33. Entre Mère Et Fils


La première séance fut diaboliquement simple. Exercice de cardio, course à pied dans la salle de sport. Sauf qu'au bout de dix minutes, la jeune femme n'en pouvait plus, mais plutôt mourir que de laisser cet enfoiré avoir le dernier mot.

Elle donna tout ce qu'elle avait, mais Derek ne lui laissa pas une seconde de répit. Peu importe, elle encaissa. Encore et encore. Il était sévère, cruel même. Et chaque soir, ce fut la même chose. Elle avait beau en avoir marre, surtout qu'il ne lui apprenait rien, restant dans son coin à observer le moindre de ses mouvements sans un mot d'encouragement.

À la fin du jour, après une bonne douche bien méritée alors que Phénix gardait la porte des vestiaires, Blanche se couchait avec des courbatures. Ainsi, une nouvelle routine s'installa. Entre vélo dynamométrique, tâches ménagères, augmentation de ses statistiques, séance de sport le matin et les cours avec son professeur exigeant le soir, Blanche ne vit pas la semaine passée. Elle eut encore plus de mal à répondre à son nouveau surnom.

La neige est blanche au moins. Ça doit pas trop te changer.

Phénix avait eu le droit à un autre regard noir après ce commentaire.

Les hommes la laissèrent plus ou moins tranquille. À part Derek, tous s'inquiétaient pour elle. Elle n'était pas sortie ne serait-ce qu'une fois dehors et s'enfermait le plus souvent dans sa chambre. Phénix, malgré son caractère de cochon, ne lâchait plus ses bras.

Quant à Argy, il lui avait apporté un cliché d'eux deux, comme cadeau de bienvenue. Sur la photo, il ne devait pas avoir plus d'une dizaine d'années. Cette dernière avait été prise par Aaron. C'était de lui qu'il tenait son amour pour les arts. Son père lui avait même aménagé une chambre noire dans ses appartements. Elle avait placé le cliché dans le tiroir de sa table de chevet, pas prête pour le moment à l'exhiber.

Nicky lui avait offert une paire de poignards à cacher dans ses bottes. Sait-on jamais quand on a besoin de se défendre, dans ce monde. Glen, quant à lui, s'était présenté une après-midi avec un pot d'herbe à chat. Phénix était devenu fou ce soir-là. Le lendemain, rougissant, il était venu s'excuser tout penaud, prétextant une folie passagère. Blanche en avait bien ri, ce qui rassura quelques peu les autres.

Ils avaient eu peur de la voir partir, comme nombreux d'autres avant elle.

Enfin, au dîner du sixième soir, Aaron estima qu'il était temps de faire leurs missions à partir du lendemain. Argy se proposa de lui donner un coup de main et elle accepta avec joie. Elle s'était prise d'amitié pour les deux plus jeunes de la bande, plus abordables que les trois autres.

***

Le lendemain, à peine au saut du lit, Argy l'attrapa et ne la lâcha plus d'une semelle. Il ne lui laissa même pas le temps de refaire son lit.

- Courage, gueula Nicky de sa chambre, voyant Argy qui traînait une Blanche encore ensommeillée dans le couloir, fait attention, il mord !

Argy gloussa, Phénix sur ses talons, peu ravi d'avoir dû décamper du lit sans avertissement. Ils arrivèrent au mess, où le petit déjeuner était déjà prêt. C'est là qu'elle vit qu'il leur avait déjà préparé leurs sacs de survie. Il y avait sa hache et son épée, ainsi que sa cape, bien posée sur une table.

- Je peux me refaire une beauté avant ?

- Nop, lui répondit-il, en souriant, un air de chenapan.

Blanche haussa les sourcils.

- C'était pas une question. Je mange et après tu me laisses une heure, sale gosse.

Pour toute réponse, elle eut droit à un second gloussement.

- Tu sais pourquoi j'ai dit non ? Je me venge. T'avais beau être la meilleure des mamans, t'étais dure avec moi. Je sais, je sais, continua-t-il en la rejoignant à table. Tu faisais en sorte que je m'en tire vivant, mais n'empêche. Des fois, j'avais même pas le droit de manger avant.

Argy était celui qui faisait le plus attention. Prudent, il l'appelait maman quand ils étaient seuls et Neige en public. Même Aaron n'avait pas eu l'occasion de l'appeler autrement. De tous, c'était son fils qu'elle préférait, il savait garder un secret. Quand elle avait demandé pourquoi les autres n'étaient pas au courant, Argy lui avait répondu qu'Aaron attendait qu'elle soit prête. Ce qu'elle n'était visiblement pas, tant que le cliché restait dans son tiroir.

- Je vois, soupira-t-elle. Tu te rends compte que je te le rendrai au centuple dans mon avenir ?

- Pour moi, c'est déjà du passé, alors que maintenant... C'est juste un pur plaisir !

- Sadique ! Répliqua-t-elle.

Le déjeuner engloutit, une bonne douche, un passage express aux toilettes et la voilà prête. La caserne était vide.

- Les autres sont partis ? Demanda-t-elle.

- Eh oui, Nicky et Glen ont décampé quand tu te douchais. Quant à papa et D, ils ont fait la route de nuit.

Elle n'avait même pas pu lui dire au revoir... Oui, c'était bien son genre, ça. Ils sortirent de la caserne en refermant la porte. Blanche était souvent revenue dans l'entrée contempler les écailles, en espérant que les siennes seraient plus ou moins belles. Avant de comprendre que c'était sûrement... Bah, les siennes.

- Tu sais, il aurait voulu te parler avant de partir, mais il ne savait pas comment tu le prendrais...

Blanche ne sut que répondre. Elle même ne savait pas comment elle aurait réagit. Ils commencèrent alors à marcher.

Le temps de descendre plus bas à l'est, au-delà d'une grande plaine, Argy lui fit reprendre les bases, entre les sorts qu'il possédait et ses diverses connaissances de ce monde. Phénix s'était réfugié dans son cou, couvert par la capuche. C'est ainsi qu'elle apprit qu'étant morte une fois, elle était devenue stérile.

- Quoi ?! Hurla-t-elle, en se stoppant net.

- Eh oui, aucun d'entre nous ne peut avoir d'enfant... Au sens biologique du terme.

- Donc quoi ? Je suis condamné à avoir mes règles pour rien ?

Sans oublier les chaleurs drakonique, que bien sûr elle ne mentionna pas, sans compter qu'elle devra faire ça avec un homme qu'elle n'aime pas - ou pas encore, du moins en pensant à Saphir - et tout ça pour rien ?!

- Ouais, mais si tu pouvais ne pas m'en parler, maman, j'apprécierais.

Blanche soupira. Elle n'était pas épargnée. À chaque fois qu'elle pensait ne pas apprendre encore quelque chose de pire ou juste de plus, l'univers trouvait un moyen pour se jouer d'elle.

- C'est encore loin ? Soupira-t-elle, alors qu'ils marchaient depuis des heures.

Elle avait soudain très, mais alors très envie de tuer quelqu'un. Comme si Argy avait lu dans ses pensées, il sourit d'un sourire carnassier.

- Encore une heure ou deux. La distorsion du temps ici est complètement aléatoire. Tu devrais en profiter pour monter tes compétences.

Blanche se frappa la tête : elle aurait dû le faire depuis le début ! Ce qu'elle ne tarda pas à corriger. Comme elle ne pouvait pas s'arrêter toutes les trente secondes à cause d'Argy, elle se focalisa uniquement sur « vol » et « drainage ». Argy fit de même, grâce à la flore abondante, puisque les températures étaient plus douces ici.

Entre-temps, elle apprit également qu'Argy ne ferait pas sa propre mission avant longtemps.

- Et pourquoi ça ? Lui demanda la jeune femme.

- J'ai un ami chez les elfes de glace, je compte passer le voir avant.

Puis il se contenta de se taillader la main encore une fois, sans rentrer dans les détails. Son sort de soin lui permettait de guérir sans avoir besoin de s'arrêter, contrairement à elle.

Blanche ne le questionna pas davantage et se dit qu'il se livrera à elle quand il en aurait envie.

C'est ainsi qu'ils arrivèrent enfin à leur destination : aux galeries de gobelins sous terre. Pendant tout le chemin, la jeune femme n'avait fait que suivre un itinéraire de route ancré en elle. Comme le lui avait appris Argy, le système faisait toujours en sorte de les emmener à chaque fois à l'endroit où ils devraient être. Adieu le libre arbitre.

Argy lui avait signifié que ses monstres étaient nombreux et assez faciles à tuer comparé à des orcs. Mais ils vivaient sous terre dans des galeries qui étaient étroites et basse par-dessus le marché. Argy s'installa sur une pierre devant et attendit.

- Qu'est-ce qu'on fait ? Demanda la jeune femme, au bout d'un moment.

- On attend. Ils sortent par vague de trois à la fois, toutes les quinze minutes environ. Tu peux toujours rentrer dedans si tu es impatiente...

Elle regarda la grotte sombre et dépourvu de charme.

- Sans façon.

Blanche s'assit alors à ses côtés. Il retira sa cape puis son sac, gardant ses dagues sorties, et la jeune femme s'empressa de faire comme lui. À Epsilon, fait comme les epsilonniens.

- Mais et chez vous ? demanda Blanche d'un coup. Je veux dire si l'itinéraire est ancré en nous, comment les autres, Nicky et Glen, l'ont trouvé...

- On les y a conduits. Certaines missions se croisent et on rencontre parfois des nôtres. Quand on se rend compte que certains ont des compétences particulières, on demande à nos dieux. Ils confirment ou non. S'ils confirment, on leur demande si ça les intéresse de vivre avec d'autres comme eux. Seuls Nicky, Glen et D ont accepté.

- Tu en as rencontré beaucoup ?

- Quelques-uns. Nous sommes environ vingt à vingt-cinq par région... Mais à force de vivre en solitaire, ils ont du mal à faire confiance, ils préfèrent se cacher. Surtout que lorsqu'on dort, on est le plus vulnérable. Y en a qui sont venus, on vécut un peu avec nous avant de repartir. Malgré nos installations, la nourriture à profusion, vivre en communauté, c'est autre chose. Les règles, les grades... Oncle D.

Blanche ne put que sourire à ça dernière remarque. C'est vrai que ce dernier, était à lui tout seul, un véritable motif pour partir loin... Très loin.

- Les grades ?

- Ah oui, c'est vrai. J'ai oublié de t'en parler, nous sommes classés. Par mission effectuée, par nos stats et la compet'. Celle-ci varie à chaque arrivée et à chaque mort. Tiens, ça fait longtemps que j'ai pas vérifié, tu n'as qu'à demander à Fen.

- Fen ?! Le regarda-t-elle, choquée. Tu veux dire Fenrir ?

Argy la regarda, puis ses yeux s'illuminèrent comme s'il savait quelque chose qu'elle aimerait bien savoir.

- Dis-moi, lui ordonna la jeune femme.

Il rigola en levant les mains en l'air.

- Du calme, bien sûr que je vais te le dire. Tu connais un peu les histoires des vikings ? Que suis-je bête, bien sûr que non, tu n'as pas encore eu l'occasion de les entendre. D'après l'une d'entre elles, ton loup, causerait la fin de l'Outremonde tel qu'on le connaît, alors certains dieux mécontents de la destinée emprisonnèrent Fenrir grâce à une sorte de laisse magique. Devine qui l'a détaché et lui a fait promettre de ne pas causer la fin du monde ? Ni d'essayer de se venger des autres dieux ?

D'abord, comment ça, « ton loup » ?!

- Moi ?! S'exclama Blanche en se pointant du doigt. T'es pas sérieux ?

- Il était encore attaché, emprisonné lorsque tu l'as trouvé. Tu m'aidais à faire mes missions et quand j'avais fini, tu faisais donc les tiennes avec papa. Et vice-versa. Un jour, vous êtes tombé sur lui, tu lui as dit qui tu étais, que tu venais du futur etc. Il ne t'a pas crue, alors vous avez fait un pari et tu as gagné. Il n'a pas supporté d'avoir été remis à sa place et depuis, vous êtes amis avec certains avantages. Comme quoi, des fois, une bonne bagarre ça rapproche.

- Quoi ?! Moi, amie avec ce dieu arrogant et capricieux ? Quels avantages ?

- Des avantages en nature, bien sûr, lui susurra une voix grave à son oreille pleine de promesses.

Blanche sursauta et se retourna d'un coup en dévisageant l'homme superbe qui se trouvait près d'elle.

- Fenrir !

Il était si près d'elle qu'il aurait pu l'embrasser sans problème. Elle se recula d'un bond et tomba du rocher.

- Jamais ! Même pas en rêve.

- Oh, mais c'est déjà fait, dit-il en regardant son corps d'une manière si salace qu'elle en frissonna. Plusieurs fois même...

- Stop, le coupa-t-elle, ne voulant pas en savoir plus.

Elle essaya de percevoir son aura sans succès, son regard chargé de malice et en pure horreur la gêna. Comment pourrait-elle vouloir, un jour, avec lui... ?  Son dégoût dut se voir, puisque le regard de Fenrir se voila et sa tête reprit sa neutralité. Un genre de masque de sauvagerie pure à peine adoucie par sa chevelure dorée.

- Si nous sommes vraiment amis, alors pourquoi m'avez-vous traité ainsi ? Continua la jeune femme, désorientée.

Il la regarda, prenant le temps de soupeser sa réplique, avant de remettre la notion d'espace lui même en place. Depuis qu'il avait débarqué, il avait pour ainsi dire coupé la course du temps. Sans même l'avoir remarqué. Puis, il pinça ses lèvres et lui donna une réponse dans un ton neutre et honnête, qu'elle fut la seule à entendre.

Je voulais voir comment allait réagir la gamine comparée à la guerrière que je connaissais. Si tout ce que tu m'avais dit était bien vrai. Mais tu sais quoi ? À l'instar de ton professeur, la plupart des hommes qui vont devenir tes amants, tu ne cesses jamais de les vouvoyer, car tu les aimes autant que tu les respectes.

Son professeur ? Ses amants ? Rougissante, ne sachant pas quoi répondre à ça, elle ferma son clapet. Son ton vers la fin avait pris une douceur qu'elle ne lui connaissait pas et malgré son expression de pure méchanceté, elle comprit alors que c'était pour lui un visage de référence. Cela lui donna matière à réfléchir. Devant son mutisme, il disparut sans un mot. Cela la mit de nouveau hors d'elle.

- Sérieux ?! Je le vois pas pendant des jours ! Pas un mot ! Et voilà qu'il disparaît de nouveau sans rien me dire !

Tu as fait l'objet d'un débat en tant que première mage noire depuis des lustres. Certains voulaient ta mort et d'autres voulaient que tu reviennes à un dieu supérieur, qu'évidemment, je ne suis pas. Mais Odin, en tant que responsable du secteur nord, après avoir consulté Munin et Hugin, a fini par trancher en ma faveur, bien qu'il sache sans aucun doute que j'ai triché. Les dieux s'intéressent à toi, surtout ceux de mon entourage, puisque je n'ai pas revendiqué mon droit à avoir un joueur pour moi depuis bien des millénaires.

- Eh merde, répliqua la jeune femme.

Argy haussa les sourcils, lui demandant ce qu'il avait loupé, et elle le lui expliqua. Enfin, Blanche lui raconta le peu qu'elle pouvait bien lui dire.

- Fallait s'en douter, répliqua son fils. Mais bon, je suis sûr que tu as déjà tout prévu.

Sauf qu'elle ignorait ce qu'elle-même avait bien pu prévoir.

- Fais-toi confiance. Si cela peut te rassurer, moi, j'ai une confiance aveugle en toi.

Ses yeux, remplis de cette foi en elle, la consterna. Elle avait tellement envie de ne pas le décevoir qu'elle eut la sensation d'une pierre tombant dans son estomac. Pitié, par Babylone, faites en sorte que j'en sois digne. Et comme si quelqu'un lui répondit, une douce pluie commença à tomber.

- Au fait, Fenrir, nous sommes classés combien ? Demanda la jeune femme, qui se rappelait de quoi ils pouvaient bien discuter, alors qu'elle se rasseyait sur le rocher.

En tant que « voyant du nord », ton fils Argent est septième, c'est l'un des plus vieux qui a réussi à survivre avec autant de missions effectuées. Toi, tu es première, mais bon, ça, tu le savais déjà en ta qualité de souveraine et ton mari est deuxième.

- Waw, ok, merci.

Deuxième ? Serait-ce lui qui avait plus d'un million à chaque statistique ? Cela ne l'étonnait même pas. En quatre mille ans... Puis, son esprit tourna plus vite quatre mille en comptant le temps passé ici ou pas ?

- Ils arrivent, la prévient Argy. Tu ferais mieux de te placer, moi, je suis là uniquement pour te retaper au cas où.

La rousse obéit sans discuter. Avec son ouïe, elle n'entendit pas grand-chose, mais elle avait toute confiance dans les capacités d'Argy. Depuis lors, il devait entendre bien mieux qu'elle ou bien mieux voir qu'elle. Ce qui ne se tarda pas à se confirmer quand elle les entendit enfin.

Ok, super. Trois Gobelins. Ça devrait aller, non ? Elle n'eut pas le loisir de réfléchir davantage, qu'ils apparurent dans son champ de vision.

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