Je l'aime pas, je l'aime pas !

Très vite Sandrine et Joss avaient emménagé ensemble.

Et ça puait la merde à plein nez !

Imaginez donc un mec aigri qui a tout le temps raison sur tout, se mettre en couple avec une grande gueule décérébrée. 

Lui, était moyennement cultivé (en tout cas un tout petit peu plus que ses potes). Elle, était juste totalement conne.

Lui, parlait très fort et rigolait encore plus fort (surtout à ses blagues). Elle, était persuadée d'avoir tiré le gros lot en emménageant avec un type qui avait un CDI à temps partiel à la Fnac et qui avait obtenu son bac pro.

Lui, était issu d'une famille d'abrutis limite fachos et bas de plafond. Elle, provenait d'une famille de cassos alcolos.

Le couple du millénaire. Moi, j'avais vite compris que ça ferait des étincelles.

En réalité, Joss et Sandrine n'étaient pas les gens les plus funs ou emblématiques du groupe de potes. En fait, personne ne les appréciait réellement, ni ne les trouvait si cool que ça. Ils étaient là depuis le début, donc, bon... Il fallait faire avec.

Dès qu'ils trouvèrent un appartement miteux dans un immeuble pérave du vieux quartier, ils insistèrent pour y inviter toute la bande. Après tout, ils étaient parmi les plus âgés et leur réussite en tant que jeune couple dynamique et actif suffisait à faire d'eux des gens à suivre.

Au début, on y était allé par politesse. Et peu à peu par habitude.

Sandrine vivait de petits boulots minables, une alternance de missions de service à la personne ou de demi-semaines d'intérim à l'usine de fenêtres. Son but dans la vie était de se trouver un CDD ou un CDI comme lessiveuse à la brigade militaire d'Angevilliers. Un poste durable, sûr et qui lui permettait de taper la discute avec les plantons et les beaux militaires qui aimaient bien mettre des mains au cul du petit personnel.

Joss avait réussi à trouver un bon créneau pour rendre les soirées chez lui attrayantes : il organisait des "soirées jeux". C'est à dire que vu qu'il n'y avait pas de place pour faire autre chose, on s'entassait à douze ou quinze dans le séjour minuscule autour de la table basse et on jouait à des jeux.

Jeux de cartes, jeux de société, jeux de rôles...

Perso, j'entravais que dalle à toutes ces conneries de gobelins, d'elfes, de lancés de dés et autres wombo combo. Je ne participais que très peu et les hurlements alentours me vrillaient les oreilles.

À vrai dire, ce qui m'intéressait le plus chez Joss et Sandrine, c'est qu'il y avait une très grande télé toute neuve (achetée à crédit) qui était allumée en permanence. Et ils avaient le câble et plein de chaînes que je n'avais pas chez moi. Je m'étais alors pris d'intérêt pour les matches de catch du vendredi soir. Au début pour tromper l'ennui, ensuite par véritable passion.

Ça me permettait surtout de supporter les cris et la mauvaise foi des joueurs qui s'énervaient à côté de moi. Forcément, comme  la plupart étaient à la base des gamers, ils adoraient leurs jeux. Mais ils préféraient encore plus gagner et tricher et s'engueuler. En bons compétiteurs nazes qu'ils étaient tous.

Les rares fois où j'avais accepté de participer (parce qu'il manquait un dernier joueur dans la deuxième équipe), je me faisais engueuler parce que je comprenais pas les subtilités et la nécessité de trahir mes camarades en pleine partie.

Du coup, je me rabattais en général dans un coin du salon et je commentais les prouesses des catcheurs avec deux ou trois filles qui s'ennuyaient aussi fermement que moi, mais qui de toute manière n'avaient rien d'autre à faire de leur weekend.

En y repensant bien, j'aurais pu facilement éviter de m'infliger toutes ces âneries. Si j'avais eu le courage, je me serais acheté une télé et un abonnement au câble et je me serais contenté de gueuler après Chris Jericho tout seul chez moi, bien à l'abri des turpitudes du monde social de la jeunesse angevilline.

En vérité, c'était assez pénible de devoir suivre les protocoles établis par nos deux hôtes. Joss et Sandrine se faisaient une joie et un devoir de bien tout paramétrer les soirées chez eux. Ca allait de la dégustation des explorations culinaires (très aléatoires) de Sandrine aux tentatives de créations de cocktails originaux de Joss (persuadé d'être le meilleur barman de l'Histoire des cocktails) en passant par toute une série de passages obligatoires dans le programme des soirées.

Ils ne laissaient aucune place à l'improvisation ou à la modeste glandouille et même les pauses clopes étaient définies dans des créneaux horaires. Puisque de toute manière, Sandrine ne supportait pas qu'on fume dans le salon, on avait le droit de se précipiter dans la cuisine en forme de couloir une fois par heure pour se partager un coin de fenêtre où exhaler notre tabac.

Le pire c'est que personne n'osait s'avouer qu'on en avait rien à foutre de leurs simagrées. On subissait et on s'efforçait de trouver ça cool.

De mon côté j'avais une théorie : Sandrine était tellement enfermée dans un esprit si petit, qu'elle était obligée de rédiger des listes pour se projeter dans l'avenir proche ou pour compenser son manque d'imagination. C'était donc la raison pour laquelle elle cherchait à nous soumettre le déroulé de soirée qu'elle avait conçu. D'ailleurs elle consultait régulièrement ses fiches pour savoir où on en était et si on avait pas pris de retard. Je crois même qu'elle griffonnait des annotations. Je la soupçonnais de s'enfermer à intervalles réguliers pour débriefer avec elle-même et mettre des notes à ses invités. Si ça se faisait à la télé, Sandrine pouvait très bien le faire dans sa tête.

Il y avait toutefois un réel avantage à venir chez Joss et Sandrine. Et pas des moindres.

Puisqu'ils tentaient tous les deux de s'imposer dans le game des gens cool et qu'ils voulaient que tout le monde comprenne bien que, eux, contrairement à nous autres, avaient du travail et n'habitaient plus chez Papa-Maman, Joss et Sandrine avaient fait le choix de nous en mettre plein la vue.

Ils vivaient au-dessus de leur moyen pour notre plus grand bonheur à tous. Ou pour nous appâter et nous convaincre qu'on était quand même bien accueillis chez eux.

Alcools de marque en quantité calibrée et prévue à l'avance (trois verres chacun), chips et amuse-gueule de premier prix (pas les cochonneries du rayon du bas), un nouveau jeu ou une nouvelle extension tous les quinze jours, canapé XXL (acheté à crédit), posters de Misstigri SOUS CADRE Ikéa à tous les murs, bouteille de champagne (bas de gamme et dégueulasse) pour fêter chaque nouveau contrat précaire de Sandrine (pour les CDD de plus de deux mois), cacahuètes et fraises tagada à volonté et de temps en temps : des sushis de chez « 100 sushis » , voire carrément des tapas à emporter achetés à la Casa Cubana (au prix indécent de trop d'euros les dix).

En gros : du swag à l'état pur.

Cependant, Sandrine avait un souci. Enfin... elle en avait plein ;surtout au niveau des carences intellectuelles. Mais elle avait un souci en particulier avec Gautier.

Elle n'aimait pas Gautier. Elle aurait été parfaitement incapable de donner une raison rationnelle, même succincte, pour expliquer un tel mépris. C'était comme ça : elle ne l'aimait pas. D'ailleurs elle le disait souvent :

« Je l'aime pas, je l'aime pas. C'est comme ça : je l'aime pas ! »

Oui. En fait Sandrine souffrait d'un très grand déficit lexical ; comme elle ne connaissait pas beaucoup de mots, elle parlait beaucoup en se répétant souvent. Sans doute dans l'espoir qu'on ne s'en aperçoive pas.

Pour elle, utiliser un mot de plus de trois syllabes constituait une sorte d'incongruité. Même si elle n'avait jamais eu la moindre idée de ce à quoi pouvait ressembler un truc incongru.

Elle n'était pas non plus aidée dans sa tâche par son mec. En réalité, Joss aimait beaucoup ce "trait de caractère" de Sandrine. Le fait qu'elle soit conne lui donnait surtout l'impression qu'il était très intelligent. Il adorait la reprendre sur des mots ou expressions qu'elle "utilisait à mauvais escient", comme il aimait à le signaler. En fait, Joss n'était pas très brillant non plus et il confondait un peu tout et n'importe quoi. Mais comme il parlait fort, c'est lui qui avait raison.

Joss n'avait rien contre Gautier, même s'il le trouvait un peu con. Mais il n'avait rien contre l'avoir à la maison, surtout quand il arrivait avec quelques grammes d'herbes à partager. Et comme Joss était l'hôte de la maison, il bénéficiait d'une bonne position dans la file d'attente pour tirer sur les joints. D'ailleurs, il s'agissait de la dernière place, puisque dès qu'il avait un deux-feuilles dans les mains, il le finissait sans jamais le passer au voisin. Grossièreté oblige.

Sandrine n'avait jamais réussi à convaincre son amoureux d'expulser Gautier même après plusieurs mois à répéter qu'elle ne l'aimait pas. D'ailleurs elle le disait devant Gautier pour que lui-même comprenne qu'il n'était pas le bienvenu, mais celui-ci s'en foutait cordialement : les autres potes l'invitaient quand même, puisque de toute manière, c'est lui qui fournissait le THC.

En désespoir de cause, Sandrine fournit un effort exceptionnel pour mettre à contribution son esprit atrophié et ses capacités de réflexion limitées pour fomenter un plan machiavélique afin de se débarrasser une bonne fois pour toute de l'immonde et inopportun Gautier.

Et le résultat allait s'avérer à la hauteur de sa bêtise.

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