72. Matinée Pourrie
La jeune femme à peine émergée fut agressée par son téléphone. Ce dernier clignotait alors qu'un appel était en cours. Trop épuisée pour répondre, elle attendit de voir qui essayait désespérément de la joindre.
Le réveil sur la table de chevet d'Argy indiquait tout juste cinq heures du mat. Soit l'équivalent des jours passés en Outremonde. Le problème ? Elle n'avait dormi que quatre heures au total. Il lui en manquait au moins quatre autres pour son quota. Ce qui expliquait pourquoi elle était à ce point fatiguée.
Résignée à se lever, elle se redressa en s'éloignant d'Argy qui grogna dans son sommeil. Trop mignon.
Son téléphone n'indiquait pas loin de treize appels et de six messages. Sa meilleure amie, le copain de celle-ci, du frère de celui-là, de son grand-père, de son père démoniaque et même un message du Roi Vampirique. Elle commença par ce dernier qui lui envoyait tout simplement un lien.
Asher avait fait du bon boulot. Elle était le sujet d'étude de toute la presse Outremondienne des espèces nocturnes. Elle finit par décrocher à sa meilleure amie qui rappelait une nouvelle fois.
- Blanche ? Murmura celle-ci en sanglot.
- Oui ? Demanda la jeune femme sans baisser le son, puisqu'elle savait bien qu'elle ne risquerait pas de réveiller la marmotte à ses côtés.
- Est-ce que c'est vrai ?
Blanche inspira avant de le lui confirmer.
- Les dégâts internes étaient trop importants après l'accident, ils ont sauvé le principal, expliqua sa meilleure amie. De toute façon, ce n'est pas comme si je voulais avoir des enfants un jour, lui mentit-elle. T'inquiètes pas, tout va bien.
- Oh Blanche ! Je suis tellement désolée ! S'écria Évanescence en pleurant.
Cette fois-ci, une larme coula sur la joue de la jeune femme. Elle en était responsable, c'était elle-même qui avait causé l'accident dans le but de remonter le temps et de sauver le garçon qui dormait à ses côtés. Du moins, c'était là ce qu'elle croyait.
Alors, elle s'autorisa une seule et unique larme, car elle préférait voir le gamin respirer et vivre plutôt que d'avoir un hypothétique bébé plus tard.
- Ne le sois pas, ce n'est en aucun cas de ta faute. De toute façon, je n'ai jamais pensé en avoir un jour. Tu connais ma mère, non ? Imagine si je suis comme elle, la mère affreuse que je serais ?! Non, merci.
Cela eut le don de faire rire sa meilleure amie avant de la faire de nouveau pleurer.
- En plus, si ça m'évite de me coltiner un drakion imbu de lui-même, comme le tien, tout va bien !
- Pas cool, grogna l'édit drakion à l'autre bout du fil, qui, grâce à ses capacités surnaturelles, avait suivi toute la discussion.
- J'essaye de voir le bon côté des choses, répliqua Blanche.
- Essaye encore, lui répondit-il avant qu'Eva ne le coupe.
- J'ai pas réussi à joindre papa...
Rien d'étonnant à cela. Puis, elle comprit que si elle essayait de joindre son père, c'était qu'elle aussi avait découché. Cela la fit doucement sourire qu'aucune des deux n'était un vendredi soir à la maison. Les temps changeaient.
- T'inquiètes pas, continua Blanche. Il doit dormir à poings fermés et laisser son téléphone en silencieux. Tu le connais... À mon avis, il va m'appeler tout à l'heure, quand il se réveillera.
- Ok. Tu as sûrement raison, marmonna Eva, épuisée, mais quelque peu rassurée.
- Tu te rends compte, c'est la première fois qu'il est seul à la maison un vendredi soir, s'amusa Blanche. Plus jamais, il nous laissera dormir dehors.
Eva rit à nouveau avant de bâiller alors que la fatigue la rattrapait. Elle n'avait pas dormi, trop inquiète et coupable pour sa meilleure amie.
- Va dormir avec ton prince charmant pendant que tu le peux encore, moi, j'ai encore un grand-père paternaliste à rappeler.
- Oh mince, s'écria Eva. Bon courage !
- Bonne nuit, lui répondit la jeune femme qui s'apprêtait à raccrocher.
- Attends ! S'écria Évanescence.
- Oui ?
- Ton petit ami a les cheveux bleus, tu m'as dit, alors qui est ce type qui a débarqué au bahut ?
Blanche jeta un coup d'œil à Argy qui dormait, les traits relâchés. Il était tellement mignon...
- C'est Benjamin, le fils du meilleur ami de ton père. On a fait connaissance et je l'aime bien. Il a un passé difficile et je sais pas... Je veux juste l'aider...
À l'autre bout, il y eut un silence, puis :
- Blanche, murmura Eva. Me remplace pas, ok ?
- Jamais, lui assura Blanche. Je t'aime.
- Je t'aime aussi.
La rousse sentit le sourire de la brune à travers le combiné, ainsi que son ton rassuré. Elle raccrocha, l'esprit plus tranquille. Sa meilleure amie se débrouillera très bien sans elle. Il le fallait.
Entre cet appel et le suivant, sa dette de sommeil s'accru. Elle envoya un message rapide, efficace à Asmodee et un autre à Sebastian. Pour son grand-père, en revanche, elle n'eut d'autre choix que de le rappeler.
Après tout, il s'agissait là de son empire. Une drakionne incapable de se reproduire ne pouvait pas hériter de son titre.
- Blanche ! Est-ce que tu es au courant ? S'écria son grand-père, frais comme un gardon.
La jeune femme comprit alors que son grand-père n'avait même pas encore fermé l'œil de la nuit, alors que demain soir ou dans quelques heures, il était l'un des invités d'honneur du Gala.
- Oui, grand-père, lui répondit-elle en soupirant. Je me doutais bien que cela allait fuiter un jour ou l'autre, en apprenant que j'étais une princesse drakionne disparue. Ce n'était plus qu'une question de temps. Je suppose que ça tombe mal avec le gala et tout...
- Est-ce que c'est vrai ? Je veux dire, le rapport du médecin.
Sa voix laissait transparaître son inquiétude.
- Oui, grand-père, tout est vrai, j'en ai bien peur.
Le silence se fit alors à l'autre bout de la ligne.
- As-tu demandé un autre avis ? Demanda-t-il enfin.
- Inutile, grand-père, Monsieur Ardachir l'a confirmé avec l'aide de ses contacts. C'est irrévocable, aucune magie ne peut m'aider, ils ont déjà fait tout ce qu'ils pouvaient pour me remettre sur pied.
- Je suis navré, ma chérie.
La douleur dans sa voix fit écho à la sienne, mais Blanche était courageuse.
- Moi aussi, grand-père. Je suis désolée. Est-ce que je peux te laisser ? Je ne suis pas à la maison et là tout de suite, j'aimerais un verre ou deux.
Elle voulait surtout lui laisser du temps pour réfléchir et n'avait pas envie d'entendre qu'il était obligé de lui retirer son nouveau titre tout de suite.
- Comme je te comprends, à ce soir, ma puce, je t'enverrais Jax, raccrocha-t-il d'un ton sans appel.
Blanche soupira une nouvelle fois. Il n'était même pas encore six heures du matin et elle savait que cette journée allait être anormalement longue. En plus de tout ça, l'épée de Damoclès, au-dessus de sa tête, commençait à peser lourd. Elle ne savait même pas si à cette allure, elle aurait le temps d'assister au Gala. Ses heures étaient comptées.
Après avoir essayé de se rendormir pendant une bonne demi-heure, elle laissa tomber. Armée des identifiants de Kiyan, elle surfa sur le DarkWeb tombant sur des posts, des articles qui parlaient d'elle.
C'était drôle de lire des avis de gens qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Les avis étaient le plus souvent négatifs, mais l'un des pseudos qui justement la défendait attira son attention. On aurait dit celui de... Roberto.
Mais cela n'était pas possible non ? C'était irrévocablement un humain. Comment un humain connaîtrait le monde surnaturel ? Cela n'avait aucun sens.
Mais Blanche n'eut pas le temps de s'y attarder. Argy se réveilla et avant qu'il ne l'apprenne par un autre, elle lui expliqua ce qu'elle avait fait avec Asher.
- Attends quoi ? T'as pas fait ça ! Et pourquoi Ash t'as aidé ?
Au saut du lit, il y a des sujets qui piquaient.
- Disons que je connais un de ses secrets...
- Tu fais du chantage à Ash ? C'est un bébé pixie ! Maman, t'abuses !
- C'est pas comme si j'allais réellement dire son secret...
Le téléphone d'Argy sonna, il montra alors l'écran à sa mère en faisant la grimace. Par mimétisme, elle fit la même chose en lisant le nom de l'appelant.
- Bon courage, moi, je vais me doucher.
Blanche l'abandonna à son triste sort. Elle n'avait pas envie d'entendre les remontrances de Kiyan.
***
Ce fut le petit déjeuner le plus gênant qu'elle ait assisté après celui où elle avait fait la rencontre de Sean. Le drakion lui n'avait pas fait comme si elle n'existait pas. Argy ne pipait mot, regardant tout à tour ses parents adoptifs. Kiyan s'était présenté à huit heures pour raccompagner Blanche et depuis, il ne l'avait pas quitté ni dit un mot de plus.
Sebastian avait insisté pour prendre le petit déjeuner avec eux. Que mange un vampire le matin ? Eh bien, rien. Le Roi se contentait de boire dans un gobelet opaque avec une paille de la même teinte qui ne trompait absolument personne.
Dean s'était à nouveau surpassé. Même Benjy en fut étonné.
- T'as mangé du lion ce matin ? S'exclama le gamin devant la quantité de plats sur la table.
Apparemment, ce n'était pas le service habituel. Blanche en eut la confirmation quand elle toucha à son jus d'orange qui contenait une bonne dose de whisky. Surprise, elle regarda Dean, qui lui répondit avec un sourire et un clin d'œil. Aucun doute, ce vampire savait un truc sur elle. Encore un dont elle ne savait pas encore ni comment ni pourquoi.
Kiyan peu dupe, renifla, dédaigneux. Encore une fois, son humeur exécrable l'entourait comme une seconde peau, ignorant tout le monde, portant son attention sur la décoration du bar-restaurant. Ce n'était pas comme si elle ne datait pas d'une décennie...
- Mon ami, mes pouvoirs veulent te dévorer, tellement ta colère déborde, soupira Seb. Laisse tomber cette histoire d'article, la semaine prochaine, la moitié d'entre eux seront passés au prochain scandale.
Kiyan esquissa un rictus en buvant son café, sans même y jeter un œil, toujours focalisé à l'extérieur de la table alors que sa colère semblait avoir redoublé d'intensité. Blanche jeta un regard à Argy qui fuya le contact, ce qui eut le don de lui mettre la puce à l'oreille.
- Oh, par tous les Dieux ! Murmura la jeune femme en blêmissant. Dis-moi que t'as pas fait ça ?!
Le gamin eut la décence de s'arrêter de manger, penaud, avant de baisser la tête. La jeune femme se pinça l'arête du nez. Super manquait plus que ça. Argy avait dit à Kiyan que Seb l'avait embrassé. L'homme était tout simplement jaloux. Après tout, elle avait embrassé tout le monde ici, sauf... Lui. Pour Kiyan, son alter ne comptait pas vraiment...
Son tuteur la regarda alors pour la première fois de la journée, alors qu'assisse à sa droite, elle avait osé poser sa main sur la cuisse ferme du guerrier. La surprise associée à son geste jeta un froid sur les flammes ardentes de ses émotions.
Blanche se tourna vers Argy, prête à le peiner, mais bon, il l'avait bien cherché.
- Je suis désolée, mais avec tout ce qui s'est passé, j'ai très mal dormi, malgré une très bonne soirée avec toi, Benjy, le reste..., lança Blanche en illustrant le reste de ses propos de sa main. J'aimerais rentrer à la maison, finir ma nuit, si tu veux bien, Kiyan.
Le sourire doux aux lèvres eut raison de la dernière goutte d'ire courroucé du professeur. Il reprit son masque stoïque, en attrapant la main de Blanche qui allait retirer la sienne, après avoir senti son mouvement de repli.
- Mais avant que vous ne partiez tous les deux, j'aimerais bien savoir ce que mon fils t'a fait, déclara le Roi un sourcil relevé.
Apparemment, le geste sous la table n'était pas passé inaperçu. Blanche activa mensonge, avant d'appuyer légèrement sur la main de Kiyan pour le prévenir.
- Oh et bien, Benjamin a sans aucun doute révélé à son oncle le nom de mon nouveau petit ami, menti la jeune femme en grimaçant, et il n'est pas très enjoué par notre relation. Bref... Je crois que nous allons vous laisser.
Elle joigna alors le geste à la parole en se levant, alors que Benjamin faisait une drôle de tête tandis que son père restait impassible sans la lâcher du regard, le nez dans son décolleté.
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