28. Une Histoire De Djinns
- Je ne compte pas y aller. Mais merci quand même.
Elle n'était pas prête à faire le grand saut. De plus, Blanche savait qu'elle devait se faire discrète, hors annoncer à la communauté tout entière qu'elle était la petite fille du roi des drakion... Allait à l'encontre même de la notion de discrétion. Valait mieux tard que jamais. En l'occurrence, jamais, c'était bien aussi.
- Dites-moi, c'est de l'innocence ou de l'absence totale d'éducation ? Lui demanda alors Sebastian, alors qu'elle s'apprêtait à se lever.
Ramenant ses cheveux en arrière, Blanche cligna des yeux dans sa direction avec emphase.
- Vu que c'est votre meilleur ami qui m'a éduqué, j'espère pour lui que c'est la première option, lui répondit-elle d'humeur taquine.
Cette fois-ci encore, Blanche réussit à le prendre par surprise. Puis, elle attrapa une fraise qu'elle goba tout rond. Winter fronça les sourcils, décontenancé, tandis que le vampire demeura impassible.
- Je crois que j'ai deux mots à dire à ce roi djinn de malheur, conclut le vampire en souriant, regardant l'édit djinn, qui semblait avoir quelque peu perdu de sa superbe.
Comme si c'était possible.
- Super ! Bottez-lui les fesses de ma part, rit la jeune femme.
Kiyan ferma les yeux et se fondit dans le décor, s'enfonçant dans son siège.
- Pourquoi ai-je soudain l'impression que l'on se sert de moi ? Demanda Sebastian en la regardant.
Parce que c'était le cas. Kiyan aurait pu la prévenir qu'elle dormait sous le toit d'un roi. Alors Blanche laissa Sebastian voir ce qu'il avait loupé. Elle le regarda droit dans les yeux, souriant d'un regard malin, rempli d'ingéniosité. Levant un sourcil, il la jugea une seconde fois.
- Intéressant, murmura-t-il. Winter, tu devrais revoir ton Conseil d'Administration au plus vite. Des paperasses sur ta succession s'imposent. Cette petite risque d'être fort redoutable en affaire.
- Y en a qui devront bien se tenir, s'accorda Winter en hochant la tête.
La jeune femme lu alors une immense fierté dans ses yeux, très heureux qu'elle soit enfin rentrée dans sa vie.
- Du coup, une présentation en bonne et due forme est obligatoire. Le Gala serait l'occasion idéale.
Kiyan et Blanche soupirèrent de concert, en comprenant qu'ils n'y couperont pas.
Après avoir été forcés d'accepter l'invitation, avec un cavalier elfique en plus pour l'une, ils prirent congé.
Winter et Kysten en avaient profité pour prendre ses coordonnées, histoire de la joindre. Son grand-père les avait notés, tout en gardant un œil méfiant sur le nouveau cavalier de sa petite fille. Ce dernier regardait son téléphone avec un air un peu trop gourmand à son goût. Qu'il soit damné que sa toute nouvelle petit-fille s'acoquine avec un vampire doublé d'un elfe !
Elle avait même dû promettre une danse non pas à un roi, mais à deux. Sebastian s'était inscrit dans son carnet de bal sans qu'elle puisse rien y faire. Alors que le seul roi avec qui elle voulait vraiment danser était resté muet comme une carpe. Comment diable les événements avaient pu se terminer ainsi ?
Dans la voiture, elle soupira une énième fois, alors qu'il faisait nuit noire. Son grand-père avait tenu à la revoir dans la semaine alors qu'elle vivait dans un internat ! Sans compter qu'elle devait garder du temps pour son propre père, ce mercredi...
Mais Winter avait si bien insisté qu'elle avait rendez-vous avec lui, jeudi matin, séchant ouvertement le cours de sport dispensée par son professeur/tuteur. C'était plus facile de l'avoir sous la main celui-là.
D'après ce qu'elle avait cru comprendre, elle aurait le droit à une séance shopping express financier par le roi drakion d'Epsilon en personne. Voilà qui devrait réjouir Eva au plus haut point.
Ça lui faisait tout drôle de penser qu'elle allait faire les boutiques avec lui, mais bon, c'est pas comme si elle avait le choix, ni quelque chose à se mettre à ce Gala. Elle aurait bien demandé à sa mère... Mais telle qu'elle la connaissait, effectuer une robe en moins d'une semaine, même pour une modiste de renom...
- Si tu soupires encore une fois, je t'assomme pour le principe, grogna Kiyan alors qu'il sortait de l'autoroute.
Tendu, lui aussi, s'était fait enguirlander par son meilleur ami dont il avait rendez-vous avec lui, demain soir. Et à lui aussi, on lui avait visiblement pas laissé le choix... Quelque chose lui disait qu'il allait se faire remonter les bretelles en beauté.
Puis, elle songea à l'Outremonde. Qu'elle n'allait pas tarder à rejoindre. Une perspective si réjouissante d'une aventure inhospitalière et potentiellement mortelle... Pourtant, elle avait hâte d'y être pour une fois, elle allait certainement rencontrer le reste de la fratrie, ou du moins une partie. Elle retient in extrémis un nouveau soupir, mais écopait tout de même d'une tapette.
- Arrête de te faire du mouron, marmonna Kiyan, tu risques d'avoir des rides avant l'âge.
- Vous savez de quoi vous parler, affirma la jeune femme, un sourcil levé et un sourire taquin.
Kiyan sourit alors.
- Voilà, c'est mieux. Je te préfère ainsi, même si je tiens à préciser que je n'ai pas pris une seule ride depuis des siècles.
- Des siècles ? Hoqueta la jeune femme. Comment ça, des siècles ?
Il se mordit les lèvres, se retenant de rire, puis il la regarda à la dérobée derrière son bras tendu sur le volant.
- C'est bizarre depuis que je sais pour toi et que je ne risque rien à te dévoiler des choses, je le fais alors sans même m'en rendre compte, lui expliqua-t-il, d'une voix douce et pourtant lointaine. J'ai plus de quatre millénaires, tu sais...
Blanche siffla, estomaquée. Quatre millénaires ?! Quatre mille ans ?! Elle n'était qu'une goutte d'eau avec ses pauvres seize ans dans son océan d'années à lui. Cela lui fit l'effet d'une douche froide, ils étaient déjà pratiquement incompatibles pour presque tout et plus elle en apprenait sur lui, plus elle se rendait compte du fossé qui les séparait. Elle comprenait mieux la discussion qu'il avait eue plus tôt avec Sean...
C'est avec tristesse qu'elle se tourna vers la fenêtre. Les larmes coulèrent sur ses joues sans qu'elle ne puisse rien y faire. Elle l'aimait tellement que cela lui faisait mal de le savoir inaccessible... Était-elle donc condamnée à rester près de lui sans rien pouvoir espérer de plus ? Kiyan qui ne semblait pas avoir remarqué son état ou qui faisait semblant de rien voir pour ne pas la peiner davantage lança sa playlist. Une voix douce, d'une pureté incroyable, cristalline bien que masculine, s'éleva dans l'habitacle, la réconforta et ses larmes se tarirent tandis qu'elle l'écoutait.
- De qui est-ce ? Finit-elle par demander, ne connaissant pas la mélodie.
Il mit un certain moment à lui répondre, si bien que Blanche crut qu'il ne le ferait pas. Son aura trembla un instant entre lumière et obscurité, puis elle reprit cette teinte de sable chaud, maronné, mais aussi lumineuse que de la poussière d'or.
- D'un frère d'armes, chuchota-t-il. Il me l'a donné en cadeau quand j'ai eu Eva.
Surprise, Blanche l'analysa. Aussi loin qu'elle se souvienne, jamais il n'avait abordé le sujet...
- Il a une voix sublime... Osa-t-elle, quelques secondes plus tard. Vous deviez vraiment l'aimer, la mère d'Eva, je veux dire.
La mâchoire de l'homme se serra, ses mains se crispèrent sur le volant et il lui énonça alors la triste vérité :
- Je ne l'aimais pas. En fait, je ne la connaissais même pas.
- Quoi ?
- Parce que je ne suis pas le père biologique d'Eva. Je suis juste un ami de son père.
Blanche bouche-bée ne pu prononcer le moindre mot. Kiyan lui jeta un regard bien trop long pour quelqu'un au volant. Elle se détourna elle-même pour regarder la route, encore traumatisée par l'accident.
Il finit par s'arrêter alors sur la bande d'arrêt d'urgence. Il actionna les warnings et se tourna vers elle.
- Oh putain de merde, fut la seule chose qui sortit de sa bouche de la jeune femme qui regardait toujours devant elle. Je... reprit-elle. Je suis perdue. Je ne comprends plus rien. Si vous n'êtes pas le père d'Eva, pourquoi vous l'élever ? Et puis qui est son père alors ? Est-ce un autre secret dont Eva n'est pas au courant ou seulement moi ? Et votre bague ? Vous êtes-vous vraiment marié à quelqu'un ?
Trop d'émotions, trop de questions.
- T'es sûr de ton coup, là ?
Blanche sursauta, puis se tourna d'un coup. Un vieil homme venait d'apparaître sur la banquette arrière, vêtu d'une robe blanche avec ses coutures en or, d'un turban de la même couleur sertie d'une émeraude, une barbe de plusieurs mois et la peau aussi mat que celle de Kiyan, bien que parcheminé de quelques rides.
- Non, pas vraiment, lui répondit le chauffeur.
Blanche regarda tour à tour les deux hommes.
- Qui êtes-vous, bordel ?!
Kiyan soupira.
- C'est mon familier, un djinn. Blanche, je te présente Alacazar, le vrai père d'Eva.
- Hein ? Attendez, stop. Comment un djinn peut-il posséder un autre djinn ?
Contrairement à ce qu'elle aurait cru, en son for intérieur, elle savait déjà que Kiyan n'était pas le père biologique d'Eva. Donc, ce n'était pas la première question qui fusa de ses lèvres. Mais, elle ne s'attendait pas à celle-là non plus...
- Il ne le peut pas, lui répondit Alacazar.
- Al, tais-toi, tu veux, répliqua son ami.
- C'est toi qui as commencé, patron.
- Elle est bien trop perspicace.
- Normal, elle l'a toujours été, répliqua le djinn. Mais cela n'a plus la moindre importance, non ?
Kiyan grogna.
- Est-ce qu'Eva sait que vous êtes son père ? Demanda la jeune femme, qui en avait marre de regarder à droite puis à gauche à chaque fois que l'un d'eux ouvrait la bouche.
- Non.
- Mais pourquoi ? S'indigna Blanche.
- Je suis un Marid et la mère d'Eva était une Éfrit. À cause de la loi des djinns, je n'avais pas le droit de m'accoupler avec elle. Je ne peux donc pas l'élever ni l'influencer de quelques manières que ce soit tant que je ne sais pas de quel côté seront ses pouvoirs. Je l'ai donc confié à la seule personne que je connais qui est digne de ma confiance.
Blanche se frotta les yeux, perdue. Éfrit ? Marid ?
- Les Éfrits, lui expliqua Kiyan, sont des djinns du mal, de la terre et des flammes, les Marids en revanche sont le bien incarné, ils aiment également l'eau et les cieux. Bref, les deux clans sont en conflit. Surtout qu'Al est le vrai prince héritier des Marid et qu'Élégance était une princesse Éfrit morte en couche à cause de la magie. Cette dernière n'aime pas être mélangée.
- Oh ! Murmura Blanche. Si je comprends bien, elle est morte parce qu'elle a aimé quelqu'un qui ne fallait pas ? Sans vouloir vous vexer, monsieur.
- Y a pas de mal, tu peux m'appeler Al. Je te connais depuis longtemps, je vis avec vous après tout.
Blanche écarquilla les yeux.
- Okay... Désolée, ça fait beaucoup à encaisser en peu de temps.
- En plus de tout le reste ? La taquina le vieil homme.
Kiyan prit alors une autre cigarette et l'alluma avant de la tendre à son djinn.
- Et donc quoi ? Vous attendez de savoir de quel côté elle est et après ?
- Après, je lui dirais la vérité, lui répondit Kiyan.
- Si ses pouvoirs sont de mon côté, reprit Al, elle sera alors ma fille et pourra enfin venir me rejoindre, apprendre la magie des souhaits...
- Et sinon ? Coupa Blanche.
- Elle devra rejoindre les Éfrits et elle sera une paria pour les siens, conclut le djinn en fumant.
- Mais elle aura le droit de choisir, non ? Elle pourra rester avec nous ?
La jeune femme regarda le professeur avec espoir. Espoir qui s'éteignit dans l'œuf.
- Non, ses pouvoirs seront trop puissants pour les humains. Elle pourrait te tuer sans même s'en rendre compte. Les pouvoirs des Éfrits, sont le mal incarné. Ça sera bien trop dangereux de la laisser avec vous, j'en ai bien peur, lui expliqua Al.
Blanche se mordit la lèvre.
- Quand ? C'est pour bientôt pas vrai ? Sinon, vous ne seriez pas là à tout m'expliquer.
- Tu es bien trop intelligente pour ton propre bien, murmura Kiyan.
- Ça ne me plaît pas du tout. Et vous ? Vous allez vraiment la laisser tomber ? Vous l'avez élevé ! Ça reste votre fille, même si ce n'est pas par le sang !
- Bien sûr que non, s'emporta Kiyan. Si elle veut rester, elle le pourra, mais elle devra renoncer à ses pouvoirs. Ce sera à elle de choisir, je refuse de prendre un tel risque !
- Donc elle a le choix entre garder ses pouvoirs, ou nous quitter, que ce soit avec Al ou les Éfrits, ou bien perdre ses pouvoirs de djinn et rester avec nous ? C'est pas un choix, ça ! C'est un putain d'ultimatum !
Les deux hommes gardèrent le silence, puis Al disparut comme il était venu. Cela lui rappela quelqu'un qui avait fait pareil.
- Vous m'aviez dit que vous m'aviez menti. Sur quoi m'avez-vous menti ? Murmura la jeune femme.
- J'ai bien peur qu'il va te falloir être plus précise que ça.
La jeune femme soupira.
- Si vous n'êtes pas un djinn, qu'êtes-vous donc ? Déglutit-elle.
- Tu le sauras bien assez tôt.
Sur cette dernière phrase, il redémarra la voiture, puis il la fit jurer de ne rien dire à quiconque et surtout pas à Eva. Bien évidemment, elle le fit, enfin ils reprirent la route vers la maison en silence, bercés par le chant et une pluie fine.
Comment allait-elle bien faire pour ne rien dire à sa meilleure amie ? Si Kiyan avait pu se taire pendant des années, trouverait-elle le courage d'en faire autant ? Dans son cœur, elle l'espéra plus que tout. Car décevoir sa meilleure amie était certes horrible, mais décevoir l'homme qu'elle aimait lui semblait encore pire.
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