Quand J-C arrive en ville
Depuis que je fréquentais ma brochette de boloss, j'entendais régulièrement parler d'un certain J-C. Jean-Charles de son vrai prénom.
Paraissait-il, le type en question était vraiment un chouette gars que tout le monde aimait. Gentil, sympathique, cultivé, amateur de chocolat industriel et toujours prêt à rendre service aux copains.
Il était parti travailler avec sa famille dans une île des Caraïbes où ne vivaient que des millionnaires – acteurs de cinéma et chanteurs principalement – et quelques européens de métropole assignés aux tâches de commerces de proximité et de services à la personne.
Les parents de J-C escomptaient faire fortune dans la boulangerie de "terroir" et ils étaient en bonne voie de réussir, puisqu'ils fournissaient en croissants et pains au chocolat la plupart des hôtels de luxe de l'île.
La sœur de J-C opérait en tant que babysitter pour les gosses du showbiz et J-C livrait les viennoiseries et s'occupait d'aller chercher à vélo les matières premières à l'aéroport ou à l'embarcadère tous les jours.
Oui, en vélo. Pour mieux gagner leur vie, la petite famille avait décidé de limiter leurs frais au maximum. Ce qui voulait dire qu'ils refusaient de dépenser inutilement l'argent durement gagné. Et puisque un paquet de yaourt coûtait dans les quinze euros et un demi-litre d'essence dans les sept euros, ils vivaient comme des pauvres et travaillaient comme des acharnés.
L'avantage de cette situation d'esclaves volontaires étaient qu'ils mettaient de côté des sommes considérables et qu'au bout de quelques années ils seraient en mesure d'acheter cash le pavillon de leur rêve à Sordide-sur-Yvettes.
Pour ne pas péter les plombs, J-C avait négocié auprès de ses parents la possibilité de revenir en métropole une fois par an pour venir voir ses copains restés à Angevilliers pendant deux semaines au mois de mai.
La première fois qu'on m'annonça que j'allais enfin rencontrer ce fameux J-C, j'étais assez excité.
Un type unanimement respecté par mes guignols de copains devait très certainement être un phénomène et un modèle de coolitude.
En plus il connaissait personnellement Richard et Halle Berry qui venaient tous les matins lui acheter un pain au chocolat à la boutique après leur jogging sur la plage de sable fin.
Lorsqu'il avait annoncé sa prochaine venue, les gars et les filles de la bande avaient décidé de lui préparer un accueil flamboyant à l'aéroport de Saint-Quentin. Banderoles et colliers de fleurs et méga-teuf de bienvenue chez Hugues.
Quand je le découvris enfin, au moment où il sortait de la salle de débarquement avec son sac à dos et son chapeau de paille antillais, je fus immédiatement déçu. Le type était un casu normcore totalement insignifiant.
Grand, maigre, imberbe et avec des cheveux d'une couleur terne qui couronnaient une tonsure due à une calvitie juvénile.
Et en plus il était tout mou. J'ai toujours détesté les mecs avec une poignée de main molle et moite.
Il portait un regard naïf et content sur toutes les marques d'amitié que lui portaient la dizaine de copains qui sautillait autour de lui. On me présenta à lui comme étant un super mec bien cool et tout et il se désintéressa de moi tout aussi tôt. La seule autre et unique fois où il s'adressa à moi, ce fut lors de son départ deux semaines plus tard dans ce même aéroport.
Bref. J-C était un mec random dont s'étaient entichés les autres pour la seule raison qu'il était absent d'Angevilliers 50 semaines sur 52 dans l'année.
En réalité, c'était aussi un pote d'enfance de Jocelyn et de Hugues, ce qui constituait une porte d'entrée suffisante pour faire partie du club très sélect de la Jet-Sex angevilline. Et quand il était là, durant ses deux semaines de congés annuels, il redevenait instantanément le meilleur ami de tous les temps de Joss, au plus grand désespoir de Dan qui se contentait de sourire poliment aux remarques un peu niaises de ce grand dadais d'outre-mer.
Durant ses vacances, J-C dépensait sans compter l'équivalent d'une année de smic. Ce qui représentait selon ses dires, à peine un mois de son salaire.
Sa routine était parfaitement chronométrée. Après la méga teuf de bienvenue chez Hugues, il s'installait chez Joss, dans la chambre nuptiale. Joss et Sandrine déménageaient alors dans le BZ de leur séjour, parce que : "tu comprends, J-C il vit toute l'année dans une toute petite hutte en bord de plage où il dort dans un sac de couchage entre sa sœur et ses parents. Alors ça nous fait aussi plaisir de lui offrir un peu de confort." J'acquiesçais poliment en évitant toute remarque désobligeante. Je ne voulais pas que Joss et Sandrine découvrent l'ignoble paradoxe dont ils étaient victimes. Car dans une réalité alternative (c'est à dire à l'opposé de leurs fantasmes de beaufs), ils se contentaient d'héberger dans leur T1bis minable, un gentil commis de boulangerie qui gagnait plus d'argent en un weekend que le cumul mensuel de leurs allocs. Et quand il rentrerait au pays pour s'installer, d'ici quelques années, le pote qu'ils considéraient comme un pauvre hère dans le besoin, serait en mesure de s'acheter cash un appartement de standing avec la voiture et le canapé qui vont bien avec.
Ensuite, J-C louait une voiture chez Europcar, si possible un modèle allemand diesel, récent et capable de rouler très vite. Il se servait de cette voiture de location pour emmener son plus proche cercle d'amis au Futuroscope où il adorait aller en pèlerinage tous les ans (ça lui rappelait l'heureux souvenir d'un voyage scolaire en sixième où il avait failli embrasser une fille). Généralement ce cercle se limitait à : Joss, Sandrine, Mégane – la petite sœur de Joss – ainsi qu'une autre meuf avec qui Sandrine essayait de le caser. Il s'agissait rarement de la même fille d'une année à l'autre, puisqu'il s'intéressait rarement à ces prétendantes.
La vérité au sujet de la situation amoureuse de J-C était... très compliquée.
Non. En fait pas du tout !
J-C était un type simple, gentil, agréable, avec le cœur sur la main. En plus il avait du fric et était généreux. Il aurait pu se taper toutes les meufs que Sandrine lui présentait, et ce malgré son physique de grand échalas benêt.
Mis à part une relation d'à peine quelques jours avec Cendrine – qui ne manquait jamais de raviver un certain malaise entre les deux couples Jossandrine et Danendrine quand le sujet revenait sur le tapis – il avait toujours gentiment repoussé toutes les avances que les filles lui faisaient.
Il avouait à Sandrine et Joss qu'il était un grand timide et qu'il refusait de sortir ou de coucher avec une femme avant d'avoir trouvé le grand amour.
Pour un jeune qui vivait dans les années 2000 et quelques, c'était à la fois naïf et romantique et, il faut bien l'avouer, complètement décalé.
À force d'observations méfiantes et d'enquêtes de terrain sur son passé, Dan avait fini par mettre le doigt sur ce qui clochait réellement chez J-C.
Un jour, pendant que son meilleur pote s'éclatait au Futuroscope sans lui, Dan vint me trouver pour vider son sac.
Il était parvenu à tirer les vers du nez de Sandrine après plusieurs semaines d'allusions et de questions anodines. Comme Sandrine était très conne, elle ne s'était rendue compte de rien et sans même s'en apercevoir elle avait livré le secret le mieux gardé des Caraïbes.
Non, J-C n'était pas homosexuel. Enfin, pas exactement : il y avait bien cette espèce de tension crypto-gay chelou entre lui et Joss, mais rien de grave selon Sandrine. Après tout, Joss pouvait bien se taper des mecs s'il en éprouvait le besoin, et s'il le faisait devant elle, ça serait encore mieux. Non, J-C était en fait amoureux de Mégane depuis le début de leur adolescence. Ou plus exactement, depuis le début de son adolescence à lui, la gamine étant un peu plus jeune que lui.
Et ça, il ne fallait jamais que personne ne le sache ! Sandrine le savait, Mégane le savait, mais Jocelyn ne devait jamais l'apprendre.
Mégane et Jean-Charles entretenaient une relation secrète depuis des années. Très compliquée vue la distance, la différence d'âge entre eux et la jalousie maladive de Joss dès lors qu'il était question de sa petite sœur.
Il était fort à parier que Joss serait anéanti le jour où il apprendrait la vérité et on pouvait s'attendre à un bain de sang et des litres de bave rageuse et de pleurs.
Dan, en se confiant à moi, passait par tout un tas d'émotions antagonistes, mélange névrotique de jubilation, d'atterrement et de jalousie atrabilaire. Mégane était une fille dynamique aux convictions profondes (mais stupides) et bien affirmées, soit le parfait contraire de J-C. Pourquoi elle s'intéressait à un empoté comme Jean-Charles ? Et surtout, comment cet imbécile de Joss n'avait encore rien vu alors que Mégane passait son temps collée à J-C dès qu'elle en avait l'occasion ?
Dan était pratiquement persuadé qu'ils avaient déjà couché ensemble dans le lit de Joss.
Je ne voulus pas l'encourager à poursuivre ses réflexions sur ce terrain glissant.
Le fait est que J-C était donc à la fois le meilleur ami historique de Joss et son ennemi le plus intime.
Secrètement, j'espérais que la vérité éclate au grand jour et que Joss et Dan meurent enfin dans une sorte de combustion spontanée synchronisée, tant ils attisaient depuis trop longtemps leurs jalousies l'un envers l'autre.
Ça commençait à devenir pénible et ça pesait de plus en plus sur l'ambiance des fêtes et sorties du groupe.
Mais bon ! Dan et Joss redevenaient ensuite les meilleurs amis du monde dès que J-C remontait dans l'avion en direction des mers du Sud.
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