35. La Bibliothèque Du Futur


Blanche ouvrit un œil en plein milieu de la nuit et le referma, engourdie par la chaleur, prête à se rendormir. Enfin, c'était sans compter Eva qui ronflait si fort que cela finit par la réveiller tout à fait. La rousse toucha le front de son amie, réellement inquiète pour le coup. Rien. La dernière fois qu'elle avait fait un tel raffut, c'était à cause d'un mauvais rhume...

Dans l'impossibilité de se rendormir, la jeune femme se leva dans la nuit noire, attendant que sa vision nocturne s'ajuste. Sa meilleure amie ne pouvait fermer l'œil que dans une obscurité complète et sans un bruit.

Du coup, elle se mit debout en faisant très attention en se rappelant in extremis la configuration de la chambre de la brune qui était bien différente de la sienne. Elle gagna la salle d'eau et en profita pour se rafraichir.

Elle retourna dans le lit bien au chaud, mais dix minutes plus tard, après s'être retourné plusieurs fois, elle décida de prendre l'air avant de réveiller Eva avec son insomnie. Et puis, de toute façon, elle n'avait pas très envie de se rendormir, si ce n'était pour se retrouver une fois de plus là-bas.

Quoique... Tuer des gobelins à répétition lui avait fait un bien fou. Pas besoin de penser, ni de réfléchir... Un bon exutoire. De plus, elle se sentait légère, dans une forme olympique.

Elle sortit de la chambre sans un bruit, et en face, la porte de Kiyan était fermée. Dormait-il déjà ? La reine des joueurs en fut presque déçue. Elle avait besoin de savoir. Besoin de se confronter à lui.

La rousse descendit alors les escaliers à pas de loup quand elle vit un éclair illuminer la pièce. Dehors une vive tempête avait lieu, reflétant parfaitement son état d'esprit. Deux secondes plus tard, elle entendit le bruit du tonnerre. Un homme debout face à la fenêtre regardait les éléments se déchaîner. Et quel homme !

- Kiyan ? Murmura la jeune femme, tandis qu'elle atteignait la dernière marche.

Il se retourna vers elle, torse nu, son pantalon tombant sur ses hanches. Celui-ci était fait d'une soie bleu roi tombant au pied avec élégance, tenue par un élastique. Par Babylone...

- C'est bien la première fois depuis longtemps que je t'entends dire mon prénom, lui dit-il doucement.

Un autre éclair illumina son visage, ce qui finit par la réveiller tout à fait alors qu'elle le matait ouvertement, toute fureur envolée. Ah non ! Ça ne se passera pas comme ça !

- Veuillez m'excuser, la nuit a été rude, cingla-t-elle, en s'approchant.

Rien à faire, elle était tout de même très très heureuse de le voir... Mais bon, il n'avait pas besoin de le savoir.

- Et elle n'a même pas commencé, dit-il en lui indiquant l'horloge.

Trois heures du matin venaient à peine de sonner. Elle soupira. Pendant un moment, ils regardèrent le spectacle que composait le ciel.

- Tu devrais m'appeler plus souvent par mon prénom... Et commencer à me tutoyer.

- Vous saviez... Tu savais, asséna-t-elle, sans détourner le regard du spectacle au-dehors. Tu savais que j'allais arriver et tu ne m'as rien dit, pourquoi ?

Il ne prit même pas la peine de lui répondre. Elle attendit puis... Blanche en avait ras-le-bol. Il ne voulait pas parler ? Très bien. Elle n'avait plus rien à faire ici.

- Bonne nuit... lâcha-t-elle, tout de même, en lui tournant le dos.

Plus pour lui dire qu'elle partait que pour le lui souhaiter vraiment, car honnêtement, elle savait désormais que ses nuits étaient, voire, autant terrifiantes que les siennes.

Un éclair illumina la pièce, la surprenant. Puis ses bras l'enlacèrent, la faisant sursauter une seconde fois. Elle le sentit coller son torse à son dos et elle se crispa automatiquement. Il resta là, son souffle au-dessus de sa tête, un bras en dessous de son cou et l'autre sous sa poitrine. C'était bien la première fois qu'il la touchait ainsi.

Elle avait vite compris, étant petite, qu'elle n'aimait pas trop les marques d'affection, surtout qu'elle ne voulait pas s'approprier le père d'Eva de peur qu'elle ne le prenne mal. Puis, en grandissant, elle en avait voulu, mais elle savait qu'elles n'auraient pas la même signification pour elle que pour lui.

Mais là, tout de suite, alors qu'elle vivait l'enfer en démembrant des gobelins, elle avait envie de se laisser aller pour une fois. Elle en avait marre de ne pas vivre enfin pour elle-même. Elle se détendit face à cette douce chaleur et acceptait qu'il la serre davantage.

- Tu n'aurais eu aucun souvenir de toute façon, alors à quoi bon te prévenir ? Mais je m'interroge. Pourquoi, quand tu m'as vu, tu as fondu en larmes ? Tu ignorais qui j'étais, non ?

Blanche ne lui répondit pas. Elle ne pouvait même pas lui mentir. De toute façon, il gardait ses infos pour lui, alors pourquoi ne pas en faire autant ? Voyant qu'elle ne le lui répondrait pas, il se reprit.

- Je suis désolé, Blanche. Je sais très bien que d'être marié à mon alter-ego n'est pas ce que tu aurais voulu, surtout que tu aimes déjà quelqu'un d'autre... Malheureusement, nous ne pouvons interagir avec l'autre côté.

Blanche se crispa, abasourdie. Il le sentit et la lâcha.

- Tu es trop bien pour un vieillard comme moi, insista-t-il.

Une larme solitaire coula sur la joue de la jeune femme, puis elle exigea au moins une réponse. Elle se retourna en s'essuyant le visage, croisant les bras sur sa poitrine.

- Votre alliance ? Si vous n'avez pas épousé la mère d'Eva. Qui vous la offerte ?

Blanche leva la tête en signe de défi. Elle savait que c'était elle qui avait offerte celle d'Aaron, puisqu'il le lui avait dit. Toutes les deux étaient similaires, pas par la forme, mais par l'alliage. Blanche sentait quelque chose de spécial en regardant le bijou, tout comme l'alliance d'Aaron. Alors y avait-il une chance...?

Kiyan baissa les yeux et contempla sa bague.

- Ma femme, lui répondit-il, sans la regarder. J'ai été tout de même marié autrefois. C'est une longue histoire. Je te la raconterai un jour.

- Vous n'auriez pas une photo d'elle par hasard ?

Il tressaillit surpris.

- Je... Non.

Sans avoir la compétence de mensonge, Blanche savait que c'en était un.

- Menteur, l'accusa-t-elle.

Kiyan leva un sourcil.

- Pourquoi ? S'emporta la jeune femme. Merde ! Je ne suis plus une gamine. Vous voulez que je vous tutoie, que je vous appelle par votre prénom et pourtant, la seconde d'après, vous me rabaissez. Le problème, voyez-vous, c'est que vous ne me faites pas confiance !

Kiyan resta ébahis et Blanche en profita pour filer au premier. Mais la jeune femme n'en resta pas là.

Fâchée, impossible de fermer l'œil, elle attendit que Kiyan monte dormir. Seulement une heure passa et la maison restait silencieuse. Elle se leva sans bruit et descendit.

Elle jeta un coup d'œil à son bureau, il était ouvert, la lumière allumée. La porte de la piscine aussi. Elle ne mit pas longtemps à voir qu'il avait posé son pantalon sur un transat, alors que monsieur nageait. Elle se faufila dans son bureau et grâce à sa nouvelle capacité « ombre », elle vit ce qu'elle n'avait jamais vu de sa vie.

Derrière la chaise de bureau en acajou, le mur du fond scintilla un instant, avant de révéler un portail où se tenait un jeune homme à l'air agréable qui l'incitait à venir. Elle s'avança alors et l'examina de plus près. Blanche se rendit compte qu'il y avait tout un monde de l'autre côté.

Phénix se matérialisa alors et sauta sur le bureau avant de miauler. Blanche faillit en faire une crise cardiaque. Elle jeta un coup d'œil à la porte, le cœur battant à tout rompre. Pas de Kiyan.

Vas-y, touche-le. Après tout, il est grand temps d'avoir les réponses à tes questions.

Blanche ne lui répondit pas et passa sa main à travers... Bingo ! En un instant, elle se retrouva de l'autre côté.

***

En face d'elle, il y avait désormais une sorte de fenêtre qui flottait dans l'air. Sauf que celui-ci donnait sur le bureau qu'elle venait de quitter. Elle se retourna et bouche-bée, elle tomba sur un immense manoir en pierre de taille blanche sous un ciel bleu clair et un jardin ensoleillé à perte de vue, d'un vert éclatant.

La lumière si dense l'aveugla si bien qu'elle faillit sursauter quand le jeune homme qu'elle avait vu à travers le portail cria à son oreille :

- Maîtresse !

Le brun aux cheveux mi-longs, attaché sur le côté, les yeux en amandes, d'un marron foncé dont les cils étaient inexistants, habillé comme un majordome, s'agenouilla à ses pieds. Veste en queue de pie, chemise avec jabot et d'un pantalon taille haute. Noir et blanc, attendait ses ordres, le visage rayonnant de bonheur.

Une jeune femme accourra dans leur direction, sa sœur assurément, tant la ressemblance était grande. Celle-ci portait le chignon à la perfection, avec une frange qui lui mangeait la moitié du visage. Habillée comme un homme avec la même tenue que son frère, elle courait malgré ses talons aiguilles.

C'est alors qu'elle remarqua le mannequin à ses côtés. Phénix, sous forme humaine, valait le détour !

- Ravi de vous revoir, poursuivit le jeune homme qui l'avait appelée « Maîtresse », toujours à genoux. Vous nous avez tant manqué !

Blanche jeta un coup d'œil à Phénix, de nouveau bouche-bée devant son apparence. Le savoir et le voir... Elle avait caressé, câliné et dormi avec ce bellâtre ?

- Je te présente Cassian et Cassie. Des phœnix. Tu les as sauvés de l'extinction de leurs espèces. Depuis, ils bossent pour toi à entretenir ton domaine spatio-temporel.

Puis, se tournant vers la fratrie, dont la sœur avait rejoint le frère sur l'herbe verte sans un mot, il poursuit.

- Désolé, les gars, votre Maîtresse commence tout juste sa ligne temporelle. Blanche vous rencontre pour la première fois, expliqua-t-il avant de se tourner vers la jeune femme, Par pitié, dis-leur de se lever, sinon ils sont capables de rester là, ad vitam aeternam.

Ce que ne tarda pas à faire Blanche, complètement gênée d'une telle obsession.

- Oh ! Murmura Cassie, en portant les mains à ses propres joues.

Surpris, le frère et la sœur, enfin debout, s'échangèrent un regard.

- Dans ce cas, et si je vous faisais visiter votre demeure ? Se reprit Cassian, dont les yeux semblaient en perpétuelles extases devant sa maîtresse.

Sa demeure ? Regardant l'immense bâtisse, elle se dit qu'il lui faudrait des heures pour tout visiter. Aussitôt, Phénix la rassura.

- Tu as créé cet espace hors du temps au plus haut de tes pouvoirs. Comme je viens de te le dire, le manoir est hors du temps. Tu peux y passer un an, sans qu'aucune seconde ne s'écoule au-dehors. Tu y as installé plusieurs portails à travers le temps qui mènent tous en ce lieu.

Plus rien ne pouvait l'étonner. Essayant de paraître normale et réfléchie, elle se lança.

- Dans ce cas, visitons.

L'entrée du manoir donnait sur un majestueux escalier qui s'ouvrait sur un palier avant de se séparer en deux sur un balcon en fer forgé qui menait à l'étage. Du marbre, du sol au plafond, rehaussé par tantôt des veines rosées, d'or, du noir ou bien du vert. Tout y était ouvert, supporté par des colonnes de marbres du style romain, qui à l'inverse du reste étaient noires, parsemées d'éclat de blanc nacré.

À droite, il y avait d'abord un vestibule en rose poudré orné d'une vaste banquette, puis une immense salle à manger en noir et blanc, où une douzaine de convives pouvaient s'y installer sans problème. Au fond, une cuisine ouverte en acier chromé.

À gauche, un immense salon de couleur ivoire et un bar. Elle s'avança, émerveillée. Au fond, juste derrière la cuisine, un couloir desservait, tour à tour, un garde-manger et une buanderie. Alors que derrière le bar, elle eut l'immense surprise de tomber sur un autre couloir qui donnait sur une forge et un laboratoire.

Qu'est-ce qu'elle faisait avec une forge ?

Déroutée, elle continua sa visite. Au milieu, juste après les escaliers, une immense piscine d'intérieur donnait sur l'extérieur. La piscine coupait à travers une serre au bout avant de sortir à l'air libre. Une immense fontaine dans la pièce faite de verre coupait le silence de leurs pas d'un doux clapotis.

Blanche se sentait vraiment bien. Si elle avait eu la possibilité de construire sa maison un jour, dans ses rêves les plus fous, elle aurait sans aucun doute ressembler à ça. Elle ne reprit la parole que lorsqu'elle gravit les marches menant au premier.

- Excusez-moi, mais qu'est-ce qu'un phœnix au juste ?

- Oh, eh bien, la renseigna Cassie, nous sommes des créatures immortelles, mais que l'on peut facilement tuer. Lorsque nous mourrons, si on a de la chance, de manière naturelle, une fois tous les cent ans, nous nous consumons avant de renaître. Nous sommes alors vulnérables pendant un an. Période où nous avons été capturés dans le but d'être des mercenaires, des espions, des assassins. Notre ancien propriétaire nous tuait à tour de rôle avant que l'année ne s'écoule pour nous garder en servitude. Vous nous avez sauvés et amenés ici, loin de tous.

- Cela ne vous dérange-t-il pas de vivre ici, dans cette cage dorée ? Demanda la jeune femme surprise, elle qui prônait la liberté.

- Nous préférons une cage dorée, maîtresse, reprit son frère, qu'un homme qui nous abat comme des chiens chaque année et contraint à notre tour de tué pour lui, sans vouloir vous manquer de respect.

- Vous nous avez offert, plus que nous n'avons jamais cru pouvoir espérer, maîtresse, repris la jeune femme. Ici, nous sommes en sécurité, nous avons la paix.

- Blanche, par pitié, appelez-moi, Blanche tout simplement.

Les deux jeunes gens sourirent. Comme si c'était une rengaine habituelle. La jeune femme soupira, pourquoi pensait-elle tout à coup, qu'il continuerait à l'appelé comme bon leur semble ?

À l'étage, elle y découvrit sa suite. Une chambre, noir et rouge, dont les murs étaient recouverts d'une immense bibliothèque, un bureau tourné devant une baie vitrée donnant sur l'extérieur, un dressing digne d'une reine et une salle de bain noire, dont la baignoire ressemblait à s'y méprendre à un jacuzzi. Ainsi qu'une douche avec un banc qui pouvait accueillir au moins trois personnes.

Il y avait une seconde suite plus petite au fond qui appartenait aux phœnix et en face de sa propre chambre, il y avait trois autres pièces avec lit, salle d'eau intégrée et balcon, pouvant accueillir des invités.

- Ai-je l'habitude de recevoir du monde ici ?

- Pas souvent, seuls vos serviteurs vont et viennent à leur guise, lui expliqua Cassian.

- Mes serviteurs ? Demanda la jeune femme.

- Oui, c'est une autre de tes compétences que tu recevras plus tard, expliqua Phénix avant que les autres n'aient l'occasion d'ouvrir la bouche. Mais si tu veux tout savoir, je te conseille d'aller voir ta bibliothèque.

- Ma bibliothèque ?

- Tu y a entreposé tes journaux intimes.

La jeune femme sursauta. Bon sang ! Mais quelle bonne idée ! Pourquoi ne lui avait-il pas dit plus tôt ?! Blanche courut pour retourner à ses appartements, contrairement aux trois autres qui commencèrent à discuter, la laissant découvrir elle-même le reste.

- Quel est cet étrange accoutrement ? Demanda Cassie, en montrant du doigt sa maîtresse, qui s'éloignait à vu d'œil.

- Un pyjama, lui répondit le démon en haussant des épaules.

***

La rousse prit un carnet au hasard et l'ouvrit. Elle reconnut sans mal son écriture et lut une phrase au pif. Avant de le reposer, tant elle rougissait. Elle ne mit pas longtemps à trouver ce qu'elle cherchait. Blanche, les avait classées dans l'ordre. Par époque.

La jeune femme s'installa alors sur son lit et plongea dans sa lecture. Ce qu'elle y lue, la laissa sans voix. Rêveuse.

Des heures plus tard, et trois carnets de lu, Cassian tapa à sa porte. Ce qui la fit sursauter avant de le laisser entrer.

- Maîtresse, une tasse de thé ?

- Volontiers, répondit la jeune femme avant de se redresser.

Lire ses écrits était plus reposants que de les vivres. Même s'il y avait beaucoup de révélations, elle avait l'impression que ça allait, puisqu'ils avaient désormais l'air moins effrayants. Savoir quelque chose lui enlevait de son pouvoir flippant. Comme un lecteur qui savait ce qui arrivait aux héros puisque l'auteur s'en faisait une joie de tout lui révéler.

- Est-ce que vous les avez lus ? Demanda la jeune femme avec hésitation, pendant qu'il la servait.

- Non, jamais, sourit doucement le jeune homme. Jamais, je ne vous ferai  une telle chose. Ni ma sœur, ni aucun de vos serviteurs, ne se le permettrait.

- Pourquoi ? Demanda la rousse, surprise, alors qu'il lui laissait la desserte. Un thé fumant et ses pâtisseries préférées à disposition.

- Nous préférions mourir que de vous causer un déshonneur pareil.

- Merci, Cassian.

- Merci à vous, Maîtresse.

Sur ses dernières paroles, le majordome referma la porte et la laissa à sa lecture.

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