9 - La robe de Dame HuaYu (1/2)

Elle regardait le paysage changer avec émerveillement lorsqu'Akio plaça son cheval à la hauteur du palanquin.

— Dame HuaYu, nous arrivons à la capitale. Ne soyez pas effrayée, tout ira bien. Vous êtes en sécurité dans le palanquin.

Yu serra la cape du prince autour d'elle. Il n'avait pas souhaité la récupérer et elle l'avait précieusement gardée. Elle lui tenait chaud et représentait un certain refuge à ses yeux, dorénavant.

— Bien, Votre Altesse, fut tout ce qu'elle trouva à répondre pour masquer son angoisse.

Certes, elle était excitée à l'idée de découvrir enfin la capitale, le palais du Dragon, et de commencer une vie tout à fait différente de celle qu'elle avait menée jusque-là, mais elle ne pouvait rien faire contre la peur qui montait en elle et l'étreignait presque à l'en étouffer. Elle était reconnaissante au prince de prendre le temps de venir la prévenir afin de tempérer son angoisse. Elle ne cessait de s'étonner de sa prévenance envers elle, et lui de la profondeur de la confiance qu'elle lui accordait. C'était troublant.

Déjà, autour d'eux, il y avait de plus en plus de monde. Dans les champs et les rizières, Yu voyait les paysans se redresser pour saluer le cortège en s'inclinant respectueusement. Sur le chemin, les enfants criaient et couraient autour des chevaux que les soldats devaient maîtriser parfaitement pour que leurs montures ne les écrasent pas. On s'arrêtait à leur passage et s'écartait pour leur laisser le champ libre, se pressant sur les bas-côtés, poussés par les hérauts qui devançaient le cortège de quelques lieues à peine.

Si les gens paraissaient heureux de voir rentrer ce petit bout d'armée, ils saluaient surtout le prince Akio avec joie et hommage. En revanche, les murmures au passage du palanquin allaient bon train, et cela effrayait Yu. Elle n'était pas habituée à ce que les gens lui dissimulent ce qu'ils disaient. Les moines et les moniales étaient toujours francs et directs entre eux et avec elle. Elle n'était pas familière des commérages et des messes basses.

— L'armée n'a pas pour habitude de voyager avec un palanquin, expliqua Akio avec un sourire espiègle à l'attention de la jeune femme, tout en regardant moqueusement le peuple susurrer au passage du convoi. Je suppose que des rumeurs vont courir dans les rues de TianLong pendant quelques jours. Ils pensent peut-être que vous êtes la fille du seigneur Satomi dont nous venons de mater la petite armée dans la province de QiAng.

— Le seigneur Satomi a-t-il réellement une fille ? s'enquit Yu, pensive. Pourquoi l'auriez-vous ramenée avec vous à la capitale ?

Le regard d'Akio se fit plus dur, mais il regardait droit devant lui. Ce regard n'était pas destiné à la jeune femme.

— Nous aurions pu prendre sa fille, effectivement, afin de tuer toute velléité de rébellion dans l'œuf à l'avenir. Cela aurait obligé le seigneur Satomi à respecter les exigences de l'empereur, faute de quoi sa fille aurait payé de sa personne les péchés de son père.

Yu trembla légèrement à cette idée. Il ne faisait pas bon s'opposer à l'empereur. Qui étaient-ils, d'ailleurs, eux, gens du peuple, pour contester l'autorité du descendant du dragon céleste ?

Le prince soupira légèrement et haussa les épaules.

— Mais le seigneur Satomi n'a pas de fille. Ni de fils, d'ailleurs.

Il se pencha légèrement vers le palanquin pour lui faire une confidence qu'elle seule pouvait entendre.

— Ce n'est qu'un agitateur qui n'a jamais eu d'enfant. Ce qui n'est pas plus mal, tel que je connais le personnage. Sa lignée s'éteindra avec lui et QiAng pourra compter sur un nouveau seigneur, plus juste et réfléchi, et loyal à l'empereur.

Se rendant compte de ce qu'il disait, il se rassit correctement sur sa selle et lui sourit gentiment.

— Pardonnez-moi de vous importuner de la sorte avec la politique. J'ai tendance à tout vous dire lorsque je suis avec vous, même ce qui ne vous intéresse pas.

— Non, pas du tout, Votre Altesse, le méprit-elle. Je suis honorée que vous évoquiez ces choses avec moi, même si je ne comprends pas toute leur portée pour l'empire.

De fait, elle n'y connaissait strictement rien, à la politique. Mais les propos du prince l'intriguaient et elle trouvait ces sujets intéressants. Si elle le lui demandait, peut-être accepterait-il de lui en dire plus, une fois au palais.

Mais déjà le prince semblait plus distant avec elle, regardant devant lui quelque chose qu'elle ne pouvait pas deviner. Elle en eut un pincement au cœur.

— Dame HuaYu, à partir de maintenant je vais retourner à la tête du cortège et nous allons faire halte chez ce noble dont je vous ai parlé auparavant, pour vous donner des vêtements dignes d'une dame telle que vous. Je vais m'occuper de tout, alors ne quittez le palanquin que lorsque je vous le dirai.

De toute façon, elle n'avait pas l'intention de quitter cette étroite boite en bois de sitôt. Elle avait l'impression d'être dans une cage et cela la mettait très mal à l'aise, mais le monde qui l'entourait et le nombre grandissant d'individus qu'elle apercevait l'effrayaient plus encore. Tant que le prince ne lui demanderait pas de quitter le palanquin, il n'y avait aucune chance qu'elle le fasse.

Comme il l'avait dit, Akio retourna à la tête du cortège et ne revint pas vers elle. Il guida son armée à travers la route qui s'emplissait de monde pour les laisser passer en criant sa joie de voir rentrer leurs soldats. Ils étaient, pour certains, leur père, leur frère, leur compagnon, leur ami, leur mari, leur oncle ou leur cousin. Ils revenaient vivants et ils étaient de retour chez eux, en pleine forme. Cela ferait l'objet de réjouissances jusque tard dans la nuit.

Yu ne remarqua l'imposante porte de bois qu'au moment où le palanquin la dépassa. Elle était lourdement gardée par des soldats en armure, et marquait l'entrée Est de la capitale. On l'appelait la Porte du Dragon. L'animal mystique était d'ailleurs taillé dans le bois des deux battants de la porte, peint d'une couleur cyan dont les nuances allaient du bleu au vert. Cette porte fit beaucoup d'effet à Yu. D'autant plus qu'à présent, elle était dans la capitale.

La jeune femme n'eut néanmoins pas beaucoup plus le temps d'admirer la ville car ils franchirent une nouvelle porte, beaucoup plus petite, mais elle aussi gardée, pour arriver dans une petite cour fermée qui les isola tout à fait de l'agitation de la rue. Là, les quelques soldats qui étaient entrés avec le palanquin et le prince mirent pied à terre. Yu se tordit le cou pour essayer de voir ce qui se passait et souleva légèrement le rideau avec curiosité.

Il y avait un peu de monde. De là où elle était, la jeune femme pouvait voir trois gardes de l'armée, et elle en devinait trois autres sur sa gauche. Il y avait le prince Akio mais le général Masao n'était visible nulle part, probablement resté avec le reste de l'armée. Et puis il y avait des gens d'origine plus modeste, à en juger par leur coiffure serrée retenant leurs cheveux en chignon efficace, ainsi que par leurs habits aux couleurs ternes et aux tissus plus rêches auquel Yu avait toujours été habituée. Enfin, venant à la rencontre du prince, un homme d'âge mûr vêtu de beaux vêtements de soie colorés, avec un petit chapeau sur la tête et une longue moustache grisonnante, suivit d'une jeune fille qui devait avoir l'âge de Yu. Elle aussi était vêtue de couleurs lumineuses, les cheveux lâches dans son dos, et couverte de bijoux dorés. Elle avait la peau très blanche et un sourire mesuré aux lèvres.

Surtout, elle avait deux petits yeux... noirs.

Cette fille était un plaisir absolu pour les yeux. Pourquoi le prince ne la regardait-il pas comme il regardait Yu, dans ce cas ? Qu'avaient ses yeux de jade de plus attrayant qu'un canon de la beauté impériale ? Ils étaient verts et ils étaient maudits, cela n'avait rien de bien.

L'homme s'inclina bien bas devant le prince, tandis que les hommes et femmes de condition plus modeste se prosternaient au sol, le front dans la poussière.

— Votre Altesse, prince Akio, c'est un immense honneur de vous recevoir dans mon humble demeure.

— Seigneur Yamato, gardien de la Porte du Dragon, le salua poliment Akio d'un signe de tête bref. Avez-vous ce que je vous ai mandé ?

— Bien sûr, bien sûr. Cela n'a pas été simple, Votre Altesse, mais il n'y a rien d'impossible dans ce bel empire. Ma fille, Mariko, a elle-même choisi le vêtement. Il saurait convenir à la plus belle dame de la Cour, je vous l'assure.

— Bien. Je souhaiterais voir cela de mes yeux, pour commencer, répondit Akio d'une voix ferme.

Il était évident que son comportement avec Yu n'avait rien à voir avec son comportement avec les autres, à croire qu'elle bénéficiait d'un traitement de faveur.

— C'est évident, c'est évident, acquiesça Yamato en désignant sa fille du bout de son éventail replié. Mariko, montre donc au prince ce que tu as trouvé.

Après quoi, le seigneur et sa fille rentrèrent dans la demeure à la suite d'Akio, sans un regard en arrière. Les gardes, eux, restèrent autour du palanquin, immobiles.

Lorsque le prince réapparut dans le petit champ de vision de Yu, il regardait vers elle avec un sourire plus que satisfait. Il vint directement dans sa direction tandis que le seigneur et sa fille réapparaissaient sur le pas de leur porte.

— Tout est prêt, Dame HuaYu. Néanmoins, j'ai encore quelques interrogations... Je sais que vous avez porté les vêtements des moines à ZhiLan, alors saurez-vous vous habiller toute seule avec les robes de la capitale ? Les dames de la Cour ont toujours des servantes pour les habiller...

Yu se figea. Elle n'y avait pas songé. Elle ne savait même pas à quoi ressemblait une robe de la capitale, à vrai dire ! Elle risquait de commettre beaucoup d'erreurs en s'habillant elle-même et risquait, de ce fait, de déshonorer le prince.

— Je l'ignore, avoua-t-elle, confuse. Je n'ai jamais connu que les vêtements des moines. Je ne saurais certainement pas comment m'y prendre...

— Ne vous en faites pas, c'est normal. Et si j'achetais une esclave pour vous aider ? Si elle devient votre servante, elle ne parlera pas de quoi que ce soit, ce qui ne saurait être le cas si nous nous contentions de demander de l'aide à la fille du seigneur Yamato, ou si nous utilisions simplement les services de l'une de ses servantes.

Yu retint un hoquet de surprise. Une servante ? Acheter ? Comment pouvait-on acheter une personne et s'en servir, tout simplement ? Mais elle n'était pas là pour contester le prince, encore moins dans un univers qui lui était complètement inconnu. Pour le moment, elle devait s'en remettre entièrement à lui, jusqu'à ce qu'elle prenne ses marques dans cette nouvelle vie.

— Comme il vous plaira, Votre Altesse, du moment que je ne vous déshonore pas avec ma maladresse et ma malédiction.

Il grogna, mécontent qu'elle en appelle une fois de plus à ce que lui pensait être une bénédiction, et non le contraire. Mais il ne pouvait pas la blâmer car c'était la seule chose qu'elle avait connue jusqu'ici. À présent, cela allait changer. Et cela commençait maintenant.

Il se redressa et retourna voir le seigneur Yamato et sa fille, décidé.

— Dame HuaYu est une dame très importante. Personne ne doit la voir mais elle a besoin d'aide pour son habillement. Y aurait-il une servante digne de confiance dont vous souhaiteriez vous débarrasser ? Je dois l'acheter mais je n'ai pas le temps de me rendre au marché des esclaves.

Le seigneur fut très surpris de la requête de son prince et réfléchit un long moment avant de répondre. Ce fut sa fille, cependant, qui donna un nom :

— Père, pourquoi ne pas céder Senlinn ? proposa Mariko.

— Ah oui, Senlinn..., souffla Yamato. Oui, peut-être est-ce une bonne idée.

Akio fronça les sourcils.

— Qu'y a-t-il avec cette servante ?

— N'ayez aucune crainte, Votre Altesse. Elle est très efficace et fiable.

— Mais ?

Le seigneur jeta un coup d'œil à sa fille. Il savait que Mariko ne voulait rien avoir à faire avec Senlinn, raison pour laquelle elle cherchait à s'en débarrasser à tout prix. Son père l'avait acquise pour une bouchée de pain, non pas parce qu'il avait besoin de davantage de serviteurs dans sa demeure, mais parce que la femme l'avait touché par son regard fier et déterminé. Il ne l'avait pas regretté puisqu'elle était très obéissante, efficace, et qu'elle ne se plaignait jamais.

Mais Mariko ne l'aimait pas.

— C'est qu'elle vient d'Ecthros, Votre Altesse.

Akio se figea un bref instant, le poing tremblant et la mâchoire serrée. Jamais Yu ne l'avait vu aussi affecté et sévère. Il y avait à présent une puissante aura meurtrière qui planait autour du jeune homme, et pour un bref instant, Yu eut peur de lui.

Cependant, la jeune femme eut comme un déclic. Ecthros était un royaume voisin avec lequel l'empire de Drakkon était sans cesse en guerre depuis des générations. Néanmoins, le conflit avait pris un tout autre tournant lorsque l'un des Ecthrosiens avait assassiné l'impératrice, la mère d'Akio et de l'empereur. Autrement dit, cette Senlinn qui venait de ce royaume tant haït, était comme elle. Elle était comme Yu. Détestée. Rejetée. Sans place aucune en ces lieux.

Comme une furie, le prince retourna vers Yu alors qu'elle désespérait de pouvoir l'interpeller pour lui dire qu'elle acceptait de bon cœur que cette femme lui vienne en aide.

— Je ne peux pas vous laisser avec une telle servante. Essayez de vous habiller seule le temps que je me rende au marché des esclaves pour vous acheter une bonne servante en qui vous pourrez avoir confiance.

Il allait remonter en selle, un peu sèchement, la démarche raide, mais Yu parvint à le retenir, impressionnée par sa propre audace.

— Votre Altesse ! Je vous en prie, acceptez cette personne à mon service, même si elle vient d'Ecthros.

— Savez-vous ce qu'est le royaume d'Ecthros, au moins ? demanda-t-il un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu, aveuglé par la haine.

Yu baissa les yeux, autant à cause de la façon dont il lui avait parlé que pour la raison qui l'avait poussé à le faire.

— Pardonnez-moi, se reprit-il doucement.

— Il n'y a rien à pardonner, Votre Altesse. Je sais qu'Ecthros est l'ennemi de toujours de Drakkon, et plus particulièrement de l'empereur et de vous-même à cause de ce qu'ils ont fait à l'impératrice. Néanmoins, permettez-moi d'insister. Laissez cette personne m'aider. Laissez-nous essayer.


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Mouhahaha j'ai finalement réussi à vous le poster aujourd'hui ! Et en plus celui de ce weekend est prêt. Je vous le garde sagement au chaud pour la fin de la semaine ;)

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