7. Ma Petite Blanchette


Le retour à la maison fut pénible, Kiyan et Eva étaient rentrés chez eux. Elsa avait plus d'une fois essayé d'engager la conversation pendant qu'elle conduisait jusqu'à la maison, mais sa fille était en proie au mutisme. Quoi de plus étonnant.

Elles finirent par s'allonger sur les canapés, bien au chaud à la maison. Sauf que depuis le départ de Kiyan, Blanche était morte de froid, si glacé à l'intérieur que rien ne semblait pouvoir la réchauffer. Elle était fichtrement mal en point, mais ce n'était rien comparé à sa mère qui avec le jetlag et la nuit blanche, c'était vite endormie.

Quant à la jeune femme, elle s'était mis un film romantique, très high-school histoire de s'ancrer encore plus dans la réalité, emmitouflée sous une montagne de plaids.

Somnolente, vers la moitié du chef-d'œuvre cinématographique, elle se leva, prise de panique. Rien à faire. Elle ne s'en dormirait pas, un point c'est tout. Résiliée, Blanche passa la journée à faire le ménage, à récurer les parties communes du sol au plafond. Vers dix-sept heures, on frappa à la porte.

Elle ouvrit sans même jeter un coup d'œil par le judas. Grossière erreur de débutant.

- Eva ! S'exclama-t-elle tout sourire.

Mais il se figea bien vite. Elle ne reconnut pas la silhouette de dos et pour cause, lorsqu'il se retourna, la main levée grattant sa tête penaude, elle ne put s'empêcher de se demander qui il pouvait bien être.

- Blanche ! Mais c'est ma petite Blanchette ! Prononça-t-il joyeusement, un sourire flippant aux lèvres.

Blanchette ? Sérieux ? La jeune femme ne put s'empêcher de pâlir.

- Enfin pas si petite que ça, continua-t-il en la regardant de nouveau.

De son regard perlait une lubricité auquel elle n'était pas habituée et sa peur qui ne l'avait pas quitté depuis ce matin se rappela à son bon souvenir.

- Désolé, je pensais pas tomber sur toi. Du moins pas ici. Elizabeth est là ?

Les yeux de l'homme, d'un brun banal, devinrent rouges, englobant tout l'œil. Plus de blanc, plus d'iris, qu'un rouge sang intense. Incapable de lui dire un mot, Blanche essaya de refermer la porte, aussi vite qu'elle pu. En vain, malgré ses nouvelles capacités durement acquises et dont il faut croire qu'elle comptait désormais là-dessus, il entra en la poussant avec force.

- C'est comme ça qu'on accueille un vieil ami ? S'exclama-t-il vraiment surpris.

- On se connaît ? Demanda Blanche sur la défensive.

Tout cela était purement théorique, elle savait très bien qu'elle ne l'avait jamais vu de sa vie, puisqu'elle n'oubliait jamais un visage.

- Ah ah, très drôle. Et d'ailleurs qu'est-ce que tu fais chez Elizabeth ?

- Ce ne sont pas vos affaires.

Il pencha la tête sur le côté, très surpris et ricana comme si elle venait de lui raconter une bonne blague.

- Si tu veux. Tu es seule ? Lança-t-il, quelque peu interrogatif.

Elle hocha la tête. De là où ils étaient, il ne pouvait pas vraiment voir le salon. Il pila net, ses yeux toujours entièrement rouges comme si c'était normal. Est-il ne serait-ce qu'humain ? Blanche faillit se mettre une claque. Tu veux qu'il soit quoi d'autre sinon ?

- Merde, après tout ce que j'ai fait pour elle, j'espérais qu'elle...

Il s'arrêta en se mordant la lèvre, puis il poursuivit sa réflexion :

- Je repasserai demain. Elle a tout intérêt à être là sinon dit lui bien que je dirais à qui veut l'entendre son vrai nom si je ne la tue pas avant. T'as bien compris ?

- Pardon ?

- Blanchette, dis-lui, c'est tout.

- Oui, oui, bugua Blanche.

Avait-elle bien entendu ? La tuer ?Comment ça son vrai nom ? Sans lui laisser le temps de quoi que ce soit, il repassa par la porte encore grande ouverte et s'en alla. Sans réfléchir, Blanche le suivit en refermant derrière elle. Son cerveau avait cramé, elle ne voyait pas d'autres explications. Quelle merveilleuse idée de suivre un inconnu dans son état...

Sauf que c'était peine perdue. L'homme s'était complètement volatilisé. L'avait-elle seulement vu ? Où était-ce là le fruit de son imagination débordante ?

Elle sortit cependant de la maison et referma la porte derrière elle. Maintenant qu'elle était dehors... En pyjamas, ressemblant à rien, elle fit alors le tour du pâté de maisons. Perdue dans ses pensées, elle tomba sur le parc bordant leur quartier résidentiel.

Elle allait faire demi-tour quand elle tomba sur un oiseau à terre, blessé et incapable de se relever. Compatissante, la jeune femme se rapprocha en douceur de l'animal à l'agonie. Elle ne mit pas longtemps à comprendre que le volatile était mourant.

Utilise Drainage. Mets fin à ses souffrances.

La voix de Fenrir la fit sursauter. Elle ne s'attendait pas à l'entendre ici ! Dans ce monde ! L'oiseau couina de peur et sa respiration se fit encore plus laborieuse. Blanche, dépassée par les événements, jeta un coup d'œil aux alentours, prise d'une crise de paranoïa aiguë. Puis, ne voyant personne aux abords, sa curiosité finit par l'emporter. Elle murmura alors l'incantation à voix haute et le petit animal s'immobilisa dans un silence parfait. Un ange aurait pu passer.

Force +1.

Pétrifiée, Blanche regarda la fenêtre bleutée apparaître et disparaître tout aussi vite qu'elle n'était apparue avant de reporter son attention sur la petite bête, qu'elle examina sous toutes les coutures. Elle était belle et bien morte. Fenrir n'avait pas menti. Elle avait le pouvoir de tuer quiconque d'un simple mot ! Le savoir lui monta à la tête et elle fut prise de vertige. Abandonnant la carcasse de l'animal, elle fit demi-tour jusqu'à chez elle, dans un état précipité et second.

- T'étais où ? L'agressa sa mère à peine remit-elle un pied à l'intérieur.

Cela eut le don de lui remettre les idées en place. Chaque chose en son temps.

- Avec un vieil ami, murmura Blanche.

Elle ne savait pas d'où lui venait cette soudaine certitude, mais personne ne l'appelait « Blanchette » à moins qu'elle le lui ait autorisé. Merde, c'était quoi son problème ?
À part bien sûr, le fait d'être techniquement morte, revenue à la vie et jouant au jeu d'un Dieu viking qui se passionne pour sa personne... Sans oublier la visite d'un inconnu qui lui semblait savoir qui elle était, sans compter sur « ses nouvelles aptitudes ».

- Il avait un truc urgent à me dire, poursuivit Blanche en fermant la porte derrière elle.

- De quoi voulait-il te parler de si urgent pour ne pas attendre lundi ?

- Oh pas grand-chose. Juste que j'avais un drôle de nom de famille. Tu comptais me le dire quand ? Demanda alors la rousse en croisant les bras en signe de défit.

Sa mère se décomposa comme jamais, ses yeux changèrent ensuite de forme et la lueur reptilienne qu'elle avait cru voir à l'hôpital, se transforma en deux véritables pupille fendu comme un serpent. Et c'était reparti pour un tour ! C'était officiel. Elle perdait la boule.

- Il a fait des recherches ? Demanda Elsa en déglutissant avec difficulté.

Blanche haussa les épaules, encore une fois, complètement prise au dépourvu devant les nouveaux yeux de sa mère. Cela n'allait pas tarder à être une mauvaise habitude à ce rythme.

- Merde ! Jura-t-elle. Au moment où... Fais tes bagages. Prends uniquement le strict nécessaire, on s'en va.

Sa fille la vit alors partie au quart de tour, rassemblant, passeport, argent liquide, clé. Voyant que cette dernière ne bougeait pas d'un iota, elle revint vers elle.

- Tu m'as entendue ? Bouge !

- Je n'irai nulle part.

Son ton fut catégorique. Pas moyen d'abandonner Eva et Kiyan. Jamais elle n'avait parlé aussi durement à sa mère. Ce qui expliqua, sans doute, le cri qui suivit et la bouche bée qui alla avec.

- Quoi ?

- J'ai dit, je n'irais nulle part. Je ne sais pas ce que tu fuis, mais moi, je ne bouge pas d'ici sans savoir le pourquoi du comment.

Puis sous ses yeux, toujours les bras croisés, elle se laissa tomber dans le canapé.

- Je ne suis plus une gamine. Il est grand temps que tu me racontes tout.

Épouvantée, Elsa la regarda de ses yeux reptiliens en respirant fort. Cela devait tout simplement être ses vrais yeux qu'elle avait enfin la capacité de voir. Elle ne voyait pas d'autre explication logique. À moins d'avoir été catapulté dans un univers parallèle. Ce qui pour finir pouvait être une explication tout à fait plausible... Après un monde secondaire, pourquoi pas carrément un nouvel univers ?

Puis sa mère hocha la tête pendant un bon moment avant de s'asseoir devant elle, posant ses affaires à ses côtés, d'autres préoccupations plus urgentes en tête.

- Bien. Tu veux vraiment tout savoir ?

Ce fut au tour de la jeune femme d'opiner même si elle était inquiète pour sa génitrice.

- Promets-moi d'écouter jusqu'au bout et surtout de ne pas me juger trop sévèrement s'il te plaît.

La juger ? Rien de ce qu'elle pouvait dire ne pouvait être pire que l'annonce de sa mort encore fraiche. Enfin, ça, c'était ce qu'elle croyait, car il y avait pire.

Bien pire.

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