39. Derek


Monsieur Ardachir la ramena à l'Académie. Il ne décrocha pas un mot du trajet, même quand elle s'aventura à lui poser quelques questions sur cette façon qu'a eu la vidéo de «disparaître »aussi soudainement. Il l'ignora simplement et superbement.

Elle n'insista pas davantage, mais cela lui mit tout de même un sacré coup de pied au moral. Quand on dit que le pire mal, c'est d'être ignoré par la personne que l'on aime le plus au monde, c'est vrai. Même mourir lui avait semblé moins douloureux. Et elle savait de quoi elle parlait.

Tout le restant des cours jusqu'au déjeuner, long de deux bonnes heures, Blanche le passa dans un état second. Eva voyait bien que quelque chose n'allait pas et la laissa tranquille. En fait, toute la classe fit de même en lui lançant parfois d'étranges regards. La jeune femme remarqua que tous ses camarades étaient humains, comme si la population magique n'avait jamais mis le pied dans son bahut.

Ou étaient les autres ?

Même le prof la laissa dans son coin, encore plus qu'habituellement. Jusqu'à ce qu'elle se rappelle que c'était sa première journée de cours depuis l'accident. Comment était-ce possible ? Et dire que pour elle, cela remontait à presque à quinze jours déjà...

Puis, elle pâlit, elle venait de comprendre qu'à ce rythme-là, en un mois, sur Epsilon, elle vivrait cinq de plus en Outremonde. Ce qui faisait qu'elle n'allait pas tarder à fêter ses dix-sept ans... Dans moins de deux mois !

Tant de choses s'étaient passées depuis et elle avait encaissé tellement d'infos que ce qui semblait encore neuf pour les autres était du réchauffé pour elle. Apparemment, ils étaient au courant qu'elle avait eu un incident de voiture qui s'était soldé par plus de peur que de mal. Enfin, ça, c'était la version officielle. Parce qu'elle se souvient d'avoir eu bien mal et bien peur.

À midi, Roberto et Arthur se disputèrent pour lui prendre son plateau et le porter pour elle devant un Rémi ricanant avec sa petite amie Olivia. Avec Blanche et Eva, ils formaient, à eux six, la petite bande d'intellos de la classe.

Blanche, contrairement à Eva, ne les considérait que comme des camarades de classes. Enfin, ça, c'était avant. Les amis de sa meilleure amie avaient fini par devenir les siens, à force de révisions, de devoirs maison, de parties piscine chez leur prof d'histoire ainsi que quelques sorties shopping et ciné.

La jeune femme laissa les garçons se débrouiller. De toute façon, elle n'avait pas très faim. Résultat des courses : Roberto avait gagné et lui rapporta un véritable festin à leurs places attitrées.

Roberto, un brun avenant, la peau mate, les yeux noirs, se savait beau garçon et il en jouait, arrogant tout comme Blanche. Ils avaient fini par s'apprécier à force de jouer à celui qui pisserait le plus loin. La jeune femme avait gagné. Avec une mémoire comme la sienne, c'était couru d'avance.

Enfant unique, fils de la proviseure, il était naturellement devenu ami avec Eva dont le père était professeur de son établissement. Lui-même, ami de longue date avec Rémi, petit ami d'Olivia. Le meilleur ami de celle-ci, Arthur, avait fini par se greffer simplement au groupe.

Rémi, un blond avec des sous-tons blancs, sportif et grand, avait craqué pour la petite poupée dorée, blonde aux yeux bleus. Quelle fut sa surprise quand il comprit qu'elle était aussi belle qu'intelligente.

Ses deux là étaient tombés amoureux l'un de l'autre en même pas une semaine. Une belle caricature du coup de foudre de lycéen qui se mariait à vie après. Mais la demoiselle n'était pas parfaite, elle avait un meilleur ami, Arthur. Rémi a bien vite compris que s'il voulait la jeune femme, il devait prendre le rouquin aux yeux verts en considération. Heureusement, celui-ci s'intéressait plus à la musique qu'à la gente féminine.

Les deux jeunes hommes avaient fini dans la même chambre. Bien mal leur en prit. Si les garçons n'avaient pas le droit d'aller dans le dortoir des filles, la réciproque n'était pas nécessairement vraie. Situation cocasse, qui amusait Roberto et Blanche.

À table, la joueuse regarda ses amis comme si c'était la première fois qu'elle les voyait. Ils discutaient entre eux d'un événement qui s'était passé en heure de permanence ce matin-là. Mais ce qui l'intéressait davantage étaient leurs auras.

Celle de Roberto était plus claire qu'elle ne l'aurait cru. Jaune pâle, rose clair sur un fond violet fade. Parcourue de filaments rouges, tout comme celle d'Arthur. Cette dernière était d'un bleu tendre, sur un orange pétant. Celle d'Olivia était entièrement rose vif sur un petit fond noir.

Elle était convaincue que toutes ses couleurs devaient avoir une signification. Sa fenêtre bleue s'activa à ce moment-là, lui montrant sa compétence « d'aura » montée au niveau cinq clignota. Faisant semblant de grignoter quelques frites, tout en lisant, elle comprit rapidement ce que le système tentait de lui dire.

- Elle mange ? Mince alors, moi qui croyais qu'elle allait se laisser mourir de faim ! S'écria Roberto.

Il se prit alors un coup de coude d'Eva.

- Ce qui est mort, c'est ton tact légendaire, répliqua Blanche qui laissa tomber les frites et s'attaqua à son dessert.

Une salade de fruits au sirop. Pendant que les autres riaient, heureux de retrouver leur Blanche, elle remarqua qu'à chaque fois que Rémy et Olivia rentraient en contact, par un bisou, une caresse, leurs auras respectives faisaient de même. Puis elle, finit alors par distinguer, juste au-dessus, une fine corde les reliant tous deux. Tiens, c'était nouveau ça.

Malheureusement, elle n'eut pas le temps de s'attarder dessus. Devant ses yeux ébahis, une lueur attira son attention. Un homme blond dans la quarantaine qu'elle connaissait très bien entra dans le réfectoire, illuminé par un halo blanchâtre, sans que personne le remarque. Bougeant en faisant attention de ne heurter personne, sans le moindre bruit, son tortionnaire arriva jusqu'à elle. Quand leurs regards se croisèrent, Derek écarquilla les yeux.

Elle le voyait ! Pour le lui confirmer devant son air déstabilisé, elle hocha la tête avec prudence. Il lui fit signe alors de le suivre. En soupirant, la jeune femme prit congé de son groupe et suivit alors le fantôme hors des murs.

Il l'emmena sans un mot jusqu'au bâtiment principal, là où il y avait les salles de classe. Jusqu'au dernier étage, puis dans une aile abandonnée depuis longtemps où avaient lieu encore quelques activités, comme une salle de conférence pour les conseils disciplinaires. Chose qui n'arrivait quasiment plus depuis que l'école était passée dans le privé.

Il lui montra un accès qui avait été condamné menant à un escalier qui lui-même débouchait sur un grenier. Blanche fut sidérée. Elle n'avait jamais visité à ce point l'académie. Une seule et unique lucarne éclairait une pièce d'une bonne centaine de mètres carrés.

- Comment est-ce que ? Balbutia-t-elle.

- Kiyan, lui répondit-il.

Bien sûr. Qui mieux qu'un prof pouvait savoir pour... Eh bien tout.

- Comment t'as fait pour me voir ? L'interrogea-t-il, alors que la lumière autour de lui s'atténuait avant de disparaître.

- C'est un sort d'invisibilité ?

Derek hocha la tête avant de hausser un sourcil. Elle soupira, son professeur n'aimait pas se répéter.

- C'est l'une de mes compétences spéciales, je vois tout ce qu'on essaye de me cacher.

- Pas mal. C'est un bon avantage. Tous les midis, je t'attendrai ici. Je t'apprendrai en premier les mouvements d'autodéfense.

- Quoi ?! Même au lycée ? Sérieux ? Répliqua la jeune femme.

Le regard que lui lança Derek lui suffit. Bizarrement, il était habillé comme à la caserne avec son pantalon militaire et son débardeur à large épaules bien que moulant et noir. La seule différence était sa veste d'aviateur et ses lunettes de soleil à s'y méprendre à celle des flics, qui pendait de son haut.

La jeune femme remarqua tout de même, la lame fichée dans la doublure de son pantalon. Une épée faite du même composé intrigant que les alliances de Kiyan/Aaron. Et autour quelque chose émettant une lumière rouge, sans pouvoir la distinguer à cause de la luminosité ambiante, quasiment inexistante.

- C'est quoi ça ?

- Bien évidemment, fallait que tu puisses la voir aussi. Ça ma belle, c'est pas tes oignons. Maintenant, retire ton manteau, on a du pain sur la planche.

Faisant comme si elle ne savait pas déjà de quoi il en retournait grâce aux journaux, elle devint capricieuse :

- Mais je suis en jean !

Derek l'attaqua alors et Blanche esquiva à la dernière seconde.

- Bien, la semaine a déjà été payante, murmura l'homme, alors qu'il se mettait en garde. On va voir ce que tu as retenu de plus, princesse.

La jeune femme comprit que c'était inutile de discuter et se positionna elle aussi. Il lui montra un mouvement et elle passa la demi-heure qui lui restait à le refaire, encore et encore. Jusqu'à atteindre la perfection. Son nouveau prof était exigeant, même ici, et son caractère encore plus cinglant. Comme si c'était possible.

Il la laissa filer cinq minutes avant la reprise des cours. Avant de partir, Blanche lança repos devant l'œil perçant du joueur expérimenté. La jeune femme avait remarqué qu'elle se sentait mieux après l'avoir utilisé, comme s'il se chargeait aussi de ses altérations physiques comme les crampes et la revigorait. Pour le lui prouver, à la fin du sort, elle se sentait en forme, fraîche et dispo sans la moindre courbature.

- La classe des mages noirs, c'est vraiment cheaté, grogna l'épéiste.

Blanche pencha la tête. Elle n'avait rien à redire à ça. C'est vrai qu'elle avait de nombreux avantages...

Derek ramassa ses affaires et disparut en un claquement de doigt. Le connard s'était téléporté sans même un au revoir. La jeune femme récupéra à son tour son manteau et se dépêcha de retourner en cours.

Le cœur lourd, l'esprit embrumé par la journée qui n'était même pas encore terminé lui faisait presque regretter la pureté de l'Outremonde. Et sachant qu'elle avait perdu ce matin les deux seules heures de cours où elle aurait pu voir la seule personne qui lui faisait complètement tenir bon. Il lui tardait d'être au soir, dans son lit, pour pouvoir voir son alter égo qui lui semblait plus sympathique et enclin à lui parler.

Après la première heure de cours de l'après-midi, Blanche pensa être maudite. Le temps avait, paraît-il, décidé de jouer avec ses nerfs tellement il passait avec lenteur. Elle s'ennuyait ferme.

Ce qui la décida à sécher le reste de l'après-midi pour se faufiler discrètement jusqu'à la bibliothèque. Enfin ça c'était, son plan de départ...

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