47. Le Cadre Photo


Elle se faufila par-derrière la maison, car elle savait que la porte donnant dans le jardin n'était jamais fermée. Ce fût également le cas aujourd'hui. Sans un bruit, elle poussa la verrière de la piscine puis longea cette dernière alors que la buée se colla à sa peau. Cette piscine était toujours chaude, peu importe l'heure du jour ou de la nuit.

Elle entra dans le salon et fila au premier étage.

Devant la porte fermée de la chambre de Kiyan, elle n'hésita qu'une seconde avant de l'ouvrir. L'intérieur était toujours aussi sublime. Elle avait l'impression d'être soudain dans un palais des mille et une nuits d'Orient avec ses teintures et ses drapés. Les bougies, les lampes à huile ainsi que ces nombreux miroirs et tiroirs rivetés.

Elle posa son sac par terre, puis elle s'assit sur le lit. L'odeur du propriétaire embaumait l'espace. Blanche se surprit à humer l'air tellement son parfum était enivrant. Elle attrapa le cadre photo, le cliché représentait Eva et elle a peine âgée de quelques années, aussi soudée qu'à ce jour.

Toutes les deux souriantes. L'une pleine de gaité et l'autre, avec un brin de mystère qui illuminait ses yeux.

Elle suivit les consignes d'Alacazar et tomba nez à nez avec un second cliché qui lui fit battre son cœur à un rythme irrégulier. Sur la seconde photo, il y avait une voiture, qu'elle reconnaît sans peine. Sur le capot, un couple regardait l'objectif en souriant main dans la main.

Ce fut facile de reconnaître Kiyan, même en noir et blanc, ce fut plus dur de se voir dans une longue robe à fleur, avec une bague de fiançailles et une alliance. Ses cheveux relevés montraient la boucle d'oreille qu'elle avait reçue le matin même.

Ils avaient l'air si heureux. Ils étaient canon ! La voiture, un peu de biais, laissait voir la plaque d'immatriculation. Elle remarqua sans peine les premières lettres qu'elle avait vues sur la caméra de surveillance.

Elle tourna la photo où quelques lignes de sa main y étaient griffonnées à l'encre noire d'un stylo plume.

« Pour mon âme sœur, mon mari, qui m'a offert un si joli bolide. Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerais à jamais. B. Le 8 octobre 2005. »

C'était sa voiture ! Son auto qui lui était rentrée dedans ! Mais qui l'avait actuellement ?! Une horrible pensée lui traversa l'esprit, qu'elle chassa aussitôt. Jamais Kiyan ne l'aurait fait exprès de foncer sur elle ou sur sa fille. Mais il devait savoir qui.

Elle savait où elle pourrait trouver la réponse. Alors, elle remit la photo à sa place et la seconde devant. Elle reposa le cadre pile à l'endroit où il était grâce à sa mémoire photographique et passa une main sur les draps pour les lisser comme à son arrivée. Elle remarqua alors son oreiller. Là dans le lit de Kiyan. Elle s'approcha et le renifla. C'était bel et bien le sien au beau milieu de son lit. Elle le remit en place, rouge comme une tomate.

Pourquoi avait-il son oreiller à elle dans son lit à lui ?!

Son œil aguerris tomba sur la photo de l'enfant qui trônait sur la commode. Elle a reconnu sans peine, son air de chenapan. C'était Argy. Souriante, elle sortit en refermant la porte.

Enfin, elle descendit, rejoignant le bureau de son professeur. Elle y entra et parcourut la distance qui la séparait du miroir. Sans un regard en arrière, elle y entra.

C'est Cassie qui l'accueillit avec un sécateur à la main entrain de tailler les arbustes de l'allée. Elle était douée. Ses sculptures ressemblaient toutes à des créatures mythiques, jusqu'à une belle chimère mi-scorpion, mi-lion.

- Maîtresse !

- Cassie.

- Je suis heureuse de vous revoir, lui confia la jeune femme avant de poser sur l'herbe son ustensile et ses gants.

- Moi, également.

- Maîtresse, nous avons actuellement de la visite.

Blanche s'étonna et s'arrêta de marcher. Elle ignorait ce que cela pouvait bien signifier. Cassie qui comprit à l'air perdue de sa maîtresse lui expliqua.

- Un de vos serviteurs, maîtresse, monsieur Daryl est dans le bureau, puis-je vous y conduire ?

Daryl ? Le familier d'Argy ? Blanche réfléchit une seconde, puis acquiesça.

Ainsi, elle se retrouva rapidement assise dans un fauteuil, un cocktail au rhum à la main devant un bel homme, un métamorphe à vue de nez plongé dans ce qui semblait être ses comptes.

Brun à larges boucles, bien dessiné comme les nanas dans les films d'époque... des Anglaises ! Les yeux marron mouchetés d'or, concentré à parcourir ses écrits. Au bout de cinq minutes, Blanche commença à en avoir marre.

Comment en était-elle arrivée là ?

- Daryl ? Demanda la rousse.

- Maîtresse ?

- Comment diable ai-je pu soumettre un métamorphe et un familier ? Grogna Blanche en buvant un coup.

C'était son deuxième verre et visiblement, le descriptif des compétences était à chier. Ils avaient oublié de mentionner que les poisons, peu importe sous quelle forme, ne lui feraient également plus aucun effet. Ce qui veut dire qu'il était impossible pour elle désormais de se soûler. À la bonne heure !

Heureusement, Cassie, savait faire les cocktails comme personne. On ne sentait même pas l'alcool, juste le goût des fruits et du sucre.

- J'ai essayé de vous tuer, bien que leurs Grâces m'avaient interdit de vous faire du mal. Ils vous ont laissés le choix de me punir. Et depuis je vis ma meilleure vie.

Blanche soupira. Ces subordonnés avaient tous l'air heureux de leurs sorts. C'était déjà ça.

- Grâces ?

- Sa Grâce Odin et son petit-fils, sa Grâce Fenrir.

Elle fut heureuse d'apprendre qu'elle était bien considérée, avant de remarquer, avec curiosité, que ses sourcils se fronçaient. Il n'avait pas relevé ses yeux, pas une seule fois depuis qu'elle avait mis le pied dans son propre bureau.

- Bon, je peux savoir ce qu'il se passe ?

Daryl leva enfin la tête, le regard rempli d'une grande détresse, il soupira et se balança en arrière sur le fauteuil rembourré.

- Votre manoir, maîtresse, est en dehors du continuum espace-temps. Est-ce que vous savez ce que cela signifie ?

La jeune femme acquiesça. Il pouvait venir de n'importe où et de n'importe quand.

- D'après les textes de Cassian, vous êtes à l'aube de votre vie. Or, je fais face à un dilemme. J'ai besoin de vous, seulement je viens actuellement du futur.

- Quel est le problème ?

Daryl hésita un instant, avant de se lancer.

- Disons, hypothétiquement, que vous avez oublié qui vous étiez. Que j'aie la possibilité de faire en sorte que vous vous souveniez de qui vous êtes. Mais voilà, vous êtes heureuse telle quelle, sauf que sans vous et vos capacités, les mondes courent à leurs pertes. Que dois-je faire ?

- Hypothétiquement ou pas, moi, oublier ? Impossible.

Les yeux de Daryl s'étrécirent, balayant d'un geste l'argument.

- Admettons, reprit la jeune femme, pensive. Dans l'intérêt commun, je préférais me souvenir de qui je suis et aider du mieux que je peux.

- Vous êtes ma maîtresse, votre bonheur m'importe plus que tout. Je ne vis que pour vous servir. Mettre en péril ce bonheur revient à renier ma fonction première.

La jeune femme réfléchit.

- Est-ce que dans ce cas hypothétique, je me souviens d'Argy et d'Aaron ?

- Non.

- Dans ce cas, c'est pas possible que je sois heureuse. Est-ce que si je t'ordonne de me rappeler qui je suis, ça t'aiderais ?

Daryl sourit alors.

- Beaucoup.

- Dans ce cas, je te l'ordonne.

Le jeune homme éclata de rire.

- C'était si simple que ça ? Deux jours à me casser les dents dessus...

Daryl se leva de la chaise, s'inclina devant sa maîtresse puis s'en alla, comme s'ils n'avaient pas discuté d'un avenir possible.

Bah ! Le futur lui réservait visiblement bien des surprises. Au moins, était-elle, hypothétiquement bien sûr, vivante. Du moins jusqu'à ce qu'elle soumette Daryl.

Alors la rousse quitta le bureau pour se réfugier dans sa chambre.

Après tout, elle était venue dans le but de lire ses journaux. Et qui mieux pour lui dire ce qui se passera qu'elle-même ?

Elle reprit sa lecture, là où elle s'était arrêtée.

Avant même de comprendre, une semaine entière passa dans son havre de paix.

Elle nagea, jardina, passa du temps avec Cassie pour qui elle se prit d'affection. Elle essaya même d'apprendre à cuisiner, mais devant les visages remplis d'effroi de la fratrie, elle comprit qu'elle ne serait jamais douée en cuisine.

Elle avait cependant continué son entraînement auprès de Cassian qui était doué en arts martiaux. Avec lui, elle apprenait plus vite, mais ses gestes étaient moins précis. Elle comprit alors la force des cours de Derek et se promit de ne plus se plaindre.

L'après-midi et ce qu'elle pensait être le soir, elle les passait à lire et à apprendre tout en sirotant des verres de poisons de toutes sortes. Jin, whisky, vodka, cidre... Elle n'avait que l'embarras du choix.

Le manoir était pourvu d'une magie qui dépassait l'entendement. La nourriture y était abondante et le soleil éternel.

Mais les autres commencèrent à lui manquer. Bien qu'ayant peu de réponses à ses questions avant que mille autres apparaissent, elle se décida à quitter le manoir.

Cependant, aucune trace de la personne qui possédait son véhicule à même de la renverser... D'ailleurs, plusieurs passages manquaient à l'appel, comme si elle l'avait fait exprès pour qu'elle puisse les découvrir comme tout le monde.

Frustrée, désappointée et avant qu'elle ne se fasse repérer dans les environs, elle reprit le chemin du campus.

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