet arrangement, de peur qu'il s'en offense et s'en prenne à moi.
Je me sens malade, presque fiévreuse, à la fois grelottante de froid et brûlante de sueur. J'ai un chat dans la gorge, qui me griffe de l'intérieur. Il miaule à la mort chaque fois que je respire.
Je tourne et retourne mon oreiller si souvent que l'autre côté n'a jamais le temps de refroidir. Il n'y a pas une seule position qui me semble confortable.
Je me sens exposée quand je mets mes bras au-dessus des couvertures, et impuissante quand je les glisse sous les draps. J'ose pas lui faire face parce que je peux plus supporter de voir son visage, mais quand je lui tourne le dos, l'angoisse empire.
J'ai pas fermé l'œil de la nuit.
Mon café du matin a déjà refroidi. Je peux voir les poches sombres sous mes yeux dans mon reflet, à la surface de la tasse. Je suis épuisée, dans tous les sens du terme et de toutes les manières possibles, et toute la caféine dans un litre d'americano ne peut pas me suffire.
"Tout va bien, Em ?" demande Oscar.
Je lève la tête mais ne répond pas. Plus vite que les mots ne me viennent, mon regard se perd quelque part par-dessus son épaule, bien au-delà de la table du petit-déjeuner, plus loin même que l'orée des arbres au fond du jardin.
Il secoue doucement la tête, avant de se retourner vers Beto. Ils continuent à discuter de la sécurité de leurs fermes dans le nord du pays. Leurs murmures deviennent vite un bruit de fond quand ils se plongent dans un nouveau dossier, débordant de papiers, de transcriptions et de photos satellites couvertes de gribouillis au marqueur.
"Tiens, d'ailleurs," marmonne Andrea, même si personne ne lui parlait. "Juan avait l'air vraiment bizarre hier. Quelqu'un sait pourquoi ?
Oscar hausse les épaules. "Non, mais tu peux lui demander toi-même. Les Sandovals arrivent dans dix minutes."
Comme si la pression d'Andrea qui pose un tas de questions stupides ne suffit pas, maintenant je vais devoir faire face à Juan et Hernan aussi. Au point où j'en suis, j'ai presque envie de papoter avec Manée. Ses regards glacés et ses moues serrées ne sont rien comparées à l'aura de danger que les deux autres Sandovals emportent partout avec eux.
"Pourquoi vous êtes partis aussi longtemps hier soir ?" Andrea continue à bavarder en se tournant vers moi. "C'est vrai que t'as vomi sur Juan ?"
Je réponds par rien de plus qu'une grimace et un hochement de tête faussement honteux. Je sais qu'Andrea ne fait que chercher des commérages pour illuminer cette matinée morne et brumeuse, mais son petit interrogatoire ne peut m'apporter que des montagnes d'ennuis.
Je tressaille lorsque Pablo claque son poing sur une pile de papiers pour les empêcher de s'envoler dans la brise fraîche du matin.
Je ravale une respiration chancelante, suffoquant d'anxiété, et lève un doigt tremblant pour appeler la femme de chambre.
"Pablo, c'était quoi ce cocktail que tu m'as fait l'autre jour ?" je lui demande pendant que la jeune fille s'approche de moi. "Celui qui avait un goût de gâteau."
Il fronce les sourcils. "Une Madeleine ? Vraiment ? Tu veux un cocktail pour le petit-déjeuner ? Tu pourrais juste, je sais pas, moi, demander un vrai gâteau."
"J'ai pas faim," je marmonne.
"Tu vas prendre une Madeleine ?" s'écrie Andrea, juste avant de se tourner vers la femme de chambre. "Deux, alors. J'en veux une aussi."
Quand les Sandovals arrivent, Pablo enroule un bras autour de mes épaules et me serre contre sa poitrine. Il m'attrape un peu trop fort, si bien que je renverse un peu de mon verre sur le devant de ma robe.
"Je vais aller me nettoyer," je murmure.
Je me lève avant qu'il puisse protester. Qu'on m'éclabousse avec trois gouttes d'alcool, c'est pas l'excuse la plus solide pour m'enfuir, mais je ne sais pas si j'en trouverais d'autre assez vite.
J'ose à peine lever la tête, mais je sais quand même que le regard noir de Juan me suit comme une ombre, et que les yeux métalliques de son père pourraient m'abattre plus vite qu'une balle de pistolet.
Je me précipite dans la cuisine et reste devant l'évier, à faire semblant de tamponner les taches humides sur mes vêtements avec une serviette en papier. J'ouvre l'une des fenêtres et écoute attentivement les conversations dehors, du moins le peu qui arrive à mes oreilles.
Si Juan a raconté à son père tout ce qu'il sait, c'est maintenant que le couperet tombera enfin. C'est à ce moment-là qu'ils confronteront Pablo à propos des enlèvements, de toutes les affaires qu'ils ont cachées à leurs soi-disant alliés, et que les Sandovals repeindront la maison de Pablo en rouge sang.
Si, ou quand ça arrive, je ne veux pas être en première ligne, dans les tirs croisés, à la portée mortelle de Pablo. Au moins, si je reste ici, ça me laisse une chance de courir, ou me cacher dans un placard de cuisine pour ne sortir qu'une fois que les coups de feu ont cessé.
Mais rien ne se passe. Les Sandoval s'assoient, commandent leurs cafés, puis Hernan demande à Beto si son nouveau travail lui plaît. Puis ils rient tous d'une blague sur le fait que la mère de Juan est une pute, ce qui d'une manière ou d'une autre semble en rapport avec la conversation, et ce n'est que maintenant que je me permets de souffler.
On dirait que Juan a tenu sa promesse.
J'ai mal au crâne à force de retenir ma respiration pendant si longtemps, alors je commence à fouiller tous les placards, à la recherche d'une belle bouteille pour assaisonner un peu mon cocktail.
Tout ce que j'y trouve, c'est un des rhums maison de Gustavo, qui étonnamment n'a pas encore été jeté à l'égout. Peu importe si je crève d'envie d'un autre verre d'alcool, jamais de ma vie je ne buverais quelque chose que ce monstre a créé.
"Salut Em," dit Juan en entrant dans la cuisine, d'un ton si vif que ça me fait sursauter. "T'as déjà fini ton petit-déjeuner ?"
Je lui montre mon verre vide, le soulève en l'air et fais tournoyer les dernières gouttes au fond pour qu'elles coulent plus facilement.
"Un cocktail ?" il demande, un sourcil arqué.
"Ouais, enfin, c'est rien que des amandes, des oranges et des ananas," je marmonne. "C'est comme une salade de fruits, mais avec de l'alcool."
Je meurs d'envie de lui demander s'il a parlé à quelqu'un de ce que je lui ai dit hier, mais tant que je suis coincée entre ces murs et leurs oreilles trop averties, je ne peux pas prendre le risque.
"Je viens de faire des crêpes, si t'en veux," dit Juan.
"Vraiment ? Toi, tu sais faire des crêpes ?"
Il hausse les épaules. "Ouais, enfin, j'ai demandé a une bonne de les faire pour moi."
"Alors t'as pas fait des crêpes." je réponds.
"Majo les fait mieux que moi."
"Non merci. Majo a probablement craché sur tes crêpes, tu sais," je marmonne.
"C'est pas la première fois que je goûterais à ses délicieux fluides corporels," répond-il avec un sourire narquois.
Mes épaules s'affaissent, et je laisse échapper un long soupir désespéré.
"Tu sais c'est quoi le pire ? C'est même pas la chose la plus dégoûtante que je t'ai entendu dire."
"Pas de crêpes, alors ?" demande-t-il.
"Non merci."
Le sourire honteux qu'il a réussi à m'arracher est aussi amer que temporaire. Dès qu'il sort de la cuisine, je suis à nouveau préoccupée par la menace d'une mort imminente qui me plane au-dessus de la tête.
J'aurais aimé ne pas être coincée sur cette idée, à la ressasser encore et encore comme un disque rayé, mais c'est tout ce à quoi je peux penser. Ça me pèse, comme une grosse pierre sur mon ventre. Je vois la mort partout, comme une ombre au coin de mon œil, elle résonne dans ma tête comme l'insupportable cri d'une alarme.
La seule façon d'y échapper, c'est de boire jusqu'à perdre connaissance. Boire suffisamment de cocktails pour éteindre mon cerveau et perdre tous mes sens.
Je passe la journée avec Andrea, qui semble plutôt contente d'avoir trouvé une camarade de beuverie, et qui arrête de me poser des questions une fois qu'elle est suffisamment ivre.
La nuit tombe avant même que je ne m'en rende compte, et bientôt je me retrouve au milieu d'une fête, tenant fermement mon vingtième verre d'une vingtaine d'une main et l'épaule d'Andrea de l'autre, toutes les deux trébuchant et caquetant comme des sorcières.
"Millie, Millie, Millie," chantonne-t-elle, la tête penchée d'un côté comme si elle était trop lourde à porter. Millie, c'est le surnom qu'elle m'a choisi pour aujourd'hui. "Faut que j'aille faire caca. Tu veux venir ?"
"Euh, non merci," je marmonne, et je l'envoie sur son chemin avec une petite tape amicale sur l'épaule.
Je continue à tapoter l'air même après qu'Andrea se soit éloignée, mais je regrette vite de ne pas l'avoir accompagnée. Non pas parce qu'elle vient de tomber comme la pauvre gamine dans le générique La Petite Maison dans la Prairie – elle va bien, et un groupe de gars s'est immédiatement précipité pour l'aider, espérant probablement qu'ils pourraient la tâter un peu en la ramassant.
Je regrette de ne pas être restée avec elle, car dès que je me retrouve seule, Juan Sandoval s'approche de moi, un air sombre affiché sur sa gueule.
"Salut," murmure-t-il, en suçant nerveusement le bout de sa cigarette.
"Qu'est-ce tu veux ?"
"J'en ai parlé à personne, tu sais," il déclare.
"Super. Arrête d'en parler maintenant, alors," je siffle entre mes dents.
"Je sais, je voulais juste que tu saches..."
"Tais-toi. Arrête. De. Parler," je répète, en me rapprochant de son visage comme si ça pouvait l'intimider.
"J'en parle pas," marmonne-t-il.
"T'en parles là, tout de suite."
"J'essaie juste de te rassurer."
"Est-ce que j'ai l'air rassurée ?" je crache.
Je me demande s'il peut voir comment mes tempes tremblent au rythme de mon pouls effréné, si mes yeux semblent aussi injectés de sang que je les sentais, et si ma rage peut se lire aux coins de mes lèvres.
"Non, c'est pour ça je voulais te le dire," il soupire. "Pour être honnête avec toi, t'as l'air complètement tarée."
"Oh, mais va te faire foutre !" je rétorque, et lui éclabousse le visage avec le fond de mon verre.
"T'en prends pas à moi," proteste Juan, en battant de la main comme si j'étais une mouche qu'il voulait chasser. "J'ai rien demandé, moi, tu sais."
"Ouais, et bien, moi non plus."
Juan lève les yeux au ciel, et tapote sa cigarette pour en faire tomber la cendre.
"C'est la faute à qui, alors ?" il marmonne.
"C'est la tienne !" je m'écrie. "Je t'aurais rien dit si tu m'avais pas posé des questions débiles."
"Des questions débiles, du genre, 'comment tu t'appelles ?" il ricane. "Vraiment ? C'est ça, pour toi, une question débile ?"
"C'est pas exactement une question intelligente, non plus," je réponds.
"T'es bourrée ?" demande-t-il, l'air présomptueux. "Parce que pour quelqu'un qui essaie soi-disant de garder un secret, tu gueules vraiment fort."
"Je vais te montrer ce que ça fait quand je gueule," je réplique, la voix traînante, un doigt enfoncé au centre de sa poitrine comme Ana le fait quand elle essaye de provoquer un connard de son genre.
Un sourire dégoûtant se répand sur ses lèvres, mais avant qu'il puisse les ouvrir pour dire quoi que ce soit de stupide, je les frappe avec le dos de ma main.
"Pourquoi t'as fait ça ?" crie-t-il en se frottant la joue. "J'ai rien dit."
"T'allais dire quelque chose."
Juan ricane et souffle dédaigneusement la fumée de sa cigarette vers moi. Il me fixe, avec un faux sourire figé sur son visage.
"T'es vraiment un connard," je crache.
"Moi, un connard ? Vraiment ? Si j'étais un connard, je dirais à tout le monde ce que je sais sur toi," crache-t-il. "Je ferme ma gueule pour te faire une faveur, tu sais. Mais peut-être que je devrais pas. Si j'en parlais à mon père, je pense qu'il serait plus reconnaissant que toi."
Tout à coup, la fureur que je retiens en moi explose. Je me jette sur Juan comme une bête enragée, jetant en tous sens des coups de poings et de pieds, en espérant que l'un d'eux atterrira sur sa mâchoire. Je hurle à tue-tête, lui lance des insultes à pleins poumons.
Pendant ce temps, Juan roule des yeux et bloque tranquillement chacun de mes coups, comme si je n'avais pas plus de force qu'un gamin de sept ans.
"Non mais, qu'est-ce qui se passe ici ?" intervient Pablo.
Avec une facilité embarrassante, Juan m'attrape les mains et les immobilise entre ses doigts. D'un mouvement rapide du bras, il me pousse derrière lui, pour se mettre entre moi et Pablo.
"J'en sais rien," il soupire, en me pointant du bout de son pouce. "Je lui ai juste dit d'arrêter de boire, et elle a commencé à me frapper."
C'est l'un des nombreux moments où j'aurais aimé être plus petite. Habituellement, c'est parce que je tombe amoureuse d'un gars qui fait la moitié de ma taille, ou parce que je viens de me cogner la tête une énième fois sur une porte de placard. Aujourd'hui, j'aurais juste voulu pouvoir me recroqueviller derrière Juan, hors du champ de vision de Pablo.
Mais je suis condamnée à souffrir tout le poids de ses regards exaspérés. Il se lèche les dents et secoue la tête, avant de s'avancer vers Juan pour venir m'extirper de ma cachette.
"Juan a raison, Gordita," il souffle. "Je crois que c'est l'heure pour toi d'aller te coucher."
"Tu peux pas me parler comme ça, t'es pas mon père," je grommelle.
Juan ricane et je le frappe à nouveau. Cette fois, c'est un coup bas, traître et injuste que je lance dans son dos. Il atterrit sur son oreille et Juan se replie de douleur.
"Je vais m'occuper d'elle," soupire Pablo.
Pablo me traîne dans la chambre, et par ça je veux dire littéralement traîner. Mes talons grincent contre le carrelage de la cuisine, et je me débats encore au moment où on arrive dans le hall. Je trébuche sur chaque marche alors qu'il me tire en haut de l'escalier. Mes escarpins rayent le vernis des planchers de bois, tout le long des longs couloirs.
"C'est quoi ton problème, à toi ?" tonne-t-il en fermant la porte de sa chambre.
"Il y a pas de problème," je grogne, en essayant désespérément de le contourner pour attraper la poignée de la porte.
"M'oblige pas à t'enfermer ici," crache-t-il en serrant ses doigts autour de mon poignet. "Dis-moi ce qui se passe."
"Je t'ai dit, il se passe rien," je marmonne. "Je suis juste... stressée, c'est tout."
"Pourquoi ?"
"Je sais pas si t'as remarqué, mais je suis un peu sous pression, en ce moment."
"Encore ?" il soupire. "Tu veux pas une pilule, de quoi te calmer ?"
Je fronce les sourcils. "Non, jamais. T'es pas bien dans ta tête."
"Alors quoi ?" Pablo lève les yeux au ciel. "T'aurais préféré rester dans ta chambre à tout jamais ?"
"Non," je déglutis.
"D'accord," il répond. Son visage s'adoucit, tout comme l'emprise qu'il garde sur mon bras. "Faut que tu te reposes, alors. Au lit."
J'incline la tête en signe de défaite, et m'affaisse sur le matelas moelleux. Pendant que j'attends que le plafond s'arrête de tourner en rond, Pablo s'agenouille devant moi et défait doucement les brides de mes chaussures. Il frotte son pouce sur la plante de mes pieds enflés.
"Je peux t'apporter quelque chose ?" demande-t-il. "De l'eau fraîche ? Quelque chose à manger ?"
"Ça va aller," je marmonne en retirant ma robe.
"T'as pas mangé de toute la journée," il dit. "Et une quesadilla, ça te dit ? Taco Bell livre pas jusqu'ici, mais je peux demander en cuisine qu'on t'en fasse un."
"Demande pas à Majo," je grommelle. "Je crois qu'elle crache dans mon assiette à chaque fois qu'elle peut."
"D'accord," il rit doucement. "Poulet ou bœuf ?"
Mon rythme cardiaque se calme enfin et, pour la première fois depuis quelques jours, j'ai un peu faim.
"Je peux avoir les deux ?" je demande.
"Bien sûr."
Le tendre baiser qu'il laisse sur mon front en me souhaitant bonne nuit est peut-être la seule raison pour laquelle j'arrive à dormir ce soir.
Ou peut-être que c'est juste l'épuisement profond qui me force à fermer les yeux à la seconde où je m'allonge. J'ai même pas réussi à finir la moitié de ma quesadilla.
Une journée s'écoule. Puis une autre. Peut-être une de plus, puis je perds le fil.
La rage, la colère et la frustration se déversent de ma gorge chaque fois que j'ouvre la bouche, mais je me suis promis de ne pas m'en prendre à quiconque me fait une faveur.
Je le dois à Juan, pour avoir gardé mon secret un secret. Je le dois à Pablo, pour ne pas m'avoir enfermé à nouveau malgré toutes mes erreurs et toutes ses menaces. Je le dois à tous les autres, parce qu'ils tolèrent déjà ma présence désagréable dans leurs environs.
Alors je me tais. Pendant des jours, je ne prononce pas un seul mot, à moins qu'on ne me pose une question. "Oui," "Non" et "Ça va" sont quelques réponses typiques. "Oui, Andrea, je veux bien un autre verre" en est une autre.
L'alcool m'aide à étouffer mes larmes. Chaque verre que j'avale pousse la boule dans ma gorge un peu plus bas. Je fixe le sol quand ce n'est pas le fond de mon verre, et je passe tellement de temps avec la tête baissée que je commence à avoir mal au cou.
Je me réveille tous les matins avec un mal de tête violent, je passe mes journées avec un poids insupportable dans la poitrine et je m'effondre toujours vers minuit avec une douleur qui me poignarde les tripes.
Je suis malade, endolorie de partout à force de trébucher, de souffrir d'un énième trou noir à peine remise de ma dernière gueule de bois. Les cocktails, le vin, la liqueur au goulot, j'ai tout essayé, mais l'alcool n'arrive plus à engourdir ma peine.
Il n'y a pas assez de coups que je peux boire pour assommer mon cerveau, pas assez de Tequila Sunrises pour éclairer mes pensées sombres.
Ce n'est rien qu'une autre nuit que je passe à me plaindre et gémir, souffrant migraines, nausées et courbatures, mais Pablo dort bien. Ce soir plus que jamais, je veux y mettre fin. Je veux arrêter cette chute sans fin avant de me retrouver une fois de plus trempée de sueurs froides, paralysée par la douleur et la peur.
D'une main tremblante, j'ouvre le tiroir de la table de nuit à côté de moi. J'aurais jeté un coup d'œil par-dessus mon épaule pour vérifier si Pablo dormait encore, si seulement j'avais la force de lever la tête de mon oreiller.
Dans l'obscurité, je tâtonne au fond du tiroir, en espérant y trouver mon salut. La première chose que je trouve est un flingue, et je trace avec envie mon doigt sur le métal dur et froid, jusqu'à ce qu'il s'enroule autour de la détente.
J'essaye de le ramasser, mais il est trop lourd. Il me glisse des mains, tombe bruyamment et fait vibrer toute la table de nuit. Je retiens mon souffle jusqu'à ce que j'entende Pablo ronfler à nouveau.
Je laisse échapper un soupir muet et glisse ma main dans le tiroir à la recherche d'autre chose. Je tombe sur des pilules, des poudres, d'autres capsules et comprimés, des dizaines– non, des centaines d'entre eux, triés dans des petites pochettes en plastique. Je peux à peine discerner leurs couleurs dans le faible clair de lune, ni leurs formes en les frottant entre mes doigts.
Il y a trop de pilules parmi lesquelles choisir, alors je confie mon destin à un jeu de pic nic douille. Une larme coule sur ma joue et s'écrase sur les draps de soie en dessous de moi lorsque je sors une pilule du sac que j'ai choisi.
Prie pour que ce soit le bon. La voix de Pablo résonne dans ma tête alors que je la laisse fondre sur ma langue, grimaçant à son goût atroce. J'espère juste que ça m'apportera un peu de paix, un tout petit soulagement le temps que je me remette sur pied.
Mais je ne suis qu'un peu plus proche de toucher le fond.
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