40. Le Frère Jumeau


Eva l'intercepta en lui jetant alors un regard des plus inquiets.

- Tu vas où comme ça ?

- À la bibliothèque.

- La bibliothèque ?! T'es sûre qu'elle est encore ouverte ? Je veux dire que depuis la création du web, plus personne ne lit de livre, tu sais...

- C'est justement ce que j'allais vérifier, répliqua Blanche.

Eva, la sonda un instant et comprit qu'elle était très sérieuse. Elle gémit alors, mais finit par la suivre.

- Un lundi. Elle a décidé de sécher les cours un lundi, alors qu'il nous faut étudier encore quatre jours entiers ! Tu sais même pas où est la bibliothèque et moi non plus...

Voilà qui n'était pas entièrement faux...

- Au premier étage, lança ensuite Arthur, juste derrière eux.

Sans grande surprise, ils avaient fini par les suivre, Roberto et lui. Tandis que le couple en avait profité pour rester dans leur bulle.

- Comment tu sais ça, toi ? Lança le bébé djinn.

- J'y vais de temps en temps, répliqua-t-il.

Ses trois acolytes s'arrêtèrent et le regardèrent comme s'il ne l'avait jamais vu auparavant.

- Bah quoi ?! Reprit-il gêné. C'est super calme. Vous aussi, vous iriez souvent si vous partagiez votre chambre avec Rémy et sa copine... Quand ils sont lancés ces deux-là, ils oublient que je suis là.

Eva écarquilla les yeux alors qu'Arthur les devança. Un Roberto sur ses talons. Les deux jeunes femmes emboîtèrent le pas.

- Si tu veux, je peux toujours demander à l'admin de nous faire changer de chambre. Ça ne me dérange pas, moi, de mater...

Blanche leva les yeux au ciel en entendant les propos de Roberto qui venait de passer son bras au-dessus de l'épaule du rouquin.

Ils arrivèrent donc à la bibliothèque et contrairement à ce qu'Eva croyait, celle-ci était chaleureuse, silencieuse et surtout moins vide qu'elles ne l'aurait cru.

Les étagères et le sol étaient en bois sombre avec des reflets roux. Le parquet assemblé en dalle, chacune agrémentée de plusieurs morceaux qui s'emboitaient les uns aux autres. Les boiseries étaient taillées avec minutie et le temps passé n'avait en rien altéré leurs beautés. Bien au contraire, poli, ils s'illuminaient au soleil grâce aux multiples vitraux qui donnaient d'étonnantes lumières.

Les jeunes femmes n'y étaient jamais allées puisque la collection personnelle de Kiyan à la maison était suffisamment fournie. Que Roberto, lui, l'ignorait aussi était normal, grâce à la richesse de sa mère et à son amour pour l'informatique.

Tout de même, se dit Blanche, qu'elle ignorait autant de choses de sa propre académie, lui remit les idées en place. En fait, comprit-elle, elle ne s'était pas vraiment intéressée à son entourage... Pour quelqu'un avec des facultés comme les siennes... C'était du gâchis. Il était grand temps de se réveiller. Elle avait peut-être eu besoin de son accident comme d'une grande claque que lui avait donnée l'Univers.

Elle délaissa ses amis au rayon romans et passa quelques minutes dans les rayonnages à la recherche de plusieurs livres sur les dieux nordiques et les coutumes des vikings. Elle en prit deux qui lui paraissaient complets. Puis, elle passa en démonologie et récupéra un autre sur les différents démons. Voyant qu'un autre faisait mention de Lilith, elle le prit également.

Les rayons et la bibliothèque en elle-même étaient propres. Parfaitement rangée et bien fournie. Après tout cette école était réputée pour ses excellents enseignements. La bibliothécaire lui jeta un regard étrange. Blanche pensa à tort que c'était dû aux titres que la jeune femme avait pris. Mais la bibliothécaire les lui donna tout de même sans un mot.

Enfin, jusqu'à ce qu'elle lui demande à quel nom elle devait l'enregistrer.

- Blanche Callahan.

Cette dernière fronça les sourcils, hésita un instant avant d'écrire. Son aura se perturba, fragile. Elle sombra dans l'obscurité avant de reprendre sa forme orangeâtre d'origine.

La rousse regarda alors correctement la bibliothécaire. Jeune, à peine âgé d'une trentaine d'années, d'une beauté sans pareil, ses yeux miroitèrent un instant derrière ses verres épais. Elle aurait mis sa main à couper qu'elle n'était pas humaine.

- Étrange, j'aurais juré que vous portiez un autre nom.

Sur ces paroles énigmatiques, la bibliothécaire retourna à ses occupations. Arthur accourut alors et la tira un peu plus loin.

- Qu'est-ce qu'elle te voulait ?

La jeune femme haussa les épaules, les sourcils froncés, pendant que cette dernière était partie ranger des livres entre les rayonnages.

- Tu sais qui c'est ? Lui demanda-t-il.

- Nop, pourquoi ?

- C'est mademoiselle Morigéna, on raconte qu'elle a eu une histoire d'amour tragique quand elle était élève ici. Elle serait sortie avec un de ses profs. Il aurait fini en taule pour atteinte sur mineur... Tu sais. Quoi. Depuis, elle travaille ici, attendant son retour. C'est à peine si elle cause, la pauvre.

Blanche haussa un sourcil, regardant Arthur qui jeta un regard de pitié à la jolie dame. Elle ne put s'empêcher de faire l'analogie avec ses sentiments pour son professeur d'histoire.

Elle secoua la tête, chassant ses sombres pensées, alors que le reste de la bande les rejoignait prêt à décamper.

La joueuse finit par laisser tomber les garçons et même Eva pour aller poser ses livres dans leur chambre. Mais en arrivant sur place, elle découvrit Phénix sous sa forme de chat dormant dans ses draps.

- Ça va ? Tranquille ? Je te dérange pas ? Maugréa la jeune femme.

Je m'ennuie.

Déclara-t-il en bâillant, lui montrant sa dentition de carnivore et sa longue langue rose.

Il en profita pour s'étirer.

Je viens de finir un shooting de cinq heures...

- Et moi, un rendez-vous avec Kiyan à la tour du nord, suivi d'un cours de self-défense intensif avec un psychopathe et de trois heures de cours désolants. On échange ?

Il regarda alors ses livres, dont elle venait à peine de se délester en les posant sur son lit.

Oh, on révise ses classiques ?

La jeune femme jeta un coup d'œil à sa pile et prit le premier qui lui tomba sous la main. Une plaque en verre s'y échappa. Aussi fine et grande qu'une pièce de monnaie.

Où est-ce que tu as eu ça ?

Blanche lui raconta alors son passage à la bibliothèque.

Étrange. Ton truc là, c'est une forme de paiement. Une dette acquittée par un sorcier ou un mage. Elle est rouge et quand la dette est payée, elle devient blanche, comme celle-ci. Normalement, il y a une gravure sur le côté indiquant le nom du mage ou du sorcier à qui elle appartient.

Blanche regarda alors de plus près. En effet, sur la tranche de la pièce, un nom était gravé à l'encre noire.

- Jeremy Nolan, murmura-t-elle. Qui est-ce ?

Le mage le plus puissant de sa génération et accessoirement le frère jumeau de D.

Blanche s'étonna.

- D a un frère jumeau ?

Phénix s'étira alors de tout son long pour mieux se repositionner. Il bâilla à nouveau avant de fermer les yeux, sans donner la moindre explication supplémentaire. La jeune femme haussa les épaules. Bah, elle en saurait davantage dans son manoir. Ce n'était que partie remise.

Elle s'assit et attrapa le bouquin sur les dieux en commençant par Fenrir, tout en caressant distraitement Phénix qui commença à ronronner. Il était temps de parfaire ses connaissances sur des choses qui la concernaient vraiment.

Le démon s'installa sur elle et finit par s'endormir pendant qu'elle parcourait alors son premier livre. Elle ignora depuis combien de temps elle lisait quand la porte s'ouvrit sur une Eva furieuse.

- Merde, Blanche, tu fais chier !

Étonnée, encore plongée dans sa lecture, elle fit l'effort de se détacher de sa page plus que passionnante et regarda sa meilleure amie, dont le regard lançait des éclairs. Dommage qu'elle y était immunisée.

- Pardon ?

- Il est où ton téléphone, sérieux ?!

- Dans mon manteau, répliqua la jeune femme, en reprenant sa lecture.

Évanescence alla alors le lui chercher et le lui balança près de sa hanche, ce qui réveilla son familier. Celui-ci jeta un regard assassin à son amie avant de se lever, et de monter sur les genoux de sa maîtresse. Blanche posa son livre le temps qu'il se réinstalle et jeta un coup d'œil à son téléphone.

En silencieux, elle avait oublié de le remettre en mode normal depuis sa visite de ce matin à la Tour du Nord.

Elle n'avait pas loin d'une dizaine d'appels manqués et plusieurs textos d'Eva, d'Olivia, de Rémi, d'Arthur et même de Roberto. Voyant l'heure, elle se figea.

- Merde ! J'ai loupé le dîner, gémit-elle.

- Ouais ! Et y a pas que ça que t'as loupé ! Bouda Eva en lui donnant un coup de pied à ses jambes levées qui dépassait à peine de son lit.

Puis, elle lui jeta son propre oreiller en pleine figure alors qu'elle s'asseyait à ses côtés, non sans avoir fait bouger les deux autres livres. Elle se blottit contre sa meilleure amie sans lui demander son avis.

- Les gars se sont fait gauler par ta faute. Depuis quand on a un chat ? Demanda soudain Eva, en se relevant.

Ah oui. C'est vrai. Phénix cessa d'un coup de ronronner. Merde alors.

- Ton père me l'a offert ce matin. Cadeau de sortie d'hôpital ou un truc du genre...mentit éhontement la jeune femme.

Le démon fit battre alors sa queue, agacé.

- Il a l'air de bien t'aimer... Je savais pas qu'on pouvait avoir des animaux dans le dortoir.

- On peut pas, confirma son amie.

Eva cligna des yeux. Avant de laisser tomber. Blanche restait... Blanche.

Distraitement, la rousse caressa de nouveau son familier et son ronronnement résonna dans le silence de la pièce. S'ennui y est-il vraiment ou avait-il eu envie de la voir ? Et puis, ce n'était pas comme si elle avait réellement le choix, si ? Phénix était désormais son familier, qu'elle le veuille ou non... Et elle savait dorénavant que démon ou pas, elle lui faisait entièrement confiance pour lui avoir montré son manoir et tout ce qu'il renfermait. Quoi qu'en dise Fenrir.

- Ça te dérange s'il reste ? Continua Blanche.

- Non, pourquoi ? Bien que ça m'étonne tout à coup. Tu n'as jamais évoqué le fait d'avoir un animal. Je veux dire que d'aussi longtemps que je m'en souvienne, tu n'as jamais émis le désir d'avoir une boule de poil à la maison.

- Je crois bien qu'il y a plein de choses maintenant que j'ai envie d'avoir, révéla Blanche.

- Un petit ami ? Lui demanda Eva, sur le qui vive. Je sais bien que tu as toujours dit les études...

- Oui, la coupa-t-elle.

Puis, Blanche percuta et se maudit ! Elle n'aurait pas dû dire ça...

- Avant... Attends quoi ?! Sérieux ?!

- Oui.

- Blanche ?

- Oui ?

- C'est bien toi ? Genre, quelqu'un n'a pas pris ta place dans ton corps ? Une réincarnation ou un truc du genre, dit ? Continua-t-elle inquiète.

- Ahaha, ricana la rousse. Très drôle.

- C'est quoi la première chose que je t'es dite ?

- Si je voulais bien te prêter mes cheveux.

- Nan, tu déconnes ! J'tai vraiment demandé ça ? S'exclama-t-elle. Enfin bref, c'est pas comme si tu n'avais pas le choix entre Roberto et Arthur.

- Hein ? C'est quoi cette histoire ?

- De ? Le fait qu'ils en pincent pour toi ou le fait qu'ils sont punis pour avoir tenté de mettre les pieds dans le dortoir des filles ?

Blanche la regarda perplexe.

- Répète-moi ça.

Ce que fit Eva en soupirant.

- C'est pas vrai, tu vois pas leurs yeux ? Ils ont des étoiles dedans tellement ils sont in love de toi...

Hahahaha !

Le rire de Phénix résonna dans son esprit alors qu'il se tournait sur le dos pour que Blanche lui gratte le ventre.

- Tu plaisantes ?!

Eva frotta ses yeux, puis toutes deux continuèrent à discuter tard dans la nuit. À se retrouver. Cela faisait du bien d'être enfin seules. Le week-end avait été mouvementé. C'est peu de le dire.

Ils finirent par rassembler ses livres sur son bureau et elle ignora comment mais, Eva s'installa dans ses bras, coincés comme des cuillères dans son lit, sous la couette et Phénix au-dessus de sa tête sur l'oreiller. Dos à la porte, Blanche la protégeait sans même s'en rendre compte. Elle dut s'assoupir la première, car elle entendit une dernière fois la voix d'Eva qui résonna dans sa tête avec douceur avant de finir dans les bras de Morphée.

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