2. Terminale Bonjour


Un corbeau énorme à deux yeux traversa la pièce, se posa puis croassa quelques instants, en remettant ses plumes. Blanche avait déjà vu Munin, celui-ci devait s'agir d'Hugin, puisqu'il lui manquait un œil.

Odin réfléchit une seconde avant d'acquiescer.

- Apparemment, mon moi du futur a cru qu'il semblerait bon de te faire venir. Raconte-moi tout, mon enfant. Du début.

Après tout, il ne l'avait pas vu depuis longtemps et n'avait pas la connaissance du futur. Uniquement le savoir.

Odin écouta les explications de Blanche sans l'interrompre. Il percevait la vérité dans ses paroles. Il ne tiqua même pas sous l'appellation de « Grand-Père ». Son histoire abracadabrante était fascinante et trop tirée par les cheveux pour ne pas être vraie.

De plus, il y voyait bien sa patte. Peut-être était-elle la clé pour libérer enfin son petit-fils sans provoquer le Ragnarök ? Odin se leva, puis en s'inclinant lui proposa un siège, chose qu'il aurait dû faire avant, mais il a été pour le moins pris au dépourvu.

- Bienvenue en l'an de grâce deux mille cinq, jeune fille.

Une larme silencieuse coula sur sa joue, alors qu'elle s'essayait. Elle savait qu'elle allait revenir avant sa naissance. Mais cela voulait dire qu'elle allait être coincée ici pendant trois ans ?!

Trois longues années ! Sans compter le temps qu'elle passerait en Outremonde... À raison de sept jours par nuit sur trois ans... Cela faisait en réalité 24 ans au total !! La vache !

Il fallut bien deux minutes à Blanche pour digérer l'info, même si elle l'avait compris d'instinct... Quand la joueuse rentrerait, elle ne sera plus une enfant...

- Tu dois être là pour une bonne raison.

Blanche s'inclina en tremblant pour confirmer. Dire qu'elle n'était pas terrifiée par le Dieu était un mensonge. Elle en avait autant peur qu'elle le respectait. Il n'était pas le même, pas celui qu'elle avait rencontré. L'autre de son époque était plus gentil, plus aimable. Elle se souvint qu'il avait diminué son aura de puissance, contrairement à celui-ci.

Elle se sentait oppressée. Le résultat de cette mission influencerait cet homme à son égard. La joueuse avait intérêt à assurer.

Il transpirait la sagesse et la sérénité. Son œil perçant la déshabillait du regard, sondant son âme. Blanche se sentit toute petite, très petite.

Un second corbeau aussi gros que l'autre vola alors à travers la pièce, avant de se poser sur l'épaule d'Odin. Loin de son frère, perché sur la bibliothèque qui dormait en mettant sa tête sous son aile. Blanche savait pourtant qu'il ne loupait pas une miette.

La mage reconnut sans problème le nouvel arrivant, Munin, grâce à son troisième œil. L'oiseau croassa à l'attention du Père de Tous. Ce dernier hoche la tête avant de prendre la parole.

- Tu as été faite sur mesure, une toute nouvelle expérience, basée sur dix millénaires de jeu, expliqua Odin. La toute première Sentinelle.

- C'est Munin qui vous l'a dit, n'est-ce-pas ?

La divinité la regarda très intéressée. Blanche réfléchit rapidement et calcula. Soudain ses yeux s'agrandirent, comment avait-elle pu oublier le principal ?

- Un joueur va se présenter bientôt. Un enfant du nom de Benjamin, Munin sera son dieu, déclara-t-elle à grande vitesse.

Odin fronça les sourcils et caressa les ailes du corbeau qui s'agitait.

- Jamais, il n'avait pris de joueur. Il considère son don de voyance comme une malédiction. Un enfant dis-tu ? Bien, qu'il en soit ainsi.

L'oiseau se calma et Odin prit une autre décision.

- Tu connais les détails de ta naissance ?

La jeune femme acquiesça.

- À toi de choisir désormais si tu veux vivre cette vie et devenir la toute première âme pure ou bien annuler ton existence. Mais sache qu'il y aura des conséquences... Toutes les vies que tu as sauvées, si tu n'existes pas, qui les sauvera ?

Blanche resta muette. Elle savait déjà qui elle allait sauver et quand. La jeune femme n'avait pas le choix. Pour eux, elle serait capable du pire comme du meilleur.

- Mais, reprit à nouveau Odin, je suppose que tu as déjà choisi... Sinon, tu ne serais pas là et Munin non plus.

Odin avait compris qu'inconsciemment, elle avait déjà demandé une faveur au corbeau, celle de veiller sur son fils.

- Je vous en remercie, murmura finalement la jeune joueuse qui comprenait quelle immense honneur il lui faisait en acceptant que Munin prenne un joueur sous son aile.

Odin prit quelques secondes supplémentaires et Blanche se contenta de l'observer pendant son intense réflexion.

- Tu connais cet établissement, tu y vivras la semaine en pension. Il me semble que cela ne changera pas de tes habitudes. En ce qui concerne le week-end, je t'ai trouvé un tuteur qui, je suis sûre, te conviendra très bien.

Blanche acquiesça, elle avait toute confiance en cette divinité. Il se leva alors, faisant fuir les deux volatiles, reboutonnant avec nonchalance sa veste. Puis d'un geste, il fit apparaître du néant les deux pochettes, l'une cramoisie, l'autre cyan, posées sur son bureau. Puis, tout en causant, il les lui montra :

- Voici toutes les informations dont tu disposeras. Brule la pochette rouge quand tu auras fini. Dans la bleue, tu y trouveras ton emploi du temps et le numéro de ta chambre ainsi que ton nouveau nom. Je reviens, conclut-il, stoïque, comme s'il ne venait pas d'imaginer à l'instant tout cela, avant de sortir d'un pas vif du bureau.

Blanche lut avec impartialité toutes les informations. Elle comprit rapidement ce qu'elle avait à faire et soupira devant la tâche colossale. Mais bon, elle avait vingt-quatre ans pour mettre son plan à exécution...

Puis, comme suggéré par Odin en personne, elle invoqua sa flamme noire, faisant disparaître la pochette. Aussitôt, sa fenêtre bleue habituelle apparut, révélant sa mission. Bizarre de la voir en Epslion. Elle fut alors absolument enchantée par les récompenses.

Une des caractéristiques spéciales passera automatiquement au niveau supérieur à la fin de la mission. Une caractéristique unique sera offerte en supplément, une dite de création, qui sera faite de toutes pièces pour vous-même ou l'un de vos sujets.

La jeune femme n'eut pas le temps cependant de se réjouir trop vite. Elle savait que le temps était compté malgré tout, alors elle se concentra sur la marche à suivre.

Dans la pochette bleue, elle découvrit son nom d'emprunt : Beth Time. Si ça, ce n'était pas ironique. Officiellement, affecté en terminale dans la même classe que la cousine de sa mère. Ainsi que la même chambre.

Éloïse Daniella Drake surnommée Ely par ses amis, n'était pas au courant de ce qu'elle était. Comme toutes les drakionnes de son âge. Fiancée dès la naissance, elle allait se marier à la fin de l'année scolaire, à peine le bac en poche.

Blanche leva les yeux au ciel. Quel ramassis de conneries préhistoriques ! Et dire que les femmes étaient pourtant plus nombreuses sur Epsilon, plus sages et plus intelligentes que les hommes !

Ely avait le droit à deux gardes du corps qui la gardaient dans l'ignorance. Deux personnes que Blanche connaissait très bien : la sorcière Clara Morigéna, qui allait devenir la bibliothécaire de cet établissement, et son ami le drakion, William Oswalds, le frère jumeau de Sean. Tous deux dans leur classe.

Sa mère, Elsa, commençait, elle aussi ses années de lycée. La princesse avait sauté une classe et se trouvait actuellement à quinze ans, en seconde. Elle-même avait deux gardes du corps pour les mêmes raisons. Seulement voilà, ils n'étaient même pas mentionnés.

Bah ! Pas grave, elle aurait tôt fait de les découvrir.

Elle comprit qu'elle aurait le droit à quelques fournitures de base, comme des livres, un sac, des stylos, mais également des sous-vêtements, de plusieurs uniformes et d'une belle liasse de billets. Elle apprit son numéro de chambre ainsi que son emploi du temps par cœur.

Elle n'eut pas le loisir de s'y attarder davantage puisque Odin choisit ce moment-là pour revenir accompagné de Phénix. Blanche, qui s'était assise pour lire les documents sur l'une des chaises prévues à cet effet, se releva d'un bon.

Le Dieu attendit que la porte se referme pour faire les présentations.

- Phénix, je te présente Beth. Jeune fille, voici ton nouveau tuteur.

Le démon grogna avant que sa bouche ne forme un rictus. Apparemment, cela ne lui plaisait pas de s'occuper d'une gamine.

- Je vis dans un sexe-club démoniaque, au-dessus d'une des entrées principales des enfers, c'est une enfant, protesta-t-il. Elle n'y survivra pas une journée.

Sans doute, l'être divin lui avait déjà appris qu'elle était un être surnaturel tout comme lui.

Voir Phénix, aussi peu familier lui donna un pincement au cœur. Il la rencontrait pour la première fois, alors que pour elle, c'était d'ors et déjà son meilleur ami.

- Beth est une cambionne, révéla le dieu, doublée d'une drakionne et dorénavant, elle est sous ta protection. S'il lui arrive quoi que ce soit, tu en payeras le prix.

La menace fit reculer le démon qui regarda la jeune femme à deux fois.

- Une cambionne drakionne ? Murmura-t-il. C'est une abomination !

Ce fut au tour de Blanche de grimacer.

- Oui, consentit le père de toutes choses, en souriant à la jeune femme d'un air doux. Je préfère le terme Sentinelle.

Cela atténua quelque peu l'insulte en comprenant désormais ce qu'elle était pleinement.

- Il faudra garder pour toi tout ce que tu apprendras d'elle, je me suis bien fait comprendre ?

Phénix déglutit avant d'acquiescer.

- Bien, dans ce cas, reviens vendredi à dix-huit heures.

Le marquis démoniaque opina une seconde fois avant de disparaître, non sans jeter un dernier coup d'œil à la jeune femme, sans demander son reste.

- Comme tu peux le constater, tu seras privée de ton familier le temps de cette mission.

Blanche sourit à son tour avec douceur. Elle l'avait parfaitement compris, bien qu'elle le regrettât amèrement.

- La magie est toujours interdite ici. Utilise tes pouvoirs à bon escient. Et surtout, n'oublie pas de faire de Kiyan un allié de confiance. Son importance est cruciale.

Blanche acquiesça, le cœur gonflé de reconnaissance. Le dieu ignorait encore que ce dernier n'était rien d'autre que son mari.

- Bien, dans ce cas, je te laisse découvrir cette époque. Si jamais tu as besoin de moi, tu sais où me trouver. Je te souhaite bonne chance, mon enfant.

Blanche eut à peine le temps de le remercier qu'il la poussa à l'extérieur de son bureau.

Bon, eh bien, elle n'avait pas fini son année de première, qu'elle se retrouvait en terminale. De plus, d'après la date du jour, elle avait raté sa première semaine de rentrée...

La jeune femme soupira. Son subterfuge de prédilection pour relâcher la tension, avant de se diriger tout droit vers sa nouvelle chambre.

Cette année commençait bien.

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