37. Sebastian Le Retour


Kiyan se gara devant l'entrée. Phénix, qui avait compris qu'il ferait mieux de partir, disparut après avoir pressé son nez tout froid de chat contre celui de la jeune femme.

- Pas un mot à partir de maintenant, gronda monsieur Ardachir en la regardant droit dans les yeux, alors qu'ils commencèrent à gravir les marches de l'entrée. Les murs ont des oreilles, n'est pas qu'une expression ici.

Blanche fit la moue, pour bien se faire comprendre. Il lui sourit en retour, amusé.

- Je sais bien que tu n'es pas idiote. Mais je préfère prévenir que guérir, contrairement à d'autres.

Elle grimaça alors. Mouais... Pas faux. La rousse leva les yeux au ciel et consentit à fermer sa grande gueule pour une fois. Enfin, non, elle s'aperçut qu'elle l'avait souvent fait ses derniers temps.

Il ouvrit galamment la porte et la laissa entrer en première. Ce qu'elle regrettait aussitôt. Si la double porte battante était aussi lourde et épaisse qu'elle en avait l'air, c'était pour une très bonne raison. À peine dans le sas, elle grimaça face au capharnaüm auquel ses oreilles lui criaient de faire instamment demi-tour.

Les bruits qui provenaient du rez-de-chaussée étaient assourdissants. Muette de stupeur, peu habituée à l'activité qui y régnait, elle regarda les vampires travailler d'un bout à l'autre de l'étage. Tous arboraient la même tenue de cuir, qui gémissait à chacun de leurs mouvements, et les mêmes lunettes en verres trempés jusqu'aux casques avec micro qui visiblement protégeait leurs oreilles de leurs propres discussions tout en alimentant le bruit ambiant.

Elle avait l'impression d'être alors piégée dans une énorme fourmilière. Les vampires passaient sans se préoccuper d'eux. Kiyan qui l'attendait, était resté à ses côtés, l'observant, reluqué les autres. Tous sveltes, athlétiques et superbement beaux, sans le moindre défaut.

Grâce à leur mort prématurée et à leur immortalité, ils étaient loin d'être laids, Kiyan et elle. Ce qui leur donnait donc deux points communs avec les vampires.

Les murs noirs n'aidaient pas, le peu d'éclairage à la lumière naturelle non plus. Elle se sentit tout de suite prise au piège, comme si les grands espaces en Outremonde, c'étaient déjà créés un chemin dans son esprit d'endroits idéaux...

C'est uniquement quand elle sentit l'épaule de Kiyan dans son dos qu'elle se rendit compte qu'inconsciemment elle s'était rapprochée de lui.

Il lui saisit alors la main et la tira derrière lui. Pendant qu'elle essayait de suivre le mouvement, il se dirigea naturellement vers l'accueil au centre de la pièce, fait d'un immense comptoir de basse hauteur. Il le contourna aisément et se dirigea vers l'unique ascenseur juste derrière.

Sans la lâcher, il appuya sur le bouton d'appel alors qu'elle savourait la chaleur de sa main dans la sienne. Même après son accident de voiture, elle ne s'était pas aussi sentie aussi déconnectée et catapultée dans un autre monde. Ses émotions passaient d'un extrême à l'autre. Et pourtant, elle en avait avalé des couleuvres...

Ils entrèrent dans l'ascenseur qui se referma sans un bruit derrière eux. Celui-ci était composé d'immenses murs de glace qui les reflétaient parfaitement.

Elle déglutit en les contemplant tous les deux. Ils étaient beaux. Main dans la main. Droits, grands, Kiyan à l'aise, l'autre main qui lui restait dans sa poche. Sans contexte, elle eut une révélation : ils pouvaient passer pour un couple sans problème, même avec l'écart d'âge.

- Salut, Kiyan. Bonjour, jolie demoiselle.

Elle sursauta face à cette voix masculine et joyeuse sortie de nulle part alors que l'ascenseur s'élevait enfin, la coupant nette dans ses divagations.

- Salut H.

- H ? Murmura la jeune femme, en regardant tout autour d'elle, sans rien apercevoir.

De la main qui serrait la sienne, Kiyan lui montra alors la minicaméra au niveau du tableau de bord et du haut-parleur qui remplaçaient apparemment les boutons habituels.

- Asher est l'un des pixies de maintenance.

- Bonjour, répondit-elle alors, surprise.

Un pixie ? Elle n'avait jamais eu l'occasion d'en voir en vrai. Elle ignorait même à quoi pouvait bien ressembler un être de cette espèce. Mais selon ses souvenirs d'histoires que lui avaient racontées Sean et Eva, c'étaient des êtres de petites tailles, pourvus d'ailes, sacrément travailleurs et très fidèles.

- Où va-t-on ? Demanda-t-elle, alors subitement inquiète.

- Dans la salle de contrôle, Sebastian et Asher nous y attendent. Ils veulent nous montrer quelque chose.

Tendue, il dût le sentir, car il commença à lui caresser le dos de la main avec son pouce. Et alors, elle eut en tête le cliché le plus nunuche qui soit, soit l'envie soudaine que cet ascenseur tombe en panne maintenant. Mais bon, avec la caméra... Jamais elle n'aurait osé tenter quoi que ce soit.

Elle réprima un nouveau soupir quand celui-ci s'arrêta et s'ouvrit sur Sebastian qui les attendait de pied ferme dans son costume impeccable. Comme si le Roi vampirique ne prenait pas soin du matériel de son immeuble aussi bien que de sa tenue.

S'il remarqua leurs mains jointes, Blanche ne le vit pas puisqu'ils avaient mis ses magnifiques yeux à l'abri des écrans de surveillance derrière de sublimes verres fumés. Il eut cependant un sourire amusé quand il les accueillit.

- Blanche ! Kiyan ! C'est une joie de vous revoir.

Ces paroles chaleureuses furent accentuées par son aura d'une bienveillance inégalable, malgré la noirceur qui semblait ne jamais s'éloigner. Il attrapa son meilleur ami par l'épaule pour le saluer.

- Merci d'être venu aussi tôt. Y en a un qui voulait absolument te voir avant de partir pour la fac. Il se plaint que tu ne viens plus aussi souvent...

Juste derrière le Roi, le Prince Benjamin, alias Argy, qui avait remplacé son pantalon militaire pour un jean bleu foncé, des mocassins et une chemise noire en soie, souriait de toutes ses dents.

Blanche en resta bouche-bée. Que faisait-il ici ? Pourquoi n'avait-elle pas noté ça dans son journal ? La transformation était radicale, sans compter sur ses cheveux qui n'avaient plus rien à voir avec la coupe qu'il arborait en Outremonde. C'est sûr qu'Aaron n'avait pas encore matérialisé de lisseur à la caserne...

Il s'avança vers Kiyan qui la lâcha pour enlacer leur fils.

- Tonton ! Tu m'as manqué ! Sérieux, faut vraiment que t'arrête de m'envoyer bouler à chaque fois que je t'invite boire un verre ! Oui, je sais, tu ne bois pas, ça n'empêche que tu peux toujours venir faire une partie !

- À quoi bon ? Le taquina Kiyan. Je te bats toujours, quoi qu'il arrive. T'en as pas marre de perdre ?

- Un jour, je te ferais mordre la poussière, Tonton. Et ce jour-là, tu me le payeras ! Me ridiculiser devant une fille aussi canon, t'as pas honte, répliqua-t-il en regardant Blanche. Tu me présentes ?

- Blanche, Benjy. Benjy, Blanche, soupira à son tour le professeur.

- T'es nul, répliqua le jeune homme en boudant.

Il s'approcha alors d'elle et lui lança :

- Je suis le fiston de celui-là, dit-il en accentuant le mot « fiston » en indiquant un Sebastian dubitatif, et le neveu adoré de celui-ci, en indiquant cette fois-ci un Kiyan qui se massait les tempes d'une main.

Puis Argy entreprit de lui faire la bise. Elle en resta coite sans lui rendre ses baisers. Elle jeta un regard assassin à Kiyan. C'était vraiment trop dur de la prévenir, ne serait-ce que quelques heures avant ?

- Enchantée, répliqua la jeune femme, une fois calmée.

L'ascenseur choisit ce moment-là pour s'ouvrir juste derrière elle.

- La voiture de monsieur est avancée, lança une voix qu'elle reconnu sans peine avec sa pointe d'amusement.

Affalé au fond, un elfe-vampire lui lança un sourire surpris puis coquin.

- Mais dites-moi, susurra-t-il, en s'avançant, ce ne serait pas ma charmante cavalière qui vient me rendre visite ?

- Manquait plus que lui, ronchonna Monsieur Ardachir.

- Ta Cavalière ?! Reprit le Prince. C'est cette « Blanche » là ? Tu m'avais pas dit qu'elle était aussi belle ! T'abuses, bro !

- Bien sûr que je t'ai rien dit, sinon t'aurait tout fait pour me la piquer, Don Juan à la noix, ronchonna Kysten.

Blanche regardait les deux hommes, largués. Ils étaient sérieux là ?! Sebastian, qui semblait lire ses pensées sur son visage, comprit qu'elle en avait assez ou bien, avait-il pitié d'elle.

- Lieutenant, tu veux bien faire ton travail ? Dit-il en consultant sa montre.

- Foutu rabat-joie, grogna Argy, alors que Kysten effectuait un salut militaire en direction de son Roi, qui se contenta de secouer sa tête de gauche à droite, d'un air las.

- Ça te dérange si je pique ton numéro dans le tel de Kyst ? Continua Argy.

La jeune femme ne fut pas dupe une seconde, comme s'il ne l'avait pas déjà.

- Pas du tout, répondit-elle en souriant, quelque chose me dit qu'on va vite devenir amis.

- C'est exactement ce que je me disais aussi ! S'exclama-t-il, exagérément, en lui faisant un clin d'œil, tout en gagnant l'ascenseur où Kysten l'attendait déjà, masquant son rire sous une fausse toux.

- Princesse, le salua ce dernier alors que les portes se refermaient.

- Par Babylone ! Murmura la jeune femme.

- Tu m'ôtes les mots de la bouche, lui confirma le Roi des Djinns, alors qu'elle se retourna vers les deux hommes qui restaient.

Sous leurs regards soudain intenses et le silence qui s'ensuivit, elle se sentit comme une minuscule souris devant deux aigles bien trop élégant. Bref, un frisson l'envahit alors que les deux hommes la regardaient comme si elle était une proie sur le point de se faire manger toute crue.

- Bonne journée, Vos Majestés, lança une voix qu'elle reconnu comme celle de l'ascenseur et donc logiquement celle d'Ash.

Aussitôt, les deux hommes se tournèrent vers le poste de contrôle où elle ne vit qu'un minuscule scintillement verdâtre près du seul clavier existant.

Puis enfin, elle le vit. La jeune femme planta devant le pixie. Elle n'arrivait pas à regarder autre chose, il était tellement... Mignon ! Une attaque foudroyante de « mignonnitude » !

Pas plus grand que deux centimètres, il était difficile de voir à quoi il ressemblait tant il avait la bougeotte. Il fallait s'y reprendre à plusieurs fois, puisque ces mouvements concordaient avec ceux d'une libellule, tout comme ses ailes.

Mais, même si les trois hommes, oui, parce que le pixie était bien un mâle, discutaient, elle n'arrivait pas à suivre la discussion. Il y avait quelque chose qui la dérangeait sans savoir quoi et tant qu'elle n'arriverait pas à mettre le doigt dessus, elle n'existerait tout simplement plus.

- Mmhhh, répondit-elle, en hochant la tête, sans savoir de quoi parlait le beau brun.

Elle était focalisée sur la toute petite créature. Habillé d'un ensemble vert émeraude fait de soie, de membranes et d'autre chose invisible à l'œil nu malgré ses facultés augmentées. Il portait également une paire de chaussures si fines qu'elle aurait dit des chaussettes auto-agrippantes.

Bruns, les cheveux longs, laissaient à peine percevoir son visage tant ils tombaient devant ses yeux, dont elle n'arrivait pas à déterminer la couleur. Il lui rappelait vaguement quelqu'un. Le pixie était pourvu d'un minicasque audio et de son micro, si petit qu'elle n'entendit pas les répliques malgré son ouïe qui ne cessait de s'affiner, mais uniquement ce qu'il disait.

Kiyan l'attrapa par l'épaule.

- Blanche, tu nous écoutes ?

Elle regardait un instant son professeur baigner dans son aura sable, crème et or et c'est là qu'elle percutait. Le Pixie avait une aura qu'elle avait déjà vue auparavant ! Le cercle... Tout concordait ! Quand la lumière se fit enfin, ses yeux papillonnèrent un instant. 

- Oh, murmura la jeune femme. Pardon. Vous disiez ?

Kiyan soupira.

- J'ai demandé à Sebastian s'il pouvait avoir accès aux caméras de la sécurité routière.

- Quand ça ? Reprit-elle.

Puis, elle claqua des doigts, répondant à sa propre question avant que quiconque ne put le faire.

- Hier après-midi, à la piscine, murmura la jeune femme.

Sebastian lança alors un étrange regard à son meilleur ami. Merde ! Depuis quand avait-il retiré ses lunettes de soleil ? Elle jeta un coup d'œil à l'écran et reconnut net cette fameuse route, pile après les cours.

Puis quelque chose de bizarre se rappela à elle. Kiyan n'avait pas pu les raccompagner en voiture ce soir-là à cause d'une réunion imprévue. Qu'avait déjà dit Eva ?

« - Il est juste bougon, car il a une réunion ce soir, du coup il peut pas nous ramener à la maison en voiture, ni passer la soirée avec nous. »

Pourtant, en y pensant bien, Kiyan s'était toujours débrouillé d'une façon ou d'une autre pour que quelqu'un puisse le faire à sa place, que ce soit Elsa ou un autre de ses collègues... Pourquoi ce soir-là en particulier ?

Puis, Nicky, alias Asher, lança la vidéo, où l'on voyait parfaitement la voiture foncée droit sûr... Elle. Une voiture à l'ancienne, comme on en fait plus, belle, longue, noire et basse.

Elle tressaillit face à la violence de l'impact et, sans pouvoir décoller les yeux de l'écran qui était entouré pourtant de plusieurs autres, elle vit Évanescence hurler, pleurer, se précipiter vers elle, le téléphone encore  à la main. Elle la vit affolée, alors que la voiture reculait pour mieux repartir. Délit de fuite. Ouais. C'était moche. Le pixie arrêta le visionnage pile à temps pour voir la plaque du véhicule, une seconde avant que l'écran ne saute.

Ils attendirent alors que l'écran ne se rallume, complètement fascinés, mais voilà, Asher ne tarda pas à confirmer qu'il y avait anguille sous roche.

- C'est bizarre, je ne retrouve plus la vidéo comme si elle avait disparu...

- Comment ça « disparut » ? Demanda le Roi, les bras croisés, les sourcils froncés.

Ce mot répété deux fois déclencha en la jeune femme une sorte de « déjà-vu ». Qu'avait dit donc Nicky déjà ? Qu'Aaron avait le don de faire disparaître ou apparaître tout ce qu'il avait envie ? Elle regarda Kiyan, puis le pixie qui lui aussi était venu à la même conclusion, regardant leur chef avec méfiance.

Pourquoi avait-il effacé la vidéo ? Il ne voulait pas que Sebastian aille plus loin ? Ou bien avait-il reconnu la plaque ?

- Désolé, votre Majesté, visionner la vidéo a auto-détruit la preuve, quelqu'un ne veut visiblement pas que l'on découvre qui conduisait la voiture, expliqua avec défaitisme Asher.

- Visiblement, repris le Vampire, contrarié. J'ai deux mots à te dire, Kiyan en privé, Ash tu peux faire visiter la serre à Blanche ?

- Bien sûr, Votre Majesté, s'inclina le pixie en déposant son casque. Mademoiselle si vous voulez bien me suivre...

Le pixie s'éleva alors à sa hauteur et s'éloigna derrière la double porte grise, la plus proche. Il y en avait une autre que l'on distinguait à peine. Peinte en noir sur un fond de la même couleur.

Elle jeta un coup d'œil à Kiyan qui, dans un seul regard, lui donna l'ordre de suivre Asher. Blanche soupira et suivit le pixie dans la serre. Elle savait qu'elle ne pourrait pas berner un vampire et surtout pas Kiyan en choisissant de garder la porte ouverte pour écouter. Alors, une fois passé le seuil, elle laissa donc la porte se refermer en un claquement sonore.

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