La fois où Tim n'est pas sorti avec Lany
Mélanie était sans aucun conteste une fille qu'on pouvait estampiller du sceau d'authenticité "100 % méga-bonne".
Certes, ce n'était pas très respectueux, mais le respect elle s'en foutait allègrement. D'ailleurs, elle parlait d'elle-même comme étant une "créature méga bonne". Elle y croyait et elle avait sans doute raison.
Autant dire qu'elle avait autant de self-esteem que la photo de Nicki Minaj punaisée dans la chambre de mon petit frère.
Mélanie se faisait appeler "Lany" parce que c'était plus sexy et plus intrigant et donc plus cool. De toute manière tout le monde avait un pseudo dans ce groupe; une tradition héritée du passif de gamer des garçons.
Timothée (a.k.a. Tim) aimait beaucoup Mélanie.
Par contre il était aussi très déstabilisé par Lany.
Pour savoir ce qu'était Tim, il fallait d'abord savoir ce qu'il n'était pas. C'est à dire Matt, son demi-frère.
Tim et Matt, les frangins "Tal-Tal", avaient reçu ce sobriquet commun à cause de leurs patronymes respectifs : Mathieu Tallec et Timothée Talouin.
Mathieu était grand, beau, immensément riche du côté de sa mère. Timothée était de taille moyenne, assez insignifiant et pas très friqué du côté de leur père commun. Ils avaient deux ans d'écart, soit 17 et 19 ans quand je les avais rencontrés et ils cohabitaient chez leur père depuis plusieurs années.
Leur daron avait mené une double vie pendant quelques temps. En tout cas assez pour faire un gosse à sa femme et un à sa maîtresse. Mais pas forcément dans le bon ordre, ou en tout cas pas dans l'ordre qu'aurait pu imposer la logique, à savoir commencer par sa femme légitime et enchaîner sur sa copine de l'autre bout de la France.
Le père Talouin était donc l'héritier d'un fabricant de fenêtres et en tant que jeune cadre dynamique il était devenu le fer de lance de la force de vente de ce qui deviendrait un jour Fene'strass. Mais à l'époque des faits, il s'agissait encore de la SARL Talouin Fermetures et fils. Afin de gagner de nouvelles parts de marché et mettre en action les fraîches connaissances qu'il venait d'acquérir par son BTS commercial, le jeune homme s'était lancé à l'assaut des villas de la Côte d'Azur. À force de voyages d'affaires et à grands coups de dépenses somptuaires, il avait fini par gagner sa seule et unique cliente : Maureen Tallec, fille à papa devenue en une seule journée orpheline et actionnaire majoritaire des Industries Tallec, plus gros chantiers navals du golfe du Morbihan et de l'étang de Thau.
La jeune femme avait décidé de se retirer des affaires après que son notaire lui avait assuré qu'elle ne manquerait de rien et qu'elle n'aurait jamais à travailler, du moins tant qu'elle lui ferait confiance pour gérer son portefeuille. Elle avait donc découvert avec une surprise non-feinte, que son paternel avait investi dans la pierre dans l'arrière pays niçois. Après avoir longtemps hésité entre ses quatre propriétés provençales, elle avait fini par jeter son dévolu sur une magnifique villa du côté d'Èze. Tout allait bien pour elle, jusqu'au jour où Jean-Pierre Talouin était venu carillonner à sa porte pour la convaincre de lui acheter du double vitrage made in France.
Les négociations durèrent à peu près un quart d'heure, le temps pour la jeune femme de demander conseil à son notaire qui lui certifia qu'avec un tel chantier elle n'aurait pas à payer d'impôt cette année-là. Comme Jean-Pierre (J-P pour les copains) venait d'atteindre son objectif du mois en terme de ventes, il avait un peu de temps devant lui. Ils passèrent le reste de la semaine à baiser comme des lapins et à boire du champagne au Casino Barrière le plus proche. Puis J-P s'en retourna à Angevilliers, à plusieurs centaines de kilomètres de la belle et très jeune héritière.
Comme celle-ci se languissait de son beau VRP, elle se mit à lui trouver de potentiels futurs clients parmi ses voisins nouveaux riches pour l'inciter à revenir régulièrement.
Le carnet de commandes de la SARL Talouin Fermetures et fils se remplissait à mesure que se vidaient les couilles de J-P, c'est à dire avec une précipitation déraisonnable.
L'entreprise angevillinne ne parvenait plus à produire assez vite et donc se retrouva dans l'incapacité d'honorer ses commandes. Les chantiers si facilement gagnés s'avérèrent tout aussi vite des opérations catastrophiques, tant et si bien que les assignations et les pénalités de retard eurent raison de quarante ans de gestion scrupuleuse et méthodique. La Sarl eut droit à son redressement judiciaire et ne fut sauvée que grâce à la confiance du Crédit Industriel Angevillin, partenaire de longue date.
Ce traquas administratif fut également la parfaite porte de sortie pour Jean-Pierre Talouin, qui se découvrit dépassé par les aspirations maritales de la jolie Mademoiselle Tallec. Puisqu'elle venait de tomber enceinte de lui, quoi de plus naturel qu'enchaîner sur un mariage d'amour ? Sauf que J-P avait un peu oublié de lui dire qu'il était déjà marié avec la fille de son comptable.
Personne ne sut jamais trop comment, mais J-P Talouin parvint à renier son premier enfant et à enterrer toute cette petite mésaventure provençale. Il se résigna à limiter son champ d'action aux pavillons résidentiels des environs d'Angevilliers et un peu par mégarde ensemença l'utérus de sa femme quelques mois plus tard.
Tout alla bien pendant dix ans : le fiston se débrouillait bien à l'école, la SARL avait changé de nom et était parvenue à survivre grâce à une succession de plans de refinancement tous aussi crapuleux les uns que les autres. De plus l'équipe de handball féminin venait de monter en première division, juste après que Fene'strass avait négocié un contrat de sponsoring publicitaire, ce qui lui donnerait une visibilité à la télévision si jamais les filles de l'équipe parvenaient jusqu'à la coupe de France.
Hélas, les rêves de grandeur de J-P furent anéantis le jour où Madame Tallec-Di Matrio vint carillonner à la porte de son pied-à-terre minable, accompagnée de son mari, Mateo Di Matrio, grand gaillard niçois qui avait fait fortune dans le rachat de dettes de jeux et la location de câlins rémunérés. Le couple méditerranéen venait de décider de s'octroyer de petites vacances aux Antilles Hollandaises, le temps que le Parquet niçois passe l'éponge sur un ou deux accidents du travail dont avaient été victimes les vendeuses de bisous de Di Matrio. Comme leur avion privé n'avait pas assez de place pour embarquer un troisième passager (à moins que la présence d'un enfant mineur ne risquait d'alerter les autorités judiciaires), ils s'étaient pointés chez J-P Talouin pour lui refourguer son fils aîné. Il était en effet grand temps qu'ils fassent connaissance.
Di Matrio lâcha sur le paillasson de J-P une épaisse poignée de billets de gros francs français et lui laissa un conseil en forme de menace de mort : "occupe-toi bien du gamin jusqu'à ce qu'on revienne le chercher, sinon..." et de finir sa phrase par un doigt passé sur sa gorge.
Comme c'était un mercredi matin, Timothée put profiter de la journée pour jouer au foot avec Mathieu, son tout nouveau grand frère, tandis que leur père expliquait nerveusement à sa femme qui était la dame qui accompagnait ce sinistre mafieux niçois.
Le temps passa. Madame Tallec-Di Matrio redevint Madame Tallec et fit un très grand travail sur elle-même afin de ne plus tomber amoureuse de bad boys de bas étages. Elle devint lesbienne et emménagea avec une certaine Svieta Kurva, ex-star géorgienne du porno soft venue profiter de sa retraite en Côte d'Azur. Ensemble elles investirent dans l'art et connurent un vif succès en marchandant des pièces de collection glanées de-ci de-là. Elles finirent par acheter des galeries d'art à Monaco, Milan, Genève et Saint-Lothey-en-Garènes.
Tim et Matt s'entendaient plutôt bien, même si Matt préférait les périodes de son adolescence où sa mère acceptait de l'emmener avec lui en voyage un peu partout dans les pays riches. Pendant les vacances scolaires, il pouvait profiter de la villa de Èze où il avait sympathisé avec une autre bande de copains pourris-gâtés.
Mais la plupart du temps il résidait chez son père à Angevilliers. Sa belle-mère, la mère de Tim, s'était faite à la situation un peu pérave, surtout grâce à la pension alimentaire négociée entre les notaires de Madame Tallec et de Monsieur Talouin.
Au fil des ans, Matt était devenu un très beau jeune homme, spirituel, cultivé, fier sans être trop arrogant, alors que Tim vivait dans son ombre et peinait à avoir la moyenne à l'école.
Ils avaient connu le reste de la bande en fréquentant les mêmes lieux et les mêmes dealers et étaient devenus des incontournables des soirées d'Angevilliers.
Depuis qu'il l'avait rencontrée pour la première fois, Tim était éperdument amoureux de Lany et rageait en silence dès qu'elle se remettait avec Matt, soit en moyenne trois fois par an et généralement seulement pour quelques semaines.
Depuis que Matt et Lany étaient majeurs, ils pouvaient partir régulièrement ensemble à Èze pendant leurs vacances, ce qui constituait à vrai dire, l'essentiel de leur relation amoureuse en pointillés.
Et Timothée crevait de jalousie dans son coin, garçon timoré et rongé par une situation familiale à la con.
Un jour, il craqua et alla demander à Mélanie si elle voulait sortir avec lui. Juste une fois, même quelques jours.
Je me souviens exactement du moment où il s'était décidé et s'était levé du canapé chez Gautier pour aller lui demander. Ça s'était passé pendant une fête un peu nulle.
Et c'était juste avant que Buzz entre en courant dans l'appartement, complètement paniqué en hurlant qu'ILS étaient après lui et qu'ILS allaient le bouffer tout cru si on LES laissait entrer.
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