La rencontre d'une vie

Jeudi 3 janvier 2008

Point de vue de Kurt

C'est la nuit.

Nous sommes en hiver.

Je me les gèle un max.

Je suis con aussi d'être sorti de la caserne avec une simple veste.

Je n'ai pas pris le temps d'enlever mon uniforme des Forces Spéciales de l'Armée allemande. On a obtenu une permission après une mission qui fut très compliquée alors j'en profite pour m'isoler dans la Capitale française.

Je travaille pour la Paix avec les Forces armées européennes. On lutte contre ce qui gangrène notre société corrompue. Cette société qui n'accepte pas ma différence. Celle-là même que j'ai du mal à accepter. Mais en même temps c'est moi.

Je suis désabusé par cette vaste comédie qu'est la vie.

Une route pavée par l'enfer.

Ai-je déjà été heureux dans ma vie ?

Seulement quelques moments volés aux limbes de la douleur, je présume.

De l'extérieur, les gens me voient comme un jeune homme de 25 ans privilégié, né dans la 5ème fortune d'Allemagne. On me prend pour un fils à papa qui aurait eu de multiples conquêtes selon la rumeur. Les médias me prêtent régulièrement une liaison avec une obscure actrice ou avec une riche héritière aux dents acérées. Ne pas savoir sur ma vie les rend dingue.

Derrière cet écran de fumée se cache une toute autre et terrible vérité marquée dans mon esprit, mon cœur, ma chair : des cicatrices dissimulées par des tatouages en témoignent. Ce sont les signes de la terreur vécue depuis mon enfance, la guerre est moins dure à mes yeux. Elle a eu un effet placebo.

Avec le temps, j'ai appris à garder un masque impassible pour paraître comme il faut. J'ai réussi à retourner dans l'obscurité en coupant les ponts avec une partie de ma famille sauf ma Mutter (1) et mon Grobvater (2)

Amer, mon travail et la musique n'arrivent plus à calmer mes effroyables cauchemars, mes terribles angoisses qui parsèment d'horreur mon quotidien. Toute ma rage et ma colère sont mises dans la violence de mon métier mais cela ne me suffit plus. Ce mal me ronge de l'intérieur, mon cœur au bout des lèvres.

Je me dégoûte moi-même !

J'arrive sur ce pont parisien. Je m'accoude à la rambarde et contemple le vide.

Cette étendue d'eau remue au rythme des courants.

Je la fixe intensément.

Elle m'hypnotise.

Elle m'appelle.

Et si c'était la solution à tout mes problèmes.

Peut-être le monde serait mieux sans moi.

Je monte par le garde-fou. Je passe facilement une jambe puis l'autre sans lâcher du regard cette masse noire qui semble vouloir m'engloutir. Ce fleuve m'attire pour plonger dans ses tréfonds.

J'ai perdu la foi en tout.

Rien ne me retient ici.

La fin est proche.

Je lâche la pierre du parapet et donne à mon corps l'impulsion pour sauter.


Point de vue de Matt

Je marche dans la nuit en faisant le point sur ma vie.

Comment ai-je pu me laisser faire à ce point par mon ex ?

Sous son emprise depuis 3 ans, je me suis laissé manipuler. Je croyais qu'il m'aimait autant que moi. Il a fait de moi son jouet. Il m'a brisé aussi bien physiquement que moralement. J'étais déjà en rupture familiale. Il m'a coupé de tout ce que j'avais construit petit à petit, sauf la danse mon seul havre de paix dans la tempête de ma vie. Il contrôlait toute ma vie. Je n'avais plus de liberté. Je devais faire tout ce qu'il voulait.

Je m'en veux tellement de mettre fait laver le cerveau à ce point.

J'y repense encore et encore caché dans la ville en sortant dans la nuit.

Le calvaire a pris fin il y a 3 mois à la suite d'une énième dispute qui m'a envoyé encore une fois à l'hôpital. Des coups j'en avait reçu mais là, il avait été plus fort que d'habitude. Mon corps était couvert de contusions, j'avais deux côtes fêlées et une entorse au poignet. Tout cela parce qu'un autre m'avait fait un sourire et que j'ai eu le malheur de répondre innocemment.

Le médecin de garde, du nom de Medhi Abelli, m'a fait comprendre que ce n'était pas normal. Ce n'était pas la première fois. Plusieurs fois, il a essayé de me sortir de cette spirale infernale. Plusieurs fois, il a essayé de me sortir de là. A chaque fois, c'était pire. Son implication et sa gentillesse nous ont rapproché amicalement. J'ai compris son combat quand j'ai appris l'histoire de cet hétéro qui se bat pour que nous ne soyons pas traités différemment, pour lui c'est normal.

Après une nouvelle et très longue discussion où il a pris le temps de me mettre en confiance, j'ai été éloigné quand mon ex a essayé de me récupérer. Cette fois, à bout de force, j'ai décidé porter plainte avec le soutien de mon ami.

Le scandale dans le hall de l'hôpital fut une épreuve épuisante. La rupture fut consommée.

Mehdi est devenu au fil de mes visites dans son service un allié. Son implication est allée au-delà de la relation médecin/patient, l'amitié s'est établie. Faisant parti d'une association de défense des droits LGBTQIA+, il m'a donné la carte pour prendre un nouveau départ auprès de ce refuge. Il m'y a conduit à ma sortie après m'avoir escorté pour récupérer mes affaires dans ma prison puis disparaître de l'horizon de mon bourreau en garde à vue pour coups et blessures sur le personnel soignant et mise en danger d'autrui mais également pour tentative d'enlèvement.

Malheureusement, il n'existe pas de foyer d'urgence pour les hommes dans mon cas. Même le flic à l'accueil du commissariat n'a pas voulu me croire qu'un gaillard comme moi puisse être victime. Sans la ténacité de mon ami médecin, je n'aurais pas réussi à déposer ma plainte. Il a fallu du temps avant que le JAF ne prononce une ordonnance de protection pour l'empêcher de reprendre contact avec moi ni avoir connaissance de mon adresse provisoire.

A chaque étape, il m'a accompagné. Durant ces longs mois de tortures, il m'a fait cacher les papiers importants, les preuves de mon enfer. Il a constitué un dossier médical à charge à chacune de mes visites : photos de mes blessures, certificats médicaux, ... Il m'a aidé à ouvrir en secret un compte bancaire pour cacher un peu de mon argent que je me faisais au noir pour préparer ma fuite. Ensuite il m'a aidé pour ma plainte, mis en contact avec l'association qui m'a trouvé un studio d'urgence pour 6 mois, une aide psychologique et des conseils pour mes démarches administratives.

Je lui dois ma résurrection. Il m'a empêché de tomber plus bas.

Petit à petit, je renoue avec la vie. J'ai même retrouvé de vieux amis.

L'amitié c'est important dans les moments difficiles.

Je me reconstruis progressivement mais me jure de ne plus donner mon amour.

J'arrive sur le pont d'Iéna. Mon regard se balade sur les quelques personnes présentes.

La vision d'un beau militaire blond me stoppe. Sans pouvoir me contrôler, je le détaille large épaule, un dos bien musclé. Il est un peu plus petit que moi et des fesses mmm à croquer. Il n'est ni trop mince ni trop baraqué.

Tout à fait mon style s'il n'y avait pas eu cette histoire. Il faut que je chasse ces idées de mon esprit.

Je frotte ma barbe pour retrouver la raison.

Soudain, le spectacle qui s'offre à moi me bouleverse !

Grosse panique à bord !

Non il ne va pas faire cela !

Je regarde autour de l'individu.

C'est une mauvaise blague ou quoi ? Bordel ! Ce n'est pas possible !

Personne ne va intervenir ? Force est de constater l'indifférence des quelques passants.

Aujourd'hui je ne serais plus une victime. Je serais fort ! Je me le promets à moi-même !

Je jure que je sauverais tout être vivant en danger sur Terre !

Mes jambes prennent la direction de l'incident prévisible. Mon cerveau fait une pause. L'heure n'est pas à la réflexion. Mon corps se tend au secours de cet être, mue par sa propre volonté.

Je cours vers ce jeune homme et le ceinture pour le ramener du bon côté. Ce n'est pas facile ! Il se débat en parlant une langue brutale. La communication ne va pas être facile. Moi à part un peu d'anglais, je ne parle que français.

Le combat est féroce mais je ne le lâche pas. Nous tombons et roulons sur le sol. Je me retrouve à califourchon sur lui tenant ses bras au dessus de sa tête.

Haletant, nous tentons de reprendre notre souffle.

Graduellement, il se calme comprenant que je ne lâcherais pas prise sur ses poignets fermement maintenus. Notre attention est captée l'un sur l'autre. Aucun des deux ne tourne la tête. Je ne peux détacher mes pupilles des siennes.

Il est très beau.

Dans son regard, je perçois plusieurs émotions : de la rage, de l'incompréhension, une immense tristesse et une petite lueur d'intérêt qui me fait reculer.

Je ne peux pas. Je ne veux pas céder à mon cœur d'artichaud complètement perdu en ce moment. C'est trop dangereux. Mais ma conscience m'interdit de le laisser dans cet état.

Il émane de lui une grande détresse que mon cœur compatit. D'une voix rauque à cause de la bataille :

- Pourquoi vouloir en finir si tôt ?





(1) Mutter : mère en allemand

(2) Grobvater : grand-père en allemand

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