2. Mort Prématurée
Laissant la journée de cours derrière elle, Blanche se faufilait hors de l'Académie.
- Tu peux pas te faire oublier deux secondes ? lui demanda Eva, boudeuse.
Elle sourit à la vue de ce minois qu'elle trouvait terriblement adorable avec cette mimique.
Si elle ne connaissait pas aussi bien sa meilleure amie, elle aurait dit qu'elle était au pire, exaspérée par son comportement, au mieux simplement excédée.
Elle s'arrêta à sa hauteur et la contempla de tout son long. Elle savait ce qu'elle voyait : Blanche Callahan, une belle jeune femme, âgée de seize ans lui menant la vie dure.
De fait, la rousse savait qu'Eva la trouvait belle, car dans un excès de zèle, elle s'était confiée à qui de droit. Elle enviait sa couleur de cheveux, bien plus colorée que la sienne ainsi que sa longueur qu'elle ne pouvait pas se permettre avec ces, « maudîtes boucles ». Dans sa logique, les cheveux bouclés noirs n'étaient pas jolis longs. Et comme Blanche ne gagnait rien à contrecarrer sa grandeur, elle avait abdiqué.
Les deux jeunes femmes avaient tout en commun : amis, famille et éducation. La mère de Blanche était la sienne, son père... eh bien, à dire vrai, comme il ne faisait en aucun cas figure d'autorité avec Blanche, elle avait encore du mal à le situer. Il était le meilleur ami de sa mère. Blanche avait très vite compris qu'elle avait le béguin pour lui. Elle le respectait, l'admirait même. Difficile alors de le considérer comme un père.
Élevées dans la même ville, depuis l'enfance, dans le même jardin et dans le même quartier. Elles se moquaient ouvertement de leurs prénoms respectifs depuis... Toujours ! Blanche et Évanescence ?! Sans déconner...
Sa mère, une modéliste qui perçait peu à peu, et qui avait bon goût, leur avait pour le moins donné sa passion pour la mode, si bien que leurs tenues vestimentaires s'apparentent avec charme. Souvent absente les week-ends, Blanche avait pris l'habitude de les passer chez sa meilleure amie.
- C'est pas dans ma nature, râla mademoiselle par pur principe.
Elles étaient en dehors de l'Académie. Une institution qui faisait office de lycée, mais qui ressemblait plus à un campus entouré de solides murs où elles y avaient passé toutes leurs années scolaires depuis la primaire. Posée sur un muret enneigé, la jambe repliée, les bras croisés, elle avait attendu Évanescence.
Habillée pour la saison d'une robe de laine crème à fine maille qui lui arrivait à mi-cuisses, des bottines fourrées noires, un chandail long de même couleur et d'une écharpe grise. La jeune femme savait que cette tenue mettait ses atouts en valeur, le gris faisant ressortir ses yeux et ses longs cheveux roux qui détonnaient sur le noir. Sans compter sur le paysage recouvert de son long manteau blanc d'hiver.
- Blanche, marmonna-t-elle, que vais-je faire de toi ?
Elle passa alors devant la rouquine en poussant un faible soupir, puis elle l'attrapa par le bras, se collant à sa meilleure amie avant de se mettre en route.
- Je t'offrirai plus de robe, c'est abuser à quel point elle te va bien.
- C'est pas ce que disait ton père ce matin.
- Il est juste bougon, car il a une réunion ce soir, il peut pas nous ramener à la maison en voiture, ni passer la soirée avec nous.
Blanche pivota légèrement et observa sa silhouette toute voluptueuse. La brune se plaignait souvent de sa petite taille et de ses formes trop généreuses à son goût. Eva qui jalousait la taille de guêpe et les longues jambes de sa meilleure amie, quand celle-ci rêvait secrètement d'avoir un jour la même poitrine qu'elle. À ses côtés, elle pensait qu'elle avait surtout l'air d'être plate...
Toute de noir vêtu, ses bottes de motard recouvraient un jean armé d'une chaînette d'argent, le seul élément fantaisiste qu'Eva se permettait. Un t-shirt de bon goût édulcoré par une échancrure, une veste en cuir, pour le style chic, une écharpe fine, car elle détestait étouffer et un bonnet pour contenir ses boucles, constituait sa dégaine du jour.
Depuis toutes petites, elles se plaisaient à croire qu'elles se complétaient à la perfection : calme et sage enfant, contrairement à Eva qui avait toujours été intempestive, enjouée et infatigable. Le temps avait fait son oeuvre, au grand dam de leurs parents, la tendance à l'adolescence s'était inversée. Tandis qu'Eva s'assagissait, Blanche était devenue une professionnelle dans l'art de la désobéissance sans se faire prendre si l'envie lui en prenait.
Malheureusement pour sa meilleure amie, elle avait décidé de s'amuser un peu. Après tout, c'était leur avant-dernière année de lycée. En fin de compte, elle continuait à s'amuser plus que la jolie rousse. Leurs jeux cependant avaient changé en grandissant. Et comme pour le lui confirmer, le téléphone d'Eva sonna d'une sonnerie qu'elle ne connaissait que trop bien, celle de son dernier petit ami en date.
Elle s'arracha de Blanche et sortit son téléphone à la va-vite, le visage absolument rayonnant de bonheur.
- Salut, mon cœur.
La plus grande soupira en la devançant. Elle jugeait alors avoir autre chose à faire que d'entendre ses mièvreries.
- Comme c'est généreux, ironisa la brune au combiné.
Elle sortait avec un dénommé Sean depuis quelque temps. Blanche n'en savait pas des masses, s'intéressant peu à sa vie amoureuse qui changeait toutes les trente-six du mois. Puisqu'elle n'en avait pas elle-même, la demoiselle n'en voyait tout simplement pas l'intérêt. Elle connaissait juste les grandes lignes : qu'il était à la fac, l'une des plus prestigieuses, la Drake Académie et qu'il était mignon.
Blanche lui avait définitivement demandé d'attendre qu'elle se fixe plus de deux mois avec un membre de la gent masculine avant de lui en faire part. Elle en avait ras-le-coquillart de toutes ses conquêtes éphémères.
Puis, la plus jeune des deux prit un peu d'avance sur le trajet, laissant loin derrière elle, sa moitié pour plus d'intimité. Pour Blanche, question amour, c'était un véritable désert. Aucun mec de son âge lui plaisait. Ils avaient tous un sacré défaut : soit l'immaturité, soit l'absence totale de respect ou encore leur difficulté à accepter son intelligence supérieure à la leur. Bref, elle n'avait pas de chance de ce côté-là, tous s'arrêtaient à son physique. On lui avait même dit un jour qu'elle était sublime jusqu'à ce qu'elle ouvre la bouche. Un véritable goujat celui-là.
Elle avait décidé que puisque sa génitrice se passait désormais très bien des hommes, elle n'avait qu'à faire pareil. En fait, elle préférait se consacrer à ses études. Sa mère qui justement payait ses frais de scolarité à un prix exorbitant, qui ne vivait que pour son travail, car sa fille avait exigé de l'inscrire dans les mêmes établissements qu'Eva. Fille d'un professeur à double doctorat et super réputé, elle avait intégré l'Académie One. Un collège et un lycée privé qui faisait également internat la semaine. Elle l'avait donc suivi, regroupant principalement les enfants les plus casse-couilles et richards qu'ils puissent exister sur cette terre. Du moins du point de vue de Blanche.
Mais comme tout vendredi qui se respecte, journée d'adoration qui annonçait le weekend, elles avaient proclamé que c'était leur journée préférée. La journée, où elles rentraient enfin chez elles. Ou plutôt chez Évanescence. Blanche n'avait pas revu sa propre chambre depuis des lustres.
Pressée par cet état de fait, elle traversa une rue piétonne, le bonhomme était rouge certes, mais la seule voiture a l'horizon était encore assez loin.
Eva, dont la distance se faisait ressentir à chaque pas et toujours à fond dans sa conversation, avec des détails futiles en prime, l'obnubila au point d'oublier son environnement et de suivre son amie, sans regarder la route.
Ainsi, elle ne vit pas la voiture noire, foncer droit sur elle.
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