L'avenir de l'Amour

Nolanh Kent, 21 ans, métamorphe.

    Désormais, j'étais le plus heureux des hommes. J'avais retrouvé la femme de mes rêves, celle avec qui je voulais partager ma vie entière et la mère de nos futurs enfants, je l'espère. Certes, les méthodes pour y parvenir n'étaient peut-être pas très catholiques mais j'en assumai les entières conséquences. De toute façon, suite à mes réflexions, je résultais plus de points positifs que négatifs.
    Dernièrement, Tanya m'avait parlé d'une affaire liée à la créature meurtrière, Morphine-Man ayant parfaitement disparu visiblement. Les meurtres sanglants s'étaient multipliés mais l'un d'entre eux venait de s'avérer crucial pour la suite de l'affaire.
La scène de crime serait déroulée dans un restaurant de Bricklin, où l'animorphe ou la créature sanguinaire s'en serait pris aux cuisines et l'ensemble du personnel interne, causant sa fermeture précipitée jusqu'à nouvel ordre. Une bataille sanglante et d'une violence inouïe s'est alors déroulée dans ce lieu, en vue du décor sans dessus-dessous. Un bazar sans nom, dans un établissement délabré, encore baigné de sang et d'organes humains et non-humains. Robyn Leadson avait trouvé plusieurs marques dans le mur, ressemblant à des renfoncements, certains s'avéraient plutôt rapprochés, démontrant que certaines membres du personnel avaient causé du fil à retordre à l'assassin. Tanya en avait déduit que c'était des têtes de canidés ou de félins.
    Avant cette scène de crime plutôt virulente qui m'avait donné la gerbe quand elle me l'avait conté, Tanya pensait que le criminel était soit : Un loup-garou de Pleine Lune, un Loup du Chaos, un tigre-garou, une chimère, harpie, goule ou basilique, ou encore le Bandersnatch, Cerbère, un manticore, un hypogriffe, ou un griffon.
Cependant, elle savait qu'elle pouvait pratiquement en exclure deux : Les griffons étaient rares mais surtout bien trop nobles pour faire ce genre de choses ; et, le Bandersnatch était dit bien docile depuis qu'il était sous la coupole de la Grande Dresseuse Vorpalina, un élément primordial de la brigade DREAMARE.
    Après cette scène de crime, démontrant l'apparence des têtes de canidés, bien plus que de félins après réflexion, et les nombreuses traces de griffes, elle pensait plutôt à un loup-garou de Pleine Lune, Loup du Chaos, un manticore ou une chimère, avec la possibilité qu'ils aient trois têtes, comme Cerbère, et malgré tout, elle doutait toujours à propos du Bandersnatch.
    Bref, je ne savais pas trop pourquoi je réfléchissais à ça, pourquoi je me sentais aussi impliqué dans cette affaire. Il est vrai, je pourrais tout simplement faire comme les autres habitants et attendre que la Police et les chasseurs trouvent le meurtrier et rester tapis chez moi… Hélas, d'une part, je n'aimais pas rester enfermé, autrement  « on ne vit plus », et d'autre part, Tanya était celle que j'aime. Sachant qu'elle se mettait en danger, je ne pouvais me permettre de rester les bras croisés alors que la prunelle de mes yeux risquait sa vie au quotidien… surtout depuis qu'elle devenait un pilier dans cette affaire grâce à ses remarques pertinentes, peut-être trop pertinentes pour le meurtrier qui devait avoir des taupes dans les Forces de l'Ordre.

    Je me reconnectais peu à peu à la réalité. J'arrivais dans un espace de verdure correctement entretenu, non loin d'un aire de jeux industrialisé. Oui, vous reconnaissez ce lieu, le Parc d'Hiron, ma première rencontre avec l'Enfant d'Éros, une représentation féminine de Cupidon, Chloé Davis.
    Cette fois, ce n'était pas moi qui lui avait donné rendez-vous dans son domaine de prédilection. C'était Chloé qui avait demandé à me voir, accentuant bien trop fortement le caractère d'urgence.
    Effectivement, elle m'avait envoyé un message onirique, durant mon sommeil, à 2h30 du matin. Autrement dit, elle est apparue dans mon rêve mielleux où j'étais perdu sur une plage de sable fin sur une île déserte avec Tanya sous un magnifique coucher de soleil.
C'était cliché, en effet. En vrai, j'étais juste en train de tabasser une fusion de Link et Sonic garou dompté par un Mario démoniaque pour libérer un Luigi nymphomane  de sa tour ! Je ne savais pas ce qui était le pire entre l'épreuve ou la récompense !
Et elle était apparue. Son visage gigantesque, détruisant le ciel pour s'y imposer, faisant lever la foudre et un cyclone torrentueux. Elle m'avait alors annoncée, tel un être omniscient :  « Nolanh Kent, je suis vraiment désolée. Mais j'ai véritablement besoin de ton aide, je t'implore de me rejoindre à l'endroit où l'on s'est rencontrés la première fois. Les ombres me guettent, je le crains. »

    Ceci expliquerait alors que je sois dehors en pleine nuit, dans un parc où tout peut s'avérer flippant - mais comme j'suis un bonhomme, j'ai pas peur ! -, surtout dans le contexte actuel, avec une divinité mineure qui t'appelle aux secours avec le sentiment qu'on pourrait en vouloir à sa vie.
    Je me changeais en chat pour une mobilité plus fluide et pour paraître plus discret. Ensuite, je m'asseyais, toujours sous forme de ces petits félins qui faisaient tourner le monde, exactement au même endroit où j'avais imploré Cupidon.

- Tu crois vraiment que je ne t'aurais pas reconnu ? gloussa la Fille d'Éros, avec un rire exagéré, laissant tout de même percevoir sa crainte palpable.

Je fus re-transformé en humain, parfaitement contre mon gré, et fut téléporté dans ce qui semblait être un univers alternatif. Une plage de sables fin, sur une île déserte des plus magnifiques, avec un immense coquillage ouvert en deux, remplie d'objets précieux et luxueux, clairement capable d'avoir pu logé un être humain… ou non d'ailleurs !
Une aura féerique, presque divine, transportait le lieu.
    Une femme à l'apogée de sa vitalité, grande, métisse, aux soyeux et brillants cheveux blonds vénitiens avec de grands yeux bleu saphir que je ne connaissais que trop bien, ne portant qu'une toge blanche qui moulait parfaitement ses formes, arrivait avec une grâce inégalée vers moi.  « Magnifique » était un euphémisme pour la désigner, même si je ferais mieux de ne pas trop baver car cette enveloppe corporelle ne semblait pas encore bien majeure.

- Nolanh Kent, je te souhaite la bienvenue dans ma dimension, l'un des seuls espaces où je peux me sentir en sécurité. J'ai décidé de la décorer avec le décor de la naissance de notre Mère spirituelle, si tu ne l'aurais encore pas deviné.

- Oooh quel honneur de pouvoir mettre les pieds dans un endroit aussi…  sacré !

Nous nous approchons de la forêt et deux grandes feuilles sortirent du sol, nous invitant à nous asseoir. Une fois assis, elles revinrent à leur place initiale, terminant le puzzle, guidée par des gestes harmonieux de la Déesse de l'Amour, ces sièges nous introduisant dans un décor naturel et fleuri éblouissant, juste au dessus de la forêt, donnant sur la plage et le grand coquillage.
Une fois bien installés, l'assurance factice de Chloé se brisa. Elle se pencha vers moi, les yeux brillants, me partageant une détresse des plus alarmantes, me faisant prendre conscience que la situation était d'une gravité anormale.

- Les ombres me guettent, Père ne veut point que j'use de la réincarnation maintenant, c'est bientôt la fin.

    Je n'aurais jamais cru qu'une divinité, même mineure, puisse partager une telle détresse. Je restai perplexe, ne répondant que par des interrogations.

- Les ombres ?

- Quelqu'un, quelque chose, veut ma peau. Je suis sûre d'être observée, épiée. On prévoit de m'attaquer !

- Mais comment ?

- Des ombres me suivent, attendant que j'ai le dos tourné pour frapper ! Quand ma vigilance sera réduite !

- Éros ? Réincarnation ?

- Je sais que cela serait gâcher une réincarnation, vue l'âge que j'ai dans cette vie, même si j'ai une apparence différente dans ma dimension, mais… peut-être que ça permettrait de me sauver de tout re-recommencer… Mais Père me l'a interdit car cela impliquerait que je serai dans l'obligation de mourir de vieillesse dans ma prochaine vie et donc cela gâcherait une solution de repli si jamais un autre conflit tarderait à surgir.

- Pourquoi ça serait la fin ? De toute façon, si tu meurs, tu ressuscites, nan ? questionnai-je, légèrement plus détendu.

- Mélicendre, tu sais, la Prêtresse de Vérité, ne présage rien de bon et me demande d'agir en toute prudence. Les mendiants et les aliénés portent son message, je ne peux plus vivre comme avant… sinon, je risque de ne plus pouvoir vivre et revivre.

- PARDON ? m'écriai-je, d'une voix bien trop surprise. Mais… comment une entité pourrait être aussi puissante pour t'empêcher de te réincarner ?

- Je… je sais pas… et ça me fait peur…. confia Chloé Davis, terrifié, d'un ton implorant.

Sa voix se brisa et elle s'écroula dans mes bras.
    Bon je devais l'admettre, ses propos m'avaient grandement secoués, mais je n'avais pas le droit d'avoir peur. C'est pas parce qu'une divinité a peur que les mortels doivent avoir peur aussi, d'abord !
Oui… je n'avais pas le droit d'avoir peur, ou du moins, je n'avais pas le droit de le montrer. Pour Chloé, pour Tanya, pour les autres ; on comptait sur mon sang froid et ma stabilité émotionnelle.
Je devais rester fort et brave.
    Je resserais mon étreinte qui se voulait protectrice et amicale, je l'espérais, et lui soufflais à l'oreille de la voix la plus assurée que je pouvais déployer à cet instant.

- Chloé Davis, t'en fais pas. Il t'arrivera rien, je suis là, maintenant. Je peux venir te protéger, à distance si tu préfères, dès que tu es amenée à sortir, peu importe l'entretien.

Elle releva lentement la tête, comme si je venais de lui faire un aveu irréaliste.

- Tu… tu… tu ferais ça pour moi ?

- Bien sûr, tu es mon amie, non ? En plus, je t'en dois une pour  m'avoir permis de retrouver Tanya ! répliquai-je, instinctivement en esquissant un sourire éclatant.

- Une… une amie ? Avant Irène, je ne savais pas ce que c'était d'avoir des amis dans cette vie… et du peu que me laisse voir mes anciennes réincarnations…

- Les amis se soutiennent mutuellement quoi qu'il arrive.

- Oooh, tu sais, je n'ai pas fait grand-chose. J'ai des clients qui ne sont pas très reconnaissants alors que j'ai fait bien plus pour eux que toi, ajouta Chloé, en haussant modestement les épaules.

- Mais pour moi, ça veut dire beaucoup. Cette discussion a changé ma vie, m'a donné la force de bousculer les ordres pour libérer Tanya de ses chimères.

Elle se redressa de nouveau en soupirant d'allégresse, heureuse d'avoir pu servir même si elle n'avait pas trop eu l'impression de contribuer à la chose.
    Puis, elle posa sa main sur mon épaule, désormais rayonnante.

- Je vais t'offrir une bénédiction divine pour te remercier d'être venu aussi urgemment à une heure aussi tardive.

Je lâchai une petit onomatopée, surpris, tout en me grattant la tête, gêné de recevoir un honneur pour si peu.
    Elle me demanda de me lever. Ensuite, Chloé fit jaillir sa magie dorée tout en faisant des gestes harmonieux et dansants, tout en psalmodiant des choses provenant sans doute d'un ancien dialecte.
Puis, sa magie me frappa et je me sentis tout de suite métamorphosé, mes possibilités plus étendues qu'à la normale - déjà immense, je dois dire.

- Je t'ai laissé la possibilité pour un trajet, une transformation en griffon. Je sais que tu es un métamorphe aux facultés communes, ne t'en fais pas, les griffons originaux, malgré leur côté snob assumé, ne t'en voudront pas. Du moins, pas plus qu'aux extra-métamorphes.

Wow, je devais avoir des étoiles dans les yeux. Peu de métamorphes standards pourraient se vanter d'avoir pu se changer en créature légendaire, surtout un griffon, si rare et si noble !

- Mais, mais… comment pourrais-je te remer…

- Teteteteuh, lâcha la divinité mineure pour me faire taire, tout en me faisant partir vers la porte qu'elle avait dessiné dans sa dimension, un incroyable sourire aux lèvres. Ne me remercie pas, c'est normal après tout ce que tu as fait et fera pour moi. Mais si tu tiens vraiment à faire quelque chose pour moi, alors, s'il-te-plaît, tâche de rester en vie quoi qu'il en coûte. (Nous arrivions près de la porte :) Allez, file, rentre bien.

J'entrais dans la porte lumineuse, voyant disparaître au fur et à mesure la lumière chatoyante de ce décor paradisiaque pour retrouver l'obscurité et toutes les étrangetés horrifiantes qu'elle contenait.
    À travers la porte, le buste dans notre réalité, Chloé Davis me fit la bise, son corps commençant à reprendre sa forme d'enfant, et me salua de nouveau avec toute sa tendresse. Ma foi, elle allait finir par me faire flipper à me répéter de prendre soin de moi, à veiller à ma vie…
Puis, elle retourna dans son antre paradisiaque que je n'aurais quitté pour rien au monde, surtout si on m'aurait dit de devoir braver l'ombre totale juste après.

    Une impression de malaise tenace me pétrifia la colonne vertébrale. Je comprenais à quel point elle tenait à rester dans sa dimension. Je comprenais à quel point elle pouvait avoir peur de très mal finir : Lorsqu'elle avait mis le pied dehors, j'ai senti un regard inquisiteur me traverser comme je ne l'avais jamais senti auparavant. J'ai senti une sombre aura si fortement que j'ai cru qu'elle pourrait me paralyser sur place.
    Rappelons que je n'étais pas Luke, je n'étais pas doté de sang démoniaque. Je ne ressentais jamais la présence d'êtres malfaisants, ce n'était pas dans mes cordes, comme la plupart des humanoïdes. Là, j'avais senti une aura aussi puissante… je n'osais même pas imaginer combien d'êtres démoniaques pouvaient être aux trousses de Chloé pour que même moi, un humanoïde lambda, dénué de toute essence démoniaque, puisse les ressentir.
    Mon sang venait de se glacer. Cela devait être l'une des seules fois de ma vie où j'ai dû ressentir… la peur, et ça me tue de le dire. Oui, putain, j'avais peur. J'étais quelqu'un d'honneur, je respectais toujours mes engagements, mais j'avais désormais conscience que cela n'allait pas être une mince affaire d'être son garde du corps.
    Bref, avant que la Police et la Chasse ne me retrouvent au petit matin mort de peur - si, si, je vous jure que c'est possible ! -, je me changeais alors en Griffon, cette magnifique fusion entre un lion et un aigle, aux ailes d'un or pur. Pour me rassurer, le corps des griffons était un vrai soleil, presque éblouissant, le retour me parut un peu plus facile à surmonter.

    Les prochains jours ne risquaient pas d'être ennuyeux. Ça, j'en étais certain ! Mais promis Chloé, je tacherais de rester en vie !

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