3. STRATÉGIE D'ADAPTATION

J'essaie désespérément de me redresser, mais avec les mains dans le dos, j'ai l'impression de me noyer dans des sables mouvants. Des sables mouvants remplis de bras et de jambes qui s'agitent avec frénésie, et me tirent vers le fond à chaque fois que je remonte à la surface.

La tête, le genou, l'épaule ou le pied de quelqu'un me frappe le visage là où il est déjà meurtri. Des torrents de sang jaillissent de mon nez, et se répandent à travers le tissu qui me couvre la tête. Un goût métallique remplit ma bouche, et l'odeur de la violence m'étouffe.

Je n'ai ni pitié ni compassion pour toutes celles que j'écrase, tord, frappe ou blesse dans ma lutte. Je n'ai même pas la voix pour m'excuser à chaque fois que je perds l'équilibre et retombe sur le tas.

Je ne peux pas m'inquiéter pour les filles qui étouffent alors que moi-même je n'arrive pas à respirer. Chaque fois que j'inspire, j'avale du sang par gorgées.

June, qui doit être la première à avoir été jetée dans la voiture, siffle, tousse et halète. Ana est juste en dessous de moi, elle grogne et se débat sous mon poids, tandis que Kait hurle toujours à tue-tête.

J'arrive enfin à me hisser sur les sièges et à grimper, au moins à moitié, sur la banquette arrière. Une main calleuse m'agrippe par le col et m'aide un peu trop violemment à me redresser. Une par une, la main nous relève et nous assoit sur les sièges, serrées les unes contre les autres et bien rangées, comme des poupées de chiffon sur une étagère.

On gémit toutes de douleur, pleurant nos corps meurtris, mais avec le temps, les cris, les hurlements et les appels à l'aide deviennent des sanglots assourdis.

Je crois qu'on ressent toutes la même chose. Un mélange d'incertitude et de résignation. On ne sait pas si on va mourir, ni laquelle de nous crèvera en premier. La seule chose qui est sûre, c'est que nos ravisseurs ne s'inquiètent pas trop pour notre santé, vu qu'ils m'ont tout sauf fendu le crâne sur le bord de la portière, et qu'ils n'ont pas eu de remords à laisser June suffoquer pendant dix minutes sur le plancher.

Après un long moment de silence, j'entends Kait s'écrier:

"Pourquoi vous avez pris mon téléphone? Rendez-moi mon téléphone."

"Hein?" répond une voix grave et un peu confuse, à l'avant de la voiture.

"Vous avez pas le droit de prendre mon téléphone sans mandat d'arrêt," crie-t-elle.

"Kait, je pense pas qu'ils soient de la police," chuchote Ana alors que l'homme commence à rire.

"Pourquoi faire?" demande-t-il en ricanant.

"J'utilise mon joker, appel à un proche."

J'ai à peine fermé la bouche que je sens mes joues rougir. Je me mords la langue, mais c'est trop tard, les mots sont déjà sortis. Ils flottent dans l'air comme une odeur de pet. Personne ne répond, personne ne rit. Peut-être qu'ils n'ont juste pas compris.

"C'est mon dernier mot, Jean-Pierre," j'ajoute, juste au cas où.

"Mais– mais Sarah," bafouille June. "T'es complètement tarée!"

L'homme a l'avant rit de plus belle, mais même à travers nos capuches, je sens le poids furieux des regards des filles. Je regrette d'avoir dit quoi que ce soit. Si par hasard je survis, je sais que ça sera un de ces moments auxquels je repense le soir dans mon lit, quand je n'arrive pas à dormir, et que toutes mes hontes passées reviennent me hanter, m'écraser de nouveau.

"Tu te crois drôle?" crache Kait. "Tu bosses pour eux ou quoi? Qu'est ce que tu fous, Sarah?"

Ana laisse échapper un soupir dépité. De tous les sons qui me tombent dessus, c'est celui-la qui me blesse le plus.

"Je... je sais pas," je murmure. "Je crois que l'humour de merde, c'est comme une stratégie d'adaptation."

"Oui, humour de merde, là on est d'accord," crie Kait. "Parce que je te jure que–"

"C'est bon, là," l'interrompt l'homme à l'avant. "C'était drôle deux minutes, maintenant vous me faites chier. Fermez-la."

Je ne sais pas combien de temps passe. Des minutes, des heures, des jours, peut-être. J'ai pas de repère visuel, pas un moyen de savoir si le soleil est haut ou bas dans le ciel. Pour m'occuper, j'ai rien que des pensées noires et cette douleur au crâne, et le temps semble si long, si lent.

La voiture s'arrête enfin, et la portière s'ouvre. L'air est frais et humide, le chant des oiseaux et des grillons semble bien plus tranquille. Je crois qu'il fait déjà nuit.

Quelqu'un me chope par la nuque, comme un attrape un chat de gouttière, et me tire hors de mon siège, à peine plus doucement qu'on m'avait poussé dedans. Je pose un pied nu sur le gravier tranchant, et je me rends compte que j'ai perdu une sandale dans la bataille.

La peur et la douleur sont si fortes, et pourtant rien ne semble réel. Ça doit être un cauchemar éveillé, un de ces scénarios bizarres que j'invente dans ma tête. Dès que ça s'arrête, j'appelle mon psy.

On me pousse dans le dos, et je fais un pas en avant. Je trébuche sur les restes de ma chaussure, qui pendent par une lanière de ma cheville gauche, mais la personne derrière moi me force à continuer.

Je marche maladroitement, sentant le sol du bout des orteils pour essayer de prédire mon chemin. J'ai pas envie de tomber et de me blesser une fois de trop, mais mon guide s'impatiente, et me bouscule à nouveau.

Mes talons s'enfoncent dans le sol lorsque je me penche en arrière pour essayer de ralentir le gars, mais il force, et je perds, encore une fois.

Un peu de compassion, j'ai envie de dire, mais j'imagine qu'il aurait du mal à compatir. Il y a peu de chances qu'il ait été kidnappé, aveuglé, qu'il se soit fait enfoncer le front sur le montant d'une portière, et qu'ensuite, après tout ça, qu'on l'ait forcé à gambader sur un chemin caillouteux avec une seule chaussure au pied.

J'entends le grincement d'une lourde trappe qui s'ouvre et frappe le sol. Un pas de plus, et la terre se dérobe sous mes pieds. L'homme m'attrappe par le bras et m'empêche de chuter–pour une fois qu'il fait quelque chose de bien–et me guide, marche par marche, en bas d'un escalier en béton.

Il semble qu'on soit dans un sous-sol. Il fait froid, ça sent le moisi, l'air est immobile. On me met un coup de pied à l'arrière du genou, et je m'incline à contre-cœur. Je sens des centaines de petits cailloux me poignarder les tibias.

Les autres filles arrivent juste après moi. Toutes aussi apeurées, elles glissent sur chaque marche, et halètent à chaque pas. Elles sont alignées à mes côtés, agenouillées comme moi. Je les entends respirer, sangloter, mais pendant une minute ou deux, on ne se parle pas. Personne n'ose bouger, ne serait-ce que le bout du doigt.

"Y'a quelqu'un ?" demande June d'une voix tremblante.

Kait et Ana marmonnent quelques paroles, des 'je suis là', des 'ça va?'. Moi aussi, j'ouvre la bouche, mais rien ne sort. Je suis loin, perdue dans mes pensées.

"Vos gueules," dit un homme, depuis un coin de la pièce.

J'essaie désespérément de me concentrer. La panique me brouille les idées, mais si je veux m'en sortir, il faut que je garde l'esprit clair. Je repense à ce que me disait mon psy. Inspire par le nez. Compte jusqu'à quatre. Retiens ta respiration, et compte jusqu'à quatre. Ensuite, tu expires par le nez. Un, deux, trois...

Putain, qu'est-ce que j'ai mal. Je crois que j'ai le nez cassé. Je me demande–est-ce que je peux demander de la glace ? Est-ce que mon nez va guérir de traviole ? Est-ce que c'est vraiment important ? Est-ce que je vais mourir avant que mon nez guérisse ? Est-ce qu'Ana va mourir ? Est-ce que ça me pose vraiment problème de mourir aujourd'hui ? Est-ce que j'ai déjà expiré ? Est-ce que ça fait quatre secondes ?

Mon cerveau se harcèle de tant de questions, que je sens mon cœur qui s'accélère. Une rougeur me monte aux joues, mon pouls martèle mes tempes, un brouillard sombre remplit ma tête. Respire, Sarah. Compte jusqu'à quatre.

"Sarah ?" murmure Ana, la voix étranglée d'inquiétude.

"Je vais bien," je réponds doucement.

L'homme nous fait taire de nouveau, et tant mieux. J'ai pas envie de mentir plus longtemps. Je ne vais vraiment pas bien. Sous ma capuche, j'ai les yeux qui piquent et les dents qui grincent. J'ai la poitrine serrée, l'estomac noué, et la gorge en feu.

De lourds pas sortent du coin et montent l'escalier. En haut, la trappe grince, s'ouvre et se referme lourdement. Une clé crisse dans une serrure rouillée, des branches grattent l'extérieur de la porte en bois, et s'ensuit le crépitement de la poussière qui dévale les marches en cascade.

Enfin vient le silence. Un silence abrutissant, qui gèle l'air et arrête le temps.

Dans le vide assourdissant, mon crâne se remplit d'échos de pensées insolentes. Je me demande ce qu'il m'arrivera lorsque je rentrerai à la maison. Si jamais, bien sûr, je retourne un jour chez moi.

Peut-être que ma mère m'attendrait à l'aéroport, les yeux remplis de larmes et d'amour lorsqu'elle explique aux télés locales que je suis la seule famille qui lui reste, et qu'elle n'a hâte que d'une seule chose–que je sois à ses côtés. Elle s'arrêterait soudainement de parler lorsque les portes s'ouvrent et j'apparais avec un sourire radieux. Les caméras la suiveraient alors qu'on court l'une vers l'autre, pour s'embrasser à nouveau.

Peut-être qu'elle serait debout sur le porche, impatiente et blottie dans son peignoir moelleux, les bras grands ouverts alors que je marche dans l'allée, sanglotant à l'idée qu'elle aurait pu me perdre à jamais.

Quel genre de fille a envie de voir sa mère pleurer ? je me demande, rongée par la culpabilité. Mais au fond de moi je sais qu'il n'y a que dans mes rêves les plus fous que je verrais ma mère autrement qu'une coquille vide en forme d'humain, sans âme au fond de ses yeux bleus, au visage pâle et sans émotion.

Si un jour je reviens, elle me lancerait un regard vide par-dessus son épaule alors que je passe le pas de la porte. Puis elle se retournerait vers la télé, comme si elle avait à peine remarqué que j'étais partie.

"Qu'est-ce que tu fous ici ?" me dirait-elle, alors que je m'assois sur le vieux canapé en face d'elle, écartant du pied une boîte de pizza et toutes les mouches qui y vivaient.

"Rien," je mentirais. "Je suis juste passée voir si t'allais bien."

Elle marmonnerait une réponse que je ne comprendrais pas, sûrement qu'elle n'a plus de whisky, que le chauffe-eau est encore cassé, elle se plaignerait que le lave-vaisselle n'est pas vidé. Elle repasserait en boucle les mêmes cassettes de films comiques, sans jamais sourire ou rigoler, et moi je m'enfonçerais doucement dans mon canapé, en me disant que j'aurais mieux fait de mourir dans ce sous-sol.

Plus le temps passe, plus j'ai mal au crâne, plus je redoute mon retour à la maison, plus l'air se remplit de l'odeur de pisse, et moins l'idée de mourir ici et maintenant me déplaît.

"Vous pensez qu'on est seules ?" murmure Kait.

Sa question flotte dans un long silence. On tend l'oreille en attendant un chut qui ne tombe pas.

"Vous croyez qu'on peut parler, maintenant ?" demande-t-elle.

"Parler de quoi ?" répond June, la voix encore secouée de hoquets. "Y'a rien à dire."

"On peut dire qu'on est dans la merde," j'ironise.

"Non mais sérieux, Sarah, tu trouves ça drôle ?" grogne Kait.

"C'est pas drôle," je réponds. "C'est juste absurde."

"Absurde ?"

"Non, elle a raison," ajoute June, "Qu'est-ce qu'il nous arrive ? On dirait un cauchemar."

"C'est peut-être dans ma tête, mais vous vous rappelez des deux mecs chelou à la station-service ?" je chuchote. "Je crois qu'ils y sont pour quelque chose."

"Qu'est-ce que tu veux dire ?" s'inquiète Ana.

"Je ne sais pas si c'est juste mon imagination, mais je vous jure que j'ai vu un des gars près de la voiture de police. C'était peut-être pas lui, mais il avait les mêmes lunettes et les mêmes cheveux."

"Attends, Sarah, attends–" m'interrompt Kait d'un ton pinçant. "Tu crois qu'ils ont fait ça pour toi ? Qu'ils t'ont vu, et genre, ils étaient tellement obsédés par ta beauté qu'ils t'ont suivi, quoi, pendant trois heures ? Et qu'après t'avoir vu une fois, ils ont mis en place tout un truc archi-élaboré, juste pour pouvoir te kidnapper ?"

"Non, c'est pas ça, c'est–enfin, je sais pas si c'est à cause de moi, de vous, ou si c'est juste une coïncidence–peut-être que quand ils m'ont entendue parler, ils ont remarqué qu'on est des Américaines, et ils nous ont enlevées parce qu'ils pensent qu'on est riches ?"

"Tu leur as parlé ?" s'écrie June. "T'es conne ou quoi ?"

"Non, je–" je bégaye. "Je voulais juste acheter des cigarettes."

Kait soupire bruyamment, et c'est comme si elle a ouvert une toute petite porte dans mon cerveau, qui laisse s'échapper un torrent de colère.

"En plus, c'est vous qui vouliez vous arrêter à ce putain de contrôle de police," j'explose. "Je vous ai dit de continuer, et personne m'a écoutée. Si on s'était pas arretées, on serait pas littéralement dans la merde. C'est pas ma faute si on en est arrivées là."

"Comment ça, c'est pas ta faute ?" proteste June, "T'aurais fait quoi, toi ? Fui devant les flics ? On se serait faites arrêter, Sarah."

J'ai envie de crier, pleurer, et lui mettre une baffe, à cette connasse. Je sens mes mains qui se débattent entre les liens. "C'est pas des flics, June ! Ils auraient rien fait du tout ! Si vous m'aviez écoutée, on serait à l'hôtel, tranquilles dans un lit, et pas à genoux dans des flaques de pisse !"

"Comment on était censées savoir que c'était pas des flics ?!"

"Les filles !" siffle Ana, "Arrêtez de gueuler, ils vont nous entendre."

"Ana a raison," murmure Kait, "On a pas beaucoup de temps."

"Tu déconnes ?" je ricane. "On a tout notre temps maintenant qu'on est coincées ici pour l'éternité."

"Oh, mais ferme-la avec ton sarcasme, Sarah," marmonne-t-elle, "Faut qu'on trouve un plan pour s'échapper."

"Ouais, d'ailleurs," ajoute Ana, "vous avez réussi à enlever vos capuches ?"

"Moi, non," répond June. "Mais peut-être que si on se frotte le visage sur le sol, elles s'enlèvent toutes seules."

J'entends quelque chose gratter le béton, suivi d'un grognement insatisfait.

"Ça marche pas," soupire-t-elle. "Faudrait qu'on se libère les mains en premier, du coup."

"J'ai essayé," dit Ana, "mais plus ça va, et plus ça se resserre."

"Moi je dis, on devrait juste se lever et courir en ligne droite," suggère Kait. "On finira bien par trouver quelqu'un qui peut nous aider."

"Ça c'est ridicule, Kait, tu vas juste foncer la tête la première dans un mur," je grommelle. "Honnêtement, c'est trop tard pour s'échapper. On aurait dû le faire avant d'être ligotées et jetées dans un sous-sol au milieu de nulle part. Le mieux qu'on puisse faire c'est de rester ici, d'obéir aux gars et d'attendre qu'ils nous libèrent."

"Non, je suis désolée, Sarah," dit Ana, "mais je suis pas d'accord. Tu vas vraiment nous faire tuer, cette fois."

"Ouais, là t'es malade," grogne Kait. "On dirait que t'aimes ça."

Je lève les yeux au ciel. "Mais, non, écoute, au point où on en est, c'est clair qu'ils vont pas nous buter. Juste essayer de nous rançonner, ou un truc du genre."

"Et comment tu sais ça ?" raille June. "Tu leur as posé la question ?"

"Ben, déjà, ils avaient tous les visages cachés quand ils ont enlevé, et maintenant c'est nous qui avons les yeux bandés. C'est évident qu'ils veulent pas qu'on les voie," j'essaie d'expliquer. "Si ils allaient nous tuer de toute façon, pourquoi ils feraient attention à ça?"

"Mais t'as dit que t'avais vu un d'entre eux avec les flics," répond Ana, l'air sceptique. "Du coup, ta théorie marche pas."

"Peut-être qu'il a pas fait exprès. Il a même pas dû remarquer que je l'ai vu. En plus, apparemment c'est courant par ici d'enlever des gens contre une rançon. Rien que dans ce pays, je crois qu'il y a quatre femmes qui disparaissent chaque jour."

J'avale ma salive. J'imagine que les quatre femmes d'aujourd'hui, c'est nous. J'aurais dû vérifier les statistiques sur combien d'entre elles rentrent à la maison.

"Si on essaie de s'échapper," je continue, "déjà on y arrivera pas, parce qu'ils ont surement des gardes dehors, et quand ils nous attrapent, ils vont pas être très contents, et déjà qu'ils sont pas hyper sympa... Dans le pire des cas, si on voit leurs visages, ils risquent de nous tuer pour pas qu'on les décrive à la police ou un truc comme ça."

Un silence gênant suit mes paroles, jusqu'à ce que Kait, qui semble un peu confuse, me demande :

"Comment tu sais ça ?"

"Je, euh, j'ai fait des recherches sur le sujet," je réponds timidement.

"Quoi ?" lâche Ana. "Mais pourquoi ?"

"À cause des rêveries compulsives," je bredouille.

"Hein ?" dit June.

"Je me perds souvent dans mes pensées," je marmonne en cherchant les mots. "Et euh, à chaque fois j'invente des scénarios. C'est comme lire un livre, mais dans ma tête, et c'est moi qui écris le livre. C'est pour ça que des fois, je me parle à moi-même–je lis les dialogues à haute voix, en gros. Et, euh, la plupart du temps, c'est juste des trucs normaux, genre, je parle à quelqu'un que je connais, mais..."

Je sens déjà la honte qui me grimpe aux joues. J'inspire profondément. "Des fois, ça va un peu plus loin, et par exemple, j'imagine que je me fais kidnapper. Du coup, comme j'y pense beaucoup, je fais des recherches–pour rendre mes histoires plus réalistes, et, euh, voilà. En gros, j'y ai déjà pensé–c'est pour ça que je sais tout ça. "

"Sarah," répond Kait, la voix tranchante comme une lame. "T'es vraiment tarée."

"Ouais, c'est vraiment chelou Sarah," ajoute June. "T'as genre, manifesté notre enlèvement."

Quand je fronce les sourcils, j'ai l'impression que mon crâne va se fendre en deux. "Manifesté ?"

"C'est genre, quand tu veux quelque chose et que t'y crois vraiment, et bah, ça arrive, au bout d'un moment. C'est genre, spirituel–mais là, Sarah, c'est vraiment un coup de pute."

"C'est toi le coup de pute," je grommelle. C'est la seule réponse qui me vient en tête. Désolée.

Ana ne parle pas, mais j'entends la gêne qui brûle en elle. Je sais qu'elle a honte de m'avoir invitée à ce voyage. Chaque fois que j'ouvre la bouche pour dire un truc débile, je l'humilie devant ses amies.

Peut-être que June a raison, peut-être que j'ai tout "manifesté", peut-être que c'est à cause de moi que ces hommes nous ont piégées. Peut-être qu'on va toutes mourir, et que tout sera de ma faute. Mais honnêtement, je serais volontiers morte quatre fois, si seulement ça pouvait aider les autres filles à s'en sortir de là.

"Que tu sois en tort ou pas, t'exagères, Sarah," fulmine Kait. "Parce que sérieux, qui fait des blagues en plein milieu d'une prise d'otages? Tu te fous de notre gueule. On doit se soutenir les unes les autres, bosser ensemble pour sortir d'ici. Toi t'es dans ton coin à parler de Jean-Pierre Foucault et à fantasmer sur ton kidnappeur qui ressemble à Monsieur Patate."

Je me retiens de rire, parce que je m'en prends déjà assez dans la gueule, mais Kait a raison. On dirait un peu Monsieur Patate.

"Juste parce que t'as une vie de merde, tu veux que tout le monde autour de toi soit misérable aussi," Kait continue sa tirade. "Donc, je sais pas ce qui t'arrive, si t'as un plan ou quoi que ce soit dans ton espèce de cerveau tout claqué, mais s'il te plaît, laisse-nous en dehors de tout ça. Si tu veux te faire tuer, super, va crever, mais en tout cas, nous–"

La trappe s'ouvre, et quelqu'un dévale les escaliers en hurlant. Je comprends pas un mot de ce qu'il dit, mais je crois qu'il nous parle, et il n'a pas l'air très content.

J'entends un claquement sourd, comme si une des filles a pris une baffe sur l'arrière du crâne, et je prends ça comme un signal qu'on ferait mieux de la fermer.

La nuit est froide et sombre. J'ai mal partout, dehors et dedans. Je ne sens rien que les palpitements de ma blessure au front, les petits cailloux qui s'enfoncent dans mes genoux, et les échos des mots de Kait qui me harcèlent même dans le silence.

C'est la dernière nuit de ma vie, et je n'arrive pas à dormir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top